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Date : 20071031

Dossier : A-588-06

Référence : 2007 CAF 352

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

SYLVAIN MARCEAU

Intimé

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 31 octobre 2007.

Jugement rendu à l’audience à Québec (Québec), le 31 octobre 2007.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                    LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20071031

Dossier : A-588-06

Référence : 2007 CAF 352

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

SYLVAIN MARCEAU

Intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à QUÉBEC (QUÉBEC), le 31 OCTOBRE 2007)

LA JUGE TRUDEL

[1]               La Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1, [la Loi], alloue un crédit d’impôt à un particulier qui a une déficience mentale ou physique grave et prolongée limitant sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne incluant, entre autres, le fait de s’alimenter.

 

[2]               Que veut dire « s’alimenter » au sens du sous-alinéa 118.4(1)c)(ii) de la Loi? Voilà la question en litige soulevée par cet appel qui porte un jugement amendé de la Cour canadienne de l’impôt, rendu le 12 septembre 2006 par le juge Tardif (le juge).

 

Les faits et la procédure

[3]               Monsieur Marceau est le père d’une enfant née en décembre 1997. Celle-ci a « 38 allergies alimentaires, à part toutes les autres (…) qui lui occasionnent des crises d’eczéma, de l’asthme ou des rhinites » : dossier d’appel, p.17. À son rapport d’impôt pour l’année 2004, l’intimé a demandé pour sa fille, une personne à charge au sens de la Loi, le crédit d’impôt pour personne handicapée (CIPH), ce qui lui a été refusé par le ministre du Revenu national (MRN). L’intimé a interjeté appel de la nouvelle cotisation que le MRN lui a transmis pour l’année d’imposition 2004. Le juge lui a donné raison. De là, le présent pourvoi.

 

Le jugement de la Cour canadienne de l’impôt

[4]               En première instance, l’intimé et sa conjointe ont expliqué les nombreux problèmes que leur causaient les contraintes alimentaires de leur fille. Ils ont tous deux fait état que la préparation des repas nécessitait plusieurs heures puisqu’il fallait, à la fois, choisir ou inventer des recettes, trouver des aliments anallergiques et les apprêter méticuleusement, en évitant toute source de contamination.

 

[5]               Les parents ont aussi témoigné d’autres problèmes de l’enfant, reliés à ses nombreuses allergies, mais davantage de nature dermatologiques en spécifiant, toutefois, « que l’appel [devant le premier juge] concernait essentiellement la préparation des aliment » : dossier d’appel, page 17 et 49. Bref, l’enfant se développe normalement dans toutes les sphères d’activités courantes de la vie quotidienne. Elle n’a ni déficience visuelle ou auditive, ni troubles de la parole ou de motricité. Elle ne souffre pas, non plus, d’une déficience de ses fonctions mentales. Selon les parents, la seule activité courante de la vie quotidienne qui est limitée de façon marquée pour l’enfant est le fait de s’alimenter : dossier d’appel, contre-interrogatoire de la mère, pages 48 et 49.

 

[6]               En prenant appui sur les affaires Nantel c. R., 2000 C.C.I. No 345 [Nantel] et Johnston c. R., [1998] 2 C.T.C. 262, (C.A.F.) [Johnston], le premier juge a conclu que le père avait droit au crédit demandé parce que l’enfant était atteinte, en 2004, « d’une déficience physique grave qui la limitait de façon marquée, continue et prolongée dans ses activités courantes de la vie quotidienne » : paragraphe 18 du jugement amendé.

 

[7]        Le juge a, de plus, conclu qu’«une fois que l’enfant aura la maturité, la sagesse et surtout une raisonnable capacité de dire non pour s’auto discipliner et se nourrir elle-même en respectant les innombrables contraintes alimentaires, il pourra en être autrement quant au crédit dont le présent litige fait l’objet » : paragraphe 19 du jugement amendé. 

 

[8]        Ce n’est donc pas tant aux heures que la mère doit consacrer au choix et à la préparation des aliments et des repas que le premier juge s’est arrêté, mais à l’impossibilité, pour l’enfant, de s’en charger elle-même.

[9]        Le premier juge a commis deux erreurs de droit : il a tout d’abord ignoré l’amendement législatif en définissant ce qu’est le fait de s’alimenter, au sens de la Loi ; il a de plus erronément tenu compte du jeune âge de l’enfant comme critère déterminant du droit au CIPH.

 

Analyse

[10]      Les articles pertinents de la Loi sont les articles 118.3 et 118.4 de la Loi, mais plus particulièrement l’alinéa 118.4(1)e) qui énonce :

 

 

Déficience grave et prolongée

118.4 (1) …

e) le fait de s’alimenter ne comprend pas :

(i) les activités qui consistent à identifier, à rechercher, à acheter ou à se procurer autrement des aliments,

(ii) l’activité qui consiste à préparer des aliments, dans la mesure où le temps associé à cette activité n’y aurait pas été consacré en l’absence d’une restriction ou d’un régime alimentaire;

 

 

Nature of impairment

118.4 (1)  […]

e) feeding oneself does not include

(i) any of the activities of identifying, finding, shopping for or otherwise procuring food, or

(ii) the activity of preparing food to the extent that the time associated with the activity would not have been necessary in the absence of a dietary restriction or regime;

 

 

[11]      Tel que mentionné précédemment, le premier juge s’est appuyé sur les affaires Nantel et Johnston, citées favorablement par notre Cour, dans l’arrêt Hamilton c. Canada, 2002 CAF 118, [Hamilton].  Dans cet arrêt, M. Hamilton devait consacrer un temps excessif à son approvisionnement en aliments propres à sa consommation personnelle et à la préparation de ses repas, à cause de la maladie cœliaque dont il souffrait.  Notre Cour a jugé qu’il avait droit au CIPH prévu au paragraphe 118.4(1) de la Loi.  Or, la Loi a depuis été amendée et les alinéas e) et f) ont été ajoutés au paragraphe 118.4(1).  Il est clair que ces amendements législatifs ont été apportés dans le but de contrer l’interprétation donnée par les tribunaux au CIPH, plus particulièrement par l’arrêt Hamilton: Kash v. Canada, 2006 TCC 662; Ministère des Finances, Le plan budgétaire de 2003: Renseignements supplémentaires et les avis de motion de voies et moyens, Annexe 9, aux p. 363, 364; Commentaires de David Sherman, Loi de l’impôt sur le Revenu 2007, 15e éd. (Carswell : Toronto, 2007) à la p. 980.

 

[12]      Par conséquent, les particuliers dont la capacité de préparer un repas est limitée de façon marquée pour des raisons autres qu’une restriction alimentaire continuent d’avoir droit au CIPH (Sherman, supra). En l’espèce, l’enfant des parties n’a d’autre raison que ses restrictions alimentaires pour réclamer le CIPH et c’est pourquoi les amendements de 2003 font obstacle à la demande de l’intimé. 

 

[13]      Le temps excessif consacré à la préparation des aliments n’étant plus un facteur à considérer pour l’obtention du CIPH, qu’en est-il de l’âge du particulier ?  L’âge n’est pas un facteur pris en compte par le législateur pour l’admissibilité au CIPH. 

 

[14]      On ne peut qu’avoir respect et sympathie pour les parents de la jeune enfant qui se dévouent de façon exceptionnelle pour assurer son bien-être et celui de son frère atteint, pour sa part, d’un handicap sévère de la parole et d’une déficience intellectuelle : dossier d’appel, page 45.

[15]      On ne peut, cependant, retenir l’interprétation donnée par le premier juge à la disposition législative en vigueur, en ajoutant au texte un facteur d’admissibilité qui ne s’y trouve pas.    L’appelante a raison lorsqu’elle plaide que ce n’est que dans ses motifs amendés que le juge fait, pour la première fois, mention de l’alinéa 118.4(1)e) de la Loi, sans toutefois pour autant l’appliquer.

 

[16]      En conséquence, l’appel sera accueilli, la décision de la Cour canadienne de l’impôt sera annulée et, conformément à l’article 18.25 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, l’intimé aura droit aux frais encourus par suite de cet appel que nous fixons à 1 500 $.

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Marc Noël j.c.a. »

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-588-06

 

(APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DE (Voir commentaire dans la marge de gauche) DU (DATE), NO. DU DOSSIER (NUMÉRO DE DOSSIER). Utilisez au besoin, sinon veuillez enlever.)

 

INTITULÉ :                                                                          

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Québec (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 31 octobre 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                      

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :                                        Le juge Trudel

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Gareau

POUR L’APPELANT/

DEMANDEUR

 

Jean-Philippe Trudel

POUR L’INTIMÉ/

DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada

POUR L’APPELANT/

DEMANDEUR

 

 

POUR L’INTIMÉ/

DÉFENDEUR

 

 

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