Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20070322

Dossier : A-3-07

Référence : 2007 CAF 119

 

EN PRÉSENCE DU JUGE SEXTON

                                               

                       

ENTRE :

NISSAN CANADA INC.

Appelante/requérante

 

et

 

 

BMW CANADA INC.

BAYERISCHE MOTOREN WERKE AKTIENGESELLSCHAFT

intimées

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 mars 2007.

Ordonnance prononcée à Toronto (Ontario), le 22 mars 2007.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                                 LE JUGE SEXTON

 

 


Date : 20070322

Dossier : A-3-07

Référence : 2007 CAF 119

 

EN PRÉSENCE DU JUGE SEXTON

                                               

                       

ENTRE :

NISSAN CANADA INC.

Appelante/requérante

 

et

 

 

BMW CANADA INC.

BAYERISCHE MOTOREN WERKE AKTIENGESELLSCHAFT

intimées

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE SEXTON

[1]               Nissan Canada Inc. (Nissan) demande qu’il soit sursis à l’exécution du jugement et de l’ordonnance rendus par le juge MacKay de la Cour fédérale, le 7 mars 2007, jusqu’à ce que notre Cour se prononce sur l’appel les concernant. Le 15 mars 2007, j’ai accordé un sursis provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête.

 

[2]               Les intimées, BMW Canada Inc. et Bayerische Motoren Werke Aktiengesellschaft (collectivement appelées BMW), ont soutenu devant la Cour fédérale que Nissan avait, en contravention des articles 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), violé des marques déposées de BMW et causé la dépréciation de l’achalandage y afférent. BMW a également soutenu que l’emploi par Nissan des marques de commerce M et M6 pour la commercialisation de ses voitures Infiniti violait les droits de BMW sur plusieurs de ses marques de commerce et contrevenait à l’alinéa 7b) de la Loi. Le juge MacKay a estimé que BMW n’avait pas prouvé les allégations de violation et de dépréciation, mais a conclu qu’il y avait lieu de faire droit en partie à son recours fondé sur la commercialisation trompeuse interdite à l’alinéa 7b). Vu cette dernière conclusion, le juge MacKay a ordonné les mesures suivantes, à l’égard desquelles Nissan veut obtenir un sursis d’exécution :

[Traduction]

4.   La demande d’injonction et la demande de remise ou de destruction sous serment de ce qui peut contrevenir à l’injonction sont accueillies ainsi qu’il suit :

 

a.   il est interdit à la défenderesse, à ses dirigeants, préposés, mandataires et employés ainsi qu’à toute autre personne sur laquelle elle exerce une autorité d’accomplir ce qui suit :

 

i.         d’appeler de quelque façon, y compris par l’emploi des marques de commerce M et M6 en liaison avec des automobiles, des pièces ou des accessoires d’automobiles, l’attention du public sur ses marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ces marchandises et celles des demanderesses, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi;

ii.        d’annoncer, de promouvoir, d’offrir en vente ou de vendre des automobiles ou des pièces et accessoires d’automobiles en liaison avec les marques de commerce M et M6;

 

b.   la défenderesse doit remettre aux demanderesses ou détruire sous serment tous les écrits, les factures, les matériaux d’emballages, les affiches, le matériel promotionnel, le matériel de vente, les imprimés, enregistrements, films ou autres matériels qui se trouvent en sa possession, sous sa garde ou sous son contrôle et qui pourraient aller à l’encontre de l’injonction accordée aux présentes, plus particulièrement le matériel qui comporte la lettre M ou le symbole M6 comme marque de commerce.

 

5.   Le jugement déclaratoire, l’injonction et l’ordonnance de remise ou destruction prennent effet aujourd’hui. Les avocats des parties doivent se consulter sur toute question relative à leur application; et ils peuvent s’adresser à la Cour sur tout point sur lequel ils sont incapables de s’entendre.

 

[3]               Dans RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 (RJR-Macdonald), la Cour suprême du Canada a établi un critère tripartite pour déterminer s’il y a lieu d’accorder un sursis. Elle a présenté ainsi ce critère :

Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.

 

 

[4]               Il faut donc, pour trancher la présente requête, commencer par examiner s’il existe une question sérieuse à juger. Les parties s’étant peu attardées sur cette question à l’audition de la requête, je vois peu de raisons de revenir sur les motifs que j’ai déjà rendus sur ce point. En outre, l’avocat de BMW a concédé que la question déterminante en l’espèce est celle de savoir si Nissan a démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable par suite du jugement de première instance. En conséquence, j’estime qu’il existe une question sérieuse à juger 

 

[5]               La deuxième question est celle du préjudice irréparable que le refus du sursis pourrait occasionner à Nissan. Cette dernière insiste sur le fait que les mesures qu’elle devra prendre pour que M et M6 ne soient plus employés dans son matériel promotionnel vont porter atteinte à sa réputation s’il n’est pas sursis au jugement du juge MacKay. De son côté, BMW fait valoir qu’il n’y a pas eu de preuve du préjudice irréparable, et elle propose en outre de consentir à ce que Nissan ait jusqu’au 30 mars 2007 pour retirer toute mention des marques M et M6 de ses sites Web et jusqu’au 15 avril 2007 pour faire de même à l’égard des brochures et autres documents imprimés.

 

[6]               Après examen de l’argumentation des parties, je suis d’avis que Nissan a fait la preuve qu’elle subira un préjudice irréparable si elle doit se conformer au jugement de première instance avant qu’il soit statué sur son appel. Plus particulièrement, elle ne sera plus capable de faire appel à sa famille de marques pour promouvoir les véhicules Infiniti M, comme il est d’usage chez les autres fabricants de véhicules de luxe. Nissan a présenté des éléments de preuve établissant que d’autres fabricants ont recours aux familles de marque et emploient même la lettre M pour désigner une catégorie. En outre, si son appel est accueilli, Nissan recommencera à se servir de sa famille de marques pour promouvoir ses véhicules Infiniti M, afin d’uniformiser les messages publicitaires d’ici avec ceux des États‑Unis et avec ceux qui sont utilisés pour d’autres types de véhicules Infiniti. Dans l’esprit des consommateurs, le manque d’uniformité aura probablement des connotations négatives. Ainsi, l’auteur de l’affidavit déposé par Nissan, Ian Forsyth, déclare qu’une telle interruption dans la stratégie de mise en marché de Nissan fera en sorte que les clients se demanderont à tort si ces voitures n’ont pas un problème, ce qui porterait atteinte à la réputation de Nissan.

 

[7]               Si elle n’obtient pas de sursis, Nissan devrait également cesser de distribuer des copies d’articles élogieux de tiers où les véhicules sont désignés par la seule lettre M, comme les autos « Infiniti M », ce qui nuira à sa capacité de mise en marché des véhicules, notamment parce qu’un grand nombre de consommateurs accordent beaucoup d’importance aux analyses indépendantes.

 

[8]               En outre, Nissan devra, pour se conformer à la décision du juge MacKay, engager des dépenses pour modifier son matériel promotionnel, notamment, ses brochures et ses sites Web, et en retrancher toute occurrence de M et M6. Toutefois, BMW n’a déposé aucun engagement en matière de dommages‑intérêts, empêchant ainsi Nissan de recouvrer ces coûts si elle obtient gain de cause en appel. Le juge Marceau a décrit cette situation au paragraphe 4 de ses motifs dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 82 C.P.R. (3d) 429 (C.A.F.) (Wellcome) :

Une injonction a été prononcée pour enjoindre aux deux appelantes de cesser sur‑le‑champ toute activité de commercialisation impliquant des produits de la zidovudine. Si l'appel réussit, il deviendra alors clair que cette injonction a été prononcée par erreur et que l'important manque à gagner subi par les deux appelantes en raison de leur exclusion du marché leur aurait été infligé sans véritable justification et uniquement par suite d'une erreur judiciaire. Comme les intimés n'ont offert aucun engagement au sujet des dommages-intérêts, les appelantes n'auront aucun moyen d'être indemnisées de leurs pertes. Les appelantes ne pourraient pas non plus invoquer de droit d'action contre les intimés ou tout autre défendeur éventuel..

 

[9]               À l’audience, l’avocat de BMW a insisté sur le fait que Nissan avait été incapable d’apporter le moindre élément de preuve concret d’un préjudice que lui occasionnerait le respect de la décision du juge MacKay et qu’elle avait simplement formulé des hypothèses à ce sujet. Cependant, comme le juge Rothstein (qui siégeait alors à la Section de première instance de la Cour fédérale) l’a expliqué dans Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 289, p. 325, dans de telles situation, le préjudice peut s’inférer de la preuve présentée :

On se souviendra que ces demandes ont été présentées quia timet. Il n'y a aucune preuve réelle de préjudice parce que les défenderesses n'ont pas encore mis leurs produits sur le marché. La preuve relative à une perte entraînant un préjudice irréparable doit nécessairement être inférée. À mon avis, le juge Heald ne s'opposait pas à ce que l'on fasse de telles inférences ou d'autres inférences qui découlent logiquement de la preuve.

 

[10]           Quoi qu’il en soit, Nissan a pu établir qu’elle avait déjà subi un préjudice par suite de l’injonction. Après le prononcé du jugement, le 7 mars 2007, elle a donné instruction à son service à la clientèle de cesser d’envoyer des brochures aux clients qui appelaient pour en avoir et elle a reçu des plaintes de clients insatisfaits de cette décision.

 

[11]           Pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, il n’est pas nécessaire de démontrer que la survie même de l’entreprise est menacée (Wellcome, par.  8). Selon moi, les effets que l’obligation de Nissan de se conformer à la décision du juge MacKay aura sur la réputation et sur les finances de l’entreprise satisfont au critère du préjudice irréparable.

 

[12]           Enfin, relativement au dernier élément du critère établi dans RJR-Macdonald, je dois examiner laquelle des parties subira le préjudice le plus important advenant l’octroi ou le refus du sursis. J’ai déjà conclu que Nissan subira un préjudice irréparable si elle n’obtient pas le sursis qu’elle demande. Pour sa part, BMW n’a pas été en mesure de démontrer qu’elle subira un tel préjudice si le sursis est accordé. De plus, comme je l’ai déjà indiqué, l’avocat de BMW a déclaré à l’audience que l’issue de la requête dépend de l’application du deuxième volet du critère RJR‑Macdonald, c’est‑à‑dire de la question de savoir si Nissan subirait un préjudice irréparable. En conséquence, je suis d’avis que la prépondérance des inconvénients favorise Nissan.

 

[13]           Pour ces motifs, le sursis sera accordé, dépens à suivre.

 

« J. Edgar Sexton »

J.C.A.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.L

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                 A-3-07   

 

INTITULÉ :                                NISSAN CANADA INC. c. BMW canada inc.,

                                                     BAYERISCHE MOTOREN WERKE

                                                     AKTIENGELSELLSCHAFT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :        22 MARS 2007

                                                      

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE DU JUGE SEXTON

 

DATE DES MOTIFS :              22 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :                 

 

Carol Hitchman

Warren Sprigings                                                    POUR L’APPELANTE

 

Ron Dimock

Henry Lue                                                                     POUR LES INTIMÉES                

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dimock Stratton LLP

Toronto (Ontario)                                                               POUR L’APPELANTE

                                                                                                

Hitchman & Sprigings

Toronto (Ontario)                                                               POUR LES INTIMÉES

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.