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Date : 20071213

Dossier : A-77-07

Référence : 2007 CAF 400

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

PATRICK BERNATH

intimé

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 décembre 2007.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 13 décembre 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                        LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                   LE JUGE LÉTOURNEAU

 


                                                                         Date : 20071213

Dossier : A-77-07

Référence : 2007 CAF 400

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

PATRICK BERNATH

intimé

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE DÉCARY

[1]               Il s’agit essentiellement, dans cet appel, de décider si le chef d’état-major de la défense constitue un « tribunal compétent » au sens de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte ») aux fins d’accorder une réparation monétaire à un membre des Forces canadiennes dont les droits reconnus par ladite Charte auraient été enfreints.

[2]               L’intimé est un ancien membre des Forces canadiennes.

 

[3]               Le 27 mars 1998, soit avant sa libération des Forces, l’intimé dépose un grief en vertu de l’article 29 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, c. N-5 (la « Loi »). Ce grief est accueilli en partie, trois ans plus tard, par le chef d’état-major. Ce dernier refuse la compensation monétaire réclamée par l’intimé. L’intimé ne recherche pas le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               Il intente plutôt une action en Cour fédérale dans laquelle il réclame « la somme de 4 510 000 $ à titre de réparation en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés pour atteintes à son droit à la sécurité de la personne, droit que lui confère l’article 7 de la Charte ». À l’appui de la réclamation, il reproche à l’appelante sensiblement les mêmes comportements que ceux dont faisait état son grief.

 

[5]               L’appelante présente alors une requête en rejet d’action et en radiation d’un acte de procédure, pour le motif de chose jugée et aussi pour le motif que le seul recours qui était ouvert en était un en contrôle judiciaire de la décision du chef d’état-major. Cette requête est accueillie par la protonotaire Tabib (2005 CF 1232), dont la décision est éventuellement infirmée par le juge Simon Noël (2007 CF 104) dans le jugement sous appel.

 

[6]               La seule question qui se pose, au niveau de cet appel, est celle que j’énonçais ci-haut au paragraphe 1.

 

[7]               Le juge Noël a décidé que « le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes n’a pas été conçu et structuré pour traiter de question de droits protégés par la Charte ni de la question des réparations à accorder en conséquence » (par. 95).

 

[8]               Il est acquis qu’en matière de relations de travail, les tribunaux judiciaires ont, depuis quelques années, adopté une attitude non interventionniste à l’égard des tribunaux administratifs spécialisés dans ce domaine, y compris les arbitres (voir Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, par. 13).

 

[9]               Il est aussi acquis, depuis Vaughan, que cette approche non interventionniste peut être suivie quand bien même la loi en cause, comme en l’espèce, ne prévoit pas la présence d’un décideur indépendant – ce qui ne signifie pas que l’absence d’un tel décideur ne soit pas un élément dont on puisse tenir compte.

 

[10]           Il est enfin acquis qu’indépendamment du domaine de droit applicable, un tribunal peut être « compétent », aux fins d’accorder la réparation demandée en vertu de l’article 24 de la Charte, quand bien même la loi habilitante ne lui accorde pas ce pouvoir explicitement et quand bien même la réparation demandée n’est pas du « genre » de réparation prévue par la loi habilitante (voir R. c. 974649 Ontario Inc., [2001] 3 R.C.S. 575, par. 28 à 34). Selon ce dernier arrêt, l’approche à suivre pour définir le pouvoir d’un tribunal d’accorder la réparation demandée consiste à examiner la fonction et la structure du tribunal concerné :

La question primordiale demeure celle de savoir si, de par sa fonction et sa structure, le tribunal concerné est un forum bien choisi pour ordonner la réparation fondée sur la Charte qui est en jeu. [Par. 35.]

 

 

[11]           C’est à cette analyse fonctionnelle et structurelle que le juge Noël s’est livré dans ses motifs et le procureur de l’appelante n’a pas su mettre le doigt sur une erreur déterminante qu’aurait commise le juge ni au cours de son examen ni dans la conclusion qu’il a tirée.

 

[12]           Je me contenterai d’ajouter quelques observations. Il est vrai, ainsi que l’affirme le procureur, que le paragraphe 29.(1) de la Loi sur la défense nationale est libellé en des termes particulièrement englobants :

29. (1) Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi.

29. (1) An officer or non-commissioned member who has been aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Canadian Forces for which no other process for redress is provided under this Act is entitled to submit a grievance.

 

[13]           La Cour fédérale, à plusieurs reprises, a confirmé l’ampleur de ce mécanisme de grief (voir Jones v. Canada et al (1994), 87 F.T.R. 190; Pilon v. Canada (1996), 119 F.T.R. 269).

 

[14]           Il ne s’agit pas, ici, de décider si le chef d’état-major a la capacité d’appliquer la Charte dans l’examen qu’il fait des griefs qui lui sont soumis (voir Nouvelle-Écosse (W.C.B.) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504). Il s’agit, plutôt, de décider si le chef d’état-major a le pouvoir d’accorder une réparation en vertu de la Charte.

[15]           Jusqu’au jugement sous appel, la Cour n’avait jamais fait d’analyse en profondeur de la question. Dans Pilon, par exemple, le juge Wetston, au par. 10, semble avoir traité séparément la partie de la déclaration qui traitait du recours fondé sur l’article 15 de la Charte. Dans Dumont c. Canada, [2004] 3 R.C.F. 338, notre Cour a radié une déclaration « sauf en ce qui a trait à la portion des actions basées sur la Charte » (par. 82).

 

[16]           Ici, le chef d’état-major a reconnu, dans son mémoire déposé devant le juge Noël, qu’il « n’a pas la capacité d’octroyer une réparation monétaire sous forme de dommages-intérêts dans le cadre d’un recours en grief en vertu de l’article 29 » (motifs du juge Noël, par. 55).

 

[17]           Dans le Rapport annuel du Comité des griefs des Forces canadiennes (2006), on rappelle, à la page 15, que :

Un problème signalé à plusieurs reprises mais qui subsiste dans le système actuel de règlement des griefs, est le fait que ni l’autorité initiale ni le CEMD (chef d’état-major de la défense) – qui est l’autorité finale – n’a l’autorité de rendre une décision concernant des réclamations d’ordre financier. L’autorité de régler les réclamations contre l’État ou d’accorder des paiements à titre gracieux à des membres des Forces canadiennes a été déléguée au Directeur - Réclamation et contentieux des affaires civiles (DRCAC)…

 

[18]           Dans le rapport qu’il a présenté au ministre de la Défense nationale, le 3 septembre 2003, le très honorable Antonio Lamer faisait la recommandation suivante :

(81) Je recommande que le chef d´état-major de la Défense ait le pouvoir financier nécessaire pour régler les réclamations financières des griefs, et le droit de déléguer ce pouvoir.

[Premier examen indépendant des dispositions et de l´application du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, conformément à l'article 96 des Lois du Canada (1998), ch. 35, à la p. 108.]

 

 

[19]           Il n’a pas été donné suite, à ce jour, à cette recommandation.

 

[20]           Qui plus est, ainsi que le note le juge Noël, l’article 7.16 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes prévoit expressément, au paragraphe (1), que :

7.16 - SUSPENSION DE GRIEF

(1) Une autorité initiale ou de dernière instance saisie du grief d'un militaire est tenue de suspendre toute mesure prise à l'égard du grief si ce dernier prend un recours, présente une réclamation ou une plainte en vertu d'une loi fédérale, autre que la Loi sur la défense nationale, relativement à la question qui a donné naissance au grief.

7.16 - SUSPENSION OF GRIEVANCE

(1) An initial or final authority in receipt of a grievance submitted by a member shall suspend any action in respect of the grievance if the grievor initiates an action, claim or complaint under an Act of Parliament, other than the National Defence Act, in respect of the matter giving rise to the grievance.

 

[21]           Cette disposition, selon le procureur de l’appelante, ne se retrouve dans aucun autre texte législatif ou réglementaire canadien. Elle constitue un indice significatif de la possibilité d’instituer en d’autres forums des procédures relatives « à la question qui a donné naissance au grief ».

 

[22]           Il est certain que l’accès à un « guichet unique », si je puis utiliser cette expression associée à la dispense de soins médicaux, que serait l’autorité établie pour trancher toute question se rattachant à l’exercice d’un emploi, simplifierait, ici comme ailleurs, le processus et éviterait la multiplication des procédures. Mais lorsque l’autorité établie – le chef d’état-major de la défense en l’espèce – reconnaît elle-même qu’elle n’a pas le pouvoir d’accorder une réparation monétaire, ce n’est pas le rôle de cette Cour de combler un vide voulu par le législateur.

 

[23]           En conséquence, c’est à bon droit que le juge a refusé de radier la déclaration.

 

[24]           Cela dit, l’intimé doit comprendre que cette victoire n’est que procédurale  et préliminaire. Il lui faudra éventuellement identifier de façon précise le principe de justice fondamentale, s’il en est, sur lequel il s’appuie. L’arrêt de cette Cour, dans Prentice c. Canada, 2005 CAF 395, illustre bien que ce n’est pas là tâche facile.

 

[25]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. Comme l’intimé s’est représenté lui-même, il n’aura droit qu’au remboursement des débours qu’il a raisonnablement encourus.

 

 

« Robert Décary »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            J. Richard, j.c. »

 

« Je suis d’accord.

Gilles Létourneau, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-77-07

 

 

INTITULÉ :                                                                           Sa Majesté la Reine c. Patrick Bernath

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 10 décembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE DÉCARY

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EN CHEF RICHARD  LE JUGE LÉTOURNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 13 décembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Pierre Salois

POUR L’APPELANTE

 

Monsieur Patrick Bernath

Laval (Québec)

POUR L’INTIMÉ

(pour lui-même)

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’APPELANTE

 

 

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