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Date : 20070201

Dossier : A‑658‑05

Référence : 2007 CAF 28

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

                        LE JUGE EVANS, J.C.A.

                        LE JUGE MALONE, J.C.A.

 

ENTRE :

LUFTHANSA GERMAN AIRLINES

appelante

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

MOHAMMED OMAR SATARI

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 janvier 2007

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 1er février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LE JUGE EVANS, J.C.A.

Y ONT SOUSCRIT :                                                                               LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

LE JUGE MALONE, J.C.A.

 


 

 

Date : 20070201

Dossier : A‑658‑05

Référence : 2007 CAF 28

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

                        LE JUGE EVANS, J.C.A.

                        LE JUGE MALONE, J.C.A.

 

ENTRE :

LUFTHANSA GERMAN AIRLINES

appelante

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et

MOHAMMED OMAR SATARI

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EVANS, J.C.A.

A.        INTRODUCTION

[1]               Lufthansa German Airlines (Lufthansa) interjette appel d’une décision de l’Office des transports du Canada (OTC), en date du 22 juin 2005 (la décision n° 388‑C‑A‑2005). Par cette décision, l’OTC obligeait Lufthansa à rembourser à des acheteurs le coût intégral de leurs billets inutilisés pour un vol entre Vancouver et Djeddah, en Arabie saoudite.

 

[2]               L’OTC a été saisi de l’affaire à la suite d’une plainte adressée par Mohammed Omar Satari au commissaire aux plaintes relatives au transport aérien (le commissaire), lequel l’a soumise à l’OTC. M. Satari disait qu’il avait payé la somme de 23 920 $ en espèces à un agent de voyages en Colombie‑Britannique, Ideal Travel & Cruises Ltd. (Ideal) pour l’achat de billets de Lufthansa pour seize personnes, dont lui‑même (le groupe Satari). Ideal a ensuite acheté les billets par téléphone à deux agents de voyages de gros, WorldPlus et SkyLink, qui sont autorisés par Lufthansa à vendre ses billets. Ideal aurait payé au moyen de cartes de crédit les billets émis par WorldPlus et SkyLink. Ayant obtenu l’autorisation préalable des sociétés de cartes de crédit de porter sur les cartes le prix des billets, WorldPlus et SkyLink ont émis les billets.

 

[3]               WorldPlus et SkyLink étaient accréditées par l’Association internationale du transport aérien (IATA). Ideal ne l’était pas, et n’était pas non plus membre de l’Association des agents de voyages de la Colombie‑Britannique.

 

[4]               Lufthansa a honoré sept des billets; les neuf autres n’ont pas été utilisés : les personnes concernées en ont été empêchées parce qu’elles n’ont pas obtenu de visas pour l’Arabie saoudite. Avant même que M. Satari eût demandé à Lufthansa de rembourser le coût de ces billets, Lufthansa avait découvert que les sociétés de cartes de crédit avaient refusé de porter les sommes à son crédit, parce qu’Ideal n’était pas autorisée à utiliser les cartes de crédit en cause. Dans l’intervalle, Ideal s’était volatilisée.

 

[5]               En conséquence, vu la fraude commise par Ideal, neuf membres du groupe Satari en étaient pour leurs frais parce qu’ils avaient payé des billets d’avion qu’ils n’avaient pas pu utiliser. Ils ont tenté d’obtenir un remboursement de Lufthansa, qui, par l’entremise de ses représentants, WorldPlus et SkyLink, avait émis les billets pour lesquels ni Lufthansa ni ses agents n’avaient été payés.

 

B.        LA DÉCISION DE L’OTC

[6]               Dans les motifs de sa décision, l’OTC exposait les positions des parties et les dispositions applicables du cadre réglementaire. Plus précisément, il relevait qu’une compagnie aérienne est tenue d’appliquer les conditions du contrat de transport figurant dans le tarif qu’elle avait déposé auprès de l’OTC : Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58 (RTA), paragraphe 110(4). L’article 113.1 du RTA prévoit que, si une compagnie aérienne n’applique pas les conditions de transport figurant dans son tarif, l’OTC peut « lui enjoindre de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées » et d’indemniser toute personne lésée par la non‑application de ces conditions de transport.

 

[7]               Ayant pris note de l’argument de Lufthansa selon lequel le différend devait être réglé en sa faveur parce que, selon le droit des mandats, le mandant répond de la fraude de son mandataire, l’OTC a estimé que l’élément principal à considérer était la validité des billets : paragraphe 28 de sa décision. Selon l’OTC, les billets ne donnaient nulle part à entendre qu’ils étaient invalides, et il n’était pas établi que les billets étaient invalides d’après la règle 65(A)(3) du tarif de Lufthansa, selon laquelle :

[traduction]

Un billet qui n’a pas été validé ou qui a été modifié, mutilé ou incorrectement émis n’est pas valide.

 

 

[8]               L’OTC a jugé aussi que le groupe Satari n’avait aucune raison de croire qu’Ideal s’était livrée à des activités illégales. Le groupe avait acheté les billets de bonne foi. Par ailleurs, Lufthansa avait honoré les billets des sept acheteurs qui les avaient présentés pour voyager entre Djeddah et Vancouver et, tout probablement, aurait honoré les neuf autres s’ils avaient été utilisés.

 

[9]               Dans ces conditions, l’OTC a estimé que, en refusant de rembourser les neuf membres du groupe Satari, Lufthansa ne s’était pas conformée à la règle 90(E)(1) de son tarif, ainsi rédigée :

[traduction]

a.       Remboursements volontaires

Pour l’application du présent alinéa, le terme « remboursement volontaire » s’entend de tout remboursement d’un billet ou d’une partie de celui‑ci, à l’exception du remboursement involontaire […]. Le montant du remboursement volontaire se calcule de la manière suivante :

 

(1) Si aucune partie du billet n’a été utilisée, le transporteur remboursera intégralement le prix payé, moins les frais de service et de communications applicables […].

 

[10]           L’OTC n’a pas été persuadé que Lufthansa avait établi des raisons valables pour lesquelles il ne devrait pas, en application des pouvoirs de réparation que lui confère l’article 113.1 du RTA, lui ordonner de rembourser le groupe Satari. L’OTC s’est exprimé ainsi, au paragraphe 35 de sa décision) :

Pour déterminer les mesures correctives qu’il serait indiqué d’ordonner en l’espèce, il faut trouver un juste équilibre entre les obligations légales, commerciales et opérationnelles du transporteur et le droit des titulaires de billet de croire à la validité des billets émis par les agences de voyages accréditées, telles que WorldPlus et SkyLink. Un facteur déterminant à cet égard est l’obligation du transporteur aérien de surveiller et de contrôler la vente de ses billets, ainsi que de veiller à ce que les personnes qui achètent des billets de bonne foi ne soient pas pénalisées par sa mauvaise gestion de son réseau de distribution des billets.

 

[11]           Après examen des « circonstances uniques » (voir paragraphe 36) de cette affaire, l’OTC a ordonné à Lufthansa de prendre une mesure corrective consistant à rembourser la somme que chacun des neuf détenteurs d’un billet inutilisé avait payée à Ideal pour ce billet, et d’indemniser toute personne lésée par la non‑application de son tarif.

 

C.        ANALYSE

[12]           L’avocat de Lufthansa a fait valoir qu’Ideal était le mandataire du groupe Satari uniquement et que, en tant que mandant, le groupe Satari répondait de la fraude pénale d’Ideal, qui avait fait croire au groupe qu’elle était autorisée à utiliser les cartes de crédit avec lesquelles elle était censée payer les billets du groupe. Il n’était pas établi que Lufthansa avait désigné Ideal comme son mandataire ni que Lufthansa avait jamais donné à entendre qu’Ideal agissait en son nom.

 

[13]           En conséquence, d’affirmer l’avocat de Lufthansa, lorsque Lufthansa a découvert la fraude, elle était fondée à déclarer nul le contrat de transport conclu avec le groupe Satari. Puisque Lufthansa a décidé de résilier le contrat avant que M. Satari ne dépose sa plainte auprès du commissaire, il n’y avait pas de contrat de transport en existence lorsque l’OTC a été saisi de l’affaire, et l’OTC n’avait donc aucune disposition du tarif à interpréter. Partant, l’OTC n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte.

 

[14]           En outre, de dire l’avocat de Lufthansa, il serait injuste d’obliger une compagnie aérienne à supporter une perte résultant de la fraude commise par le mandataire d’un acheteur avec qui la compagnie aérienne n’avait aucun lien juridique. Selon lui, l’arrêt Northwest Airlines Inc. c. Office des transports du Canada, 2004 CAF 238, 325 N.R. 147, n’était pas applicable, parce que, dans cette affaire, les compagnies aériennes ont été tenues pour responsables de la perte causée par la fraude de leur propre mandataire.

 

[15]           M. Satari n’a pas présenté d’arguments écrits en réponse à l’appel formé par Lufthansa. Il a bien été informé de la procédure d’appel, mais n’a pas comparu.

 

[16]           L’avocat de l’OTC a admis que la plainte du groupe Satari devait être résolue d’après le droit des contrats et des mandats. Il a aussi admis que la norme de contrôle applicable au principal point en litige était la norme de la décision correcte, puisqu’il s’agissait d’une pure question de common law. Il a enfin concédé que la décision de l’OTC devait être annulée pour les raisons avancées au nom de Lufthansa, dans le cas où Ideal était le mandataire du seul groupe Satari.

 

[17]           Cependant, de dire l’avocat de l’OTC, Lufthansa était le mandant d’Ideal par acquiescement, parce que Lufthansa savait que ses agents autorisés vendaient des billets à des agents de voyages, comme Ideal, qui n’étaient pas membres de l’IATA et qui utilisaient des cartes de crédit pour payer les billets. D’ailleurs, WorldPlus avait déjà traité avec Ideal.

 

[18]           Comme les autres compagnies aériennes, de dire l’avocat de l’OTC, Lufthansa devrait supporter les coûts occasionnels, mais prévisibles, des fraudes résultant de l’exploitation d’un réseau de distribution de billets, réseau que Lufthansa avait établi et qui généralement servait très bien ses intérêts commerciaux. Tout en reconnaissant que l’OTC n’avait pas dit qu’Ideal était le mandataire de Lufthansa, c’était, selon lui, une conclusion implicite dans la décision de l’OTC.

 

[19]           J’ai un peu de mal à déceler, dans les motifs de l’OTC, une conclusion implicite en ce sens. Je crois comprendre que, selon l’OTC, la question essentielle concernait la validité des billets, non les conséquences juridiques d’un contrat de mandat entre Ideal et le groupe Satari : voir le paragraphe 28. L’OTC semble s’être abstenu de prendre position par rapport aux arguments de Lufthansa, pour qui Ideal était le mandataire du groupe Satari et pour qui le groupe Satari, en tant que mandant d’Ideal, devait répondre de la fraude d’Ideal.

 

[20]           Quoi qu’il en soit, la preuve versée dans le dossier n’établit pas, selon moi, l’existence d’un contrat de mandat entre Lufthansa et Ideal. Il n’y avait ni mandat exprès, ni mandat apparent résultant du fait que Lufthansa aurait donné à entendre qu’Ideal était son mandataire.

 

[21]           Un mandat apparent peut aussi être déduit de la conduite du présumé mandant, notamment le fait d’autoriser ou d’inciter le présumé mandataire à dire qu’il est le mandataire du présumé mandant. Voir de façon générale F.M.B. Reynolds, Bowstead and Reynolds on Agency, 17e édition (Londres : Sweet and Maxwell, 2001), 8‑022. Cependant, le dossier ne renferme rien qui permette d’affirmer que Lufthansa a fait quoi que ce soit pouvant donner à entendre qu’Ideal était son mandataire. Il n’a pas été établi qu’Ideal avait laissé croire qu’elle était le mandataire de Lufthansa ou que Lufthansa savait qu’Ideal se faisait passer pour son mandataire.

 

[22]           D’après la théorie exposée par l’OTC, tout mandataire qui achète des billets pour ses clients directement auprès d’une compagnie aérienne, ou indirectement auprès de l’un des agents autorisés de la compagnie aérienne, est un mandataire de la compagnie aérienne qui délivre les billets. L’avocat de l’OTC n’a signalé aucun texte ou précédent à l’appui de son argument selon lequel des faits comme ceux dont il s’agit ici donnent naissance à un contrat de mandat.

 

[23]           À mon avis, puisque, d’après la preuve, Ideal était le mandataire du seul groupe Satari, l’OTC n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte : les contrats de transport avaient été résiliés par Lufthansa avant le dépôt de la plainte.

 

[24]           L’avocat de Lufthansa a aussi précisé que, s’il se trompait dans son argument principal, il était déraisonnable pour l’OTC d’ordonner à Lufthansa, à titre de mesure corrective en application de l’alinéa 113.1b), de rembourser au groupe Satari le coût des billets inutilisés. Selon lui, il ne s’agissait pas là d’un « remboursement » au sens de la règle 90(E)(1), puisque ni Lufthansa ni ses mandataires n’avaient reçu d’argent d’Ideal ou du groupe Satari qu’ils auraient pu rembourser. Le remboursement ordonné par l’OTC participait, selon lui, davantage d’une indemnité que d’un remboursement au sens de la règle 90(E)(1).

 

[25]           Vu ma conclusion sur la question de la compétence, je n’exprime aucune opinion sur l’autre argument de Lufthansa.

 

D.        DISPOSITIF

[26]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, avec dépens, et j’annulerais la décision n° 388 C‑A‑2005 de l’OTC.

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

« Je souscris aux présents motifs

            Robert Décary, j.c.a. »

 

« Je souscris aux présents motifs

            B. Malone, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                      A‑658‑05

 

(APPEL INTERJETÉ DE LA DÉCISION N° 388‑C‑A‑2005 DE L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA EN DATE DU 22 JUIN 2005)

 

INTITULÉ :                                                    LUFTHANSA GERMAN AIRLINES

c.

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et MOHAMMED OMAR SATARI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 30 JANVIER 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE JUGE EVANS, J.C.A.

 

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE DÉCARY, J.C.A.

                                                                         LE JUGE MALONE, J.C.A.

 

DATE DES MOTIFS :                                   LE 1er FÉVRIER 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Gerard A. Chouest

Tae Mee Park

 

POUR L’APPELANTE

 

Ron Ashley

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bersenas Jacobsen Chouest Thomson Blackburn LLP

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR L’APPELANTE

 

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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