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Date : 20080319

Dossier : A-55-08

Référence : 2008 CAF 106

 

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF RICHARD

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

DORA SFETKOPOULOS, DAVID MCGREGOR,

PRISCILLA LAVELL, EUGENE HARACK, ROBIN TURNEY,

RONALD FOLZ, MICHAEL GIBBISON, TIMOTHY DEGANS,

MARK HUKULAK, LEONARD SISSON, PAUL MANNING,

RON REID, RON SPECK, JOHN LOBRAICO, EDDIE WALLACE,

MICHAEL DELARMEE, RONALD GEORGE WILSON et

JEFFREY LONG

intimés

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 19 mars 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                         LE JUGE EN CHEF RICHARD

 


Date : 20080319

Dossier : A-55-08

Référence : 2008 CAF 106

 

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF RICHARD

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

DORA SFETKOPOULOS, DAVID MCGREGOR,

PRISCILLA LAVELL, EUGENE HARACK, ROBIN TURNEY,

RONALD FOLZ, MICHAEL GIBBISON, TIMOTHY DEGANS,

MARK HUKULAK, LEONARD SISSON, PAUL MANNING,

RON REID, RON SPECK, JOHN LOBRAICO, EDDIE WALLACE,

MICHAEL DELARMEE, RONALD GEORGE WILSON et

JEFFREY LONG

intimés

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE EN CHEF RICHARD

[1]               Le procureur général du Canada (le Canada) sollicite le sursis du jugement, en date du 10 janvier 2008, par lequel le juge suppléant Barry Strayer de la Cour fédérale a statué que l’alinéa 41b.1) du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales (le RAMM) était invalide. Le Canada cherche à obtenir le sursis de tout le jugement tant que l’appel et l’appel incident ne seront pas entendus et que la Cour n’aura pas rendu son jugement.

 

[2]               La procédure sous‑jacente au jugement du juge suppléant Strayer était une demande de contrôle judiciaire introduite par plusieurs personnes pour contester le refus du ministre de la Santé de délivrer à Carasel Harvest Supply Corporation (Carasel) une licence de production à titre de personne désignée (LPPD) l’autorisant à cultiver de la marihuana pour leur compte. Comme le refus du ministre s’appuyait sur la disposition ayant précédé l’alinéa 41b.1) du RAMM, les demandeurs ont également demandé une ordonnance déclarant que cette disposition viole l’article 7 de la Charte.

 

[3]               L’alinéa 41b.1) du RAMM est rédigé comme suit :

41.    Le ministre refuse de délivrer la licence de production à titre de personne désignée : (…)

b.1) dans le cas où la personne désignée deviendrait titulaire de plus d’une licence de production si la licence était délivrée; (…)

 

 

[4]               Cette disposition limite le nombre de personnes pour lesquelles une personne désignée peut cultiver de la marihuana à des fins médicales, c’est‑à‑dire que la personne désignée ne peut cultiver de marihuana que pour une seule personne.

 

[5]               Le juge suppléant Strayer a accueilli la demande et, ce faisant, a déclaré que l’alinéa 41b.1) était invalide parce que contraire à l’article 7 de la Charte et a annulé le refus du ministre de délivrer une LPPD désignant Carasel comme le producteur désigné des demandeurs.

 

[6]               Il a affirmé que les intérêts de la personne en matière de liberté et de sécurité garantis par l’article 7 de la Charte conféraient aux demandeurs le droit de choisir, sur avis médical, d’utiliser la marihuana pour traiter une maladie grave et que ce droit supposait le droit à l’accès à la marihuana et le droit de ne pas mettre en danger sa liberté physique par un risque d’emprisonnement pour avoir illégalement obtenu de la marihuana.

 

[7]               En déclarant que l’alinéa 41b.1) est inconstitutionnel, le juge suppléant Strayer n’a pas suspendu la déclaration d’invalidité. Il a cependant fait la remarque suivante :

[16] Il convient de noter, au sujet des deux justifications susmentionnées, qu’il serait peut‑être juste de limiter la taille des cultures des producteurs désignés afin de faciliter la supervision et l’inspection de la qualité et de la sécurité. Cependant, pour tout nouveau règlement à ce sujet, il faudra justifier qu’il y a un but rationnellement lié à l’intérêt légitime de l’État. On ne m’a offert aucune justification de ce genre au sujet du paragraphe 41b.1).

 

 

[8]               La question en litige dans la présente requête est de savoir si le Canada peut satisfaire au critère bien établi pour accorder le sursis, à savoir :

a)                  Existe‑t‑il une question sérieuse à juger?

b)                  Y aura‑t‑il un préjudice irréparable si la Cour refuse le sursis?

c)                  La prépondérance des inconvénients joue‑t‑elle en faveur du sursis?

[RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311]

 

[9]               Les intimés concèdent que le Canada a satisfait à la première étape du critère.

 

[10]           La question de l’intérêt public, comme aspect d’un préjudice irréparable pour le gouvernement, sera analysée à la deuxième étape ainsi qu’à la troisième (RJR-MacDonald, précité, par. 81).

 

[11]           Dans des causes comme celle‑ci, où sont soulevées des questions d’ordre constitutionnel, la Cour suprême du Canada a reconnu que le fardeau qui incombe au gouvernement d’établir le préjudice irréparable à l’intérêt public est moins exigeant que pour un particulier :

On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l’organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public et en indiquant que c’est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l’activité contestés.  Si l’on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l’interdiction de l’action causera un préjudice irréparable à l’intérêt public. [RJR‑MacDonald, précité, p. 346].

 

 

[12]           La présomption que l’intérêt public demande l’application de la loi joue un grand rôle. Les tribunaux n’ordonneront pas à la légère que les lois que le Parlement ou une législature a dûment adoptées pour le bien public soient inopérantes avant d’avoir fait l’objet d’un examen constitutionnel complet qui se révèle toujours complexe et difficile.

 

[13]           À mon avis, cette présomption s’applique non seulement dans le cas d’une demande d’injonction interlocutoire avant procès, mais aussi lorsque le gouvernement demande le sursis d’un jugement déclarant une mesure législative inconstitutionnelle (Sa Majesté la Reine c. Conseil canadien pour les réfugiés et autres, 2008 CAF 40).

 

[14]           Les intimés n’ont pas fourni d’éléments de preuve dans la présente requête pour démontrer qu’ils subiraient un préjudice si le sursis était accordé. Chacun d’eux a le droit, aux termes de la réglementation de Santé Canada, d’obtenir de la marihuana auprès d’une source licite. La preuve à l’appui de la requête n’indique que l’un d’eux s’est vu refuser l’accès à une source d’approvisionnement licite en raison de l’application de l’alinéa 41b.1) du RAMM. De plus, les intimés n’ont pas démontré que la marihuana fournie à Santé Canada par Prairie Plant Systems Inc. (PPS) laisse sérieusement à désirer.

 

[15]           Par ailleurs, le Canada allègue que le jugement a pour effet de compromettre l’intérêt public en exigeant que Santé Canada délivre des LPPD à des producteurs exploitant à grande échelle des champs de marihuana qui ne sont pas assujettis aux exigences normatives imposées à PPS en matière de sécurité et de contrôle de la qualité.

 

[16]           La raison en est que le RAMM n’exige pas actuellement que les titulaires de LPPD prennent des mesures pour garantir la sécurité de leurs cultures. Ils ne sont pas non plus tenus de se conformer aux exigences imposées à PPS en matière de qualité et d’innocuité des produits.

 

[17]           Le Canada allègue que le sursis en attendant l’issue de l’appel et de l’appel incident est nécessaire pour éviter que ces risques se concrétisent avant que la Cour ait eu la possibilité de trancher les questions constitutionnelles.

 

[18]           Les intimés ont actuellement accès à un approvisionnement licite de marihuana. Je suis d’avis que l’intérêt public fait pencher la balance du côté d’un sursis en attendant l’issue de l’appel et de l’appel incident.

 

[19]           Par conséquent, la Cour rendra une ordonnance qui fera droit à la demande du Canada visant l’obtention d’un sursis d’exécution du jugement du juge suppléant Strayer en attendant la décision sur l’appel et l’appel incident.

 

[20]           La Cour est disposée à aider les parties à accélérer l’audition de l’appel et de l’appel incident.

 

 « J. Richard »

Juge en chef

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-55-08

 

INTITULÉ :                                                               LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. DORA SFETKOPOULOS, DAVID McGREGOR, PRISCILLA LAVELL, EUGENE HARACK, ROBIN TURNEY, RONALD FOLZ, MICHAEL GIBBISON, TIMOTHY DEGANS, MARK HUKULAK, LEONARD SISSON, PAUL MANNING, RON REID, RON SPECK, JOHN LOBRAICO, EDDIE WALLACE, MICHAEL DELARMEE, RONALD GEORGE WILSON et JEFFREY LONG

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                      LE JUGE EN CHEF RICHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 19 MARS 2008

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

 

M. Sean Gaudet et M. James Gorham

POUR L’APPELANT

 

M. Ron Marzel

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’APPELLANT

 

 

Marzel Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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