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Date : 20060503

Dossiers : A-352-05

A-353-05

Référence : 2006 CAF 161

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

ASSURANCE-VIE BANQUE NATIONALE,

COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 1er mai 2006.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 3 mai 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER


Date : 20060503

Dossiers : A-352-05

A-353-05

Référence : 2006 CAF 161

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

ASSURANCE-VIE BANQUE NATIONALE,

COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Il s'agit de deux appels réunis en un seul pour fins procédurales et d'audition. Ils furent logés à l'encontre d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt relative à l'interprétation de dispositions se rapportant à la taxe sur les produits et services. Plus précisément, les dispositions en litige sont les articles 1 et 2 de la Partie IX de l'annexe VI de la Loisur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (Loi). Je reproduis également l'article 3 de cette annexe puisqu'il aide à la compréhension du litige. Ces dispositions se lisent ainsi :

PARTIE IX

SERVICES FINANCIERS

1. La fourniture d'un service financier, à l'exception d'une fourniture figurant à l'article 2, effectuée par une institution financière au profit d'une personne non résidante, sauf s'il est lié à ce qui suit :

PART IX

FINANCIAL SERVICES

1. A supply of a financial service (other than a supply that is included in section 2) made by a financial institution to a non-resident person, except where the service relates to

a) une dette qui découle :

(i) soit du dépôt de fonds au Canada, si l'effet faisant foi du dépôt est négociable,

(ii) soit du prêt d'argent à utiliser principalement au Canada;

(a) a debt that arises from

(i) the deposit of funds in Canada, where the instrument issued as evidence of the deposit is a negotiable instrument, or

(ii) the lending of money that is primarily for use in Canada;

b) une dette pour tout ou partie de la contrepartie de la fourniture d'un immeuble situé au Canada;

(b) a debt for all or part of the consideration for a supply of real property that is situated in Canada;

c) une dette pour tout ou partie de la contrepartie de la fourniture d'un bien meuble à utiliser principalement au Canada;

(c) a debt for all or part of the consideration for a supply of personal property that is for use primarily in Canada;

d) une dette pour tout ou partie de la contrepartie de la fourniture d'un service à exécuter principalement au Canada;

(d) a debt for all or part of the consideration for a supply of a service that is to be performed primarily in Canada; or

e) un effet financier, sauf une police d'assurance ou un métal précieux, acquis, autrement que directement d'un émetteur non-résident, par l'institution financière agissant à titre de mandant.

(e) a financial instrument (other than an insurance policy or a precious metal) acquired, otherwise than directly from a non-resident issuer, by the financial institution acting as a principal.

2. La fourniture par une institution financière d'un service financier lié à une police d'assurance établie par l'institution, à l'exception d'un service lié aux placements de l'institution, dans la mesure où :

2. Asupply made by a financial institution of a financial service that relates to an insurance policy issued by the institution (other than a service that relates to investments made by the institution), to the extent that

a) s'agissant d'une police d'assurance-vie, d'assurance-accident ou d'assurance-maladie (sauf une police collective), la police est établie au titre d'un particulier qui, au moment de l'entrée en vigueur de la police, est un particulier non résidant;

(a) where the policy is a life or accident and sickness insurance policy (other than a group policy), it is issued in respect of an individual who at the time the policy becomes effective, is a non-resident individual;

b) s'agissant d'une police collective d'assurance-vie, d'assurance-accident ou d'assurance-maladie, la police concerne des particuliers non résidants qui sont assurés aux termes de la police;

(b) where the policy is a group life or accident and sickness insurance policy, it relates to non-resident individuals who are insured under the policy;

c) s'agissant d'une police visant un immeuble, la police concerne un immeuble situé à l'étranger;

(c) where the policy is a policy in respect of real property, it relates to property situated outside Canada; and

d) s'agissant d'un autre type de police, la police concerne des risques qui sont habituellement situés à l'étranger.

(d) where the policy is a policy of any other kind, it relates to risks that are ordinarily situated outside Canada.

3. La fourniture d'un service financier qui consiste en la fourniture de métaux précieux par le raffineur ou par la personne pour le compte de laquelle les métaux ont été raffinés.

[Je souligne.]

3. A supply of a financial service that is the supply of precious metals where the supply is made by the refiner thereof or by the person on whose behalf the precious metals were refined.

[2]                Il s'agit en l'occurrence de déterminer si les services financiers fournis par l'appelante à Natcan Insurance Company Inc. ( « Natcan » ) constituent une fourniture de services exonérée ou une fourniture de services détaxée. Je le précise, Natcan est une compagnie non résidante du Canada qui oeuvre dans le domaine de la réassurance et auprès de laquelle l'appelante réassure pour partie les risques qu'elle assume à l'égard de clients qui contractent un emprunt hypothécaire. Les services en litige sont des services administratifs que l'appelante rend à Natcan et pour lesquels elle réclame des crédits de taxe sur les intrants ( « CTI » ).

[3]                Il est admis de part et d'autre que les services rendus sont des services financiers au sens de la Loi, que l'appelante est une institution financière et que ces services sont au profit d'une personne non résidante. L'appelante soumet donc qu'elle rencontre les critères de l'article 1 de la Partie IX de l'annexe VI et, qu'en conséquence, les services fournis sont des fournitures de services détaxées lui donnant droit aux CTI.

[4]                La Cour canadienne de l'impôt a fait preuve de modération en disant au paragraphe 33 de sa décision que la rédaction des textes législatifs en litige n'est pas limpide. L'article 1 de la Partie IX de l'annexe VI décrit le service financier auquel la disposition s'applique mais y apporte dès le départ une première exception, soit les services prévus à l'article 2. Il contient ensuite une autre série d'exceptions, dont l'alinéa 1e) qui, lui-même, contient une exception à l'exception de l'alinéa 1e). Où et comment trouver le fil d'Ariane pour sortir de ce qui, au plan de l'interprétation, est un véritable labyrinthe?

[5]                L'appelante soumet que l'article 1 établit comme principe que tous les services financiers fournis par une institution financière au profit d'une personne non résidante sont une fourniture détaxée, à l'exception de ceux prévus à l'article 2 et de ceux qui sont expressément énumérés dans les alinéas a) à e) de l'article 1. Donc, selon l'appelante, la fourniture de services financiers liés à une police d'assurance, à l'exception de ceux prévus à l'article 2 qui sont aussi liés à une police d'assurance, est une fourniture détaxée.

[6]                La difficulté que soulève la position adoptée par l'appelante est double. Premièrement, l'appelante reconnaît que les services financiers énumérés à l'article 2 sont, selon l'interprétation qu'elle donne à l'article 1, des services déjà couverts par cet article 1 et, en conséquence, sont une fourniture de services détaxée sous l'article 1. Alors pourquoi le législateur exclurait-il de l'article 1 cette fourniture pour en faire une fourniture de services détaxée sous l'article 2 si elle est déjà sous l'article 1 une fourniture de services détaxée?

[7]                Deuxièmement, la position de l'appelante a pour effet de rendre l'article 2 inutile et de le vider entièrement de son contenu. En l'édictant, le législateur qui n'est jamais censé parler pour ne rien dire aurait, de fait, parlé pour ne rien dire puisque la fourniture des services de l'article 2 serait déjà couverte par l'article 1.

[8]                La seule façon de comprendre l'article 1 et de lui donner un sens cohérent, compatible avec les principes de taxation, de détaxation et d'exonération prévus par la Loi, c'est de voir et de reconnaître à l'article 1, dans l'exception d'une fourniture de services figurant à l'article 2, l'intention du législateur de traiter à l'article 2, d'une manière spécifique et limitative, des services financiers liés à une police d'assurance. En d'autres termes, l'article 2 est une disposition particulière et spécifique applicable aux services financiers liés à une police d'assurance. À cet article 2, le législateur a défini les conditions pour que la fourniture de tels services soit détaxée et seule la fourniture de services qui rencontre ces conditions l'est. Les autres fournitures de services financiers liés à des polices d'assurance sont, par le jeu de la Partie VII de l'annexe V intitulée « services financiers » , des fournitures exonérées.

[9]                Un des principes fondamentaux de l'interprétation législative veut qu'une loi ou une disposition d'une loi qui traite d'une matière d'une façon spécifique doit avoir préséance et l'emporter sur une loi ou une disposition à caractère général traitant de la même matière. Le principe tire son origine de la maxime latine generalia specialibus non derogant. La professeure Sullivan dans son volume intitulé Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e édition, Toronto, Butterworths, 2002, à la page 273, s'exprime ainsi à propos de ce principe d'interprétation :

When two provisions are in conflict and one of them deals specifically with the matter in question while the other is of more general application, the conflict may be avoided by applying the specific provision to the exclusion of the more general one. The specific prevails over the general; it does not matter which was enacted first.

[10]            « Il est bien établi » , dit le juge Gonthier dans l'affaire Vidéotron Ltée c. Industries Microlec, [1992] 2 R.C.S. 1065, à la page 1080, « que les règles générales cèdent le pas aux règles spécifiques » . En l'espèce, l'article 2 l'emporte sur l'article 1 et le traitement fiscal des services financiers reliés à une police d'assurance est régi par l'article 2.

[11]            Cette interprétation de l'article 2 prend aussi appui sur l'article 3 de la Partie IX de l'annexe VI qui traite de la fourniture de services financiers qui consistent en la fourniture de métaux précieux. Encore là, le législateur a adopté une disposition spécifique sur la question et seules les fournitures qui rencontrent les critères de cette disposition sont des fournitures détaxées.

[12]            Enfin l'alinéa 1e) de l'article 1, à mon humble avis, renforce l'interprétation à laquelle j'en suis venu de l'article 2.

[13]            On se rappellera que l'alinéa 1e) exclut de la fourniture d'un service financier de l'article 1 un effet financier, sauf une police d'assurance ou un métal précieux. Or le terme « effet financier » est défini largement à l'article 123 de la Loi comme signifiant, entre autres choses, un titre de créance, un titre de participation, une participation dans une société de personnes ou une fiducie, une police d'assurance, un métal précieux, etc. (je souligne). Il fallait donc exclure, à l'alinéa 1e), la police d'assurance et le métal précieux de la définition d'effet financier puisque le législateur en traitait spécifiquement dans les articles 2 et 3. Sinon, l'alinéa 1e), à cause de la définition d'effet financier, aurait fait en sorte qu'un service financier lié à une police d'assurance ou un métal précieux n'aurait pu être une fourniture détaxée, créant de ce fait une contradiction avec les articles 2 et 3 qui expressément et spécifiquement prévoient celles qui peuvent être détaxées et les conditions pour que le principe de la détaxe s'applique.

[14]            Je note au passage que le texte anglais des articles 1 et 2 utilise l'expression « other than » pour soustraire de leur champ d'application certains services financiers. Cette expression, il me semble, évoque mieux l'effet recherché que l'emploi, correct en français, des mots « à l'exception de » , ici utilisés dans le sens de « à l'exclusion de » .

[15]            La Cour canadienne de l'impôt a eu raison de conclure que la fourniture de services financiers en cause était au sens de la Loi une fourniture exonérée ne donnant pas droit à des CTI.

[16]            Pour ces motifs, je rejetterais les appels avec un seul jeu de dépens, mais avec droit aux débours dans chacun des dossiers.

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

« Je suis d'accord. »

« Robert Décary, j.c.a. »

« Je suis d'accord. »

« J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                                           A-352-05, A-353-05

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA JUGE LUCIELAMARRE DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT DU 7 JUILLET 2005, NODU DOSSIER 2002-4863(GST)G.

INTITULÉ :                                                                            ASSURANCE-VIE BANQUE NATIONALE, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE c. SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 1er mai 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE DÉCARY

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 3 mai 2006

COMPARUTIONS :

Me Richard Généreux

POUR L'APPELANTE

Me Gérald Danis

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Généreux Côté, avocats

Drummondville (Québec)

POUR L'APPELANTE

Veillette, Larivière

Montréal (Québec)

POUR L'INTIMÉE

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