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Date : 20020423

Dossier : A-646-00

Référence neutre : 2002 CAF 145

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON    

ENTRE :

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                              demanderesse

et

                                                                DENNIS CARLSON

                                                                                                                                                      défendeur

                                      Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 18 avril 2002.

                          Jugement prononcé oralement à Edmonton (Alberta), le 18 avril 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                               LE JUGE NADON

                                                                                                                                                                       


Date : 20020423

Dossier : A-646-00

Référence neutre : 2002 CAF 145

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                              demanderesse

et

                                                                DENNIS CARLSON

                                                                                                                                                      défendeur

                                              MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                             (Prononcés oralement à Edmonton (Alberta), le 18 avril 2002)

LE JUGE NADON

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une ordonnance datée du 5 septembre 2000, rendue par le juge suppléant Porter de la Cour canadienne de l'impôt (la « CCI » ); ce dernier, à la suite d'une demande de prolongation du délai prévu pour le dépôt d'un avis d'opposition à un avis de cotisation, avait conclu qu'étant donné que l'avis d'opposition avait été déposé dans le délai prévu, il n'était pas nécessaire de statuer sur la demande.


[2]                 Les faits permettant de trancher la présente demande de contrôle judiciaire sont simples et peuvent être résumés comme suit.

[3]                 Le 17 août 1993, en vertu du paragraphe 160(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), Revenu Canada a envoyé par courrier recommandé l'avis de cotisation no 7272 à l'intimé, qui l'a reçu deux jours plus tard.

[4]                 Aux paragraphes 1 à 4 des motifs de son ordonnance, le juge suppléant a énoncé les faits qui ont abouti à l'établissement de la cotisation à l'endroit du défendeur :

[1]           Il s'agit d'une demande présentée à la Cour afin de prolonger le délai dans lequel un avis d'opposition à une cotisation pourrait être présenté au ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu des paragraphes 166.1(1) et (7) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). La demande découle d'un ensemble de circonstances plutôt malheureuses. Le requérant s'est trouvé entraîné dans une situation dont il n'était pas lui-même responsable, si ce n'est qu'il a tentéd'aider le contribuable principal, un certain Avery Broadbent ( « Avery » ), sans attendre de récompense ou d'indemnisation pour lui-même.

[2]           La preuve a révélé qu'en 1992, Avery a demandé l'aide du requérant, qui a accepté. Avery avait de la difficulté à obtenir auprès de la ville d'Edmonton les permis nécessaires pour effectuer des rénovations à un bien locatif dans lequel la petite amie du requérant louait un appartement. Le requérant a accepté en octobre 1992 que le bien soit transféré à son nom de manière à ce qu'il puisse présenter les demandes nécessaires auprès de la ville pour l'obtention des permis, en omettant le nom d'Avery. Aucun montant d'argent n'a changéde mains, et il n'y a pas eu de contrepartie pour le transfert. Le requérant n'était qu'un simple fiduciaire. Bien que des avocats aient participé au transfert, aucun document de fiducie n'a été rédigé. Le transfert indiquait une valeur de 76 000 $, mais le bien était grevé d'une hypothèque; il y avait donc peu ou pas d'intérêt dans le bien au moment du transfert. Avery a continué à percevoir tous les loyers pour son propre compte, et le requérant n'avait rien àvoir avec l'administration des biens, sauf pour ce qui est de présenter la demande de permis àla ville d'Edmonton.

[3]           Avery a connu d'autres difficultés au cours de l'année suivante, se retrouvant en prison à un moment donné pour des activités qui nous sont inconnues. Son comportement préoccupait tellement le requérant qu'à l'été 1994, ce dernier a insistépour lui redonner le titre. En juillet 1994, un avocat engagé par Avery a préparé un transfert du titre au fils d'Avery, un certain Robert Broadbent. Le requérant a signé le transfert; il n'avait pas d'avocat pour le représenter et il n'a reçu aucune contrepartie ni aucun montant d'argent.


[4]            Malheureusement pour le requérant, le 17 août 1993, Revenu Canada lui a signifié un avis de cotisation d'un montant de 43 000 $, où l'on peut lire ceci :

[Traduction]    La présente cotisation est établie en vertu du paragraphe 160(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement au transfert, par Sunwapta Construction Ltd., le 1er septembre 1992 ou vers cette date, d'un bien immobilier situé au 9543-9547, 103e Avenue, Edmonton (Alberta), dont la description légale correspond aux lots 18 et 19, bloc 8, plan D R.L. 12 et 14.

  

[5]             Aux termes du paragraphe 165(1) de la Loi, le défendeur avait jusqu'au 15 novembre 1993 pour signifier au ministre du Revenu national (le « Ministre » ) son avis d'opposition à l'avis de cotisation. Toutefois, le défendeur ne l'a pas fait dans le délai prévu.

[6]             En février 1999, après que des procédures de recouvrement eurent été engagées contre lui, le défendeur a signifié au Ministre un avis d'opposition accompagné d'une demande de prolongation du délai prévu pour la signification de son avis d'opposition. Après avoir dûment pris en considération cet avis d'opposition, le Ministre a rejeté la demande de prolongation du défendeur.

[7]             En conséquence, le 23 avril 1999, l'intimé a demandé à la CCI une ordonnance prolongeant le délai prévu pour présenter son avis d'opposition.


[8]             Le 5 septembre 2000, le juge suppléant a statué qu'étant donné qu'à son avis, l'intimé avait signifié son avis d'opposition « dans les 90 jours de la date à laquelle il a correctement été informé par Revenu Canada du fait qu'il était responsable du paiement et qu'on attendait son paiement » , il n'était pas nécessaire d'accorder la demande de prolongation du délai présentée par le défendeur.

[9]             À notre avis, le juge suppléant a commis une erreur pour les motifs suivants. Aux termes du sous-alinéa 165(1)a)(ii) de la Loi, le contribuable qui s'oppose à une cotisation doit le faire en signifiant au Ministre un avis d'opposition dans les 90 jours suivant la date de mise à la poste de l'avis de cotisation. Si le contribuable ne respecte pas ce délai, il peut s'adresser au Ministre et à la CCI pour obtenir une prolongation de délai.

[10]         Toutefois, aux termes des alinéas 166.1(7)a) et 166.2(5)a) de la Loi, le Ministre et la CCI ne peuvent prolonger le délai prévu pour le dépôt de l'avis d'opposition que si la demande est présentée dans l'année suivant l'expiration du délai prévu pour le dépôt d'un avis d'opposition.

[11]         En l'espèce, la période d'un an suivant l'expiration du délai de 90 jours pendant lequel le défendeur aurait pu signifier son avis d'opposition prenait fin le 15 novembre 1994. C'est donc dire qu'au moment de signifier son avis d'opposition en février 1999, le défendeur n'avait manifestement pas respecté ce délai.


[12]         Pour conclure que le défendeur avait signifié son avis d'opposition dans le délai de 90 jours prévu, le juge suppléant a estimé qu'étant donné que l'intimé n'avait compris le sens et l'importance de l'avis de cotisation no 7272 qu'à la fin de 1998 ou au début de 1999, au moment de ses pourparlers avec Revenu Canada, le délai n'avait commencé à courir qu'à partir de ce moment. En conséquence, de l'avis du juge, l'avis d'opposition signifié le 16 février 1999, l'avait été en temps opportun.

[13]         Ceci étant dit avec égards, cette opinion est manifestement erronée. Comme notre Cour l'a statué à de nombreuses occasions, lorsqu'un contribuable n'est pas en mesure de respecter un délai prévu par la Loi, même à cause d'une défaillance du système postal, ni le ministre ni la CCI ne peuvent lui venir en aide (Voir Schafer c. Sa Majesté la Reine [2000] A.C.F. 1480 (C.A.F.); Le Procureur général du Canada c. John F. Bowen [1992] 1 C.F. 311 (C.A.F.)). Par conséquent, si une défaillance du système postal ne peut secourir un contribuable, il ne sera pas sauvé parce qu'il n'a pas saisi le sens d'un avis de cotisation qui lui a été signifié.

[14]         Vu qu'il n'est pas contesté que l'avis de cotisation no 7272 a été envoyé par courrier recommandé au défendeur le 17 août 1993, et que ce dernier l'a reçu quelques jours plus tard, son avis d'opposition a manifestement été signifié hors délai. Étant donné que le défendeur n'a pas présenté de demande de prolongation de délai avant la fin de novembre 1994, ni le Ministre ni le juge suppléant de la CCI ne pouvaient lui accorder la prolongation qu'il sollicitait.


[15]         À l'appui de son opinion selon laquelle l'avis d'opposition du défendeur avait été signifié dans le délai prévu, le juge suppléant s'est aussi fondé sur la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert en common law. Selon cette règle, qui a été entièrement élaborée dans le domaine des délits, un délai ne commence à courir que lorsque la personne en cause a pris pleinement et clairement conscience de ses droits. Cette règle vise à corriger les cas d'apparence d'injustice où des demandeurs éventuels, qui n'ont commis aucune faute, ne sont pas au courant d'un tort qui leur a été causé et du préjudice qui en résulte, avant l'expiration du délai de prescription prévu pour engager une procédure judiciaire.

[16]         Comme il est évident, d'après les faits en l'espèce, que le défendeur n'a été ni diligent ni raisonnable dans la façon de se comporter après la signification de l'avis de cotisation, la règle, en tout état de cause, ne s'applique pas (voir K.M. c. H.M., [1992] 3 R.C.S. 6).

[17]         Nous estimons donc que le juge suppléant a commis une erreur, dans les circonstances en l'espèce, en se fondant sur cette règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert. Quant à savoir si cette règle s'applique à des cas tombant sous le coup de la Loi, question au sujet de laquelle nous entretenons de sérieux doutes, il ne nous est pas nécessaire d'y répondre aujourd'hui.

[18]         L'avocat du défendeur soutient que nous devrions décider, ou ordonner à la CCI de décider, que le défendeur ne peut faire l'objet d'une cotisation qu'en sa qualité de fiduciaire pour Avery Broadbent, et que seuls les éléments d'actif de la fiducie sont exigibles. Nous estimons ne pas avoir compétence pour rendre une telle ordonnance.


[19]         Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie. La décision du juge suppléant Porter datée du 5 septembre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à la CCI pour qu'une nouvelle décision soit rendue, en tenant compte du fait que la demande du défendeur en vue d'obtenir une prolongation du délai prévu pour signifier son avis d'opposition à l'avis de cotisation no 7272, daté du 17 août 1993, est rejetée pour absence de compétence permettant d'accorder la mesure de redressement sollicitée.

                                                                                         « Marc Nadon »        

                                                                                                             Juge             

   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION D'APPEL

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                            A-646-00

INTITULÉ :                                           Sa Majesté la Reine c. Dennis Carlson

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 18 avril 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :             MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                        le 23 avril 2002

   

COMPARUTIONS :

Kathleen Lyons                                                                 POUR L'APPELANTE

Belinda Schmid                          

Robert Gillespie                                                                 POUR L'INTIMÉ

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR L'APPELANTE

Robert Gillespie                                                                 POUR L'INTIMÉ

  
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