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Date: 19991206


Dossier: A-532-98

Ottawa (Ontario), lundi, 6 décembre 1999

Coram:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


Entre:

     LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

     Demanderesse

     - et -

     SIMON LANDRY

     Défendeur


     ORDONNANCE


     La requête de la demanderesse visant à expurger du dossier du défendeur le document "Programmes et services d'emploi", qui n'avait pas été déposé devant le juge-arbitre et que le défendeur a joint à son dossier sans d'abord rechercher l'autorisation de la Cour pour ce faire, est rejetée. Quoique les procureurs du défendeurs aient été bien téméraires et qu'en temps normal la Cour aurait vraisemblablement refusé le dépôt de ce document, le fait qu'il s'agisse ici d'une cause-type (selon ce qui a été dit à l'audience) et que ce document, qui est public, émane de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada a amené la Cour à faire preuve de tolérance.



     "Robert Décary"

     j.c.a.

"G.L."

"M.N."



Date: 19991206


Dossier: A-532-98

Ottawa (Ontario), lundi, 6 décembre 1999

Coram:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL


Entre:

     LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

     Demanderesse

     - et -

     SIMON LANDRY

     Défendeur



     JUGEMENT


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du juge-arbitre est annulée et le dossier est renvoyé au juge-arbitre en chef ou au juge qu'il désignera pour qu'il en dispose en accueillant l'appel de la Commission et en ordonnant au conseil arbitral de procéder à une nouvelle audition.

     Dans les circonstances, il n'y a pas d'adjudication de dépens.




     "Robert Décary"

     j.c.a.






Date: 19991206


Dossier: A-532-98


Coram:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL



Entre :

     LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

     Demanderesse

     - et -


     SIMON LANDRY

     Défendeur






     Audience tenue à Montréal (Québec) le jeudi 25 novembre 1999.

     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le lundi 6 décembre 1999.









MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE LÉTOURNEAU

     LE JUGE NOËL



Date: 19991206


Dossier: A-532-98

Coram:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

Entre :

     LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

     Demanderesse

     - et -

     SIMON LANDRY

     Défendeur



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE DÉCARY

[1]      Le 8 septembre 1993, un accord de travail partagé a été conclu, ainsi que le permet l'article 24 de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. 1985, c. U-1, telle que modifiée ("la Loi") (depuis remplacée par la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23), entre l'employeur (Socomar Inc.), ses employés (dont le défendeur) et la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada ("la Commission"). Cet accord visait la période s'étendant du 12 septembre 1993 au 12 mars 1994 et l'employeur s'engageait à réduire le nombre d'heures travaillées d'au moins 20% au cours de toute semaine à l'égard de laquelle les employés présenteraient une demande de prestations pour travail partagé. Le défendeur agissait comme le représentant des employés dans le cadre des discussions avec la Commission et avec l'employeur.

[2]      Le 7 septembre 1993, le défendeur a formulé une demande initiale de prestations pour travail partagé. En vertu de l'accord, le défendeur ne devait travailler que 8 ou 16 heures à chaque semaine. Du 12 septembre 1993 au 12 mars 1994, le défendeur a déclaré sur ses cartes de déclaration du prestataire, avoir travaillé 8 ou 16 heures et avoir ainsi chômé 32 ou 24 heures à chaque semaine. Le défendeur a reçu des prestations au cours de toute la période.

[3]      À la suite d'une enquête menée par la Gendarmerie royale du Canada et la Commission, celle-ci apprit, en septembre 1995, que l'employeur, de connivence avec ses employés, n'aurait jamais eu l'intention de respecter les termes de l'accord et que les employés avaient continué à travailler des semaines complètes comme ils le faisaient avant le début de l'accord.

[4]      Le 29 mars 1996, la Commission a rendu ce qu'elle a qualifiée de "décision [...] prise en vertu des articles 24 et 86 de la [L]oi", à l'effet que l'accord était "non avenu et résilié, et ce, depuis sa date de prise d'effet", soit le 12 septembre 1993, et elle en a avisé l'employeur ainsi que le défendeur en sa qualité de représentant des employés.

[5]      Le 9 décembre 1996, la Commission a annulé la période de prestations du défendeur au motif qu'il n'avait pas subi d'arrêt de rémunération au sens de l'article 37 du Règlement sur l'assurance-chômage. Cette décision a donné lieu à un trop-payé de $7,256.00. Le même jour, la Commission a infligé au défendeur une pénalité de $3,336.00 pour déclarations fausses et trompeuses.

[6]      Le défendeur a porté ces deux décisions en appel devant un conseil arbitral qui, le 4 décembre 1997, accueillait l'appel.

[7]      Le 28 juillet 1998, le juge-arbitre confirmait la décision du conseil arbitral. D'où la présente demande de contrôle judiciaire.

[8]      Le conseil arbitral et le juge-arbitre se sont dit d'avis que la Commission n'avait pas le pouvoir d'annuler l'accord de travail partagé. Le juge-arbitre a conclu que le paragraphe 24(2) de la Loi ne donne pas à la Commission le pouvoir d'annuler un tel accord, et que l'article 12 dudit accord permet à la Commission de mettre fin à l'accord seulement "à compter du samedi suivant le jour où le préavis de résiliation est donné aux autres parties".

[9]      Les paragraphes 24(1) et (2) de la Loi se lisent:

   24. (1)    Avec l'approbation du gouverneur en conseil, la Commission peut prendre des règlements prévoyant le versement, sous réserve du paragraphe (4), de prestations pour travail partagé aux prestataires qui remplissent les conditions requises pour recevoir des prestations en vertu de la présente loi et qui sont employés en vertu d'un accord de travail partagé qu'elle a approuvé par une directive spéciale ou générale pour l'application du présent article, et notamment des règlements:

[...]

   (2)    Les directives spéciales ou générales de la Commission, approuvant ou désapprouvant un accord de travail partagé pour l'application du paragraphe (1), ne sont pas susceptibles d'appel en vertu des articles 79 ou 80.

   24.    (1)    The Commission may, with the approval of the Governor in Council, make regulations providing for the payment, subject to subsection (4), of work sharing benefits to claimants who are qualified to receive benefits under this Act and are employed under a work sharing agreement that has been approved for the purposes of this section by special or general direction of the Commission including, without restricting the generality of the foregoing, regulations,

[...]


   (2)    No special or general direction of the Commission approving or disapproving any work sharing agreement for the purposes of subsection (1) is subject to appeal under section 79 or 80.

et l'article 12 de l'accord se lit:

     RÉSILIATION DE L'ACCORD
     12.    (1)      La COMMISSION peut mettre fin au présent accord en tout temps, si l'EMPLOYEUR ou les EMPLOYÉS ne respectent pas l'une ou l'autre des modalités, conditions ou obligations qui leur sont posées.
           (2)      L'une ou l'autre des parties au présent accord peut mettre fin au présent accord en tout temps, à compter du samedi suivant le jour où le préavis de résiliation est donné aux autres parties.
           (3)      si l'UNITÉ DE TRAVAIL PARTAGÉ reprend un horaire normal de travail à plein temps pendant une période de six (6) semaines consécutives, le présent accord prend fin automatiquement à la fin de la sixième semaine consécutive de cet horaire normal de travail à plein temps.

     (Dossier de la demanderesse à la p. 37)          


[10]      Devant nous, la Commission a plaidé que le juge-arbitre n'a pas compétence pour se prononcer sur la validité de la "décision" du 29 mars 1996 puisque le paragraphe 24(2) de la Loi prévoit que semblable décision est sans appel, et que de toute façon le défendeur, dans son avis d'appel, ne s'était pas attaqué à cette "décision".

[11]      Ce débat, pour les raisons que je donnerai tantôt, est un faux débat, mais je crois utile de dire que de toute façon l'argument de la Commission ne résiste pas à l'analyse.

[12]      Le procureur de la Commission s'appuie sur le paragraphe 24(2) de la Loi pour affirmer que la "décision" du 29 mars 1996 n'est pas sujette à appel. A l'instar du juge-arbitre, j'estime que c'est là mal interpréter le paragraphe en question. Ce paragraphe vise la décision rendue au départ par la Commission lorsqu'elle approuve ou refuse une demande d'accord de travail partagé. Il ne vise par les décisions que la Commission est appelée à rendre une fois l'accord en place, comme, par exemple, celle de mettre fin à l'accord en conformité avec son article 12.

[13]      Le procureur plaide, dans l'alternative, qu'en l'absence d'appel formel porté à l'encontre de la "décision" du 29 mars 1996, le conseil arbitral ne pouvait se prononcer sur la validité de cette "décision". Cet argument est procédurier. La "décision" en question est une décision de portée générale qui est envoyée à l'employeur et au "représentant des employés". Elle n'est pas envoyée aux autres employés. Le hasard, il est vrai, veut qu'en l'espèce le représentant des employés ait été le défendeur, mais le véritable caractère d'une décision dans un texte de loi ne saurait être défini par le hasard. Qui plus est, cette "décision" n'informe pas les employés qui en prendraient connaissance des effets qu'elle entraîne sur leur droit à des prestations ou sur leur obligation de remboursement. La "décision" ne prend un sens concret et particularisé que lorsqu'un prestataire est formellement avisé de la décision de la Commission de lui réclamer un trop-payé et de lui imposer une pénalité.

[14]      Je ne dis pas qu'il ne peut pas y avoir appel immédiat de la "décision". Je dis que le prestataire peut fort bien attendre de savoir ce qui l'attend, lui, en bout de ligne, avant de s'engager dans le processus d'appel. Lorsque la Commission procède par étapes, comme en l'espèce, il serait injuste et irréaliste de forcer un prestataire à en appeler avant même qu'une décision ne produise à son égard des effets concrets. Ce raisonnement n'est pas différent de celui que cette Cour a suivi dans Brien c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1997), 216 N.R. 111 et dans Canada (Procureur général) c. Rouleau, (1997), 223 N.R. 146, pour déterminer que le délai d'appel du prestataire à l'égard d'une décision rendue par la Commission après nouvel examen d'une demande (article 43 de la Loi) ne courait pas tant que le prestataire n'était pas informé du montant du trop-payé.

[15]      La procureur de la Commission soutient que même si cela était, aucun appel, en l'espèce, n'a été porté à l'encontre de la "décision" du 29 mars 1996. Cet argument se fonde sur une rigidité procédurale heureusement dépassée. La "décision" du 29 mars 1996 était au coeur du débat qui s'est tenu devant le conseil arbitral le 2 décembre 1997. La Commission elle-même, au début de l'argumentation écrite qu'elle avait fait parvenir au conseil arbitral et qui est datée du 31 octobre 1997, écrivait que:

     L'appel du prestataire porte sur les deux litiges suivants :
         1. L'annulation de la période de prestations qui avait débuté le 12 septembre 1993,
         2.    l'imposition [...] d'une pénalité [...]
         (Dossier de la demanderesse à la p. 65)            

La Commission est malvenue, dans ces circonstances, de plaider que "la décision" du 29 mars 1996 qui, selon elle, emportait annulation de l'accord et partant celle de la période de prestations, ne pouvait être examinée par le conseil arbitral.

[16]      Ce qui m'amène au faux débat auquel je faisais référence plus tôt et à la raison pour laquelle j'ai mis entre guillemets, tout au long de ces motifs, le mot "décision" quand je renvoyais à la décision du 29 mars 1996.

[17]      Il importe peu, à mon avis, que l'accord de travail partagé ait été ou non formellement annulé par la Commission et le débat entrepris par les procureurs des parties sur la question de savoir si la "décision" d'annuler peut être contestée par appel au conseil arbitral, par demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale ou par action en déclaration de nullité devant la Cour supérieure du Québec, me paraît stérile.

[18]      Il est deux questions auxquelles le conseil arbitral doit répondre, l'une qui porte sur l'arrêt de la rémunération, l'autre sur la pénalité. L'accord de travail partagé, dans un cas comme celui-ci, sert de toile de fond au litige. Il est incontournable puisque c'est lui qui, en dérogation du régime général, permet le versement de prestations aux prestataires. Le conseil arbitral doit nécessairement se pencher sur le comportement de l'employeur et des employés au moment de la négociation de l'accord et pendant la période de prestations en litige. Si le conseil arbitral en arrive à la conclusion que l'employeur ou que les employés avaient au départ obtenu l'approbation de la Commission sous de fausses représentations, ou qu'ils ont en cours de route manqué aux obligations respectives que leur imposait l'accord, il devra juger en conséquence, comme s'il n'y avait jamais eu d'accord, dans le premier cas, et comme si l'accord avait pris fin au moment du manquement aux obligations, dans le second cas.

[19]      Il est utile de noter que, selon le paragraphe 24(1) de le Loi, le versement de prestations pour travail partagé ne peut être fait qu'"aux prestataires qui remplissent les conditions requises pour recevoir des prestations en vertu de la présente loi et qui sont employés en vertu d'un accord de travail partagé (mes soulignements), et que selon l'article 91 du Règlement sur l'assurance-chômage, "[d]es prestations sont payables pour l'emploi en travail partagé pour toute semaine de chômage durant une période de prestations et, sous réserve de cette partie [relative aux prestations pour travail partagé], la Loi et ses règlements s'appliquent aux prestataires concernés mutatis mutandis". (mon soulignement) Il ne suffit pas qu'il y ait accord de travail partagé pour que le prestataire ait droit à des prestations. Encore faut-il qu'il satisfasse aux autres exigences de la Loi et des règlements et qu'il soit employé en vertu de l'accord. Le conseil arbitral pourrait, si preuve allait en ce sens, décider que des prestations n'étaient pas payables du seul fait que le prestataire ne répondait pas aux autres exigences de la Loi ou des règlements, ou ne s'était pas conformé aux modalités de l'accord.

[20]      Le procureur du prestataire a fait grand état de l'article 12 de l'accord, qui vise la "résiliation" de l'accord. Cet article permet à la Commission de "mettre fin" à l'accord pour cause, en tout temps, si l'employeur ou les employés ne respectent pas leurs obligations (par. 12(1)) et à chaque partie de "mettre fin" à l'accord pour quelque raison que ce soit en donnant un préavis, la résiliation prenant effet le samedi suivant (par. 12(2)).

[21]      L'article 12 n'est d'aucune utilité en l'espèce puisque l'accord était déjà expiré au moment où la Commission a découvert ce qu'elle allègue être de la fraude de la part de l'employeur ou des employés. Je ne suis pas certain qu'il soit nécessaire que la Commission, en pareilles circonstances, "décide" qu'à son avis l'accord est "non avenu et résilié". La résiliation n'est plus possible puisque l'accord est expiré et le fait qu'il soit non avenu est davantage une constatation de fait qu'une conclusion de droit. Cette constatation de fait amène la Commission à examiner de nouveau la demande de prestations. Si elle décide, comme en l'espèce, de réclamer un trop-payé et d'imposer une pénalité, et si le prestataire conteste cette décision, il appartiendra au conseil arbitral de vérifier si la constatation de fraude à laquelle en était arrivée la Commission est bien fondée. Bref, le conseil arbitral n'est d'aucune manière lié par la "décision" de la Commission de ne pas reconnaître l'accord et il lui appartient de décider, aux fins de l'appel qui lui est soumis, si le prestataire peut ou non se réclamer de l'accord et, le cas échéant, s'il s'est conformé à ses exigences.

[22]      Toute suggestion voulant qu'une fois l'accord expiré et l'article 12 devenu en conséquence inapplicable, la Commission serait liée par l'accord et ne pourrait plus plaider ses vices de fond, doit être écartée du revers de la main. Il va de soi, dans l'administration courante des dossiers d'assurance-emploi, que la Commission ne peut tout vérifier au moment même où les choses se font. Le présent dossier en témoigne. C'est précisément pour cette raison que la Loi permet à la commission d'"annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations" (art. 86) et prévoit des délais importants, variant entre trente-six mois et soixante-douze mois (voir les paragraphes 33(4), 43(1) et 43(6)), pour permettre à la Commission de revenir en arrière et imposer rétroactivement des sanctions. Dans la mesure où ces délais sont respectés, la Commission peut très certainement remettre en question la validité d'un accord de travail partagé même si, dans les faits, cet accord est expiré.

[23]      En l'espèce, le débat a été tellement mal engagé devant le conseil arbitral, puis devant le juge-arbitre, que la solution qui s'impose est de recommencer à zéro devant le conseil arbitral, lequel devra décider de l'appel à la lumière des présents motifs.

[24]      La demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, la décision du juge-arbitre devrait être annulée et le dossier devrait être renvoyé au juge-arbitre en chef ou au juge qu'il désignera pour qu'il en dispose en accueillant l'appel de la Commission et en ordonnant au conseil arbitral de procéder à une nouvelle audition.

[25]      Dans les circonstances, il ne devrait pas y avoir d'adjudication de dépens.

     "Robert Décary"

     j.c.a.

"Je suis d'accord

     Gilles Létourneau, j.c.a."

"Je suis d'accord

     Marc Noël, j.c.a."

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