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     ITA-7668-94

ENTRE:

     Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

     - et -

     Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par

     le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs

     des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu,

     le Régime de pensions du Canada,

     la Loi sur l'assurance-chômage;

ET:

                 TRAITEMENT D'EAU ANJOU NOTRE-DAME INC.

                

     Débitrice-saisie,

ET:

                 LES PRODUITS DE LA FAMILLE ANJOU INC.

                

     Opposante.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

         La requérante, Les Produits de la Famille Anjou Inc. ("PFA") s'oppose à la saisie mobilière effectuée par le ministre du Revenu national ("MRN") sur les biens de Traitement d'eau Anjou Notre-Dame Inc. ("TAND"), débitrice d'une somme de 10 753,51 $ aux termes d'un certificat du 6 septembre 1994. Cette dette découlait de déductions à la source non remises par la débitrice pour la période d'octobre à décembre 1992 et de janvier à novembre 1993.

         L'opposante plaide que les biens saisis lui appartiennent vu qu'elle en a fait l'acquisition par contrat notarié intervenu le 18 novembre 1993. De son côté, le ministre du Revenu national demande le rejet de cette opposition : il plaide que la vente des actifs de Traitement d'eau Anjou Notre-Dame Inc. à Les Produits de la Famille Anjou Inc. a été faite en fraude de ses droits et qu'elle ne lui est pas opposable.

         Les documents déposés au soutien de l'opposition révèlent que le 30 avril 1992, Marcel Joly, seul actionnaire de TAND1, a cédé la totalité de ses actions à Michel Gosselin pour un dollar. En retour, Gosselin s'est engagé à payer à PFA "... la dette de 80 000 $ sur billet à demande portant intérêt au taux de 8% l'an et ce sur une période de cinq ans, et ce sans modalité de paiement." (pièce R-5) La convention prévoit de plus que Gosselin "donne en garantie tous les actifs de la compagnie Traitement d'eau Anjou Notre-Dame Inc., présents et futurs, ainsi que la franchise Anjou Notre-Dame Inc." Un billet à demande (pièce R-6) a effectivement été signé le 30 avril 1992 par Gosselin en faveur de Les Produits de la Famille Anjou Inc.

         Le 18 novembre 1993, PFA a acheté de TAND, entre autres, les stocks en inventaire, un ameublement de bureau et d'autres articles mobiliers, les comptes à recevoir du vendeur et la franchise Anjou Notre-Dame Inc., le vendeur s'engageant à abandonner sans délai toute raison sociale s'y rapportant. En outre, le vendeur déclarait au contrat "... que les biens faisant l'objet de la présente vente représentent la totalité ou presque des biens utilisés dans le cadre d'une activité commerciale qui constitue toute ou partie de son entreprise." (pièce R-7) En contrepartie, l'acquéreur donnait quittance générale et finale "... au vendeur2 de toute somme à lui due en capital et en intérêts, en vertu d'un billet à demande au montant originaire de 80 000 $ signé le 30 avril 1992." Une clause au contrat prévoit que "les présentes ne constituent pas une vente de fond de commerce."

         L'interrogatoire d'Alain Joly, vice-président de PFA, jette un éclairage fort utile pour la compréhension de ces transactions. Il décrit PFA comme un fabricant d'équipements de traitement d'eau que l'on distribue par le biais de franchises. En 1992, la distribution des produits à Notre-Dame-du-Bon-Conseil s'avérant boiteuse, son père Marcel Joly, président de PFA et seul actionnaire de TAND, a cédé ses actions à un employé de la compagnie, Michel Gosselin. En contrepartie, Gosselin assumait une dette3 de 80 000 $ qu'il s'engageait à rembourser au moyen d'un billet à demande. Il appert clairement de l'interrogatoire d'Alain Joly que Gosselin ne payait pas PFA, ni son loyer,4 et que bref "il ne payait pas personne" (page 18 de l'interrogatoire). Le témoin a affirmé que Gosselin n'avait jamais signé de contrat de franchise avec PFA et que, devant son refus de s'acquitter de ses obligations, "on n'a pas acheté son commerce, on a juste repris [ce] qui était à nous" (page 24 de l'interrogatoire).

         Dans son opposition, PFA tient pourtant un autre langage : elle s'oppose à la saisie des biens de TAND, affirmant en avoir fait l'acquisition dans un contrat où l'on précise qu'il ne s'agit pas d'une vente de fonds de commerce. Le ministre du Revenu national plaide, au contraire, que cette transaction a été faite en fraude de ses droits en tant que créancier de TAND. L'avocate du ministre du Revenu national soulève plusieurs irrégularités dans ces transactions dont le fait par Gosselin de donner en garantie, par convention et par billet à demande, les actifs de sa compagnie, ce qui en soi est illégal, et ce, sans se préoccuper des règles du nantissement commercial. Elle plaide aussi que Gosselin a donné les actifs de sa compagnie à titre gratuit vu l'absence de preuve qu'elle était endettée à l'égard de PFA. Elle plaide enfin que si la Cour estime que la dette de 80 000 $ présumément due par Gosselin constituait en fait une dette de TAND, cette vente doit être réputée frauduleuse et, nulle et de nul effet à son égard, vu que le ministre du Revenu national, créancier de TAND, n'a pas été payé lors de la vente du fonds de commerce.

         Il ne m'apparaît pas nécessaire de traiter de toutes ces questions.

         Il existe une règle bien connue à l'effet que les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers et que, dans le cas de concours, le prix s'en distribue par contribution, à moins qu'il n'y ait entre eux des clauses légitimes de préférence; c'est le texte même de l'article 1981 du Code civil du bas-Canada tel qu'il s'énoncait au moment des faits en cause. Par ailleurs, pour protéger les créanciers d'un débiteur qui dispose de son fonds de commerce à leur préjudice, le législateur a prévu des règles spéciales au Code civil : la vente en bloc qu'on retrouve aux articles 1569a) et suivants. En bref, ces règles prévoient que dans toute vente de fonds de commerce ou de marchandises en dehors du cours ordinaire des opérations commerciales du vendeur, l'acquéreur doit, avant d'en payer le prix, obtenir du vendeur un affidavit contenant les noms et adresses de tous les créanciers du vendeur, les montants dûs ou à échoir et la nature de chaque créance, pour assurer la distribution du prix de vente entre ces créanciers, à défaut de quoi cette vente est réputée frauduleuse et nulle et de nul effet à l'égard de ces créanciers.

         Il incombe au tribunal de déterminer si, selon les circonstances de l'espèce, l'aliénation constitue ou non une vente en bloc. Il s'agit d'une question de fait que le juge doit analyser en examinant si la vente porte sur un intérêt important dans les affaires du commerçant, si la vente est effectuée en dehors du cours ordinaire de ses opérations commerciales, s'il s'agit d'objets se rapportant au fonds de commerce et enfin, s'il est de l'intention du vendeur de discontinuer, en tout ou en partie, l'exploitation de son commerce5.

         En l'occurence, les documents déposés au soutien de l'opposition autant que l'interrogatoire d'Alain Joly, vice-président de PFA, démontrent que la disposition des biens de TAND le 18 novembre 1993 constituait de la part de celle-ci une vente en bloc et que le défaut des parties d'en respecter les règles la rend nulle et de nul effet à l'égard, en particulier, de la partie saisissante comme créancière de TAND.

         Il ne fait pas de doute en effet que la vente des actifs de TAND a porté sur un intérêt important des affaires du commerçant : le contrat précise d'une part que les biens vendus représentent la totalité ou presque des biens utilisés dans le cadre de son activité commerciale et d'autre part, l'opposante n'a pas prouvé que le vendeur s'était réservé de nombreux biens pour l'exercice de son commerce. De plus, dans la mesure où le vendeur a disposé non seulement de ses stocks en inventaire mais de son ameublement de bureau, de ses comptes à recevoir et de sa franchise, il va de soi que la vente à été effectuée en dehors du cours ordinaire des opérations commerciales, tous ces objets se rapportant à son fonds de commerce.

         Je souligne enfin une contradiction importante à propos de la nature du contrat de vente du 18 novembre 1993 entre les déclarations qui s'y trouvent et celles du témoin Alain Joly lors de son interrogatoire. Contrairement à ce qu'a soutenu Alain Joly à savoir que PFA entendait simplement reprendre les biens dont elle était propriétaire, dans le contrat, le vendeur énonce spécifiquement être le seul propriétaire des biens décrits, libre de tout privilège et de tout contrat de nantissement. Bref, rien ne démontrait que l'acquéreur PFA détenait un quelconque lien sur les actifs de TAND et qu'il aurait pu exercer un droit de reprise sur ces biens. Au contraire, tout tend à démontrer qu'il s'agissait, de la part de TAND, de la vente de son fonds de commerce. Il ne suffisait pas d'inclure une clause à l'effet contraire dans le contrat pour exclure l'application impérative des règles de la vente en bloc.

         Dans la mesure où l'opposante s'appuie sur un contrat de vente d'un fonds de commerce qui n'a pas respecté les règles de la vente en bloc, ce contrat est inopposable à la partie saisissante. L'opposition ne peut donc être accueillie.

                                                                          JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 23 janvier 1997

__________________

     1      Marcel Joly était également, à l'époque pertinente, le président de Les Produits de la Famille Anjou Inc.

     2      Il importe de remarquer ceci : bien que la quittance générale et finale est accordée au vendeur - TAND -, le billet à demande qu'on a ainsi quittancé était pourtant celui de Michel Gosselin.

     3      Il n'a pas été prouvé que TAND avait une telle dette à l'égard de PFA. La preuve révèle plutôt que Gosselin a signé un billet à demande (R-6), s'engageant à "remettre" 80 000 $ à PFA.

     4      La bâtisse appartenait à Les Immeubles AMM Inc. dont l'actionnaire est Marcel Joly qui est intervenu au contrat du 18 novembre 1993 pour donner quittance générale et finale et faire remise au vendeur des arrérages de six (6) mois de loyer dûs par le vendeur.

     5      Code civil annoté, Baudoin-Renaud, Ed. Wilson & Lafleur Ltée, Vol. 2 p. 287).


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: ITA-7668-94

INTITULÉ : ITA c. TRAITEMENT D'EAU ANJOU NOTRE-DAME INC. ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE : LE 16 DÉCEMBRE 1996

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DENAULT

EN DATE DU 23 JANVIER 1997

COMPARUTIONS

ME. HÉLÈNE BEAUMONT POUR SA MAJESTÉ LA REINE

ME MICHEL BÉLANGER POUR LA PARTIE OPPOSANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

GEORGE THOMSON, C.R. POUR SA MAJESTÉ LA REINE SOUS-PROCUREUR

GÉNÉRAL DU CANADA

MICHEL BÉLANGER POUR LA PARTIE OPPOSANTE ST-HUBERT, QUÉBEC

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