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Date : 20080331

Dossier : A-238-07

Référence : 2008 CAF 109

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CONSTRUCTION DE DÉFENSE (1951) LIMITÉE

demanderesse

et

ZENIX ENGINEERING LTD.

défenderesse

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 12 février 2008

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LA JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 

 

                                                                                                                        

 


Date : 20080331

Dossier : A-238-07

Référence : 2008 CAF 109

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

CONSTRUCTION DE DÉFENSE (1951) LIMITÉE

demanderesse

et

ZENIX ENGINEERING LTD.

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DESJARDINS

[1]               Le 7 décembre 2006, Zenix Engineering Ltd. (Zenix) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE ou le Tribunal) au sujet d’un marché public (invitation no IE070336) passé par Construction de Défense Canada (CDC), au nom du ministère de la Défense nationale (le Ministère), à la suite d’une demande de propositions abrégées (DPA) pour des services d’évaluation et de remédiation pour la sécurité des occupants de quartiers modulaires, devant être utilisés par le ministère de la Défense nationale. La demanderesse est désignée dans les citations reproduites dans les présents motifs sous l’abréviation CDC.

[2]                Dans la décision qu’il a rendue le 20 avril 2007 (dossier no PR-2006-035), le TCCE a conclu qu’il était compétent pour examiner la plainte, tant en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALENA) que de l’Accord sur le commerce intérieur (l’ACI). Estimant que demanderesse avait violé une clause de la DPA, le TCCE l’a condamnée à verser à Zenix une indemnité d’un montant égal à son manquer à gagner.

 

[3]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du TCCE.

 

[4]               Zenix n’a pas soumis d’observations écrites et elle n’a pas comparu lors de l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Je suis d’avis de rejeter la demande pour les motifs qui suivent.

 

QUESTIONS À TRANCHER

[6]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de deux volets de la décision du TCCE :

1.      La compétence du TCCE en vertu de l’ALENA pour examiner la plainte.

2.      La conclusion du TCCE suivant laquelle la demanderesse avait violé l’ACI et l’ALENA en omettant de divulguer à Zenix les limites budgétaires du Ministère au cours des négociations.

 

LES FAITS

[7]               Voici un résumé des faits publics pertinents.

 

[8]               La demanderesse est une société d’État créée en vertu de la Loi sur la production de défense, L.R.C. 1985, ch. D-1. Elle fournit des services de passation et de gestion de marchés au Ministère et aux Forces canadiennes dans le cadre de l’élaboration et de la gestion de ses infrastructures matérielles (affidavit de Ron de Vries - dossier d’appel, volume 1, onglet 4, aux pages 290 et 291).

 

[9]               La DPA qui fait l’objet de la présente demande a été diffusée par la demanderesse le 13  juillet 2006. La date de clôture pour la réception des propositions était fixée au 17 août 2006. La DPA renfermait les dispositions suivantes, qui sont importantes pour trancher la présente demande :

3.3 Résultats de l’évaluation / adjudication du contrat

Les cotes techniques de la DPA et ceux de l’offre de services (calculées par demande du paragraphe 6 de la DPA) sont additionnées pour déterminer le classement relatif des proposants. Le proposant ayant obtenu la cote globale la plus élevée sera choisi en vue de la négociation d’un contrat avec CDC. La négociation comprendra une entente sur le montant maximum pour les services autorisé par CDC. Si la négociation échoue, CDC amorcera la négociation avec le proposant classé au rang suivant. Les services offerts par le proposant seront conformes au présent document de DPA.

 

 

[10]           En réponse à la DPA, Zenix et cinq autres soumissionnaires ont soumis des propositions. Le 30 août 2006, Zenix a été avisée par téléphone que sa proposition avait obtenu la cote globale la plus élevée et qu’elle avait été retenue par la demanderesse en vue d’une négociation.

 

[11]           Je fais miennes les conclusions de fait tirées par le TCCE au paragraphe 44 de sa décision au sujet des négociations tenues entre la demanderesse et Zenix :

44.    Les éléments de preuve établissent qu’un prix initial pour les services a été soumis par Zenix. Ils indiquent aussi que Zenix a modifié son offre de prix peu après le début de la négociation par suite d’un échange de renseignements concernant certains éléments de redondance dans le contrat proposé. Il ressort des éléments de preuve que, à la suite des discussions susmentionnées, l’écart initial entre la valeur estimative du contrat et le prix initial soumis par Zenix a été réduit de façon importante. La discussion s’est poursuivie concernant l’inclusion de certains éléments de coûts dans le deuxième prix offert par Zenix, mais, toujours d’après les éléments de preuve, rien d’important ne s’est passé ensuite, si ce n’est les demandes de Zenix visant à savoir ce qu’il en était de la situation relative au contrat proposé. Finalement, le 2 novembre 2006, CDC a informé Zenix qu’elle engageait la négociation avec le proposant classé au deuxième rang.

 

[12]           Dans une lettre datée du 3 novembre 2006, Zenix a exprimé sa [traduction] « surprise et sa déception » face à la décision prise la veille par la demanderesse. Zenix a réclamé une rencontre avec la demanderesse pour discuter de ses préoccupations au sujet de sa soumission.

 

[13]           Le 23 novembre 2006, la demanderesse a fait savoir à Zenix que sa décision de rejeter sa soumission était définitive.

 

[14]           Par lettre datée du 29 novembre 2006, la demanderesse a informé Zenix que le contrat avait été adjugé au proposant classé au deuxième rang.

 

[15]            Le 7 décembre 2006, Zenix a saisi le TCCE d’une plainte portant sur le marché public en vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 47 (la Loi).

 

[16]           Dans la décision qu’il a rendue le 20 avril 2007, le TCCE a estimé que la plainte de Zenix était fondée. Le TCCE a condamné la demanderesse à verser à Zenix une indemnité d’un montant égal aux profits que Zenix aurait raisonnablement réalisés si le marché lui avait été adjugé. Le TCCE a publié des motifs le 3 mai 2007

 

ANALYSE

NORME DE CONTRÔLE

[17]           L’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir) de la Cour suprême du Canada a modifié le paysage du droit administratif au Canada, notamment en supprimant la norme de la décision manifestement déraisonnable en matière de contrôle judiciaire. Il nous faut donc réexaminer à la lumière de l’arrêt Dusnmuir la jurisprudence antérieure de notre Cour avant d’appliquer les normes de contrôle auxquelles est assujetti le TCCE.

 

[18]           Heureusement, les questions qui nous sont soumises entrent dans deux catégories distinctes pour lesquelles il existe un précédent clair et pour lesquelles l’arrêt Dunsmuir ne modifie pas de façon significative les règles de droit applicables. 

 

[19]           La première question qui nous est soumise concerne la compétence que l’ALENA confère au TCCE. Ainsi que notre Cour l’a conclu dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Symtron Systems Inc., [1999] 2 C.F. 514 (C.A.), au paragraphe 45 (Symtron), c’est la norme de la décision correcte qui s’applique au contrôle judiciaire des questions portant sur la compétence du TCCE. L’arrêt Dunsmuir ne change rien à cette conclusion pas plus qu’il ne modifie le sens de l’expression « décision correcte » (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 50).

 

[20]           La seconde question que nous sommes appelés à trancher porte sur l’interprétation et l’application que le TCCE a faites des modalités des documents d’appel d’offres (l’invitation). Cette question entre tout à fait dans le cadre de la compétence du TCCE et la Cour doit faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions tirées par le TCCE en la matière. Avant l’arrêt Dunsmuir, cette question donnait lieu à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable (voir l’arrêt Symtron, au paragraphe 45). L’arrêt Dunsmuir ne change rien au fait que la norme applicable demeure celle qui commande le degré de retenue judiciaire le plus élevé. Dorénavant, la norme applicable dans le cas d’une question relevant de la compétence du TCCE est donc celle de la décision raisonnable. Au paragraphe 47ff de l’arrêt Dunsmuir, les juges Bastarache et LeBel, qui écrivaient pour la majorité, proposent une définition que je vais appliquer en l’espèce :

[47]       La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[48] L’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam […]

                                                                        [Non souligné dans l’original.]

                                               

 

LA COMPÉTENCE DU TCCE

[21]           La demanderesse a soutenu énergiquement à l’audience que l’ALENA ne conférait pas au TCCE la compétence pour examiner la présente plainte. Elle s’en prend plus particulièrement à la conclusion du TCCE suivant laquelle elle agissait comme mandataire du Ministère en ce qui concerne le marché public en question. Je tiens d’entrée de jeu à signaler que la demanderesse ne conteste pas la compétence du TCCE pour examiner la plainte en vertu de l’ACI. 

 

[22]           L’applicabilité de l’ALENA aux plaintes portées devant le TCCE en matière de marchés publics dépend des divers seuils monétaires minimums régissant les marchés publics conclus avec diverses institutions fédérales (voir les articles 1001, l’annexe 1001.1a-1, l’annexe 1001.1a-2 de l’ALENA et la Politique sur les marchés ─ avis 2005-3 du Conseil du Trésor). Dans le cas qui nous occupe, si le Ministère était l’institution fédérale en cause, la valeur du marché public respecterait le seuil monétaire minimum et le TCCE serait compétent, en vertu de l’ALENA, pour examiner la plainte, ce qui ne serait pas le cas si la demanderesse était considérée comme l’institution fédérale en cause parce qu’alors, un autre seuil monétaire s’appliquerait. Comme le TCCE a conclu que la demanderesse agissait comme mandataire du Ministère, le TCCE a conclu que l’institution fédérale compétente était le Ministère et que l’ALENA lui conférait par conséquent la compétence pour examiner la plainte (voir le paragraphe 18 de la décision du TCCE).

 

[23]           La demanderesse soutient qu’elle n’agit pas comme mandataire du Ministère dans le cadre du marché public en litige. La demanderesse invoque notamment le paragraphe 6(3) de la Loi sur la production de défense pour affirmer qu’elle peut représenter seulement Sa Majesté et que, par conséquent, elle ne peut être mandataire du Ministère. La demanderesse nous exhorte par ailleurs à clarifier ou à infirmer la conclusion que notre Cour a formulée dans l’arrêt Symtron, précité, en l’occurrence que, dans le cas du marché public en cause dans cette affaire, la demanderesse agissait comme mandataire du Ministère (voir les paragraphes 59 à 64 de l’arrêt Symtron). Plus précisément, la Cour a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Symtron, aux paragraphes 62 et 63 :

62     L'intention des parties est manifeste. Dans le cadre de l'ALENA, les parties ne peuvent élaborer les marchés de manière à les soustraire à l'assujettissement à l'ALENA. Si le Canada entend faire honneur aux obligations contractées aux termes de l'ALENA, il faut que le TCCE ait le pouvoir de décider que le véritable maître de l'ouvrage était le Ministère, et non CDC. En l'espèce, le Tribunal a fondé sa conclusion sur les constatations suivantes : a) c'est le Ministère qui avait besoin du SFLI; b) c'est le Ministère qui a approuvé finalement les spécifications rédigées par CDC; c) le Ministère a fait l'évaluation technique des propositions; d) le Ministère paiera les travaux; e) le Ministère sera propriétaire des installations. J'ajouterais à cette liste que la DDP porte la mention suivante en gras et en majuscules au haut de la page titre : [traduction] « MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATONALE ». Sur la page titre de la DDP, on ne trouve nulle part la dénomination « Construction de Défense (1951) Canada Limitée ». En outre, chaque page de la DDP comporte l'en-tête suivant :

[traduction]

Installation de formation à la lutte contre l'incendie

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Esquimalt (Colombie-Britannique)

 

63     Je suis donc d'avis que le TCCE n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a conclu que le marché devait être considéré comme ayant été attribué par le ministère de la Défense nationale. Dans une situation comme celle-ci, un contrat ne devrait pas être exempté de l'application de l'ALENA simplement parce que le gouvernement a décidé d'attribuer le contrat par l'entremise de CDC. Les décisions de la fonction publique du Canada, si bien intentionnées soient-elles, ne sauraient prévaloir sur nos obligations internationales.

                       

           

[24]           J’estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question. La demanderesse ne conteste pas que le TCCE avait compétence pour examiner sa plainte en vertu de l’ACI. Ainsi que nous le verrons plus en détail plus loin, dans le cas qui nous occupe, les principales dispositions de l’ACI et de l’ALENA vont pour l’essentiel dans le même sens. Il importe peu, pour trancher le présent litige, que le TCCE ait compétence en vertu de l’ACI ou de l’ALENA ou des deux. Ce qui importe, c’est qu’il n’est pas contesté que le TCCE avait compétence, en vertu de l’ACI, pour rendre la décision qu’il a rendue. Cette conclusion suffit à elle seule pour trancher la question. Toute observation que je formulerais au sujet de la compétence que le TCCE tire de l’ALENA ne serait qu’une remarque incidente inutile.

 

LA DEMANDERESSE A-T-ELLE MANQUÉ AUX OBLIGATIONS QUE L’ACI ET L’ALENA METTAIENT À SA CHARGE EN OMETTANT DE DIVULGUER À ZENIX LES LIMITES BUDGÉTAIRES DU MINISTÈRE AU COURS DES NÉGOCIATIONS?

 

[25]           Les conclusions tirées par le TCCE au sujet des éventuelles violations de l’ACI et/ou de l’ALENA sont des questions qui relèvent de la compétence du TCCE. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[26]           Les dispositions auxquelles Zenix reproche à la demanderesse d’avoir contrevenu sont le paragraphe 506(6) de l’ACI et le paragraphe 1015(4) de l’ALENA. Le paragraphe 506(6) de l’ACI dispose :

Dans l’évaluation des offres, une Partie peut tenir compte non seulement du prix indiqué, mais également de la qualité, de la quantité, des modalités de livraison, du service offert, de la capacité du fournisseur de satisfaire aux conditions du marché public et de tout autre critère se rapportant directement au marché public et compatible avec l’article 504. Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères.

                                                                                                           

[27]           Le paragraphe 1015(4) de l’ALENA, qui revêt une importance particulière, est ainsi libellé :

d)  l’adjudication des marchés sera conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l’appel d’offres.

 

 

[28]           Comme j’en ai discuté plus haut brièvement, ces deux dispositions emportent les mêmes conséquences juridiques en ce qui concerne la plainte relative à un marché public dont nous sommes saisis. Elles exigent toutes les deux que l’évaluation des soumissions soit effectuée conformément aux critères spécifiés dans les documents d’appel d’offres. Il importe donc peu de savoir à laquelle de ces deux dispositions la demanderesse a contrevenu.

 

[29]           Le document d’appel d’offres en litige dans le cas qui nous occupe est le DPA. Le DPA est assorti de deux conditions qui sont en litige dans la présente demande : en premier lieu, les négociations doivent prévoir une entente sur le montant maximum pour les services autorisé et, en second lieu, avant que la demanderesse puisse entamer des négociations avec le proposant classé au deuxième rang, il faut que les négociations qu’elle a menées avec le proposant ayant obtenu la cote la plus élevée aient échoué. Par souci de commodité, je reproduis à nouveau l’article 3.3 de la DPA :

3.3 Résultats de l’évaluation / adjudication du contrat

Les cotes techniques de la DPA et ceux de l’offre de services (calculées par demande du paragraphe 6 de la DPA) sont additionnées pour déterminer le classement relatif des proposants. Le proposant ayant obtenu la cote globale la plus élevée sera choisi en vue de la négociation d’un contrat avec CDC. La négociation comprendra une entente sur le montant maximum pour les services autorisé par CDC. Si la négociation échoue, CDC amorcera la négociation avec le proposant classé au rang suivant. Les services offerts par le proposant seront conformes au présent document de DPA.

                                                                                                               [Non souligné dans l’original.]                                                                                                            

[30]           La demanderesse fait valoir que [traduction] « le libellé de l’article 3.3 de la DPA ne l’obligeait pas à divulguer à Zenix les limites budgétaires du ministère au cours de ses négociations avec Zenix » (paragraphe 91 du mémoire de la demanderesse). La demanderesse affirme que le TCCE a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour en tirant une telle conclusion.

 

[31]           La demanderesse relève les conclusions suivantes, que l’on trouve au paragraphe 49 de la décision du TCCE :

49.   Dans un tel contexte, le Tribunal est d’avis que les critères appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères énoncés au paragraphe 3.3 de la DPA exigeaient que CDC indique clairement à Zenix qu’à son avis la négociation avait abouti à une impasse quant au montant maximum pour les services fournis et à la possibilité de satisfaire au prix imposé par les limites budgétaires du le Ministère. Le Tribunal est d’avis que ce n’est qu’après avoir communiqué cette information à Zenix et avoir sollicité la réponse définitive de cette dernière à cet égard que CDC aurait pu tirer la conclusion que la négociation avait échoué.

 

[32]           Je signalerais aussi le paragraphe 45 de la décision du TCCE :

45.  D’après le paragraphe 3.3 de la DPA, la négociation devait inclure « une entente sur un montant maximum pour les services autorisé par CDC ». Le Tribunal est d’avis que CDC n’a jamais clairement communiqué à Zenix quel était ce montant maximum budgété autorisé par le Ministère. Le Tribunal est d’avis que si la négociation devait aboutir à une entente sur un montant maximum pour les services autorisés, il était raisonnable de s’attendre à ce que soit CDC, soit le Ministère doive préciser, dans le cadre de la négociation, la limite financière de l’autorisation budgétaire [...]

 

                                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[33]           À l’appui de son argument qu’elle n’était nullement obligée de divulguer ses limites budgétaires, la demanderesse cite le paragraphe 3 de la DPA, qui est ainsi libellé :

[traduction]

 

L’objectif de la présente demande de propositions abrégées visant à choisir un proposant et son équipe de consultants est d’assurer au Ministère qu’il obtienne une valeur optimale et à assurer un traitement équitable en matière de consultations.

                                                                        [Non souligné dans l’original.]

[34]           À mon avis, la demanderesse a raison. Le TCCE a commis une erreur injustifiable en concluant que la demanderesse était tenue de préciser la limite financière de l’autorisation budgétaire du Ministère. À mon avis, rien ne justifiait ou ne fondait le TCCE à en arriver à une telle conclusion. Ainsi que la demanderesse l’a rappelé, la Cour suprême a, dans un autre contexte, proposé certaines balises pour résoudre cette question. Dans l’arrêt Martel Building Ltd. c. Canada, [2000] 2 R.C.S. 860, au paragraphe 67, la Cour suprême déclare :

 67           Imposer une obligation de diligence aux parties à une négociation et tenir pour négligente l’omission d’une partie de dévoiler la limite qu’elle s’est fixée, les motifs qui l’animent et sa position finale seraient contraires à l’essence même de la négociation et entraverait le fonctionnement du marché. En effet, les parties devraient alors nécessairement communiquer l’information obtenue privément et perdraient tout avantage concurrentiel en découlant, ce qui serait incompatible avec la notion de négociation.

                                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

[35]           À mon avis, une interprétation contextuelle appropriée de l’article 3.3 de la DPA nous amène à conclure que, pour que la demanderesse puisse se voir adjuger le marché, il faut que les parties à la négociation se soient entendues sur le montant maximal à payer pour les services prévus.  Il est tout à fait logique et courant que, dans le cadre de négociations commerciales, les parties s’entendent sur le montant maximal à payer avant d’adjuger le marché. Le paragraphe 506(6) de l’ACI exige que l’évaluation des offres soit effectuée conformément aux critères définis dans les documents d’appel d’offres. Je conclus que ni la DPA elle-même ni le paragraphe 506(6) de l’ACI n’exigent que la demanderesse divulgue à Zenix les limites budgétaires du Ministère. Une telle interprétation empêcherait la demanderesse de se servir de son avantage concurrentiel pour s’assurer que le Ministère obtienne la valeur optimale, ce qui est un des objectifs de la procédure d’appel d’offres.   

 

[36]           Je n’irais toutefois pas jusqu’à dire que cette situation ne peut jamais se produire. Si une clause des documents d’appel d’offres obligeait clairement la demanderesse à divulguer ses limites budgétaires, les dispositions précitées de l’ACI ou l’ALENA l’obligeraient alors à les divulguer. Il faudrait alors que la DPA le prévoie explicitement, car une telle obligation est contraire à la nature même de la procédure d’appel d’offres et du processus de négociation en matière de passation de marchés publics. À mon avis, l’article 3.3 de la DPA précise bien que la demanderesse n’est pas tenue de divulguer ses limites budgétaires au cours de négociations, de sorte que rien ne justifiait ou ne fondait le TCCE à tirer cette conclusion.

 

[37]           Cette conclusion ne permet cependant pas de trancher la présente demande de contrôle judiciaire. Je rejette quand même la présente demande parce que je ne puis déceler aucune erreur dans la conclusion du TCCE suivant laquelle les négociations menées entre la demanderesse et Zenix n’avaient pas échoué. La demanderesse n’a d’ailleurs pas contesté cette conclusion. 

 

[38]           L’article 3.3 de la DPA exige ce qui suit : « Si la négociation échoue, CDC amorcera la négociation avec le proposant classé au rang suivant ». L’article 3 de la DPA stipule par ailleurs que la demande de propositions abrégées vise notamment « à assurer un traitement équitable en matière de consultations ». Par souci de commodité, je reproduis à nouveau les conclusions de fait tirées par le TCCE au paragraphe 44 de sa décision :

44. Les éléments de preuve établissent qu’un prix initial pour les services a été soumis par Zenix. Ils indiquent aussi que Zenix a modifié son offre de prix peu après le début de la négociation par suite d’un échange de renseignements concernant certains éléments de redondance dans le contrat proposé. Il ressort des éléments de preuve que, à la suite des discussions susmentionnées, l’écart initial entre la valeur estimative du contrat et le prix initial soumis par Zenix a été réduit de façon importante. La discussion s’est poursuivie concernant l’inclusion de certains éléments de coûts dans le deuxième prix offert par Zenix, mais, toujours d’après les éléments de preuve, rien d’important ne s’est passé ensuite, si ce n’est les demandes de Zenix visant à savoir ce qu’il en était de la situation relative au contrat proposé. Finalement, le 2 novembre 2006, CDC a informé Zenix qu’elle engageait la négociation avec le proposant classé au deuxième rang.

 

[39]           La demanderesse ne conteste aucune de ces conclusions de fait. Se fondant sur les conclusions de fait en question, le TCCE a estimé que les négociations entre la demanderesse et Zenix n’avaient pas échoué. La demanderesse affirme, au paragraphe 92 de son mémoire : [traduction] « Elle avait le droit de mettre fin unilatéralement aux négociations si elle était raisonnablement convaincue que les parties ne pouvaient s’entendre sur le montant maximum pour les services autorisé par CDC ».

 

[40]           Je n’accepte pas l’argument de la demanderesse à cet égard. Je souscris plutôt aux conclusions auxquelles le TCCE en arrive au paragraphe 47 de sa décision :

47. Rien dans le libellé du paragraphe 3.3 de la DPA ne peut être directement ou indirectement interprété comme signifiant que la négociation serait tenue d’une manière différente de ce qu’il est généralement attendu dans le contexte d’une négociation commerciale. Rien dans ce paragraphe n’indiquait non plus que, contrairement à ce à quoi on pourrait normalement s’attendre dans le contexte d’une négociation, CDC allait pouvoir unilatéralement déterminer quand la négociation avait atteint le point de rupture.

 

[41]            Sur ce seul fondement, je rejetterais la présente demande. 

 

[42]           Toutefois, même si je devais être d’accord avec l’argument de la demanderesse au sujet de la résiliation unilatérale, je ne trouve aucun fondement factuel qui permettrait à la demanderesse d’en arriver à la conclusion que les négociations avaient échoué et que les parties ne pouvaient s’entendre sur un prix maximum.

 

[43]           Les conclusions de fait du TCCE sont les suivantes : Zenix a modifié son offre de prix, à savoir elle l’a réduit, peu après le début de la négociation au début ou au milieu de septembre 2006 par suite d’un échange de renseignements avec la demanderesse. La discussion s’est poursuivie au début d’octobre 2006 concernant l’inclusion de certains éléments de coûts dans le deuxième prix offert par Zenix. Par la suite, les demandes de Zenix visant à savoir ce qu’il en était de la situation relative au contrat proposé sont demeurées sans réponse. Tout s’est terminé le 2 novembre 2006 lorsque la demanderesse a unilatéralement annoncé que les négociations avaient échoué et qu’elle engageait des négociations avec le proposant classé au deuxième rang. 

 

[44]           Zenix ne s’est jamais vu offrir d’autre occasion de répondre aux préoccupations formulées par la demanderesse au sujet du prix. Zenix n’avait aucune raison logique de penser que sa soumission modifiée posait problème jusqu’au moment où on lui a dit que les négociations avaient échoué et ce, malgré le fait que Zenix avait laissé la porte ouverte à d’autres négociations en réclamant périodiquement qu’on la tienne au courant de la situation concernant sa soumission. Je ne vois tout simplement pas comment la demanderesse pouvait conclure qu’elle ne pouvait s’entendre avec Zenix au sujet du prix maximal pour les services. Il ressort des faits que Zenix était prête à poursuivre la négociation, mais que la demanderesse ne lui en a jamais accordé la possibilité.

 

[45]           La conclusion à laquelle le TCCE en est arrivée au paragraphe 50 de sa décision au sujet de l’échec des négociations menées entre la demanderesse et Zenix était justifiée et raisonnable.

Le Tribunal conclut donc que CDC a agi contrairement aux dispositions du paragraphe 3.3 de la DPA en concluant unilatéralement que la négociation avait échoué et en amorçant la négociation avec le proposant classé au deuxième rang. En agissant de cette manière, CDC a enfreint le paragraphe 506(6) de l’ACI et l’alinéa 1015(4)d) de l’ALENA, en ce sens que CDC n’a pas appliqué les critères et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères prescrits dans la DPA.

 

[46]           Comme les négociations menées entre la demanderesse et Zenix n’avaient pas échoué, la demanderesse ne pouvait s’autoriser de l’article 3.3 de la DPA pour entamer des négociations avec le proposant classé au deuxième rang.

 

[47]           Je souscris donc à la décision du TCCE et je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. 

 

conclusion

[48]           Je suis d’avis de rejeter la demande, le tout sans frais.

 

 

« Alice Desjardins »

j.c.a.

 

 

« Je souscris à ces motifs. »

Gilles Létourneau, j.c.a.

 

 

« Je souscris à ces motifs. »

Johanne Trudel, j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                           A-238-07

 

 

INTITULÉ :                                                                          CONSTRUCTION DE

                                                                                               DÉFENSE (1951) LIMITÉE et

                                                                                               ZENIX ENGINEERING LTD. 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                   OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                  LE 12 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               LA JUGE DESJARDINS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                               LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                                        LE 31 MARS 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

David M. Attwater

POUR LA DEMANDERESSE

 

Personne n’a comparu

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David M. Attwater

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                      

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