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Date : 20041005

Dossier : A-330-04

Référence : 2004 CAF 334

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                    H B LYNCH INVESTMENTS INCORPORATED

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                     LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS, pour

                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par

                                 Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

                                                                             et

                                       HARBOUR ROYALE DEVELOPMENT LTD.

                                                                                                                                                intimés

                                     Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

                               Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario) le 5 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                   LA JUGE SHARLOW


Date : 20041005

Dossier : A-330-04

Référence : 2004 CAF xxx

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                    H B LYNCH INVESTMENTS INCORPORATED

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                     LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS, pour

                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par

                                 Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

                                                                             et

                                       HARBOUR ROYALE DEVELOPMENT LTD.

                                                                                                                                                intimés

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SHARLOW

[1]                La Cour est saisie d'une requête présentée par l'appelante H B Lynch Investments Incorporated (H B Lynch) en vue d'obtenir, en vertu de l'article 351 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, une ordonnance l'autorisant à présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du présent appel. L'article 351 est ainsi rédigé :

351. Dans des circonstances particulières, la Cour peut permettre à toute partie de présenter des éléments de preuve sur une question de fait.

351. In special circumstances, the Court may grant leave to a party to present evidence on a question of fact.


[2]                En principe, le tribunal ne permet la présentation de nouveaux éléments de preuve en appel que si les trois conditions suivantes sont réunies : (1) les éléments de preuve ne pouvaient, en faisant preuve de diligence raisonnable, être découverts avant la fin du procès; (2) les éléments de preuve sont crédibles; (3) les éléments de preuve seraient pour ainsi dire déterminants quant à une des questions en litige dans l'appel (Frank Brunkhorst Co. c. Gainers Inc., [1993] A.C.F. no 874 (C.A.F.)). La Cour conserve un pouvoir discrétionnaire résiduel en ce qui concerne la preuve qui peut être administrée en appel et ce, même s'il n'a pas été satisfait à l'un ou à plusieurs des volets du critère de l'arrêt Brunkhorst (voir la décision du juge Sopinka dans l'arrêt Amchem Products Inc. et al. c. Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board, [1993] 1 R.C.S. 897, (1992), 192 N.R. 390, et l'arrêt Brown c. Gentleman, [1971] R.C.S. 501).

Les faits

[3]                En avril 2004, H B Lynch a présenté deux soumissions en réponse à l'appel d'offres lancé par Sa Majesté en vue de la location de certains immeubles à Sydney, en Nouvelle-Écosse. Le dossier d'appel d'offres remis à l'appelante et aux autres soumissionnaires prévoyait la condition suivante (alinéa 11c), partie I de la trousse de documentation relative au bail) :

11.        ÉVALUATION

[...]

c)         Une offre ne peut faire l'objet d'une évaluation si, d'après le seul avis du locataire, l'offre en question ne respecte pas les dispositions, exigences ou normes énoncées dans la présente trousse de documentation.


[4]                Le dossier d'appel d'offres précisait également les directives à suivre pour la signature de l'offre (article 14 de la partie 1 de la trousse de documentation) :

14. SIGNATURE DE L'OFFRE

L'offre doit être signée conformément aux directives qui suivent :

Personne morale ou société par actions - Les signatures des signataires autorisés sont apposées et leurs noms et postes sont dactylographiés ou écrits en lettres moulées dans l'espace prévu; le sceau est également apposé. S'il ne l'est pas, les signatures seront certifiées par un témoin et une preuve de l'autorisation de signature sera jointe à l'offre.

[5]                Dans le cas de chacune des soumissions de H B Lynch, le document renfermant l'offre était signé par M. Lynch, le président de H B Lynch, et sa signature était authentifiée sans toutefois que le document soit revêtu du sceau de la société H B Lynch, qui n'a pas soumis de document distinct pour établir que M. Lynch était bel et bien son signataire autorisé.

[6]                L'offre de H B Lynch a été jugée non conforme et elle a été rejetée. Voici les explications qu'un fonctionnaire a, dans une lettre datée du 26 avril 2004, fournies à H B Lynch pour justifier le rejet de son offre :

[traduction] Comme elles ne respectent pas les directives contenues dans le dossier d'appel d'offres en ce qui a trait à la « signature de l'offre » , les offres ne peuvent être examinées.


[7]                Le 29 avril 2004, un avocat qui agissait pour H B Lynch a envoyé aux fonctionnaires compétents une lettre dans laquelle il faisait valoir la position de H B Lynch suivant laquelle les offres de H B Lynch étaient conformes et dans laquelle il motivait en détail cet avis. Dans sa lettre, l'avocat demandait également aux fonctionnaires de réexaminer leur décision de rejeter les offres de H B Lynch. Cette demande a été refusée. Sa Majesté a toutefois accepté de suspendre le processus d'adjudication pour permettre à H B Lynch d'intenter des poursuites en justice.

[8]                Le 7 mai 2004, H B Lynch a déposé un avis de demande en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle ses offres avaient été rejetées pour des raisons de non-conformité et en vue d'obtenir un jugement déclarant que ses offres étaient conformes et devaient être examinées en même temps que toutes les offres conformes. La demande de contrôle judiciaire a été instruite selon la procédure accélérée le 19 mai 2004. Une ordonnance rejetant la demande a été prononcée le 21 mai 2004. H B Lynch a interjeté appel de cette décision. La présente requête s'inscrit dans le cadre de cet appel.


[9]                Le 25 mai 2004, Sa Majesté a terminé son évaluation de l'offre soumise par Harbour Royale et l'a jugée conforme. Sa Majesté a conclu un bail avec Harbour Royale le jour même. En juillet 2004, H P Lynch a présenté une requête en prorogation du délai qui lui était imparti pour introduire une seconde demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale en vue de contester la décision de Sa Majesté de considérer que la soumission de Harbour Royale remplissait les conditions prévues. H P Lynch s'est désistée de cette instance. Il n'y a donc plus de contestation de la conclusion de Sa Majesté suivant laquelle la soumission de Harbour Royale était conforme.

[10]            H P Lynch se propose d'invoquer plusieurs moyens dans le présent appel. Elle a notamment l'intention de soutenir que la norme appliquée pour déterminer la conformité des offres de H P Lynch en ce qui concerne la signature des documents contenant les offres était incorrecte et qu'elle était plus rigoureuse que la norme qui a été appliquée pour déterminer la conformité de l'offre de Harbour Royale sur le même point. Voici les paragraphes 5 et 6 de l'avis d'appel :

[traduction]

5.         Le juge a commis des erreurs de droit et des erreurs de fait dominantes et manifestes en ne considérant ou en ne concluant pas que l'intimé TPSGC :

a)         soit avait renoncé à son droit d'exiger le strict respect de l'alinéa 14a) du dossier d'appel d'offres notamment en ce qui concernait la méthode suivie par l'appelante pour signer ses deux offres;

b)         soit était irrecevable dans les circonstances à exiger le strict respect de l'alinéa 14a) du dossier d'appel d'offres.

6.         Le juge a commis des erreurs de droit et des erreurs de fait dominantes et manifestes en concluant que l'intimé TPSGC avait traité les deux offres de l'appelante de façon juste et équitable.

[11]            Pour étayer par des faits son argument de traitement inéquitable, H P Lynch a présenté une requête visant à obtenir que l'offre de Harbour Royale soit présentée en preuve en appel.


[12]            À l'appui de sa requête, H P Lynch a soumis un affidavit souscrit par M. Sowerby le 29 juillet 2004. Au paragraphe 12 de cet affidavit, l'auteur relate comme suit les circonstances dans lesquelles Harbour Royale a signé son offre :

[traduction]

a)         Les sceaux de la société apposés aux offres étaient imprimés en relief sans encre de sorte qu'ils n'étaient pas parfaitement lisibles;

b)         Le nom des signataires autorisés par la compagnie n'était pas imprimé à l'endroit prévu à cet effet, contrairement aux exigences de l'article 14 de la partie 1 de l'appel d'offres.

Le dossier ne précise pas que M. Sowerby a été contre-interrogé au sujet de son affidavit. Ni l'un ni l'autre des intimés n'a soumis d'éléments de preuve pour contredire ces affirmations.

Analyse

[13]            Je vais examiner à tour de rôle les trois volets du critère de l'arrêt Brunkhorst.

a) Diligence raisonnable


[14]            Les deux intimés font valoir que, si elle avait fait preuve de diligence raisonnable, H P Lynch aurait pu obtenir la production de l'offre de Harbour Royale dans l'instance introduite devant la Cour fédérale. Dans l'affidavit qu'il a souscrit le 16 septembre 2004 et que Sa Majesté a déposé pour s'opposer à la requête en présentation de nouveaux éléments de preuve, M. William A. Murphy précise toutefois que, si un représentant de H P Lynch avait demandé d'examiner l'offre de Harbour Royale avant le 25 mai 2004, il aurait essuyé un refus. Il ressort donc des propres éléments de preuve de Sa Majesté que H P Lynch n'aurait pas pu obtenir de Sa Majesté les documents renfermant l'offre de Harbour Royale avant la fin du procès de la Cour fédérale.

[15]            Suivant l'affidavit soumis par Harbour Royale pour s'opposer à la requête en production de nouveaux éléments de preuve, H P Lynch n'a pas demandé à Harbour Royale de voir une copie de son offre. Rien ne permet toutefois de penser que Harbour Royale avait en sa possession un document susceptible d'établir comment les documents définitifs contenant son offre avaient été signés. Il n'y a non plus aucun élément de preuve qui permette de penser que Harbour Royale aurait donné suite à toute demande que lui aurait faite H P Lynch en vue de consulter les documents contenant son offre avant le 25 mai 2004.

[16]            Sa Majesté fait également valoir que H P Lynch ne saurait prétendre qu'elle n'aurait pas obtenu accès aux documents de Harbour Royale en vue de l'instance introduite devant la Cour fédérale, parce qu'elle avait délibérément renoncé à son droit d'obtenir un « dossier certifié » de Sa Majesté. Il s'ensuivrait vraisemblablement que, si H P Lynch avait insisté pour qu'on lui produise un dossier certifié, les documents de Harbour Royale y auraient été versés. Il n'y a toutefois aucun élément de preuve sur les documents que Sa Majesté aurait jugé à propos de verser dans un tel « dossier certifié » si H P Lynch avait insisté pour en obtenir la production devant la Cour fédérale.


[17]            Sa Majesté soutient aussi que, devant la Cour fédérale, H P Lynch a résisté aux tentatives faites par Harbour Royale en vue d'être constituée partie à l'instance. Cet argument me semble également dénué de pertinence parce qu'à cette étape-là, l'offre de Harbour Royale n'avait pas encore été évaluée.

[18]            Fondamentalement, l'opposition des intimés à la requête en présentation de nouveaux éléments de preuve repose sur une mauvaise compréhension de ce à quoi H P Lynch essaie d'en venir. Ainsi qu'il a déjà été signalé, H P Lynch souhaite plaider que, lorsqu'elle a évalué l'offre de Harbour Royale, Sa Majesté n'a pas appliqué la norme de « strict respect » qu'elle aurait appliquée dans le cas des offres de H P Lynch. Il aurait été impossible d'obtenir les éléments de preuve relatifs au fondement factuel de cet argument à temps pour l'instance se déroulant devant la Cour fédérale, parce qu'ils n'existaient pas avant le 25 mai 2004, date à laquelle l'évaluation de l'offre de Harbour Royale a été terminée, c'est-à-dire quatre jours après la fin du procès de la Cour fédérale.

[19]            Je suis d'avis que le critère de la diligence raisonnable a été respecté.

(2) Crédibilité

[20]            La fiabilité des éléments de preuve que l'on cherche à présenter ne soulève pas de question. On trouvera dans le document lui-même tous les faits pertinents concernant sa signature.


(3) Éléments de preuve pour ainsi dire déterminants

[21]            Des éléments de preuve sont pour ainsi dire déterminants s'ils avaient raisonnablement pu avoir un effet sur le résultat du procès (BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island (C.A.), [2003] 1 C.F. 475). Une grande partie de l'affaire dont la Cour fédérale était saisie portait sur la question de la norme que les fonctionnaires fédéraux doivent appliquer pour décider si une offre est conforme ou non. On a proposé lors des débats au moins deux normes, celle de la « conformité rigoureuse » et celle de la « conformité en substance » . Si le document de Harbour Royale avait été versé au dossier de la Cour fédérale, le juge saisi de l'affaire aurait eu devant lui une offre que Sa Majesté jugeait conforme, du moins en ce qui concerne le mode de signature de l'offre. À mon avis, la présence de cet élément de preuve aurait pu influencer sa compréhension de la norme qui avait été appliquée ou qui aurait dû être appliquée à l'offre de H P Lynch. Certes, on ne peut affirmer qu'il aurait tiré une conclusion différente au sujet de la demande de contrôle judiciaire, mais il n'est pas déraisonnable de le penser.

Conclusion

[22]            Je suis persuadée que les trois volets du critère de l'arrêt Brunkhorst ont été respectés et que la requête en présentation de nouveaux éléments de preuve devrait être accueillie.


[23]            Comme le dossier de la Cour renferme maintenant des éléments de preuve suivant lesquels l'offre de Harbour Royale est la seule qui a été jugée conforme et qui a été retenue (les deux intimés ont soumis des éléments de preuve en ce sens en réponse à la présente requête), l'ordonnance accueillant la requête en production de nouveaux éléments de preuve devrait également permettre la présentation d'éléments de preuve au sujet de ces faits, notamment sous forme d'affidavits.

[24]            Je n'oublie pas l'argument que les documents contenant l'offre de Harbour Royale ne sont pas pertinents pour ce qui est des arguments précis qui ont été invoqués devant la Cour fédérale dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Eu égard aux circonstances de l'espèce, il me semble préférable de laisser à la formation qui statuera sur l'appel le soin de se prononcer sur la question de la pertinence, si elle est soulevée par l'un ou l'autre des intimés ou par les deux.

[25]            Je n'oublie pas non plus l'argument de Sa Majesté suivant lequel, si la requête en présentation de nouveaux éléments de preuve est accueillie, je devrais donner des directives sur les [traduction] « questions pouvant être abordées dans le présent appel » et [traduction] « des directives sur les fins auxquelles les nouveaux éléments de preuve peuvent être utilisés » . Je ne donnerai pas de telles directives. Ce sont des questions à débattre entre les parties et à trancher par le tribunal d'appel. Sa Majesté a aussi demandé qu'on lui donne la possibilité de [traduction] « déposer des éléments de preuve complémentaires en réponse » . Si Sa Majesté a d'autres éléments de preuve qu'elle juge pertinents, elle peut recourir à l'article 351 des Règles.

            « K. Sharlow »            

        Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             A-330-04

INTITULÉ :                            H B LYNCH INVESTMENTS INCORPORATED

                                    c. LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS, pour

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA ET HARBOUR ROYALE DEVELOPMENT LTD.

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                   LE 5 OCTOBRE 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

John A. Keith

   POUR L'APPELANTE

James Gunvaldsen-Klaassen

   POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox Hanson O'Reilly Matheson

Halifax (N.-É.)

   POUR L'APPELANTE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

   POUR LES INTIMÉS


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