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                                                                                                                                Date : 20060921

Dossier : A-646-05

Référence : 2006 CAF 305

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

TÉLÉFILM CANADA

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

appelante

et

FESTIVAL CANADIEN DES FILMS DU MONDE

 et

L'ÉQUIPE SPECTRA INC.

 et

LE REGROUPEMENT POUR LE FESTIVAL

DE CINÉMA DE MONTRÉAL

intimés

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 11 septembre 2006.

Jugement rendu à  (Ottawa), le 21 septembre 2006.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                           LE JUGE NADON


Date : 20060921

Dossier : A-646-05

Référence : 2006 CAF 305

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

TÉLÉFILM CANADA

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

appelante

et

FESTIVAL CANADIEN DES FILMS DU MONDE

 et

L'ÉQUIPE SPECTRA INC.

 et

LE REGROUPEMENT POUR LE FESTIVAL

DE CINÉMA DE MONTRÉAL

intimées

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

 

[1]               Le présent appel soulève des questions d’ordre procédural qui ont été tranchées dans un premier temps par le protonotaire Morneau, les 5 et 19 avril 2005, puis dans un deuxième temps par le juge de Montigny, de la Cour fédérale, le 21 décembre 2005 (2005 CF 1730). La toile de fond du litige est la décision de Téléfilm Canada, annoncée le 7 septembre 2004, de mettre fin à la subvention que l’organisme versait depuis plusieurs années au Festival des films du monde (FFM) et de procéder à un appel de propositions pour soutenir financièrement la tenue d’un événement cinématographique rassembleur à Montréal en 2005. Le 17 décembre 2004, Téléfilm Canada retenait la proposition du Regroupement pour un festival de cinéma à Montréal, dont la mise en œuvre serait assurée par l’Équipe Spectra Inc. (ci-après « Regroupement et Spectra »).  FFM s’était abstenu de soumettre une proposition, se disant convaincu que les dés étaient pipés à l’avance contre lui.

 

[2]               Le 10 décembre 2004, FFM avait déposé en Cour supérieure du Québec une « requête introductive d’instance pour jugement déclaratoire et injonction permanente » dans laquelle FFM demandait à la Cour supérieure de déclarer illégal l’appel de propositions du 7 septembre 2004 et réclamait des dommages exemplaires et moraux de l’ordre de 2 500 000,00 $.

 

[3]               Le 6 janvier 2005, Téléfilm signifiait en Cour supérieure une requête en exception déclinatoire, au motif que ladite Cour n’avait pas compétence pour se prononcer sur la légalité de l’appel de propositions.

 

[4]               Le 14 janvier 2005, FFM déposait, en Cour fédérale, un avis de demande de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions de Téléfilm Canada rendues le 7 septembre 2004 et le 17 décembre 2004.

 

[5]               Deux mois plus tard, soit le 10 mars 2005, Téléfilm Canada présentait une requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire pour le motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable (règle 221 des Règles des Cours fédérales), qu’elle s’attaquait à deux décisions plutôt qu’à une seule, au mépris de la règle 302 et que le Procureur général du Canada, plutôt que Téléfilm Canada, devait être désigné à titre de partie défenderesse en raison de la règle 303.  Téléfilm Canada ne se plaignait pas, dans sa requête, du retard qu’avait mis FFM à attaquer la décision du 7 septembre 2004.

 

[6]               Le 23 mars 2005, FFM déposait une requête aux fins de modifier la désignation des parties dans l’avis de demande, de remplacer Téléfilm Canada par le Procureur général du Canada et d’ajouter Regroupement et Spectra comme parties défenderesses.

 

[7]               Le 5 avril 2005, le protonotaire Morneau rejetait la requête en radiation présentée par Téléfilm Canada dans la mesure où elle visait la décision du 17 décembre 2004.  En ce qui a trait à la décision du 7 septembre, il prenait l’initiative, semble-t-il, de suspendre l’instance de manière à permettre à FFM d’obtenir d’un juge de la Cour fédérale une prorogation du délai de 30 jours imparti pour attaquer ladite décision.

 

[8]               Le 19 avril 2005, le protonotaire Morneau accueillait en partie la requête en modification de l’avis de demande, rayait Téléfilm Canada de l’intitulé et retenait  Regroupement et Spectra comme seules parties défenderesses.

 

[9]               Le 12 juillet 2005, FFM déposait une requête aux fins de proroger le délai imparti pour son attaque contre la décision du 7 septembre 2004 et de joindre en une seule instance les attaques portées à l’encontre des deux décisions de Téléfilm Canada.

 

[10]           Confronté à cet imbroglio procédural dont je n’ai pas cru nécessaire de reproduire toutes les péripéties, le juge de Montigny, le 21 décembre 2005, accueillait la requête de FFM en prorogation de délai, rejetait la requête en radiation de Téléfilm Canada, permettait que les deux décisions attaquées soient l’objet d’une seule demande de contrôle judiciaire et réintégrait le Procureur général du Canada à titre de partie défenderesse, aux côtés de Regroupement et Spectra.  Il accordait les dépens à FFM.

 

[11]           Cet appel porte sur toutes les conclusions du juge, à l’exception de celle permettant la réunion des instances.

 

La prorogation de délai

 

[12]           Il y a ici procédure interlocutoire et exercice par le juge d’une discrétion judiciaire considérable.

 

[13]           La requête de FFM en prorogation de délai a certes été déposée plusieurs mois après l’expiration du délai et pis encore, plusieurs mois après que le protonotaire Morneau lui eût permis d’en déposer une.   Par contre, même en mars 2005, dans la requête à multiples volets qu’elle soumettait à la Cour, Téléfilm Canada ne se plaignait aucunement du retard. Le contexte, à n’en pas douter, est des plus particulier. Beaucoup d’événements se sont produits, un nombre considérable de procédures, pas toutes très utiles, a été déposé en un espace de temps relativement court. Je ne sais pas si j’en serais arrivé à la même conclusion que le juge de la Cour fédérale, mais il ne m’appartient pas de substituer mon opinion à la sienne, à moins, pour reprendre les termes du juge en chef Isaac dans VISX, Inc. c. Nidek Co., (1996), 209 N.R. 342 (Fed. C.A.) au paragraphe 10, « qu’on ne convainque la Cour que le juge des requêtes a commis une erreur dans son appréciation  de l’acte de procédure ou une erreur de droit en rendant l’ordonnance, soit en appliquant fautivement un principe juridique soit en appliquant un principe erroné. » Or, Téléfilm Canada ne m’a pas convaincu que tel était le cas.

 

La requête en radiation

 

[14]           Le juge de Montigny, rappelant d’entrée de jeu combien la Cour était réticente à radier une demande de contrôle judiciaire avant même qu’elle ne soit entendue au fond, s’est dit d’avis que la demande n’était pas si manifestement mal fondée qu’elle n’avait aucune chance de réussir. Tenant pour avérées les allégations contenues dans l’avis de demande, le juge pouvait aisément en venir à cette conclusion.

 

[15]           Il en va de même relativement à la prétention de Téléfilm Canada selon laquelle FFM n’aurait pas l’intérêt requis pour attaquer les décisions du 7 septembre 2004 et du 17 décembre 2004. Au stade d’une requête en radiation, et particulièrement là où il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, l’absence d’intérêt doit être manifeste. L’absence d’intérêt n’est certainement pas manifeste en ce qui concerne la décision du 7 septembre 2004. L’existence d’un intérêt à l’égard de la décision du 17 décembre 2004 est plus problématique, vu que FFM n’a pas jugé bon de soumettre une proposition. Comme il se peut que le sort de la première décision influe sur celui de la deuxième, mieux vaut laisser le débat suivre son cours dans sa totalité.

 

[16]           Il va de soi que le juge du fond pourra réévaluer, le cas échéant, l’existence d’une cause d’action et la présence d’un intérêt.

 

Le statut du Procureur général du Canada

 

[17]           En ce qui a trait à la décision du 7 septembre 2004, celle de procéder à un appel de propositions, il me paraît évident que le Procureur général du Canada est une partie défenderesse appropriée. Qui mieux que lui, au moment où on ne sait pas si des propositions seront faites, pourrait défendre le bien-fondé de la décision de Téléfilm Canada?

 

[18]           En ce qui a trait à la décision du 17 décembre 2004, il se peut que Regroupement et Spectra, dont la proposition a été retenue, soient les parties les plus appropriées pour défendre le bien-fondé de la décision de Téléfilm Canada. Vu le peu d’intérêt qu’elles ont manifesté à ce stade, la décision de faire du Procureur général du Canada une partie défenderesse me paraît servir les intérêts de la justice.

 

[19]           De toute manière, même s’il est possible que Regroupement et Spectra ne soient pas les parties défenderesses appropriées en ce qui a trait à la première décision et que le Procureur général du Canada n’en soit pas une en ce qui a trait à la seconde, les deux attaques ont été réunies en une seule instance et ce serait se livrer à des querelles stériles que de retenir la proposition de Téléfilm Canada.

 

Les dépens en Cour fédérale

 

[20]           Téléfilm Canada reproche au juge de Montigny d’avoir accordé les dépens à FFM, pour le motif, si je comprends bien, que plusieurs des questions en litige ont pris naissance à cause de maladresses procédurales commises par FFM.

 

[21]           Il est vrai que FFM a été l’artisan d’une partie de ses malheurs sur le plan de la procédure. Le fait est, cependant, que sur l’essentiel, soit la radiation et l’extension de délai, FFM a eu gain de cause. Le juge était dès lors justifié d’accorder les dépens à FFM.

 

Cet appel est-il devenu caduc?

 

[22]           Quelque jours avant l’audition de l’appel, la représentante du Procureur général du Canada a invité la Cour à rejeter l’appel pour le motif « que ce dernier…. est maintenant devenu théorique et sans objet » puisque l’organisme (le Festival international du film de Montréal) qui avait reçu en 2005 la subvention jusque-là accordée au FFM avait déjà dépensé la subvention et avait mis fin à ses activités en 2006 et puisque Téléfilm Canada n’avait pas lancé d’autres appels de propositions.

 

[23]           La procureure a précisé, à l’audition, qu’elle plaidait moins le caractère théorique de l’appel que celui de la demande même de contrôle judiciaire. Elle invite ni plus ni moins la Cour à juger, au stade de l’appel d’une ordonnance interlocutoire rendue dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire qui en est encore à ses premiers balbutiements en raison du dépôt d’une requête en radiation (que j’ai jugée prématurée), que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour cause de caducité. Il n’appartient pas à cette Cour, à ce stade-ci et en l’absence de preuve des faits pertinents, de couper court à la procédure entreprise par FFM, et ce d’autant plus que se poursuit en Cour supérieure de Montréal la débat entamé par FFM relativement à la responsabilité civile de Téléfilm Canada.

 

Les dépens en appel

 

[24]           Les procureurs de FFM réclament, dans l’hypothèse où cet appel était rejeté, des honoraires exceptionnels en raison du fait, selon eux, que l’appelante  a abusé des procédures.

 

[25]           L’intimé FFM, ainsi que je le soulignais plus haut, est responsable de bon nombre des problèmes de nature procédurale auxquels le présent litige a donné lieu. Les procédures entamées par l’appelante ont au moins eu pour effet de clarifier la situation. Les procureurs sont de toute évidence à couteaux tirés; cela est malheureux et n’aide en rien la gestion de ce dossier.  Mais cela ne justifie pas que les dépens soient accordés sur une base autre que celle que reconnaissent les Règles des Cours fédérales, soit celle de la colonne médiane du tarif B.

 

Dispositif

[26]           Je rejetterais l’appel, avec dépens établis selon la colonne 3 du tarif B des Règles.

 

« Robert Décary »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord,

            Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord,

            M. Nadon j.c.a.»

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                     A-646-05

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY DE LA COUR FÉDRALE DU 21 DÉCEMBRE 2005, N° DU DOSSIER T-66-05.

 

INTITULÉ :                                       TÉLÉFILM CANADA  (PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

      et

FESTIVAL CANADIEN DES FILMS DU MONDE

      et

           L'ÉQUIPE SPECTRA INC.

      et

                    LE REGROUPEMENT POUR LE FESTIVAL

                   DE CINÉMA DE MONTRÉAL

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           11 septembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE DÉCARY   

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE LÉTOURNEAU     

                                                                         LE JUGE NADON    

 

DATE DES MOTIFS :                                  21 Septembre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Me Chantal Sauriol

Me Anne-Marie Desgens

Me Louis-Paul Cullen

 

POUR L’APPELANT

 

 

Me Louis Buteau

Me Tatianna Debbas

POUR L’INTIMÉ – FESTIVAL CANADIEN DES FILMS DU MONDE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, Q.C.

sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

Ogilvy Renault (à titre d'avocats conseils)

Montréal, Québec

POUR L’APPELANT

 

Robinson Sheppard Shapiro

Montréal, Québec

POUR L’INTIMÉ - FESTIVAL CANADIEN DES FILMS DU MONDE

 

 

 

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