Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20060829

Dossier : A-244-05

Référence : 2006 CAF 286

ENTRE :

 

RICHARD CONDO

 

appelant

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

intimé

 

 

TAXATION DES DÉPENS – MOTIFS

Charles E. Stinson

Officier taxateur

[1]               Le présent appel, qui porte sur une décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant à l’égard de la décision de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui a conclu que l’appelant, un détenu d’un pénitencier fédéral, devait demeurer en détention jusqu’à l’expiration de sa peine, a été rejeté avec dépens. J’ai établi un échéancier pour la taxation sur dossier du mémoire de dépens de l’intimé.

 

I.          Position de l’intimé

[2]               L’intimé a soutenu que le montant total de 3 548,46 $ réclamé pour les dépens est raisonnable et juste compte tenu de certains faits (la déclaration de culpabilité prononcée contre l’appelant pour enlèvement et agression brutale sur la personne de son ex‑épouse et les inquiétudes exprimées au sujet de la sécurité de l’avocate de l’appelant dans la présente affaire, cette dernière étant également l’épouse actuelle de l’appelant et ayant omis, selon ce qu’il a été établi, de signaler des actes de violence) et compte tenu de la façon dont la Cour a tranché le litige. La conduite de l’intimé ne justifie pas une réduction, selon les facteurs dont il faut tenir compte en vertu de l’article 409 et du paragraphe 400(3) des Règles, des montants maximaux réclamés pour les honoraires d’avocat se rapportant à l’examen de multiples faits complexes et prêtant à confusion et de nombreuses questions connexes. Les communications qui ont eu lieu entre l’avocat de l’intimé et l’avocate de la partie adverse dans le but de déterminer le contenu exact du dossier d’appel justifient l’attribution de l’unité (120 $ par unité) réclamée en vertu de l’article 18 pour la préparation. Le dossier, qui est composé de quatre volumes et comporte environ 973 pages, ainsi que la nécessité de procéder à un long examen et à l’organisation des précédents judiciaires justifient l’attribution du maximum de 7 unités réclamé pour l’article 19 (mémoire des faits et du droit). Il s’ensuit que le maximum de 3 unités par heure réclamé pour les articles 22a) et b) (comparution du premier avocat et du second avocat respectivement à l’audience) est justifié. Le travail effectué par l’avocat après le jugement, à savoir le compte rendu fait au client et d’autres questions administratives, justifie l’attribution de l’unité réclamée pour l’article 25 (services rendus après le jugement). La préparation et le suivi de la taxation des dépens justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 408(3) des Règles, et 3 unités sont attribuées pour l’article 26.

 

II.         Position de l’appelant

[3]               L’appelant a reconnu qu’il y avait eu quelques discussions entre les avocats au sujet du contenu du dossier d’appel, mais il a affirmé qu’étant donné que c’était lui qui avait en réalité préparé le dossier et qui avait fait toutes les copies, l’intimé ne peut rien réclamer pour l’article 18. Une seule unité devrait être attribuée pour l’article 19 étant donné qu’à quelques exceptions près, le mémoire était essentiellement identique à celui qui avait été utilisé devant la Cour fédérale. Le présent litige justifiait le recours à un seul avocat pour l’audience, le minimum de deux unités par heure devant être attribué pour l’article 22a). L’article 25 ne devrait pas être accepté étant donné que la préparation du mémoire de dépens, soit le seul travail qui a été accompli après le jugement, ne justifie pas les 120 $ réclamés. Les frais des recherches informatisées ne sont pas des débours admissibles et ils étaient excessifs, puisqu’ils avaient été engagés sur une base individuelle par opposition à un taux fixe mensuel moins coûteux établi indépendamment du nombre de recherches.

 

III.       Taxation

[4]               Dans la décision visée par l’appel (30 mai 2005, dossier T‑129‑03 de la Cour fédérale), le juge a fait les commentaires suivants aux pages 2 et 3 :

[traduction] Je tiens à ajouter qu’il faut décourager la pratique consistant pour un avocat à agir à la fois à titre d’avocat et de témoin dans une affaire donnée. Malgré l’absence de conflit d’intérêts, il était pour le moins maladroit et inapproprié pour le demandeur de se fonder sur les observations orales que son avocate avait présentées pour lui devant la Commission nationale des libérations conditionnelles en sa qualité d’épouse de celui‑ci.

 

 

Le paragraphe [59] des motifs prononcés par la Cour précise ce qui suit :

Une dernière remarque. Compte tenu des observations qu’a formulées le juge MacPhee au sujet de la relation de l’appelant avec Mme Magas et du fait que celle‑ci se trouve au centre de certains éléments qui constituent la fondation factuelle du présent appel, j’ai de sérieuses réserves au sujet de la question de savoir si Mme Magas aurait dû comparaître devant la Cour fédérale ou devant nous pour le compte de l’appelant. J’ai exprimé ces réserves à Mme Magas à la fin de l’audience et je suis convaincu qu’elle réfléchira sérieusement à mes remarques, dans le cas où elle souhaiterait encore une fois comparaître pour le compte de l’appelant pour des dossiers connexes.

 

[5]               Le cabinet d’avocats inscrit au dossier pour l’appelant est Magas Law Office, Diane Magas [c’est moi qui souligne] étant l’avocate responsable; or, Diane Magas était en cause à l’égard de certaines questions factuelles se rattachant aux questions de fond soulevées dans le présent litige. Les éléments qui m’ont été soumis, en réponse à mes directives, ont été envoyés par le cabinet d’avocats Condo Law Office, Diane Condo [c’est moi qui souligne] étant l’avocate responsable. L’adresse postale ainsi que les numéros de téléphone et de télécopieur sont les mêmes pour le cabinet d’avocats Magas et le cabinet d’avocats Condo; s’il est en outre tenu compte du fait que le prénom de l’avocate responsable est le même et que le nom du cabinet d’avocats Condo coïncide avec le nom de famille de l’appelant, cela signifie pour moi que la femme de l’appelant juge commode de ne pas tenir compte de l’avertissement sérieux donné par la Cour au sujet de la conduite appropriée d’un avocat.

 

[6]               Je ne veux pas que l’on pense que je tolère une pratique réprouvée par les deux cours. Toutefois, je souligne que l’avocate de l’appelant n’a pas tenté de soutenir que les dépens devraient être réduits au minimum parce que les circonstances de l’espèce, concernant un détenu dont le dossier a clairement établi une inconduite grave à plusieurs égards sur le plan des relations conjugales et qui demandait l’examen de sa libération conditionnelle, n’étaient pas sérieuses au point de justifier l’attribution du maximum des dépens. Cela aurait pu m’amener à m’interroger sur l’objectivité ou la diligence de l’avocate en sa qualité de fonctionnaire judiciaire, conformément au paragraphe 11(3) de la Loi sur les Cours fédérales, lorsqu’il s’est agi de porter toutes les questions pertinentes à mon attention en ma qualité de décideur dans la présente taxation des dépens, étant donné qu’elle était personnellement en cause quant à certaines circonstances factuelles sous‑tendant le présent litige. L’avocate ne l’a pas fait; elle s’est plutôt contentée de formuler des objections de nature assez technique. Ses prétentions étaient rationnelles et concises, même si je n’ai pas nécessairement souscrit entièrement à celles‑ci. Je ne voyais pas pourquoi il y aurait eu lieu, à ce stade tardif, d’ajourner l’affaire en vue d’exiger le remplacement de l’avocat : à mon avis, le dossier était suffisant pour me permettre de tirer mes conclusions au sujet du montant des dépens taxés qu’il convenait d’accorder.

 

[7]               J’ai conclu au paragraphe [7] de Starlight c. Canada, [2001] A.C.F. no 1376 (O.T.), qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser le même nombre d’unités pour chaque service prévu par le tarif, puisque chaque article correspondant aux services rendus par l’avocat est distinct et doit être évalué en fonction des circonstances qui lui sont propres. De plus, il se peut qu’il faille établir d’importantes distinctions entre le minimum et le maximum du barème. J’accorde l’unité réclamée au titre de l’article 18 comme je le fais habituellement pour les parties intimées qui ont gain de cause, parce que les parties au litige ont des obligations sérieuses lorsqu’il s’agit de veiller à ce que le contenu des dossiers d’appel soit acceptable : voir Actra Fraternal Benefit Society c. Canada, [2000] A.C.F. no 1214 (O.T.). Quant à l’article 19, je suis d’accord pour dire que des efforts ont été déployés en double, mais je crois que le travail de l’avocat en réponse à une demande de contrôle judiciaire est différent du travail nécessaire pour la formulation de la réponse à l’appel de la décision rejetant la demande : voir le paragraphe [10] de la décision de la Cour, dans lequel sont énoncées les questions soulevées dans le présent appel. Le résultat d’une unité, dans la colonne I, proposé par l’avocate de l’appelant ne relève pas de ma compétence. La Cour a mentionné l’obligation légale qui incombe aux commissions provinciales des libérations conditionnelles de tenir compte avant tout de la protection de la société lorsqu’elles se prononcent sur un cas. Elle a ensuite minutieusement examiné les circonstances sous‑tendant le présent litige, dont l’agression (selon le juge MacPhee) commise dans un palais de justice sur la personne de l’avocat de l’ex‑épouse de l’appelant. Il convient d’attribuer le maximum de 7 unités pour l’article 19, et c’est le nombre d’unités que j’attribue. J’attribue le maximum de 3 unités par heure pour l’article 22a).

 

[8]               L’article 3 et le paragraphe 5(1) de la Loi sur les Cours fédérales définissent l’expression « Cour d’appel fédérale », et l’article 2 des Règles des Cours fédérales définit l’expression « officier taxateur »; cela veut dire que le mot « Cour » (tel qu’il est employé à l’article 22b) lorsqu’il s’agit de ce que la Cour ordonne pour le second avocat) et l’expression « officier taxateur » se rapportent à des entités distinctes. La Cour n’a pas visiblement ordonné que l’intimé recouvre les frais du second avocat, de sorte que je n’ai pas compétence pour accepter de tels frais. J’accepte habituellement l’article 25, comme je le ferai ici, sauf si je crois que l’avocat responsable n’a pas examiné le jugement et n’a pas expliqué ses incidences au client. J’attribue les 3 unités réclamées pour l’article 26.

 

[9]               Dans Englander c. Telus Communications Inc., [2004] A.C.F. n° 440 (O.T.), j’ai confirmé que j’accorde habituellement les frais de recherche en ligne. Toutefois, à cette fin, il faut examiner si toutes les recherches, une partie de celles‑ci ou aucune de celles‑ci étaient raisonnablement nécessaires ou étaient dépourvues de pertinence, c’est‑à‑dire que certaines des recherches peuvent conduire à des décisions secondaires ou à des décisions renfermant des mises en garde et qu’il faut tenir compte de l’obligation professionnelle qu’ont les avocats de représenter leurs clients avec diligence et d’aider la Cour de la façon la plus raisonnable qui soit sur tous les aspects du droit susceptibles de toucher l’issue des questions de fond du litige. Selon le point de vue que j’ai souvent exprimé depuis l’approche que j'ai suivie dans Carlile c. Sa Majesté la Reine, (1997) 97 D.T.C. 5284 (O.T.), et à la suite des commentaires que lord Russell a formulés dans Re Eastwood (deceased) (1974), 3 All E.R. 603, à la page 608, à savoir que la taxation des dépens relève [traduction] d’« une justice rudimentaire, c’est‑à‑dire d’une justice marquée par bon nombre d’approximations sensées », il est possible de se fonder sur le pouvoir discrétionnaire accordé pour arriver à un résultat raisonnable assurant l’attribution de dépens équitables pour les deux parties. Je crois que mon point de vue est étayé par les commentaires sur les paragraphes 57 et 58 des Règles que propose l’honorable James J. Carthy, W.A. Derry Millar et Jeffrey G. Gowan dans Ontario Annual Practice 2005-2006 (Aurora (Ontario) : Canada Law Book, 2005), à savoir que la taxation des dépens est plutôt un art que l’application de règles et de principes, en ce qu’elle se fonde sur l’impression générale produite par le dossier et les questions en litige, qu’il faut faire appel au jugement et à l’expérience de l’officier taxateur, aux prises avec la tâche difficile de soupeser l’effet de plusieurs facteurs subjectifs et objectifs. Dans Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd., [2003] A.C.F. n1649 (O.T.), au paragraphe 31, j’ai conclu que certains des commentaires formulés dans la preuve, même s’ils étaient intéressés, étaient néanmoins pragmatiques et raisonnables quant au fait que le coût que comporterait la preuve d’une multitude de débours essentiels pourrait bien dépasser le montant de ces débours. Cependant, cela ne veut pas dire pour autant que les plaideurs peuvent obtenir leurs dépens sans présenter de preuve et s’en remettre au pouvoir discrétionnaire et à l’expérience de l’officier taxateur. En l’espèce, la preuve est loin d’être absolue, c’est‑à‑dire qu’il n’y a pas de paramètres pour chaque point de recherche. Étant donné la preuve peu abondante concernant les circonstances qui sous‑tendent chacune des dépenses, il est difficile pour le défendeur dans la taxation des dépens ainsi que pour l’officier taxateur de s’assurer que chaque dépense était raisonnable. Moins il y a d’éléments de preuve, plus la partie qui demande la taxation est assujettie au pouvoir de l’officier taxateur, et celui‑ci devrait faire preuve de prudence en exerçant ce pouvoir, une certaine discipline devant accompagner la question des dépens de façon à éviter qu’un préjudice soit causé à la partie qui devra payer ces dépens. Mais il ne faut pas oublier pour autant que la conduite d'un litige exige de réelles dépenses : il serait absurde de n’accorder absolument rien dans une taxation. Je conclus que les trois montants réclamés, à savoir, 13,55 $, 3,20 $ et 60,50 $, sont raisonnables eu égard aux circonstances du présent litige et j’accepte les montants présentés.

 

[10]           Le mémoire de dépens de l’intimé s’élevait à 3 548,46 $ et un montant de 3 278,46 $ est taxé et accordé.

 

 

 

« Charles E. Stinson »

Officier taxateur

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-244-05

 

INTITULÉ :                                                   ROBERT CONDO

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

TAXATION DES DÉPENS EFFECTUÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE LA TAXATION

DES DÉPENS :                                              LE PROTONOTAIRE CHARLES E. STINSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 29 AOÛT 2006

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Diane Condo

POUR L’APPELANT

 

R. Jeff Anderson

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Condo Law Office

Ottawa (Ontario)

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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