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Date : 20181210


Dossier : 18-A-38

Référence : 2018 CAF 224

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

DR. V.I. FABRIKANT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2018.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20181210


Dossier : 18-A-38

Référence : 2018 CAF 224

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

DR. V.I. FABRIKANT

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

A.  Introduction

[1]  Par suite de ses motifs dans la décision Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 206 (Fabrikant no 2), et après avoir examiné les observations écrites sur la question, la Cour conclut à l’opportunité d’une ordonnance de contrôle supplémentaire qui clarifiera et définira les circonstances dans lesquelles Dr. Fabrikant peut ester en justice devant la Cour. Suivent les motifs justifiant une telle ordonnance.

B.  Contexte

[2]  L’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, habilite la Cour fédérale et la Cour à déclarer qu’une personne a agi de façon vexatoire. Il est ainsi libellé :

40. (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40. (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l’affaire, demander soit la levée de l’interdiction qui la frappe, soit l’autorisation d’engager ou de continuer une instance devant le tribunal.

(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l’affaire peut, s’il est convaincu que l’instance que l’on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.

(5) La décision du tribunal rendue aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel.

(5) A decision of the court under subsection (4) is final and is not subject to appeal.

[3]  Il y a longtemps, le procureur général a demandé que Dr. Fabrikant soit déclaré plaideur quérulent par la Cour fédérale, mais non par notre Cour. Le 1er novembre 1999, la Cour fédérale a accueilli la requête et fait la déclaration.

[4]  Par suite de la déclaration par la Cour fédérale, depuis plus de 19 ans, Dr. Fabrikant n’est pas en mesure d’agir devant la Cour fédérale, à moins que celle-ci ne donne son autorisation en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales. De plus, il n’a pas le droit d’interjeter appel à la Cour du refus d’autorisation, en vertu du paragraphe 40(5) de la Loi sur les Cours fédérales. Hormis l’interdiction prévue au paragraphe 40(5), Dr. Fabrikant a toute latitude pour se pourvoir devant notre Cour.

[5]  Dr. Fabrikant tente souvent d’ester en justice devant la Cour fédérale. Il présente habituellement une requête en vue d’être dispensé des droits de dépôt applicables à son avis de demande de contrôle judiciaire. La Cour fédérale tranche ces requêtes, habituellement par un rejet, ce qui amène Dr. Fabrikant à interjeter appel de ces rejets devant notre Cour. Ces appels ne sont pas interdits par le paragraphe 40(5) de la Loi sur les Cours fédérales.

[6]  Au total, au cours des six dernières années, onze dossiers distincts ont été ouverts à la Cour à la demande de Dr. Fabrikant, mais ce n’est pas tout. Lorsque Dr. Fabrikant présente un avis d’appel à la Cour, cet avis est généralement accompagné d’une requête en dispense des droits de dépôt. En pareil cas, le greffe a pour pratique de ne pas ouvrir de dossier. Si la requête est rejetée, ce qui est habituellement le cas, l’affaire est close. La requête, les observations écrites sur la requête, l’examen par la Cour et le rejet ne sont pas comptés dans les statistiques.

[7]  Vu les nombreuses instances engagées par Dr. Fabrikant, signe d’une conduite vexatoire devant la Cour, et le fait qu’il a été déclaré plaideur quérulent par la Cour fédérale, la Cour a conclu que les Cours fédérales devaient vérifier rapidement tout acte de procédure déposé par lui pour veiller à ce qu’il agisse à bon droit (Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171 (Fabrikant no 1)).

[8]  Plus précisément, dans l’arrêt Fabrikant no 1, notre Cour statue que, lorsque Dr. Fabrikant présente une requête à la Cour fédérale en dispense des droits de dépôt applicables à une demande de contrôle judiciaire, cette cour ne devrait pas se contenter de trancher la requête. Elle devrait d’abord examiner la demande au fond ou décider s’il y a lieu d’autoriser l’instance. Si la demande n’est pas fondée ou s’il n’y a pas lieu d’accorder l’autorisation, la Cour fédérale devrait rejeter la requête : « [t]out recours frappé de nullité est effectivement nul, et doit être interrompu sur-le-champ » (Fabrikant no 1, par. 6). Suivant l’arrêt Fabrikant no 1, notre Cour devrait suivre la même démarche lorsque Dr. Fabrikant présente une requête en dispense des droits de dépôt applicables à l’avis d’appel.

[9]  L’arrêt Fabrikant no 2 concerne un avis d’appel portant sur deux jugements de la Cour fédérale et une requête connexe en dispense des droits de dépôt. Suivant les directives énoncées dans l’arrêt Fabrikant no 1, la Cour a d’abord examiné les appels au fond. Elle a signalé qu’ils attaquaient le refus par la Cour fédérale d’autoriser une instance, ce que les paragraphes 40(3) et 40(4) de la Loi sur les Cours fédérales habilitent cette cour à faire. L’interdiction prévue au paragraphe 40(5) s’appliquait donc aux appels. La Cour a ainsi, sur-le-champ, rejeté la requête et a interdit à Dr. Fabrikant d’interjeter à nouveau appel des deux jugements de la Cour fédérale.

[10]  De plus, dans l’arrêt Fabrikant no 2, la Cour a avisé les parties qu’elle envisageait une autre ordonnance de contrôle. Elle en a présenté une ébauche (au paragraphe 23) et a fourni des motifs la justifiant. Elle a invité les parties à présenter des observations écrites sur l’opportunité d’une telle ordonnance et, le cas échéant, sur son libellé.

[11]  Dr. Fabrikant et le procureur général ont déposé leurs observations écrites. Dr. Fabrikant a déposé une réplique écrite aux observations écrites du procureur général. La Cour les a prises en considération.

C.  Analyse

 (a)  Question préliminaire

[12]  Dans ses observations écrites, Dr. Fabrikant demande que je me récuse au motif que je souffre d’une [traduction] « incapacité intellectuelle » et d’un « manque de véritables qualités morales ». Il prétend également que j’ai un parti pris contre lui.

[13]  Si on les interprète correctement, les accusations de Dr. Fabrikant d’incapacité et de déficience morale à mon égard ne sont rien d’autre que l’expression vigoureuse de son opposition à mes motifs dans les arrêts Fabrikant no 1 et Fabrikant no 2. Par considération pour ses intérêts en tant que plaideur non représenté, je lui rappelle qu’il peut exprimer son désaccord en demandant à la Cour suprême l’autorisation d’interjeter appel (Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, par. 40(1) et alinéa 58(1)a)).

[14]  Je dois me récuser si je suis réellement partial ou s’il y a apparence de partialité. Le critère de la partialité consiste à déterminer si une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur conclurait que, selon toute vraisemblance, consciemment ou non, je ne rendrai pas une décision juste (Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394). Il n’est pas satisfait à ce critère en l’espèce.

[15]  Pour ce qui est de la partialité réelle, je confirme avoir abordé l’affaire avec un esprit ouvert. J’ai toujours été d’avis que toutes les questions que Dr. Fabrikant soumet à la Cour et que toutes ses observations méritent un examen distinct, impartial et équitable. Je reconnais que, si une question qu’il soulève peut ne pas être fondée, l’autre peut l’être. Comme il le sait, j’ai déjà tranché une instance en sa faveur. Pour tout plaideur, l’issue de l’affaire dépend des faits et du droit, rien de plus. De plus, en demandant dans l’arrêt Fabrikant n2 des observations écrites et en ayant soin d’en définir les paramètres, j’estime que toute personne raisonnable et bien renseignée serait amenée à conclure que je suis ouvert d’esprit. Je peux assurer à Dr. Fabrikant que je n’ai jamais eu de mauvaise volonté envers lui, ni d’hostilité découlant des questions qu’il a soulevées ou des observations qu’il a faites, y compris ses observations écrites en l’espèce.

[16]  Quant à l’apparence de partialité, le gros de mes remarques au paragraphe précédent est pertinent ici. En outre, mes motifs dans les arrêts Fabrikant no 1 et Fabrikant no 2, dans les autres instances intentées par Dr. Fabrikant et dans la présente affaire – des motifs détaillés et complets, étayés par la recherche et des sources – démontreraient à la personne raisonnable et bien renseignée que je suis déterminé à agir de façon judiciaire, impartiale et juste, selon le cas, en examinant la preuve uniquement en fonction de principes juridiques acceptés.

 (b)  Le bien-fondé

[17]  Le principal objectif de l’ordonnance de contrôle supplémentaire est énoncé dans l’arrêt Fabrikant no 2. En termes positifs, elle clarifie et définit les circonstances dans lesquelles Dr. Fabrikant peut ester en justice sans en être empêché par le paragraphe 40(5). En termes négatifs, elle interdit à Dr. Fabrikant de s’adresser à la Cour dans les cas où le paragraphe 40(5) s’applique. Elle ne restreint pas la capacité de Dr. Fabrikant d’ester en justice à bon droit; elle clarifie et définit plutôt ce droit, rien de plus.

[18]  Le plaideur qui souhaite se pourvoir devant la Cour uniquement dans des circonstances permises par la loi accueillerait favorablement l’ordonnance de contrôle supplémentaire de même que la clarification et la définition utiles de ces circonstances. Or, Dr. Fabrikant exprime une hostilité étonnante à l’idée même d’une autre ordonnance. Sa réaction remet en question sa compréhension, ses motivations ou ses intentions à l’égard de la possibilité d’agir devant notre Cour. Il semble que l’effet contraignant et obligatoire d’une telle ordonnance est nécessaire.

[19]  Dr. Fabrikant prétend qu’en rendant l’ordonnance de contrôle supplémentaire, la Cour ferait fi de toutes les décisions qu’elle a rendues sur des questions qu’il a soulevées, malgré l’existence de l’interdiction prévue au paragraphe 40(5). Plus précisément, il laisse entendre que l’arrêt Fabrikant no 2, où la Cour invoque cette interdiction, est contraire à l’arrêt Fabrikant no 1, où elle ne l’invoque pas. Dr. Fabrikant laisse entendre que la Cour aurait dû mentionner l’interdiction dans l’arrêt Fabrikant no 1.

[20]  Certes, la Cour s’est parfois penchée sur les affaires de Dr. Fabrikant en dépit de l’interdiction prévue au paragraphe 40(5). Il demeure que la Cour est liée par les lois et doit les appliquer. S’il est arrivé à la Cour de négliger à tort cette interdiction, l’ordonnance de contrôle supplémentaire fera en sorte que cela ne se reproduise plus jamais.

[21]  Dans certaines circonstances inhabituelles, il arrive parfois que l’interdiction prévue au paragraphe 40(5) ne soit pas respectée. Les nombreuses instances intentées par Dr. Fabrikant ont été confiées à différents juges, dont plusieurs ignorent ce que font leurs confrères. La situation unique en son genre a de quoi donner du fil à retordre à plus d’un : un plaideur déclaré quérulent par la Cour fédérale il y a dix-neuf ans, mais qui a joui devant notre Cour de toute latitude pour agir en justice. De même, le procureur général, inondé d’affaires et représenté par divers substituts au cours des dix-neuf dernières années, aide la Cour en préparant parfois des observations en réponse. Au mieux, ces observations ne nous révèlent qu’une infime partie de l’historique des litiges de Dr. Fabrikant. Ces circonstances inhabituelles font ressortir la nécessité d’une ordonnance de contrôle supplémentaire.

[22]  En outre, Dr. Fabrikant fait remarquer que, dans la décision Fabrikant no 2, la Cour a observé qu’il présentait certaines caractéristiques vexatoires. Dr. Fabrikant se plaint que la Cour n’a pas fourni d’exemples de ses caractéristiques vexatoires.

[23]  Il y a parfois de bonnes raisons de ne pas donner d’exemples (Canada c. Olumide, 2017 CAF 42, [2018] 2 R.C.F. 328, par. 39 (dans le contexte des plaideurs quérulents, néanmoins d’application générale à tous les plaideurs)). Il n’est pas non plus nécessaire pour la Cour de donner des exemples. Les motifs doivent être lus à la lumière du dossier et il n’est pas nécessaire qu’ils soient encyclopédiques sur tous les points (R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, par. 35 et 55; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, par. 66 à 69). Cependant, il pourrait être utile pour Dr. Fabrikant de relire les observations écrites qu’il a présentées dans le cadre de diverses instances, y compris la présente, à la lumière de l’analyse de la conduite vexatoire qui figure dans l’arrêt Olumide.

[24]  Dr. Fabrikant attaque les observations de la Cour dans les arrêts Fabrikant no 2 et Olumide, selon lesquelles les tribunaux doivent soumettre certains plaideurs à un contrôle afin de préserver les maigres ressources dont d’autres ont besoin. Il nie par ailleurs que nous avons un problème de ressources.

[25]  Il y a bel et bien un problème de ressources, même dans les meilleures circonstances (Olumide, par. 17 à 21), dans lesquelles nous ne sommes pas. L’effectif juridique de la Cour n’a pas suivi la croissance démographique du Canada. Des affaires plus complexes et tentaculaires que jamais se disputent un rôle déjà chargé et laborieux. La Cour a adopté une approche proactive de la gestion des instances fondée sur deux principes : mettre fin aux affaires inutiles et non fondées le plus tôt possible — ou mieux, empêcher qu’elles se forment — et simplifier les autres dans la mesure du possible. Malgré cela, la question des ressources demeure pressante, ce qui nuit à l’accès rapide à la justice pour les justiciables.

[26]  L’ordonnance de contrôle supplémentaire s’accorde bien avec les outils récemment innovés ou réinventés que nous avons récemment consacrées à la gestion proactive des litiges (Olumide et Olumide c. Canada, 2016 CAF 287 (clarification et simplification de la procédure pour faire déclarer un plaideur quérulent); JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 (possibilité de rejeter sommairement les demandes qui ne sont pas présentées à bon droit ou qui sont vouées à l’échec); Mazhero c. Fox, 2014 CAF 219 (interdiction de certains comportements; limite des actes de procédure; pouvoirs accrus du greffe pour rejeter des actes; possibilité de rejeter sommairement des requêtes); Mazhero c. Fox, 2014 CAF 226 (interdiction de présenter certains actes; possibilité d’évoquer la menace d’un rejet sommaire de l’acte de procédure en cas de désobéissance); UHA Research Society c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 134 (restriction de la possibilité de demander l’ajournement); Mary David et al. c. Sa Majesté la Reine (directive datée du 20 septembre 2018 dans le dossier no 18-A-27) (limite des communications et demandes faites au greffe); Fabrikant no 1, (rejet des requêtes et fermeture du dossier lorsque la question de fond est entachée d’un vice fatal); Rock-St Laurent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192, (incitation à recourir plus souvent à l’article 74 des Règles pour réduire le nombre d’instances non fondées); Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, [2016] 4 R.C.F. 268 (limite à faire revivre une instance après un désistement); Lee c. Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228 et Forner c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2016 CAF 35 (demande visant à obtenir des observations sur l’annulation d’une instance non fondée dès le dépôt de l’acte introductif); Coote c. Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143 (suspension de l’instance jusqu’à la décision sur une demande de déclaration de plaideur quérulent; réunion d’instances de la propre initiative de la Cour); Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 116 et Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174, (simplification de la procédure dans des litiges énormes opposant de multiples parties).

[27]  L’ordonnance de contrôle supplémentaire s’apparente à bon nombre de ces solutions indispensables. Il est à la fois opportun et équitable d’y avoir recours dans les circonstances.

[28]  Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je ne me suis pas contenté d’examiner les préoccupations soulevées par Dr. Fabrikant dans ses observations écrites. En particulier, j’ai considéré la portée de l’ordonnance que je propose au paragraphe 23 de l’arrêt Fabrikant no 2. À mon avis, elle est trop générale. Elle doit ne viser que les instances engagées par Dr. Fabrikant; elle ne saurait entraver la capacité de ce dernier de répondre à celles intentées par autrui.

[29]  La semaine dernière, après la publication de la décision Fabrikant no 2, et dix-neuf ans après que la Cour fédérale eut déclaré Dr. Fabrikant plaideur quérulent, le procureur général a déposé une demande à cet effet devant notre Cour. Le procureur général demande donc à la Cour de suspendre la procédure et de ne pas rendre l’ordonnance. À son avis, la Cour devrait attendre que le dossier de la demande soit complet avant de rendre sa décision sur la demande. Dans sa réplique, Dr. Fabrikant convient que la Cour devrait mettre l’affaire en suspens.

[30]  Certes, l’accord des parties compte, mais il n’est pas contraignant. La Cour existe pour servir les intérêts de tous les plaideurs, présents et futurs, et du grand public, et non simplement pour accéder aux préférences des parties à une affaire. Elle doit gérer ses ressources et tout litige dont elle est saisie dans l’intérêt public conformément aux impératifs de l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, aux objectifs de la Loi sur les Cours fédérales et aux principes constitutionnels qui sous-tendent et garantissent une magistrature indépendante et efficace.

[31]  Le procureur général a peut-être adopté cette position parce qu’il présume que la Cour déclarera bientôt Dr. Fabrikant plaideur quérulent. Après tout, dans l’arrêt Fabrikant no 2, la Cour fait observer que Dr. Fabrikant présente des caractéristiques de ce type de plaideur.

[32]  Si c’est le cas, le procureur général va vite en besogne. Les plaideurs qui présentent des caractéristiques de ce genre ne sont pas toujours déclarés quérulents. Tout dépend des circonstances. Un plaideur est déclaré quérulent seulement si la preuve satisfait à un critère juridique strict (voir, par exemple, Olumide). Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je dois considérer ce qui est nécessaire et équitable maintenant; je ne saurais tenir compte de conjectures quant à l’issue de la demande visant à faire déclarer le plaideur quérulent.

[33]  Même si on disait, pour les besoins de la cause, que la déclaration de plaideur quérulent est assurée, le procureur général fait fi des différences entre l’ordonnance et une déclaration de plaideur quérulent. La première soumet Dr. Fabrikant à un contrôle différent de celui qui découle de la seconde. La dernière ne remplace pas la première; leur effet est cumulatif.

[34]  Mais là n’est pas notre propos. L’ordonnance de contrôle supplémentaire ne fait que clarifier et définir les circonstances dans lesquelles Dr. Fabrikant peut maintenant agir devant nous à bon droit. Elle protège les ressources de la Cour maintenant. Elle est nécessaire maintenant. La Cour devrait donc rendre l’ordonnance de contrôle supplémentaire sur-le-champ.

D.  Dispositif

[35]  L’ordonnance de contrôle subséquente sera rendue. Elle reprendra essentiellement le libellé énoncé au paragraphe 23 de la décision Fabrikant no 2, avec les modifications nécessaires pour donner effet à certaines de mes observations susmentionnées et au cas où la déclaration de plaideur quérulent présentée par le procureur général est accordée.

[36]  Pour orienter l’évolution de la jurisprudence dans ce domaine épineux du droit et pour guider la Cour et les parties dans des situations semblables, je reproduis à l’annexe A des présents motifs l’ordonnance de contrôle supplémentaire qui sera rendue.

[37]  Il serait préférable à mon avis qu’un autre juge de la Cour entende la demande du procureur général visant à faire déclarer Dr. Fabrikant plaideur quérulent et toute question interlocutoire qui en découle. Ce juge déterminera si la couche supplémentaire de contrôle fournie par une telle déclaration est nécessaire et opportune en fonction des faits et du droit.

« David Stratas »

j.c.a.


ANNEXE « A »

ATTENDU QUE Dr. Fabrikant a été déclaré plaideur quérulent par la Cour fédérale le 1er novembre 1999, et non par notre Cour;

ET ATTENDU QUE la Cour est habilitée au besoin à surveiller de près le plaideur déclaré quérulent par une autre juridiction lorsqu’il se présente devant la Cour (Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171, par 3, 13 et 14);

ET ATTENDU QUE les circonstances en l’espèce le justifient;

ET ATTENDU QUE le paragraphe 40(5) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, empêche Dr. Fabrikant, déclaré plaideur quérulent par la Cour fédérale, d’interjeter appel à l’encontre des ordonnances rendues par la Cour fédérale lui refusant l’autorisation d’intenter des instances devant elle; il a pourtant cherché à maintes reprises à interjeter appel de telles ordonnances devant notre Cour;

ET ATTENDU QU’aux termes du paragraphe 40(5) de la Loi sur les Cours fédérales et qu’en raison de la déclaration de plaideur quérulent prononcée à son égard par la Cour fédérale, Dr. Fabrikant ne peut agir en notre Cour que dans trois situations :

  • (a) à titre d’appelant à l’encontre d’une décision ou d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales après avoir obtenu d’elle l’autorisation d’intenter l’instance devant elle; il est entendu qu’il ne peut s’agir d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale rejetant une requête dont elle est saisie avant qu’elle accorde à Dr. Fabrikant l’autorisation d’engager l’instance devant elle;

  • (b) à titre d’appelant à l’encontre d’une décision ou d’une ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt suivant les paragraphes 27(1) et (1.1) de la Loi sur les Cours fédérales;

  • (c) à titre de demandeur à l’égard du contrôle judiciaire d’une décision administrative d’un office énuméré à l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales;

ET ATTENDU QUE, dans la présente ordonnance, chacune de ces trois situations est considérée comme une « affaire admissible »;

ET ATTENDU QUE Dr. Fabrikant, comme tous les plaideurs n’ayant pas été déclarés plaideurs quérulents par notre Cour, a toute latitude pour s’adresser à la Cour concernant toute affaire admissible;

ET ATTENDU QUE Dr. Fabrikant ne peut s’adresser à la Cour concernant une affaire autre qu’une affaire admissible;

ET ATTENDU QUE, dans le cadre d’un appel interjeté ou d’une demande présentée à la Cour par un tiers et nommant Dr. Fabrikant à titre de défendeur ou intimé, Dr. Fabrikant a toute latitude pour répondre devant la Cour; la présente ordonnance ne s’applique pas à pareille situation;

ET ATTENDU QUE le greffe a le droit d’examiner la forme des documents présentés aux fins de dépôt et de décider s’ils sont conformes à la Loi sur les Cours fédérales, aux Règles des Cours fédérales et aux ordonnances de la Cour;

ET ATTENDU QUE, dans des circonstances normales, une partie a le droit, en vertu de l’article 72 des Règles, de demander à un juge de la Cour d’accepter ou de refuser un document pour dépôt; toutefois, en l’espèce, des circonstances spéciales au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’article 55 justifient la restriction de ce droit;

ET ATTENDU QUE la Cour peut rendre la présente ordonnance en vertu de ses pleins pouvoirs, qu’elle est également autorisée à rendre la présente ordonnance en vertu des Règles des Cours fédérales, dont les articles 53 et 55, qui lui permettent de modifier ou d’annuler l’application de l’une ou l’autre des règles (se reporter à l’analyse dans l’arrêt Fabrikant, au par. 3 ainsi qu’à la jurisprudence qui y est citée);

ET ATTENDU QUE des motifs supplémentaires étayant la présente ordonnance sont énoncés dans les arrêts Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171, Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 206, et Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 224;

ET ATTENDU QUE le procureur général a demandé à la Cour de déclarer Dr. Fabrikant plaideur quérulent; une telle déclaration, si elle était accordée, ne devrait pas supplanter le contrôle qu’assure la présente ordonnance, mais la présente ordonnance devrait être adaptée à une telle déclaration, si elle est prononcée.

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. Au début de toute nouvelle instance engagée devant la Cour par Dr. Fabrikant, ce dernier doit présenter un acte introductif d’instance au greffe, et ce, même s’il présente une requête en vue d’obtenir une ordonnance préalable à l’acte introductif d’instance, comme une requête en dispense des droits de dépôt de l’acte introductif d’instance;

  2. Dans un tel acte introductif d’instance, Dr. Fabrikant doit indiquer l’ordonnance, le jugement ou la décision faisant l’objet de l’appel, et en donner une description suffisamment détaillée pour que le greffe puisse déterminer s’il s’agit d’une affaire admissible;

  3. Le greffe rejettera le dépôt de l’acte introductif d’instance ainsi que toute requête préliminaire connexe s’il est convaincu que :

  • (a) l’acte introductif d’instance ne précise pas et ne démontre pas qu’il s’agit d’une affaire admissible;

  • (b) l’acte introductif d’instance ne fournit pas suffisamment d’information ou de précision au greffe pour qu’il puisse déterminer s’il s’agit d’une affaire admissible.

  • (c) dans l’éventualité où Dr. Fabrikant est déclaré plaideur quérulent par la Cour, l’acte introductif d’instance n’est pas assorti d’une requête en autorisation d’engager une instance comme le prévoit le paragraphe 40(3) de la Loi sur les Cours fédérales.

Ce n’est qu’en cas de doute que le greffe peut renvoyer l’affaire à un juge pour qu’il rende une décision.

  1. Lorsque le greffe agit en vertu du paragraphe 3 de la présente ordonnance, il retourne l’acte introductif d’instance ainsi que toute requête préliminaire connexe à Dr. Fabrikant et fournit une brève explication écrite fondée sur la présente ordonnance

  2. La présente ordonnance :

  • (a) ne s’applique pas aux instances dans lesquelles Dr. Fabrikant est nommé à titre de défendeur ou d’intimé, c’est-à-dire qu’il répond à un appel ou à une demande émanant d’un tiers;

  • (b) ne modifie pas les autres pouvoirs du greffe, prévus à la Loi sur les Cours fédérales et aux Règles des Cours fédérales, de refuser le dépôt d’actes de procédure;

  (c)  survit à tout jugement ou ordonnance de la Cour déclarant Dr. Fabrikant plaideur quérulent.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

18-A-38

 

INTITULÉ :

DR. V.I. FABRIKANT c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS

LE 10 décembre 2018

 

OBSERVATIONS ÉCRITES

Dr. V.I. Fabrikant

POUR SON PROPRE COMPTE

Joshua Wilner

 

pour l’intImée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

pour l’intimée

 

 

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