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Date : 20080605

Dossier : A-389-07

Référence : 2008 CAF 202

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

JEAN-CLAUDE BOUCHARD

Appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

Intimés

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 4 juin 2008.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 5 juin 2008.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE NOËL

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20080605

Dossier : A-389-07

Référence : 2008 CAF 202

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

JEAN-CLAUDE BOUCHARD

Appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

Intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               L’appelant conteste par voie d’appel une décision du juge Shore de la Cour fédérale (juge), lequel rejetait le contrôle judiciaire de l’appelant intenté à l’encontre d’une décision prise au troisième palier de grief du Service correctionnel du Canada. Le grief portait sur deux questions : la hausse de la cote de sécurité attribuée à l’appelant et son transfèrement. De sécurité minimale, cette cote est passée à sécurité moyenne et le transfèrement s’est fait d’un établissement à sécurité minimale vers un établissement à sécurité moyenne.

[2]               L’appelant se représente seul. Sa demande en appel sollicite un certain nombre de remèdes qu’il n’est pas de notre ressort d’octroyer dans le contexte du présent appel. De même, il fait état, dans son mémoire des faits et du droit, de sujets qui n’étaient pas devant le juge et qui, en conséquence, ne peuvent faire l’objet d’une adjudication de notre part.

 

[3]               En outre, il n’est pas facile de cerner les questions qui nous sont soumises en appel. La voie la plus sûre en l’espèce consiste à examiner la décision que le juge a rendue sur les quatre questions suivantes, sur lesquelles il semblait y avoir en première instance un accord des parties :

 

1.         Le commissaire adjoint aux pénitenciers (commissaire) a-t-il erré en refusant de se prononcer sur la question du bien-fondé de l’isolement préventif?

 

2.         Le commissaire a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le délai pour répondre au grief de l’appelant au deuxième palier de grief ne lui avait pas été préjudiciable?

 

3.         L’information fournie à l’appelant quant aux motifs justifiant la hausse de sa cote de sécurité et son transfèrement était-elle insuffisante au point de constituer un manquement à l’équité procédurale? et

 

4.         Le décideur du grief a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable en statuant que les motifs qui ont présidé à la hausse de la cote de sécurité et au transfèrement justifiaient ceux-ci?

 

[4]               Sur chacune de ces questions, le juge a apporté une réponse négative. Notre tâche consiste dans un premier temps à déterminer s’il a, pour fins d’analyse de la décision du décideur administratif, retenu la bonne norme de contrôle. Dans un deuxième temps, s’il a choisi la bonne norme de contrôle, il s’agit pour nous de nous assurer qu’elle fut bien appliquée aux faits de l’espèce. Si la mauvaise norme a été retenue, il nous appartient alors de faire l’analyse de la décision du décideur administratif en y appliquant la bonne norme de contrôle.

 

[5]               Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, daté du 7 mars 2008, la norme du manifestement déraisonnable est disparue, faisant place à celle de la simple déraisonnabilité. C’est cependant la norme plus exigeante du manifestement déraisonnable qui prévalait au moment où le jugement de la Cour fédérale fut rendu le 7 juin 2007. Ceci dit, le juge eût-il appliqué l’une ou l’autre norme que je ne crois pas que ses conclusions auraient été différentes.

 

[6]               En effet, en ce qui a trait à la première question, le juge ne s’est pas trompé en en venant à la conclusion que le décideur administratif n’était pas saisi du litige relatif à l’isolement préventif puisque celui-ci avait déjà fait l’objet d’un grief distinct au troisième palier et que la décision non contestée sur ce grief avait force de chose jugée.

 

[7]               Le juge a également eu raison d’entériner la conclusion des autorités selon laquelle le délai qui a excédé de six jours celui à l’intérieur duquel la réponse au grief au deuxième palier devait être fournie n’a pas causé de préjudice à l’appelant.

 

[8]               Enfin, en ce qui a trait aux deux autres questions, le juge s’est bien dirigé en droit quant aux principes applicables à la communication exigée d’informations à un détenu pour lui permettre de vérifier et de contester le caractère raisonnable et sérieux des motifs sur lesquels se fonde la décision de transfèrement : voir Gallant c. Canada (Sous-Commissaire, Service correctionnel Canada), [1989] 3 C.F. 329 (C.A.F.); Cartier c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1211 (1re inst.) (QL); Blass c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 220; Procureur général du Canada c. Boucher, 2005 CAF 77.

 

[9]               Il a eu raison de ne pas intervenir à l’égard de la décision du commissaire de hausser la cote de sécurité et d’ordonner le transfèrement de l’appelant.

 

[10]           Les éléments de preuve au dossier établissaient le caractère raisonnable et sérieux de la décision prise.

 

[11]           Les rapports d’évaluation et l’avis de décision du transfèrement non sollicité font état d’une détérioration du comportement et des attitudes de l’appelant, de conflits menaçant avec d’autres détenus, de résistance aux directives, d’absence de collaboration avec l’équipe de réinsertion malgré une mise en garde et d’une contestation des objectifs qui lui étaient fixés. De là la conclusion des autorités que l’appelant constituait un risque indu pour un établissement à sécurité minimum.

 

[12]           Avant de conclure, il me faut référer à l’obiter suivant que le juge a ajouté non pas dans ses motifs, mais étonnamment à la fin de son jugement formel :

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

 

 

OBITER

 

La longueur de la peine déjà purgée peut être l'une des circonstances dont il faut tenir compte en appliquant, aux circonstances de chaque détenu, les critères établis par la Loi. Il se peut qu'elle ne justifie pas à elle seule la libération conditionnelle, mais elle peut bien servir d'indication que le détenu n'est plus dangereux. De même, un long emprisonnement et l'effet concomitant d'habitude de vie en prison qu'il a sur un détenu peut expliquer et même excuser certains manquements à la discipline.

 

(Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385.)

 

Le désespoir engendre souvent la frustration. Monsieur Bouchard a passé près de 25 ans de sa vie en prison. Pendant 17 ans, ce dernier a eu un comportement exemplaire. En 2002, la décision réduisant ainsi le délai fixé pour son admissibilité à la libération conditionnelle totale crée, chez monsieur Bouchard, une attente d’une sortie imminente du milieu incarcéral vers un retour à la collectivité. Par contre, depuis les incidents reportés par le SCC en 2002-2003, monsieur Bouchard perd espoir et sa situation se détériore. Le refus de sa libération conditionnelle en 2003 le projette dans un cycle de frustration comme spécifié au dessus. En effet, le refus de monsieur Bouchard de coopérer avec la Commission des libérations conditionnelles (Commission) datent, presque uniquement, des dernières années de son incarcération. Depuis lors, ce comportement procède de sa frustration et il concentre son attention sur les autres recours juridiques susceptibles de lui procurer sa mise en liberté.

 

En tenant compte de tout ce qui précède, monsieur Bouchard se doit de recevoir, lors de son examen pour libération conditionnelle prévu en 2008, une décision qui repose sur les critères tel qu’énoncés par le juge Peter deCarteret Cory dans l’arrêt Steele, ci-dessus, au paragraphe 65, à savoir que la Commission accorde la libération conditionnelle (i) si l’effet positif maximal de l’emprisonnement a été atteint par le détenu; (ii) si la libération conditionnelle facilitera l’amendement et la réadaptation du détenu, et (iii) si la mise en liberté du détenu ne constitue pas un trop grand risque pour la société. À ce titre, le juge Gérard V. La Forest dans l’arrêt R. c. Lyons, [1987], 2 R.C.S. 309, aux pages 340-341 décrit en ces termes, l’importance fondamentale que la Commission tienne compte de ces critères lors de l’examen des peines d’une durée déterminée imposées aux individus incarcérés :

 

[48]      ... dans un régime de peines d'une durée déterminée, la possibilité d'obtenir une libération conditionnelle représente une mesure surajoutée de protection des intérêts du délinquant en matière de liberté. Dans le présent contexte, cependant, une fois la peine imposée, elle constitue la seule mesure de protection des intérêts du délinquant dangereux en matière de liberté. [...] Par conséquent, vu sous cet angle, le processus de libération conditionnelle revêt une importance capitale, car seul ce processus permet vraiment d'adapter la peine à la situation de chaque délinquant.

 

Par conséquent, ces critères vont servir la Commission comme lignes directrices de tenir compte du cheminement de monsieur Bouchard, non seulement depuis les incidents survenus en 2002, mais également, pour les 17 années antérieures.

 

 

i) Est-ce que l’effet positif maximal de l’emprisonnement a été atteint par le détenu?

 

Pendant toute la durée de son emprisonnement, des rapports des spécialistes ont spécifié que monsieur Bouchard a tiré le bénéfice maximal de son incarcération. Premièrement, le jugement favorable de libération conditionnelle de 2002, était fondé sur une preuve abondante de bonne conduite et sur le fait qu’après avoir cessé de consommer de l’alcool et de la drogue depuis 1984-85, il a participé à plusieurs programmes de réhabilitation et a complété plus de quatre-vingt-dix (90) sorties avec escorte. À ce titre, il est important de noter que tous les rapports de sortie avec escorte, datés de 2000 à 2001 sont positifs et tous les rapports d’évaluation à la suite d’une permission de sortir ou d’un placement extérieur, daté de 2001 à 2003 sont positifs, à l’exception de celui du 7 août 2001. (Pièce D-9)

 

Deuxièmement, il appert, selon le rapport criminologique daté du 3 février 2002 (Pièce D-5), que monsieur Bouchard progressait de façon significative vers un retour à la collectivité. Ainsi, il est important de noter certains extraits de ce rapport pour mieux saisir le cheminement évolutif de monsieur Bouchard depuis le début de son incarcération :

 

Au sujet de son comportement :

 

[Monsieur Bouchard] se présente en entrevue de manière relativement à l’aise. Nous avons obtenu de sa part une excellente collaboration. Rapidement, le climat devient propice à un échange productif. Le discours est franc, direct, et le sujet fait preuve d’ouverture et d’authenticité. La pensée est cohérente et le vocabulaire y est bien adapté. C’est un individu sociable, simple de contact, assez loquace, modeste, humble dans la présentation et la description de ce qu’il est, qui apprécie échanger avec autrui et qui se montre intéressé à s’améliorer comme personne.

 

Il nous parle de sa vie passée, actuelle et future sans ambages, avec transparence malgré des pensées et des agirs d’antan qui pourraient le mettre en mauvaise lumière parfois. Il nous raconte ses croyances, sa vérité avec courage et se risque dans la révélation de ce qu’il est jusque dans son intimité psychologique avec une franchise qui étonne mais qui apparaît le caractériser actuellement.

 

Nous n’avons pu mettre en évidence aucune technique manipulatoire telle que la diversion, l’obstruction systématique, l’intimidation directe ou voilée, le mensonge, la flatterie, la séduction ou la victimisation à outrance. Le récit de son histoire de vie reste conforme en tout point aux différents rapports déjà versés au dossier par les autres évaluateurs.

 

Monsieur Bouchard apparaît doté d’un bon potentiel introspectif qui l’amène à se soucier de l’autre et à s’adapter, tout en développant des habilités personnelles et sociales efficaces pour y puiser un sentiment de réalisation personnelle.

 

L’autocritique est assez articulée. Il reconnaît son orientation délinquante de l’époque, ses comportements inconséquents et égocentriques, son approche rigide, ses manques d’empathie sociale, son jugement moral « étroitisé » et perverti par des objectifs criminalisés. Il reconnaît avoir hypothéqué la vie de plusieurs membres de sa famille et celle d’autres gens (ses victimes) ainsi que sa propre vie. Il perçoit bien ses inadéquations personnelles d’antan et est parvenu, avec le temps, à identifier assez clairement les ancrages dynamiques qui l’animaient à cette époque de sa vie.

 

L’affect est modulé au discours. Il est capable de sensibilité interpersonnelle et d’émotivité bien adaptée. Il devient plus triste lorsqu’il aborde les différentes pertes dans sa vie (parents, fratrie) et se montre optimiste pour l’avenir. Il est capable d’attachement affectif et nous notons une bonne réceptivité au point de vu de l’autre et une excellente capacité d’interagir avec celui-ci. L’attitude paraît naturelle, authentique, non superficielle, ni forcée : monsieur Bouchard ne témoigne pas de manœuvre quelconque visant à créer une image favorable de soi. Nous nous retrouvons face à un individu communicatif et expressif. Monsieur possède de bonnes ressources adaptatives et les forces de contrôle semblent efficaces.

 

L’allure générale est confiante et assurée, sans être présomptueuse ou téméraire. C’est dire qu’il ne s’agit pas ici d’un sujet craintif et appréhensif face aux obstacles, mais plutôt déterminé et vaillant, impérieux à s’accomplir.

 

(Pièce D-5, aux pages 3-4)

 

Au sujet de son évolution en cours de sentence :

 

[…] Le décès de ses frères et d’une sœur à la fin des années 80 […] semble avoir douloureusement ébranlé et affecté le sujet pour qu’on remarque graduellement, à partir de ce moment, un assouplissement appréciable des mécanismes adaptifs. Il a commencé à se montrer plus raisonnable et interactif envers l’autorité et son entourage, adoptant une approche plus constructive, moins arrogante ou réfractaire, avec une écoute à la hausse (auparavant inexistante) et une implication non négligeable au niveau institutionnel. Bref, depuis 1990, nous relevons une volonté certaine de se démarquer des attitudes et comportements déviants et antisociaux.

 

[…] Depuis 1990 donc, on remarque une accalmie dans ses comportements. Les changements de départ ne sont pas fulgurants, mais se font en solo et en sourdine et passent surtout par une longue période de réflexion. Cette période sera suivie d’une légère ouverture à ce qui pourrait l’aider dans son projet de changement. Il s’implique dans le programme Toast Master. Suivront les programmes de Connaissance de soi et d’Apprentissage cognitif des compétences. Il fera beaucoup de lectures à ce moment et il se mettra aussi à écrire. Écrire sur lui, sa vie, sa famille, ce qui permettra graduellement l’exploration plus attentive de son vécu intérieur et qui l’amènera à réaliser son besoin d’être aidé.

 

En 1995, il demandera à rencontrer un psychologue et il entamera un suivi psychothérapeutique régulier pendant environ un an […]

 

Il s’est inscrit à l’ensemble des programmes thérapeutiques qui étaient mis à sa disposition au Service correctionnel et s’y est impliqué qualitativement et authentiquement. Il s’occupera aussi de projets plus altruistes comme : Vision mondiale, le groupe Vie-Espoir (dont il sera aussi président pendant un an) et s’impliquera aussi aux ateliers liturgiques. Il sera aussi président du Comité de détenus pendant près de deux ans et s’acquittera adéquatement de ces mandats.

 

Tout cela l’amènera graduellement à des évaluations sécuritaires à la baisse jusqu’à ce qu’en juin 1998, il soit transféré à l’Établissement de Ste-Anne-des-Plaines pour amorcer un programme de réinsertion sociale et se joindre au programme des unités d’habitations.

 

Depuis avril 2000, monsieur Bouchard a obtenu une soixantaine de sorties, accompagné, pour rapports familiaux, développement personnel et services à la communauté et il n’a posé aucun problème d’ordre sécuritaire. À l’occasion de deux sorties sur une soixantaine, les commentaires de l’escorte (la même pour les deux sorties) ont été négatifs. Toutes les autres sorties se sont actualisées sans aucune difficulté et les rapports sur les sorties ont été rédigés par quelque dix-huit escortes différents, selon les informations que nous possédons à date.

 

(Pièce D-5, aux pages 6-8)

 

Évaluation criminologique :

 

[…] Il y travaille depuis plus de onze ans maintenant et cet acharnement est remarqué et bénéfique de l’avis de l’ensemble des intervenants et nous partageons ces avis. À travers toutes ces années, à travers sa participation à l’ensemble des programmes thérapeutiques offerts par le Service correctionnel et à travers un suivi psychologique qui semble l’avoir littéralement projeté vers la reconstruction de sa dynamique de personnalité, on voit apparaître graduellement le développement d’une meilleure prise de conscience de soi et des autres qui a amené monsieur Bouchard a « mûrir » sur le plan relationnel, affectif et émotif.

 

[…] La longue réclusion (plus de dix-neuf ans) aura, semble-t-il, fini par éroder ses traits antisociaux, favorisant à ce moment, enfin, un retour sur lui-même. Il comprend que sa trajectoire de vie de l’époque ne le menait nulle part, sinon dans une impasse. Depuis plus de dix-sept ans, monsieur Bouchard n’aurait plus consommé ni drogues, ni alcool.

 

[...] Nous relevons chez monsieur Bouchard une grande capacité et une bonne volonté pour se rapprocher fort adéquatement des normes sociales actuelles. Par contre, ce rapprochement semble connaître présentement un plafonnement évolutif dans ses conditions actuelles de vie. En début d’incarcération surtout, le milieu fermé peut rester plutôt riche de moyens pour s’arrêter et apprendre à se faire face; mais en même temps, ce milieu finit par s’appauvrir de stimulations plus proches des réalités de la vie en société, ce qui amène une forme de stagnation de l’évolution du sujet en ce moment.

 

La stagnation et le cul-de-sac évolutif qu’il rencontre à travers un plafonnement et une saturation du milieu carcéral doivent être transcendés, dépassés. Son évolution carcérale et personnelle nous dévoile un individu en bon contrôle par une meilleure connaissance de lui-même, de ses limites et de ses forces […] (La Cour souligne.)

 

(Pièce D-5, aux pages 9-13)

 

Finalement, il appert de la preuve documentaire que depuis l’incident de 2003, monsieur Bouchard est présentement incarcéré au Centre fédéral de formation de Laval, un pénitencier de sécurité minimum renforcée. En outre, le demandeur poursuit ses études secondaires dans le but de rehausser son niveau de scolarité et tente de s’impliquer dans des groupes tel la Santé et Sécurité au travail.

 

 

ii) Est-ce que  la libération conditionnelle facilitera l’amendement et la réadaptation du détenu

 

La situation de monsieur Bouchard depuis les incidents de 2002-2003 fait preuve d’une détérioration en milieu carcéral. Depuis lors, le désespoir et la frustration mène la vie de monsieur Bouchard et l’empêche de progresser dans un milieu carcéral. Or, il appert de la preuve documentaire que la libération conditionnelle de monsieur Bouchard mérite une considération profonde et entière :

 

Ce retour progressif vers l’extérieur paraît sans risque indu pour la société actuellement. Il permettra au sujet de poursuivre son évolution, bien amorcée et intégrée à l’intérieur de nos institutions, pour l’ajuster aux réalités extérieures et, en ce sens, se retrouver et se rebâtir une place contributive et adéquate sur l’échiquier social et ainsi continuer de s’amender convenablement et fructueusement. L’incarcération cette fois et la perte de certains membres de sa famille semblent avoir marqué profondément et douloureusement monsieur Bouchard et ont atteint, avec assurance, un objectif dissuasif puissant qui devrait porter dans le futur pour soutenir sa trajectoire de vie qu’il souhaite aujourd’hui adaptée et responsable. Il en possède les capacités et la volonté. D’autre part, monsieur Bouchard est parvenu à se créer un réseau de support social sain et adéquat à travers les membres de sa famille et leurs amis et particulièrement, avec son frère Marcel et les amis de ce dernier. Monsieur Bouchard a aujourd’hui 48 and et souhaite vivre ses dernières années à l’extérieur des murs d’un pénitencier et nous croyons qu’il peut y parvenir avec l’aide qu’il continuera de recevoir des Services correctionnels pour le restant de sa vie.

 

(Rapport criminologique, Pièce D-5, aux pages 13 et 14.)

 

 

iii) Est-ce que la mise en liberté du détenu ne constitue pas un trop grand risque pour la société?

 

Le système carcéral se doit d’assurer la sécurité des citoyens. Ainsi, si la mise en liberté d’un détenu continu de constituer un trop grand risque pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut être justifiée. (Steele, ci-dessus, au paragraphe 71.)

 

Cependant, en plus, il appert de la preuve documentaire du 3 janvier 2002, qu’à l’époque, monsieur Bouchard ne présentait pas un danger pour la société :

 

Ce retour progressif vers l’extérieur paraît sans risque indu pour la société actuellement…

 

(Rapport criminologique, Pièce D-5, à la page 12.)

 

En outre, il a participé à plusieurs programmes de réhabilitation et a complété plus de quatre-vingt-dix (90) sorties avec escorte. À ce titre, il est important de noter que tous les rapports de sortie avec escorte, datés de 2000 à 2001 sont positifs et tous les rapports d’évaluation à la suite d’une permission de sortir ou d’un placement extérieur, daté de 2001 à 2003 sont positifs, à l’exception de celui du 7 août 2001.

 

À ce titre, la longueur de la peine déjà purgée peut être l’un des éléments d’évaluation, en appliquant, aux circonstances de chaque détenu, les critères établis par la Loi. Il se peut qu’elle ne justifie pas à elle seule la libération conditionnelle, mais, également, elle peut bien servir d’indication à l’intérieur d’un ensemble des éléments que le détenu n’est plus dangereux et pourrait être libérer.

 

Finalement, depuis les incidents survenus en 2002-2003, monsieur Bouchard est présentement incarcéré au Centre fédéral de formation de Laval, un pénitencier de sécurité minimum renforcée.

 

Sur ce point, une analyse tiendra compte des incidents survenus en 2002-2003 et des explications quant aux motifs qui l’ont provoqué. Un long emprisonnement et l’effet concomitant d’habitude de vie de prison qu’il a sur un détenu peut expliquer et même démontrer en partie certains manquements à la discipline. Plutôt que de considérer que des manquements à la discipline, l’analyse se penche sur des critères pour savoir si la libération conditionnelle constituera un risque trop grand pour la société. (Steele, ci-dessus, aux paragraphes 77-79.)

 

En somme, afin de briser le cycle perpétuel de désespoir et de frustration et pour évaluer le risque potentiel à la société, il est primordial que monsieur Bouchard et le SCC renouent contact significatif; c’est afin d’en arriver à une compréhension qui pourra prendre les préoccupations des deux parties en considération sans minimiser la raison pour l’incarcération prolongée à date.

 

Le bien-être de la société et ce de monsieur Bouchard est un but qui nécessite, non seulement un examen des actes mais également, une analyse des attitudes qui mènent vers des gestes pour un résultat en commun découlant d’une coopération et d’une volonté unies qui représentent ensemble le symbole en soi de ce que le milieu carcéral prône. [Caractères gras dans l’original.]

 

 

[13]           Il ne s’agit pas à proprement parler d’un obiter, puisque sa teneur ne se rapporte pas à la décision qui fut rendue et en déborde carrément le cadre. Si bien intentionné qu’il soit, cet obiter est mal venu. Comme nous avons pu le constater à l’audience, il a eu pour effet de créer des attentes. L’appelant, qui a statut de détenu et est soumis aux règles de son établissement de détention, a cherché à obtenir à l’interne les services d’un arbitre ou d’un médiateur pour régler ou négocier ce qu’il perçoit comme son différend avec l’administration pénitentiaire.

 

[14]           Il a aussi eu vraisemblablement pour conséquence de polariser les positions de l’appelant et de l’administration pénitentiaire ainsi que de provoquer un éloignement plutôt qu’un rapprochement des parties.

 

[15]           Je crois qu’il est à propos, particulièrement dans le contexte du droit pénitentiaire, de rappeler ces sages propos du juge Beetz dans l’affaire Cie Immobilière Viger c. L. Giguère Inc., [1977] 2 R.C.S. 67, à la page 77 :

 

Le juge dépend de la fortune des litiges et ne se prononce pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les trancher.

 

 

[16]           Je rejetterais l’appel, mais sans frais dans les circonstances.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

« Je suis d’accord. »

            « Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord. »

            « Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-389-07

 

 

INTITULÉ :                                                   JEAN-CLAUDE BOUCHARD c. LE

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                                                        SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 juin 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 5 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Monsieur Jean-Claude Bouchard

POUR L’APPELANT

 

Me Éric Lafrenière

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

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