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Date : 20070314

Dossier : A‑134‑06

Référence : 2007 CAF 109

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

JOSE VALLE LOPES

appelant

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 mars 2007

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 14 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                        LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20070314

Dossier : A‑134‑06

Référence : 2007 CAF 109

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

JOSE VALLE LOPES

appelant

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 14 mars 2007)

LA JUGE SHARLOW

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard du jugement du juge en chef Lutfy (2006 CF 347) accueillant la requête des intimés qui sollicitaient la radiation de la demande présentée par l’appelant, M. Lopes.

[2]               Il est bien établi qu’une demande présentée devant la Cour fédérale ne peut être radiée que si elle est manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie : David Bull Laboratories (Canada ) Inc. c. Pharmacia Inc. (C.A.), [1995] 1 C.F. 588. L’avocat de M. Lopes soutient que le juge en chef Lutfy a commis une erreur dans l’application de ce critère. Nous ne sommes pas de cet avis et nous estimons qu’il y a lieu, pour les motifs exposés ci‑dessous, de rejeter l’appel.

[3]               M. Lopes fait l’objet d’une enquête menée au titre du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, un agent d’immigration ayant fait valoir, dans le cadre d’un rapport circonstancié, que l’intéressé est interdit de territoire.

[4]               M. Lopes a avisé le procureur général qu’il prévoyait, dans le cadre de l’enquête, de divulguer des renseignements qu’il considérait comme des « renseignements sensibles » ou des « renseignements potentiellement préjudiciables » au sens de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5. Cet avis a été transmis conformément à l’article 38.01 de la Loi sur la preuve au Canada.

[5]               L’avis transmis au titre de l’article 38.01 fait état des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables suivants :

[traduction]

1. M. Valle Lopes expliquera la formation qu’il a reçue en vue de commettre des crimes contre l’humanité;

2. Il fournira des détails (y compris des noms) au sujet des rapports qui existent entre l’armée du Honduras et les Forces armées des États‑Unis et des membres d’autres organismes gouvernementaux des États‑Unis qui, à la demande du gouvernement du Honduras, et avec le consentement du gouvernement des États‑Unis, l’ont instruit au sujet des méthodes et des techniques à employer pour commettre des crimes contre l’humanité;

3. Il fournira des détails, en particulier le nom et des photographies des membres de la CIA qui l’ont personnellement instruit au sujet des méthodes et des techniques à employer pour commettre des crimes contre l’humanité;

4. Il fournira des détails des documents que des représentants du gouvernement des États‑Unis ont élaborés et lui ont fournis pour l’aider à commettre des crimes contre l’humanité, tels que le Torture Manual de la CIA portant cette date;

5. Il fournira des détails (y compris l’identité) d’au moins un des hauts dirigeants de l’Administration du président en exercice des États‑Unis, George W. Bush, qui a activement, sciemment et avec ardeur encouragé et facilité la formation qui a été donnée à M. Valle Lopes sur la façon de commettre des crimes contre l’humanité d’une manière qui soit conforme aux normes et aux méthodes généralement utilisées par les personnes formées pour commettre de tels crimes pour le compte des États‑Unis d’Amérique;

6. Il fournira des détails sur les démarches qu’il a entreprises par l’entremise du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en vue de s’enfuir du Honduras et de demander l’asile à l’ambassade canadienne à Mexico et ce, afin de témoigner au sujet de l’existence et de la nature des crimes contre l’humanité organisés et exécutés pour le compte du gouvernement du Honduras avec l’aide du gouvernement des États‑Unis;

7. Il présentera des éléments de preuve pour démontrer que le gouvernement canadien était au courant qu’il avait commis des crimes contre l’humanité avant d’obtenir la permission de se présenter à l’ambassade canadienne à Mexico;

8. Il témoignera qu’il est constamment demeuré à l’ambassade canadienne alors qu’il était interrogé au sujet de la formation qu’il avait reçue en vue de commettre des crimes contre l’humanité et des crimes qu’il avait effectivement commis;

9. Il témoignera au sujet du nom et de l’identité des individus agissant au nom du gouvernement canadien qui l’ont interrogé ou avec lesquels il a parlé de ces questions;

10. Il témoignera au sujet des documents qu’il a lui‑même rédigés alors qu’il était interrogé pendant quelques jours, des documents que les personnes en question lui ont soumis pour examen et approbation, de même qu’au sujet de la teneur des conversations échangées entre ces personnes et lui‑même sur ces questions;

11. Il témoignera que le gouvernement canadien était parfaitement au courant de toute la formation qu’il avait reçue ainsi que des crimes contre l’humanité qu’il avait commis avant qu’il n’obtienne un permis ministériel l’autorisant à entrer au Canada, et il confirmera qu’il a commis notamment des meurtres, un crime suffisamment grave pour l’empêcher d’entrer au Canada sans permis ministériel;

12. Il témoignera que le gouvernement canadien a admis au Canada, depuis que les dispositions législatives relatives aux crimes contre l’humanité ont reçu la sanction royale, un ou plusieurs individus associés au gouvernement des États‑Unis ou du Honduras ou membres de ces gouvernements dont il savait à l’époque qu’ils étaient interdits de territoire en raison des renseignements communiqués au gouvernement canadien par M. Valle Lopes à Mexico;

13. Il témoignera que, de façon générale, il n’a omis aucun élément d’information pertinent dans la présente instance et, de façon particulière, il affirmera qu’à ce qu’il sache, le ministre ne dispose d’aucun renseignement qui constituerait un nouvel élément de preuve suffisant pour justifier de déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête.

 

[6]               L’article 38.03 permet au procureur général d’autoriser la divulgation de tout renseignement mentionné dans l’avis prévu à l’article 38.01, sous réserve des conditions qu’il estime indiquées. Le paragraphe 38.04(2) prévoit notamment que, si le procureur général autorise la divulgation d’une partie seulement des renseignements mentionnés dans l’avis, ou assortit de conditions son autorisation de divulgation, il « est tenu » de demander à la Cour fédérale une ordonnance en ce sens. Cette demande engage une procédure dans le cadre de laquelle la Cour fédérale peut prendre un certain nombre de décisions, y compris celle d’autoriser ou non la divulgation des renseignements en question et de fixer les conditions de cette divulgation.

[7]               En l’espèce, le procureur général a répondu à l’avis de M. Lopes par une lettre rédigée en ces termes :

[traduction]

Le Procureur général du Canada a pris sa décision au sujet de la divulgation des renseignements en question et il autorise la divulgation de tous les renseignements mentionnés dans l’avis. Veuillez cependant noter que l’autorisation de divulguer des renseignements ne vaut que pour ceux qui sont explicitement mentionnés dans les treize paragraphes en question. La présente autorisation ne doit pas être interprétée comme une permission de divulguer les détails et les documents mentionnés dans les treize paragraphes mais qui ne sont ni inclus ni décrits dans les paragraphes en question. Vous comprendrez que le Procureur général du Canada ne peut prendre de décision en ce qui concerne la divulgation de renseignements qu’il ne connaît pas.

 

[8]               L’avocat de M. Lopes a répondu par une lettre indiquant que les documents auxquels il est fait renvoi dans l’avis se trouvent entre les mains du procureur général et que M. Lopes entend divulguer tous les renseignements qui sont mentionnés, directement ou indirectement, dans l’avis. Il a également déposé un avis de demande sollicitant de la Cour quatre redressements subsidiaires, qui peuvent être résumés ainsi :

(1) un jugement déclaratoire portant que le procureur général est légalement tenu de présenter la demande prévue à l’alinéa 38.04(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada,

(2) une ordonnance enjoignant au procureur général de présenter une telle demande,

(3) un jugement déclaratoire portant que, si le procureur général ne présente pas une telle demande, M. Lopes aura toute latitude de produire, dans le cadre de l’enquête, les éléments de preuve qu’il estime nécessaires à sa propre défense,

(4) un jugement déclaratoire portant que certaines dispositions de la Loi sur la preuve au Canada sont inconstitutionnelles.

[9]               Voilà la demande visée par la requête en radiation qu’ont déposée les intimés. Le juge en chef Lutfy a accueilli la requête, estimant qu’une condition préalable essentielle à la présentation d’une demande en vertu du paragraphe 38.04(2) est une décision du procureur général autorisant la divulgation d’une partie seulement des renseignements mentionnés dans l’avis prévu à l’article 38.01, ou assortissant de certaines conditions son autorisation de divulgation. Il a interprété la lettre du procureur général comme une autorisation inconditionnelle de divulguer les renseignements mentionnés dans l’avis. Nous retenons de cette lettre la même interprétation. Cela nous porte à conclure que la demande présentée au titre du paragraphe 38.04(2) est sans fondement, ce qui entraîne nécessairement le rejet de la demande de M. Lopes concernant les premier et deuxième redressements exposés ci-dessus.

[10]           Quant au troisième redressement sollicité, le juge en chef Lutfy estime (au paragraphe 23 de ses motifs) – et nous sommes d’accord avec lui sur ce point – que si, à l’enquête, M. Lopes souhaite faire état de choses qu’il n’a pas explicitement mentionnées dans l’avis transmis au titre de l’article 38.01, il peut toujours transmettre un avis complémentaire. Cela peut être fait maintenant par l’envoi d’un avis en bonne et due forme, ou au cours de l’enquête, selon les besoins. Entre-temps, la demande déposée par l’appelant ne fait état d’aucun fait susceptible de justifier l’octroi du troisième redressement sollicité. De même, en attendant l’issue de la procédure prévue, il n’existe aucun fait qui puisse justifier une mise en cause de la constitutionnalité des dispositions en question.

[11]           L’appel sera rejeté avec dépens, établis à 1 000 $.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                                A‑134‑06

 

INTITULÉ :                                                               JOSE VALLE LOPES

                                                                                    c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 14 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :           (LES JUGES NADON, SHARLOW ET MALONE)

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                   LA JUGE SHARLOW

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati                                                                            POUR L’APPELANT

 

Jan Brongers                                                                            POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Galati, Rodrigues and Associates                                              POUR L’APPELANT

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                                           POUR LES INTIMÉS

 

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