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Date : 20051014

Dossier : A-380-05

Référence : 2005 CAF 330

En présence de :         LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                 GROUPE ARCHAMBAULT INC.

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                                                         CMRRA/SODRAC INC.

                                                                             et

                                   BELL CANADA, CANADIAN ASSOCIATION OF

                                           BROADCASTERS, CANADIAN CABLE

                                       TELECOMMUNICATIONS ASSOCIATION,

                             CANADIAN RECORDING INDUSTRY ASSOCIATION,

                             MOONTAXI MEDIA INC., NAPSTER LLC, MUSICNET

                              INC., APPLE CANADA INC., REALNETWORKS INC.,

                                   YAHOO ! INC., SIRIUS CANADA INC., ROGERS

                                WIRELESS INC., ASSOCIATION QUEBECOISE DE

                                L'INDUSTRIE DU DISQUE, DU SPECTACLE ET DE

                                                        LA VIDÉO (ADISQ) INC.

                                                                                                                                   Défenderesses

                              Audience tenue à Montréal (Québec), le 7 octobre 2005.

                                Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2005.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                   LE JUGE PELLETIER


                                                                                                                                 Date : 20051014

                                                                                                                             Dossier : A-380-05

                                                                                                                Référence : 2005 CAF 330

En présence de :         LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                 GROUPE ARCHAMBAULT INC.

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                                                         CMRRA/SODRAC INC.

                                                                             et

                                   BELL CANADA, CANADIAN ASSOCIATION OF

                                           BROADCASTERS, CANADIAN CABLE

                                       TELECOMMUNICATIONS ASSOCIATION,

                             CANADIAN RECORDING INDUSTRY ASSOCIATION,

                             MOONTAXI MEDIA INC., NAPSTER LLC, MUSICNET

                              INC., APPLE CANADA INC., REALNETWORKS INC.,

                                   YAHOO ! INC., SIRIUS CANADA INC., ROGERS

                                WIRELESS INC., ASSOCIATION QUEBECOISE DE

                                L'INDUSTRIE DU DISQUE, DU SPECTACLE ET DE

                                                        LA VIDÉO (ADISQ) INC.

                                                                                                                                   Défenderesses

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]                La Cour est saisie d'une demande de sursis de procédures devant la Commission du droit d'auteur, relativement à la demanderesse Archambault, advenant une décision de cette Cour sur sa demande de contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire quant à la divulgation de la preuve.


[2]                Les faits suivants sous-tendent la demande de sursis. La défenderesse CSI, une société collective représentant les auteurs d'oeuvres musicaux, soumet à la Commission un projet de tarif selon lequel les services de musique en ligne devront lui remettre certaines redevances pour l'utilisation des oeuvres des auteurs qu'elle représente. La demanderesse, qui exploite un service de musique en ligne, s'oppose au projet de tarif, comme le font d'ailleurs un bon nombre d'autres services semblables. Les règles de procédure devant la Commission permettent à chaque partie de poser des interrogatoires à toute autre partie. Les réponses sont acheminées aux auteurs des interrogatoires, sans être circulées aux autres parties, ni déposées à la Commission.

[3]                En l'instance, la demanderesse et la défenderesse échangent des interrogatoires. De part et d'autre, on s'oppose aux questions posées. Certaines de ces oppositions font l'objet de compromis; d'autres sont soumises à la Commission afin qu'elle les tranche. Les renseignements recherchés par la défenderesse sont très détaillés, touchant tous les aspects de l'entreprise de la demanderesse, notamment la technologie, les finances, les relations contractuelles, la publicité et les relations intra et inter sociétés liées. Selon la demanderesse, les renseignements recherchés ne sont pas pertinents à la question devant la Commission. De plus, les interrogatoires qui lui sont adressés par la défenderesse recherchent des informations dont la divulgation lui serait extrêmement préjudiciable.


[4]                La Commission rend une ordonnance le 9 juin 2005, laquelle rejette la plupart des objections de la demanderesse. Elle précise que celles fondées sur la confidentialité des renseignements sont rejetées, la confidentialité n'étant pas un motif valable d'opposition, étant donné que la Commission pourrait émettre des ordonnances de confidentialité à la demande de ceux qui en ressentent le besoin.

[5]                Cette ordonnance fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire et d'une demande de sursis de procédures en ce qui concerne la demanderesse. La demanderesse allègue que l'ordonnance rejetant ses motifs d'opposition constitue une saisie abusive au sens de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle s'appuie sur une jurisprudence selon laquelle une demande de production de documents par une agence de l'État constitue une saisie et ce, même dans un contexte règlementaire. R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627. Selon la demanderesse, l'absence de pertinence des renseignements recherchés, leur confidentialité, ainsi que les coûts qu'elle devra assumer pour les récupérer donnent à l'ordonnance en cause son caractère abusif.

                                                                             

[6]                Dans l'arrêt Szczecka c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333, cette Cour, par la plume du juge Létourneau, s'exprima ainsi quant au contrôle judiciaire de décisions interlocutoires:

[4] Voilà pourquoi il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d'appel ou de révision judiciaire immédiate d'un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu'il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié. Plusieurs décisions de justice sanctionnent ces deux principes, précisément pour éviter une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer. En matière de contrôle judiciaire sous l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, ce dont nous sommes saisis dans la présente cause, l'interprétation jurisprudentielle qui est faite de cet article est encore plus stricte.


[7]                Si le contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire est rarement justifié, l'octroi d'un sursis advenant la conclusion de la révision le serait encore moins. Avant d'aborder les conditions pour l'émission d'un sursis interlocutoire, la Cour doit se satisfaire que les circonstances justifient son intervention. La demanderesse ne nie pas cette jurisprudence, mais prétend que l'atteinte portée à son droit constitutionnel à la vie privée justifie l'intervention de cette Cour même au stade d'une ordonnance interlocutoire quant à la divulgation de la preuve. Un tel raisonnement aurait comme effet de transformer de simples questions de pertinence en questions constitutionnelles.

[8]                Il n'y a pas de circonstances exceptionnelles qui justifieraient l'intervention de cette Cour à ce stade. La pertinence des questions posées en interrogatoire, ou encore à l'examen préalable, est une des plus banales soulevées au cours du litige civil. C'est au décideur devant qui se déroulent les procédures de trancher ces questions. Il se peut très bien que certains décideurs permettent que soient posées des questions qui, en bout de ligne, s'avèrent sans pertinence. Cependant, cela ne transforme pas une question procédurale en question constitutionnelle.


[9]                Le caractère du décideur, que ce soit une cour de justice ou un tribunal administratif, ne change en rien la nature de la question. Dans un cas comme dans l'autre, une ordonnance quant à la divulgation de la preuve met entre les mains des parties les documents nécessaires afin de leur permettre de faire prévaloir leur point de vue devant le décideur. Sauf dans la mesure qu'ils serviront à l'éclairer dans sa prise de décision, le décideur n'a en vérité aucun intérêt dans ces documents. En l'espèce, il ne s'agit pas d'une divulgation forcée dans le cadre d'un contentieux qui oppose l'État à la personne qui fait l'objet de la divulgation forcée.

[10]            Pour ces motifs, la requête en demande de sursis doit être rejetée avant même de passer à l'analyse des conditions à satisfaire pour l'octroi d'un sursis interlocutoire telles qu'énoncées dans l'arrêt R.J.R. - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Il n'y a pas au dossier de circonstances exceptionnelles qui justifieraient le retard des procédures en cours devant la Commission.

[11]            Même si l'on retrouvait des circonstances exceptionnelles au dossier et qu'il fallait passer à l'analyse des conditions pour l'émission d'un sursis, la demanderesse ne pourrait réussir dans sa demande parce qu'elle n'a pas fait la démonstration d'un préjudice irréparable. Cette dernière soumet que lorsque des documents confidentiels sont mis en circulation, il est impossible de rétablir leur caractère confidentiel si, par la suite, leur divulgation est adjugée injustifiée, ce qui constitue un préjudice irréparable. Il y a une jurisprudence qui retient cet argument. Calgary Regional Health Authority c. United Western Communications Ltd. (c.o.b. Alberta Report Magazine) (1999), 35 C.P.C. (4th) 324 aux para. 19-20.


[12]            En l'instance, cet argument est spéculatif, compte tenu du fait que la demanderesse n'a pas fait de demande d'ordonnance de confidentialité, comme la Commission l'a invitée à le faire. La demanderesse ne peut pas présumer que l'ordonnance que rendrait la Commission ne répondrait pas à ses besoins. Voir sur ce point l'arrêt Canada (procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information) 2001 CAF 26, [2001] A.C.F. no 283 (C.A.F.) au paragraphe 12.

[13]            La demanderesse prétend que la violation de son droit constitutionnel à la vie privée constitue un préjudice irréparable. Elle prétend que toute atteinte à un droit consacré par la Charte est un préjudice irréparable en soi. Elle se fonde sur le passage suivant de l'arrêt 143471 Canada Inc. c. Québec (Procureur général) (143471 Canada Inc.), [1994] 2 R.C.S. 339 au para. 82 :

...Aussi minime soit-il, ce droit existe. S'il s'avère que la prétention constitutionnelle des intimés est exacte, je croirais alors que la perte de ce droit à la vie privée constituerait elle-même un préjudice irréparable.

[14]            Ce passage se retrouve dans les motifs du juge Cory auxquels ont souscrit les juges Sopinka et Iacobucci. Le juge en chef Lamer était d'accord quant à la conclusion du juge Cory, mais mettait en doute certaines de ses propositions. Le juge La Forest, auquel se sont ralliés les juges McLachlin et l'Heureux-Dubé, était dissident sur ce point. Il se prononça comme suit :

[41] ...Les intimés s'opposent ici à la prise de connaissance, par les autorités fiscales, du contenu de documents d'affaires dont la saisie a été préalablement autorisée. Or, l'existence d'un préjudice irréparable ne peut s'inférer simplement parce qu'une atteinte à un droit protégé par la Charte est alléguée ou encore parce que l'instance principale met elle-même en cause la violation d'un droit enchâssé... Il m'apparaît fallacieux de conclure, comme question de principe, que le droit à la vie privée doit recevoir, en toute circonstance, la priorité sur tout autre intérêt, par exemple sur le respect et l'application de lois adoptées dans l'intérêt public.

[15]            Cette Cour s'est prononcée quant à la portée du jugement rendu dans l'affaire 143471 Canada Inc. dans l'arrêt Canada (procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information) (2001), 268 N.R. 328 :


[22] L'arrêt de la Cour suprême dans 14371 Canada Inc. c. Québec [P.G.], [1994] 2 R.C.S. 319, porté à notre attention par les intimés, reposait sur un ensemble de faits tout à fait différent. Il portait sur des perquisitions envahissantes de résidences et de locaux commerciaux par des autorités fiscales sous le régime d'une disposition législative dont la constitutionnalité était mise en doute. La Cour dans ses motifs a indiqué à plus d'une reprise que les perquisitions dans des propriétés privées sont beaucoup plus envahissantes qu'une demande de production de documents, donnant ainsi lieu à un besoin encore plus grand de protection du droit à la vie privée des personnes concernées (voir les pages 380, 381 et 382). Il s'agit du contexte dans lequel la majorité a conclu qu'un préjudice irréparable serait causé si les documents saisis étaient examinés par les autorités fiscales, avant qu'une décision portant sur la validité constitutionnelle des saisies ne soit rendue. Il est évident qu'une conclusion différente aurait été tirée si les renseignements en question avaient été obtenus par des moyens moins envahissants.

[Mon soulignement.]

[16]            Je suis d'avis que le simple fait d'alléguer une violation de l'article 8 est insuffisant pour établir l'existence d'un préjudice irréparable. L'interprétation que cette Cour a apportée à l'arrêt 143471 Canada Inc., dans l'affaire Canada (procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information) me semble rejoindre la pensée des juges dissidents quant à la question du préjudice irréparable. Ce qui fait que la demanderesse n'a pas fait la démonstration de préjudice irréparable.


[17]            Ceci est d'autant plus vrai lorsque l'on rappelle que la participation de la demanderesse aux procédures qui se déroulent devant le Commissaire est entièrement volontaire. La demanderesse n'était pas sommée de se présenter devant la Commission. Elle l'a fait de son propre chef et elle peut se retirer de la même façon. Il est sans doute vrai qu'elle a un point de vue à faire valoir, mais la condition de sa participation est la divulgation de renseignements demandés par CSI et jugés pertinents par la Commission. La question de la pertinence de renseignements financiers est une question qui sera toujours pertinente lors de l'audience devant la Commission, et, le cas échéant, en toute révision judiciaire de sa décision finale.

[18]            La Cour en vient donc à la conclusion que la requête en sursis doit être rejetée avec dépens.

                                                                                                                          « J.D. Denis Pelletier »             

                                                                                                                          j.c.a.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                             SECTION D'APPEL

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    A-380-05

INTITULÉ :                                                   GROUPE ARCHAMBAULT INC.

                                                                             et

                                                         CMRRA/SODRAC INC.

                                                                             et

                                   BELL CANADA, CANADIAN ASSOCIATION OF

                                           BROADCASTERS, CANADIAN CABLE

                                       TELECOMMUNICATIONS ASSOCIATION,

                             CANADIAN RECORDING INDUSTRY ASSOCIATION,

                             MOONTAXI MEDIA INC., NAPSTER LLC, MUSICNET

                              INC., APPLE CANADA INC., REALNETWORKS INC.,

                                   YAHOO ! INC., SIRIUS CANADA INC., ROGERS

                                WIRELESS INC., ASSOCIATION QUEBECOISE DE

                                L'INDUSTRIE DU DISQUE, DU SPECTACLE ET DE

                                                        LA VIDÉO (ADISQ) INC.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 octobre 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR:

Me Marek Nitoslawski

Me Jean-Philippe Mikus                                 Pour la demanderesse

Me Julie A. Thorburn

Me Colette Matteau                                       Pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Fasken Martineau Du Moulin

S.E.N.C.R.L., s.r.l.                                         Pour la demanderesse

Montréal (Québec)

Cassels Brock & Blackwell LLP.

Brodeau, Matteau, Poirier                             Pour les défenderesses


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