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Date : 20030304

 

Dossier : A‑478‑01

 

Référence neutre : 2003 CAF 116

 

 

CORAM :      LE JUGE STRAYER

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                                              BRUCE MORRIS

                                                                                                                                          demandeur

 

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

 

 

 

                         Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 4 mars 2003.

 

Jugement prononcé à l’audience à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 4 mars 2003.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR :                                                   LE JUGE EVANS


Date : 20030304

 

Dossier : A‑478‑01

 

Référence neutre : 2003 CAF 116

 

 

CORAM :      LE JUGE STRAYER

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                                              BRUCE MORRIS

                                                                                                                                          demandeur

 

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

                           (Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie‑Britannique),

                                                                 le 4 mars 2003)

 

LE JUGE EVANS

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Bruce Morris dans laquelle il demande à la Cour d’infirmer une décision de la Cour canadienne de l’impôt, en date du 12 juillet 2001, par laquelle le juge a rejeté l’appel de M. Morris à l’encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre pour les années d’imposition 1996, 1997 et 1998. La décision est répertoriée sous Morris c. R., [2001] 4 C.T.C. 21114.

 


[2]               M. Morris a présenté de longues observations contestant la validité de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1, remettant en question l’opportunité d’utiliser le mot employé par l’avocat d’une copie « non certifiée » de la Loi, et attaquant la conduite des agents de l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Toutefois, la seule question valable soulevée dans la présente demande est de savoir si le juge a commis une erreur susceptible de contrôle quand il a conclu que M. Morris n’avait aucune expectative raisonnable de profit comme guide de pêche et, par conséquent, qu’il ne pouvait déduire à l’encontre de ses autres revenus les pertes qu’il avait subies en rapport avec cette activité.

 

[3]               Le juge a rendu son jugement avant que la Cour suprême du Canada se prononce dans l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, qui a précisé le droit concernant le rôle de l’expectative raisonnable de profit dans la détermination de la source du revenu d’un contribuable. La question à décider est donc de savoir si la décision en appel peut être maintenue au vu de l’arrêt Stewart.

 

[4]               M. Morris travaille à plein temps chez BC Rail depuis 18 ans. Il travaille 40 heures par semaine, habituellement réparties sur cinq jours, mais quelquefois sur quatre. Il a cinq semaines de congé payées par année, donc l’une est consacrée à sa famille. En outre, M. Morris offre à l’occasion ses services de recherche et de sauvetage, quand on le lui demande, au Service de recherche et de sauvetage de Prince George et à la GRC. 

 


[5]               M. Morris est également, depuis toujours, un ardent pêcheur à la ligne d’une grande adresse dont les talents lui ont non seulement procuré beaucoup de plaisir, mais aussi apporté le succès dans plusieurs concours. Craignant pour la sécurité de son emploi chez BC Rail, il a commencé en 1996 à offrir ses services comme guide de pêche sous la raison sociale de First Cast Guiding, activité qu’il exploitait depuis son domicile, où il garde ses bateaux.

 

[6]               De 1996 à 1998, First Cast Guiding a eu un niveau d’affaires minime : un client qui a effectué à peu près cinq expéditions de pêche d’une journée avec M. Morris, et peut‑être un ou deux autres clients. Donc, en 1996, M. Morris n’a déclaré aucun revenu de son entreprise et 7 090 $ de dépenses. En 1997, il a déclaré 300 $ de revenu et 12 921,58 $ de dépenses pour une perte nette de 12 621,58 $. En 1998, son revenu déclaré était de 770 $ et ses dépenses de 13 997,89 $, pour une perte nette de 13 227,89 $.

 

[7]               Son entreprise n’indiquait aucune augmentation importante de revenu, alors que ses pertes nettes ont augmenté pour les années 1999 et 2000, malgré un peu de publicité et un site Internet qu’il a acquis en 1999. Ainsi, M. Morris a déclaré en 1999 un revenu de 400 $ et une perte nette de 13 335 $. Pour l’année d’imposition 2000, son revenu déclaré était de 1 000 $ et ses pertes nettes de 17 611 $. En outre, il semble qu’une part de ces revenus proviennent de ses activités de recherche et de sauvetage.

 

[8]               Le juge a appliqué les facteurs établis dans l’arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 pour déterminer si M. Morris avait une expectative raisonnable de profit à l’égard de son entreprise First Cast Guiding. Dans l’arrêt Moldowan, le juge Dickson (plus tard juge en chef) a déclaré ceci (à la p. 486) :


On doit alors tenir compte des critères suivants : l’état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s’engager, la capacité de l’entreprise, en termes de capital de réaliser un profit après déduction de l’allocation à l’égard du coût en capital. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.

 

 

 

[9]               Par conséquent, le juge a estimé que le revenu minimal et les dépenses considérables de First Cast Guiding pour les années en question ne démontraient pas que M. Morris avait une expectative raisonnable de profit, compte tenu également de l’emploi à plein temps rémunéré de M. Morris et du peu de temps que cet emploi lui laissait pour se consacrer à son entreprise. Le juge a aussi noté l’incapacité de M. Morris à expliquer bon nombre des dépenses qu’il avait réclamées. Finalement, le juge a conclu (au paragraphe 18, point 4) que, compte tenu du grand intérêt que M. Morris porte à la pêche, ce que prouve sa participation à différents concours et la fréquence de ses expéditions personnelles de pêche, « il y avait un aspect personnel important » dans son entreprise de pêche à la ligne.

 

[10]           Bien que le juge n’ait tiré aucune conclusion, il ressort clairement de la preuve que M. Morris n’avait pratiquement aucune expérience antérieure des affaires, ni aucune formation. Quant à la voie sur laquelle il entendait s’engager, il avait prévu d’augmenter ses activités au moyen de publicité et de son site Internet, en offrant des expéditions de pêche gratuites, en rendant ses expéditions de pêche accessibles aux handicapés, et en comptant sur le bouche à oreille. Il semble également que l’entreprise ait manqué de capital.

 


[11]           La conclusion du juge selon laquelle M. Morris avait un intérêt personnel très important dans la pêche prend une importance particulière parce que la Cour a déclaré dans l’arrêt Stewart que, bien que l’expectative raisonnable de profit ne soit pas une condition nécessaire pour établir une source de revenu pour les fins de l’article 9 de la Loi, quand l’activité est de nature commerciale, s’il y a un aspect personnel ou récréatif dans l’activité en question, il est tout de même pertinent de déterminer s’il y a une expectative raisonnable de profit à l’égard de l’activité afin de décider si le contribuable avait l’intention d’exploiter une entreprise commerciale. Dans ces circonstances, les critères objectifs prescrits dans l’arrêt Moldowan demeurent pertinents, bien que l’existence d’une expectative raisonnable de profit découlant de l’activité ne soit qu’un facteur parmi d’autres qui doivent être examinés pour déterminer si le contribuable avait l’intention d’exploiter une entreprise commerciale : voir l’arrêt Stewart aux paragraphes 5 et 55.

 

[12]           D’après l’arrêt Stewart (au paragraphe 50), pour déterminer l’existence d’une source de revenu, le tribunal doit d’abord se demander : « l’activité du contribuable est‑elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit‑il d’une démarche personnelle? ». Les facteurs énumérés dans l’arrêt Moldowan fournissent des critères objectifs pour répondre à cette question. Donc, même si le contribuable a un intérêt personnel dans l’activité, si « l’entreprise est exploitée d’une manière suffisamment commerciale, cette entreprise sera considérée comme une source de revenu aux fins de la Loi » : Stewart au paragraphe 52. La Cour ajoute (au paragraphe 54) que, pour établir l’intention du contribuable d’exercer une activité en vue de réaliser un profit, plutôt que par intérêt personnel,


cela oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l’activité et que l’activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

 

 

 

[13]           Dans l’affaire dont nous sommes saisis, le juge ne s’est pas posé cette question. Au vu de la preuve dont il était saisi, des conclusions de fait qu’il a tirées, et du nouveau contexte dans lequel les facteurs de Moldowan doivent être examinés, nous ne sommes pas convaincus que le juge devait conclure que M. Morris n’exploitait pas son entreprise First Cast Guiding dans le but d’en tirer un profit et qu’il n’avait pas un comportement d’homme d’affaires sérieux.

 


[14]           Le juge était sans aucun doute saisi de certains éléments de preuve indiquant que M. Morris avait l’intention de faire de l’argent en agissant comme guide de pêche. Par exemple, il s’est procuré les licences et permis et a souscrit les assurances nécessaires pour exploiter son entreprise, il a acheté plus d’équipement, il a placé des annonces et, en 1999, il a acheté un site Internet. Ces indices d’un motif commercial ne sont pas mentionnés par le juge dans l’analyse qu’il a faite dans ses motifs. En outre, M. Morris a déclaré dans son témoignage qu’il se préoccupait du fait qu’il pouvait être licencié par son employeur et qu’il essayait d’utiliser son expérience de pêcheur à la ligne pour établir un autre moyen de subsistance. Qui plus est, d’après les projections que le contribuable avait faites du nombre de clients potentiels au tarif qu’il comptait demander, M. Morris aurait pu en théorie tirer un petit profit au cours des années en question. Par ailleurs, la qualité de sa tenue de livres et son niveau de connaissances financières concernant son entreprise n’étaient pas de nature à lui valoir des félicitations de la Chambre de commerce locale, les revenus générés par l’entreprise ont été minimes et l’entreprise manquait gravement de capital. Néanmoins, compte tenu de la nature de l’activité et du manque de connaissances spécialisées dans le domaine des affaires de M. Morris, nous ne sommes pas convaincus que la manière dont il a exploité First Cast Guiding était nécessairement  incompatible avec une intention d’en tirer un profit.

 

[15]           L’avocat du ministre a attiré notre attention sur une décision récente de la présente Cour,  Mendoza c. Canada, 2003 CAF 17, qui a confirmé une décision de la Cour de l’impôt, antérieure à l’arrêt Stewart, dans laquelle une déduction de dépenses avait été refusée au motif que, puisque les contribuables n’avaient aucune expectative raisonnable de profit, ils n’avaient aucune source de revenu. Comme c’est le cas pour l’affaire dont nous sommes saisis, il y avait un aspect personnel dans l’activité examinée dans l’arrêt Mendoza.

 

[16]           Toutefois, l’importance des faits particuliers de ces deux affaires ont tendance à diminuer leur importance en tant que précédent jurisprudentiel. Par exemple, dans l’arrêt Mendoza, il n’y avait aucun indice d’un aspect commercial dans le bail relatif à un appartement que les contribuables avaient loué à leur fils handicapé à un loyer qui était bien en deçà du niveau du marché. Dans notre affaire, par ailleurs, M. Morris avait engagé des dépenses qui étaient compatibles avec une intention de tirer un profit de First Cast Guiding et il y avait des éléments de preuve indiquant que les frais qu’il se proposait de demander n’étaient pas nécessairement trop éloignés des tarifs commerciaux.

 


[17]           Dans les circonstances et au vu de la réorientation des critères juridiques applicables depuis le prononcé de la décision Stewart, il n’est pas sage de maintenir la décision de la Cour de l’impôt. Toutefois, il ne faut pas entendre que nous indiquons comment cette affaire devrait être décidée quand l’appel sera entendu de nouveau. Nous ne disons pas non plus que la totalité ou une partie des dépenses que M. Morris a réclamées sont raisonnables ou sont liées à First Cast Guiding, même s’il établit que, malgré l’intérêt personnel qu’il porte à la pêche, son manque de succès commercial de même que ses compétences rudimentaires dans le domaine des affaires, First Cast Guiding est une source de revenu.

 

[18]           Finalement, nous insistons pour dire qu’en décidant d’accueillir la présente demande nous n’avons nullement accordé foi aux attaques non fondées de M. Morris sur l’intégrité et la crédibilité des agents de l’Agence des douanes et du revenu du Canada.

 

[19]           Pour ces raisons, nous sommes d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire avec dépens, comprenant des débours de 500 $, d’infirmer la décision de la Cour de l’impôt et de renvoyer la question à la Cour de l’impôt pour qu’elle soit décidée par un juge différent conformément aux présents motifs.

 

                                                                        « John Maxwell Evans »           

                                                                                                     Juge                          

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                             COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :               A‑478‑01

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Bruce Morris c. La Reine

                                                     

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le 4 mars 2003

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

 

Y ONT SOUSCRIT :                                    

 

 

DATE :                      le 4 mars 2003

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bruce Morris                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Johanna Russell

Patricia Babcock                                              POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bruce Morris                                                    POUR LE DEMANDEUR

en son propre nom

 

Morris Rosenberg                                             POUR LA DÉFENDERESSE


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