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Date : 20051209

Dossier : A-590-04

Référence : 2005 CAF 420

CORAM :       LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

WILLIAM S. CAMPBELL

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 octobre 2005

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW


Date : 20051209

Dossier : A-590-04

Référence : 2005 CAF 420

CORAM :       LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

WILLIAM S. CAMPBELL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A         INTRODUCTION

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre du Revenu national de la décision rendue par un juge de la Cour canadienne de l'impôt. Le juge avait accueilli l'appel interjeté par William Campbell de la décision du ministre selon laquelle M. Campbell n'était pas un particulier admissible à la prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) qui lui avait été versée pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997.

[2]                Le juge a conclu que M. Campbell n'était pas admissible à la PFCE relativement à son fils, Trystan, mais il a également dit que le ministre avait violé les droits à l'égalité de M. Campbell qui sont protégés par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, en décidant que la PFCE était payable à la mère de Trystan, compte tenu de la présomption prévue à l'alinéa 122.6f) de la Loi de l'impôt sur le revenu (LIR). Selon la disposition, si la personne à charge réside avec sa mère, la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de la personne à charge est présumée être la mère. La décision du juge a été publiée sous Campbell c. Canada, 2004 CCI 460.

[3]                La question à trancher dans le présent appel est de savoir si la présomption légale viole l'article 15 parce qu'elle est discriminatoire, au sens de la Constitution, à l'égard des pères. La question doit être tranchée par l'application du cadre d'analyse établi dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497.

[4]                L'avocate du ministre prétend que la présomption n'enfreint pas l'article 15. Elle soutient que la présomption n'est que le reflet de la réalité sociale, à savoir que ce sont beaucoup plus souvent les mères que les pères qui assument principalement la responsabilité pour le soin des enfants. En prévoyant, par l'effet d'une présomption, le paiement direct aux mères, l'alinéa 122.6f) fait en sorte que la PFCE profite aux enfants, qui sont, en fin de compte, les bénéficiaires du programme, avec un minimum de retards et de frais administratifs. Puisque la présomption peut être réfutée, les pères ont droit à la PFCE s'ils démontrent qu'ils assument principalement la responsabilité pour le soin de leurs enfants.

[5]                L'avocate de M. Campbell ne conteste pas la réparation accordée par le juge, mais elle soutient qu'il aurait dû conclure que la présomption législative était invalide. Elle prétend que la présomption porte atteinte à la dignité de M. Campbell et que, par voie de conséquence, elle viole l'article 15 puisqu'elle reflète et renforce les stéréotypes sexuels anachroniques qui veulent que les pères soient moins dignes et moins capables que les mères d'être parents et que les mères devraient demeurer au foyer pour s'occuper des enfants. La présomption légale ne tient pas compte des besoins, des capacités ou des qualités de M. Campbell ni du rôle qu'il a joué en tant que responsable pour le soin de son enfant.

B.        FAITS

[6]                Trystan, fils de William et Laurie Campbell, est né en mars 1997. Il a vécu avec ses parents jusqu'à leur séparation en mars 1999. Une année après la séparation, M. Campbell a déposé une demande de PFCE pour la période entre mars 1997 et avril 1999 (la période pertinente). Compte tenu des renseignements qu'avait fournis M. Campbell, le ministre a conclu qu'il était admissible à la PFCE puisqu'il ne vivait pas avec la mère de l'enfant pendant la période pertinente.

[7]                Dans le formulaire de demande, M. Campbell a affirmé, à tort, qu'il était célibataire. Il n'a pas expliqué qu'il était marié et qu'il vivait avec la mère de Trystan pendant la période pertinente. Il a reçu les paiements de la PFCE en tant que principal responsable pour le soin de l'enfant pendant la période pertinente relativement à chacune de ses « années de base » 1995, 1996 et 1997, au sens de la LIR.

[8]                En janvier 2001, l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) a fait parvenir un questionnaire à M. Campbell dans lequel celui-ci devait fournir des renseignements concernant sa participation au soin de Trystan pendant la période pertinente. L'ADRC a envoyé le questionnaire après avoir reçu une demande de PFCE de la part de Mme Campbell pour la même période. M. Campbell a répondu au questionnaire, mais lors d'un réexamen, il a été décidé qu'il n'assumait pas principalement la responsabilité pour le soin de l'enfant et qu'il n'avait aucun droit au paiement de la PFCE.

[9]                M. Campbell a déposé un avis d'opposition. Le ministre a confirmé le réexamen dans un avis de confirmation daté du 22 février 2002 :

[traduction] Le ministre du Revenu national a examiné les motifs mentionnés dans votre avis d'opposition, ainsi que tous les faits pertinents. Il est confirmé, par les présentes, que les cotisations ont été établies en conformité avec les dispositions de l'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu puisque vous n'êtes pas le particulier admissible aux fins de la prestation fiscale canadienne pour enfants pour la période allant d'avril 1997 à avril 1999.

C.        RÉGIME LÉGISLATIF

[10]            La PFCE est une aide financière établie selon le revenu offerte aux familles qui ont des enfants. La prestation est versée au « particulier admissible » , c'est-à-dire au parent qui assume principalement la responsabilité pour le soin de la « personne à charge admissible » . Aux termes de l'article 122.6 de la LIR, un « particulier admissible » est la personne - père ou mère de la personne à charge - qui « assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière » .

[11]            L'article 6302 du Règlement de l'impôt sur le revenu décrit les facteurs qui permettent de déterminer si le père ou la mère assume principalement la responsabilité pour le soin de la personne à charge. Toutefois, comme nous l'avons dit précédemment, l'alinéa 122.6f) prévoit que la mère est présumée assumer principalement la responsabilité du soin de l'enfant quand elle vit avec lui. La présomption est réfutable (Cabot c. Canada, [1998] 4 C.T.C. 2893, au paragraphe 24 (C.C.I.)). En outre, la présomption ne s'applique pas dans les circonstances prévues par règlement, en vertu de l'alinéa 122.6g). Par exemple, la présomption ne s'applique pas si la mère déclare par écrit au ministre que le père assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de la personne à charge ou si plusieurs personnes qui ne résident pas au même endroit présentent une demande ou encore si la personne à charge a plus d'une mère : alinéas 6301(1)a), c) et d) du Règlement.

[12]            Si un père demande la PFCE dans des circonstances où la présomption ne s'applique pas, sa demande peut être accueillie sans documents à l'appui. C'est ainsi que la première demande de PFCE de M. Campbell a été acceptée compte tenu seulement de son formulaire de demande. Elle a été acceptée parce que M. Campbell n'a pas dit que, pendant la période pertinente, il était marié avec la mère de Trystan et vivait avec elle. Le ministre a donc cru que la présomption ne s'appliquait pas.

[13]            Quand la présomption s'applique, la mère demande tout simplement la PFCE. Par contre, le père, lui, doit également présenter soit une déclaration écrite de la mère dans laquelle celle-ci reconnaît que c'est le père qui assume principalement la responsabilité pour le soin de la personne à charge soit des renseignements décrivant en détail la participation du père au soin de son enfant.

[14]            La loi ne décrit pas le processus de prise de décision lorsque la présomption s'applique et que plusieurs personnes ont présenté une demande. Toutefois, pour que ce soit équitable, il faudrait que, si la mère demande la PFCE et que le père présente des observations pour tenter d'établir qu'il assume principalement la responsabilité pour le soin de l'enfant, le ministre ne rende pas une décision favorable au père sans donner à la mère l'occasion de réagir. Le ministre doit alors décider qui, du père ou de la mère, est le principal responsable, en se fondant sur l'ensemble des renseignements reçus et sur les facteurs énumérés à l'article 6302 du Règlement. Si la preuve n'est pas concluante, la présomption pourrait de nouveau s'appliquer pour faire pencher la balance.

[15]            Le juge a conclu que ce processus décisionnel n'avait pas été appliqué en l'espèce et que le ministre avait pris une nouvelle décision en matière d'admissibilité à la PFCE en se fondant uniquement sur la présomption de l'alinéa 122.6f), sans tenir compte des réponses données par M. Campbell au questionnaire ni de l'intérêt supérieur de Trystan. Néanmoins, après avoir affirmé de nouveau l'admissibilité, le juge a dit que le témoignage de M. Campbell n'était pas crédible. En se fondant sur le témoignage de Mme Campbell et de sa soeur, le juge a conclu que Mme Campbell avait assumé principalement la responsabilité pour le soin de l'enfant pendant la période pertinente.

[16]            La PFCE est administrée au moyen des déclarations d'impôt sur le revenu des demandeurs. Lorsqu'elle est payable, la PFCE est réputée un impôt payé en trop. Le droit à la PFCE et le montant de celle-ci sont établis selon « les années de base » du particulier admissible qui, dans le cas de M. Campbell, étaient les années d'imposition 1995, 1996 et 1997. Par suite du réexamen du ministre, M. Campbell devait rembourser les montants en trop versés en vertu des cotisations originales établies pour ses années de base.

D.        DÉCISION DE LA COUR DE L'IMPÔT

[17]            Le juge a dit qu'il aurait conclu que l'alinéa 122.6f) contrevenait à l'article 15, mais que, dans certaines circonstances, l'intérêt supérieur de l'enfant pouvait exiger le paiement rapide de la PFCE. Toutefois, il a conclu que cette question n'était pas pertinente compte tenu des faits en l'espèce parce que le ministre avait fondé son réexamen uniquement sur la présomption légale sans se demander si l'intérêt supérieur de Trystan exigeait le paiement rapide de la PFCE. Le réexamen violait donc l'article 15 et obligeait M. Campbell à déposer un avis d'opposition et un appel, processus qui a exigé, de sa part, de l'argent, du temps et de l'énergie.

[18]            Le juge s'est alors demandé quelle réparation il devait accorder en vertu de l'article 24 de la Charte. Après avoir conclu, compte tenu de la preuve, que M. Campbell n'était pas un particulier admissible, il est évident que le juge ne pouvait pas annuler la décision prise par le ministre lors du réexamen aux fins de remédier à la violation de la Charte. D'ailleurs, il a rejeté les appels interjetés par M. Campbell relativement aux cotisations des années d'imposition 1995, 1996 et 1996. Néanmoins, le juge a accordé des dommages-intérêts compensatoires de 1 000 $, y compris les frais, à M. Campbell, en vertu de l'article 24 de la Charte, pour dédommager le demandeur du temps, des frais et de l'énergie qu'il avait consacrés par suite d'avoir été obligé d'en appeler de la décision à cause de son sexe. En outre, le juge a émis une « directive obligatoire » selon laquelle, à l'avenir, la Cour de l'impôt devait décider qui, du père ou de la mère, était le principal responsable des soins, sans avoir recours à une présomption et sans imposer une charge de la preuve à quiconque.

[19]            L'avocate du ministre allègue que le juge a commis une erreur quand il a conclu que les droits de M. Campbell en vertu de l'article 15 avaient été violés. Toutefois, si, contrairement à son argument, il y avait eu violation de la Charte, la Cour de l'impôt n'avait pas compétence pour y remédier en accordant des dommages-intérêts compensatoires ou en donnant une « directive obligatoire » .

[20]            Outre défendre la compétence de la Cour de l'impôt pour accorder ces réparations en vertu de l'article 24, l'avocate de M. Campbell soutient que le juge aurait dû conclure que l'alinéa 122.6f) lui-même était invalide en vertu de l'article 15. Toutefois, elle ne conteste pas la conclusion du juge selon laquelle Mme Campbell était la principale responsable du soin de Trystan pendant la période pertinente et qu'elle était donc admissible à recevoir la PFCE, conclusion qui était fondée sur la preuve dont le juge était saisi.

[21]            Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que l'alinéa 122.6f) ne viole pas l'article 15. La validité de la présomption légale en faveur de la mère ne se limite pas aux situations où il est raisonnable de conclure que l'intérêt supérieur de l'enfant exige le paiement aussi rapide de la PFCE. La réponse donnée par le sous-procureur général à l'avis d'appel de M. Campbell semble avoir été le seul motif sur lequel s'est appuyé le juge pour conclure que, lors du réexamen, le ministre avait décidé que M. Campbell n'avait pas droit à la PFCE à cause de la présomption légale sans s'intéresser aux réponses données par M. Campbell dans le questionnaire. Toutefois, je ne comprends pas très bien comment la réponse permet de tirer une telle inférence. Quoi qu'il en soit, dans l'avis de confirmation du réexamen, M. Campbell a été avisé que le ministre avait [traduction] « examiné les motifs mentionnés dans votre avis d'opposition, ainsi que tous les faits pertinents » . Puisque la preuve ne permet pas de conclure que le réexamen effectué par le ministre violait les droits de M. Campbell en vertu de l'article 15, les dommages-intérêts compensatoires accordés par le juge ne sauraient être confirmés.

[22]            Par voie de conséquence, il m'est inutile de décider si la Cour de l'impôt a compétence pour accorder des dommages-intérêts ou pour émettre des « directives obligatoires » en vertu de l'article 24 de la Charte. Il appartiendra à un autre tribunal de trancher ces questions.

[23]            Par ailleurs, il est clair, à la lumière de l'arrêt Nouvelle-Écosse (Worker's Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, que, conformément au paragraphe 52(1) de la Charte, la Cour de l'impôt a compétence pour examiner la constitutionnalité d'une disposition de la LIR ou l'application de la disposition à des faits en particulier ou encore une mesure administrative qui aurait été prise en conformité avec la disposition, lorsque l'examen s'avère nécessaire afin de trancher un appel qui relève de sa compétence.

E.         CADRE LÉGISLATIF

[24]            Voici les dispositions légales et constitutionnelles pertinentes en l'espèce :

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1

122.6 « particulier admissible » S'agissant, à un moment donné, du particulier admissible à l'égard d'une personne à charge admissible, personne qui répond aux conditions suivantes à ce moment :

a) elle réside avec la personne à charge;

b) elle est la personne -- père ou mère de la personne à charge -- qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de cette dernière;

[...]

f) si la personne à charge réside avec sa mère, la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de la personne à charge est présumée être la m

g) la présomption visée à l'alinéa f) ne s'applique pas dans les circonstances prévues par règlement;

[...]

122.6 "eligible individual" in respect of a qualified dependant at any time means a person who at that time

(a) resides with the qualified dependant,

(b) is the parent of the qualified dependant who primarily fulfils the responsibility for the care and upbringing of the qualified dependant,

...

(f) where the qualified dependant resides with the dependant's female parent, the parent who primarily fulfils the responsibility for the care and upbringing of the qualified dependant is presumed to be the female parent,

(g) the presumption referred to in paragraph 122.6 eligible individual (f) does not apply in prescribed circumstances,

...

Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C. ch. 945

6301(1) Pour l'application de l'alinéa g) de la définition de « particulier admissible » à l'article 122.6 de la Loi, la présomption mentionnée à l'alinéa f) de cette définition ne s'applique pas dans les circonstances suivantes :

a) la mère de la personne à charge admissible déclare par écrit au ministre qu'elle réside avec le père de cette personne et qu'il est celui qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de chacune des personnes à charge admissibles avec lesquelles les deux résident;

b) la mère est une personne à charge admissible d'un particulier admissible et chacun d'eux présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l'égard de la même personne à charge admissible;

c) la personne à charge admissible a plus d'une mère avec qui elle réside et chacune des mères présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l'égard de la personne à charge admissible;

d) plus d'une personne présente un avis au ministre conformément au paragraphe 122.62(1) de la Loi à l'égard de la même personne à charge admissible qui réside avec chacune d'elles à des endroits différents.

6301(1) For the purposes of paragraph (g) of the definition "eligible individual" in section 122.6 of the Act, the presumption referred to in paragraph (f) of that definition does not apply in the circumstances where

(a) the female parent of the qualified dependant declares in writing to the Minister that the male parent, with whom she resides, is the parent of the qualified dependant who primarily fulfils the responsibility for the care and upbringing of each of the qualified dependants who reside with both parents;

(b) the female parent is a qualified dependant of an eligible individual and each of them files a notice with the Minister under subsection 122.62(1) of the Act in respect of the same qualified dependant;

(c) there is more than one female parent of the qualified dependant who resides with the qualified dependant and each female parent files a notice with the Minister under subsection 122.62(1) of the Act in respect of the qualified dependant; or

(d) more than one notice is filed with the Minister under subsection 122.62(1) of the Act in respect of the same qualified dependant who resides with each of the persons filing the notices if such persons live at different locations.

Charte canadienne des droits et libertés

15(1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15(1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

F.        ANALYSE

[25]            Les parties conviennent que M. Campbell satisfait aux deux premières étapes du cadre d'analyse établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Law pour déterminer s'il y a eu violation de l'article 15.

[26]            Premièrement, l'alinéa 122.6f) établit une distinction formelle fondée sur une caractéristique personnelle, entre un parent de sexe masculin, comme M. Campbell, et un parent de sexe féminin, en présumant, en l'absence d'une preuve contraire, que la mère assume principalement la responsabilité pour le soin de ses enfants. Par contre, le père qui demande la PFCE doit fournir des renseignements à l'appui ou encore le consentement, par écrit, de la mère avec qui lui et l'enfant résident, document dans lequel la mère affirme que le père est le principal responsable de l'enfant.

[27]            Deuxièmement, le demandeur fait l'objet d'une différence de traitement fondée sur le sexe, motif de distinction illicite en vertu de l'article 15. Que les hommes ne soient pas tous des pères n'est, bien entendu, pas pertinent puisque les pères sont un sous-groupe de la catégorie des hommes : Trociuk c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 835, au paragraphe 10.

[28]            Le litige repose donc sur la troisième étape de Law, la plus difficile, à savoir si le traitement différent fondé sur le sexe prévu à l'alinéa 122.6f) sape la dignité fondamentale de M. Campbell en tant que membre de ce groupe. La question de savoir s'il est porté atteinte à la dignité d'une personne au sens constitutionnel doit être tranchée au moyen d'une analyse tant subjective qu'objective. La question est de savoir « si, du point de vue d'une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur, il est possible de conclure à une atteinte à sa dignité humaine » : Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 223 (la juge Deschamps, dissidente). La question de savoir si la personne hypothétique, qui aurait également tenu compte des facteurs contextuels, aurait tiré la même conclusion, doit être tranchée au moyen d'une analyse de quatre facteurs.

(i) La nature du droit en jeu

[29]            M. Campbell affirme que l'alinéa 122.6f) nuit à la reconnaissance publique de son rôle en tant que parent, rôle qui est au coeur de son identité personnelle. Je ne suis pas d'accord. L'alinéa 122.6f) ne refuse pas la PFCE aux pères qui sont les principaux responsables du soin de leurs enfants. Le Règlement prévoit certaines exceptions à l'application de l'alinéa 122.6f) et, lorsque la présomption en faveur de la mère s'applique (comme en l'espèce), le père peut la réfuter.

[30]            Ainsi, la présomption n'a pas pour effet d'exclure les pères de la PFCE pour les aider à répondre aux besoins des enfants dont ils sont les principaux responsables, sauf, peut-être, dans des situations inhabituelles lorsque la preuve présentée par des parents qui veulent tous deux toucher la PFCE est également probante. Il faut cependant noter queM. Campbell ne conteste pas la conclusion de fait, tirée par le juge sans tenir compte de la présomption, qu'il n'était pas le principal responsable du soin de Trystan pendant la période pertinente.

[31]            Contrairement aux dispositions examinées dans Trociuk, l'alinéa 122.6f) ne prétend pas exclure les pères d'une participation égale à celle de la mère à un aspect quelconque de la vie de leur enfant et la disposition n'empêche pas non plus la reconnaissance publique du rôle de parent que joue le père qui est le principal responsable du soin des enfants. Somme toute, les facteurs suivants laissent à penser que l'on ne saurait raisonnablement conclure que l'alinéa 122.6f) dit que les hommes ne sont pas de bons parents : la nature administrative de la présomption légale, les exceptions quant à son application et, lorsque la présomption s'applique et que plusieurs personnes réclament la PFCE, son effet limité sur le règlement du différend.

(ii) La préexistence d'un désavantage, de vulnérabilité, de stéréotypes ou de préjugés subis par la personne ou par le groupe

[32]            L'avocate n'a produit aucune preuve susceptible d'établir que les pères sont défavorisés, en tant que groupe, qu'ils sont vulnérables ou qu'ils font l'objet de stéréotypes, surtout pour ce qui concerne les aspects économiques de la vie familiale. La position relativement défavorable des mères et des enfants est examinée ci-dessous.

(iii) L'objet ou l'effet d'amélioration proposé

[33]            Une loi qui a pour objet d'améliorer la position d'un groupe traditionnellement défavorisé ou vulnérable est moins susceptible d'être présumée portant atteinte à la dignité d'un groupe plus favorisé. Dans le cas qui nous occupe, les femmes ont toujours été défavorisées par rapport aux hommes. Par exemple, en moyenne, les femmes gagnent moins que les hommes et, lors de l'échec d'une relation, les femmes qui ont des enfants sont presque toujours défavorisées sur le plan économique, surtout si elles ont quitté le marché du travail ou si elles ont renoncé aux études ou à la formation pour s'occuper des enfants à la maison. Voir Miglin c. Miglin, [2003] R.C.S. 303, 2003 CSC 24, au paragraphe 198, (le juge LeBel, dissident).

[34]            Les enfants dépendent des adultes, habituellement leurs parents, pour leurs besoins physiques et pour leur développement. Ils ont été reconnus comme étant un groupe qui a toujours été défavorisé : Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 225.

[35]            Selon moi, le régime applicable à la PFCE a été conçu, dans l'ensemble, pour profiter aux enfants, surtout aux enfants des familles à faible revenu, puisqu'il prévoit le versement du paiement à la personne qui assume principalement leur soin, habituellement la mère. L'objet de la PFCE a été décrit dans Cabot c. Canada, [1998] 4 C.C.I. 2893, au paragraphe 20, en ces termes :

La prestation fiscale pour enfants doit profiter à l'enfant. Elle fournit au parent qui assume principalement la responsabilité pour le soin et l'éducation de l'enfant une aide financière pour élever celui-ci.

[36]            Dans le cadre du régime législatif, l'alinéa 122.6f) permet que la PFCE soit versée à la personne qui assume principalement la responsabilité pour le soin de l'enfant, sans délai, alors que, si la présomption était abolie, le règlement des demandes rivales entraînerait certainement un délai. La présomption profite donc aux enfants, surtout ceux des familles à faible revenu.

[37]            L'avocate de M. Campbell a reconnu que, même si le nombre de pères qui décident de demeurer au foyer pour s'occuper des enfants a augmenté (il est passé de 1 p. 100 en 1976 à 6 p. 100 en 1997), statistiquement, les mères sont plus susceptibles que les pères d'assumer la responsabilité du soin des enfants dans les familles qui comportent deux parents. Par conséquent, la présomption aide également les femmes en leur enlevant le fardeau de présenter une preuve afin d'établir qu'elles sont les principales responsables et en leur donnant le bénéfice du doute quand il est difficile de trancher.

[38]            Bref, l'objet ou l'effet d'amélioration de la PFCE en général, et de l'alinéa 122.6f) en particulier, affaiblit l'argument de M. Campbell, membre d'un groupe favorisé, selon lequel une personne raisonnable, se trouvant dans la situation du demandeur, conclurait que la présomption légale porte atteinte à la dignité des parents de sexe masculin.

(iv) La correspondance entre les motifs de l'allégation et la situation du demandeur

[39]            Pour ce qui concerne cette question, la Cour doit se demander dans quelle mesure la disposition contestée tient compte des besoins, des capacités et des qualités propres à M. Campbell de manière à respecter sa valeur en tant que personne et, en particulier, en tant que père.

[40]            L'alinéa 122.6f) n'empêche pas d'examiner le rôle du père en tant que responsable pour le soin de l'enfant lorsque des observations à l'appui sont présentées. D'ailleurs, l'alinéa 122.6f) n'autorise pas le rejet d'une demande de PFCE présentée par un père à cause uniquement de la présomption qui favorise la mère. Les observations et la preuve présentées par le père qui indiquent qu'il assume principalement la responsabilité de l'enfant, et qui suffisent à réfuter la présomption, doivent être soigneusement examinées et pondérées, ainsi que tous les autres renseignements dont dispose le décideur.

[41]            L'alinéa 122.6f) est avantageux pour les mères parce que, dans les familles qui comportent deux parents, un nombre plus élevé de mères que de pères assument principalement la responsabilité pour le soin des enfants. Certes, il pourrait arriver, dans quelques rares cas où plusieurs demandes sont présentées et que la preuve est aussi probante dans un cas comme dans l'autre, que la présomption entraîne une décision favorable à la mère même si le père est, en fait, le principal responsable. Cependant, aucun processus décisionnel n'est infaillible.

[42]            Selon moi, il y a un lien raisonnablement étroit entre l'alinéa 122.6f) et l'examen individuel du rôle que joue réellement un père dans le soin de son enfant.

G.        CONCLUSIONS

[43]            Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que, analysé dans le contexte approprié, l'alinéa 122.6f) soit discriminatoire au sens constitutionnel : une personne raisonnable se trouvant dans la situation de M. Campbell ne pourrait pas conclure, eu égard aux facteurs contextuels, que la présomption légale porte atteinte à sa dignité.

[44]            Il n'y a donc pas lieu d'effectuer une analyse distincte de l'argument selon lequel l'alinéa 122.6f) est invalide parce qu'il refuse aux femmes le droit à l'égalité en vertu de la loi. Je ne pense pas que l'avocate ait prétendu qu'il fallait annuler la disposition au motif qu'elle portait atteinte à la dignité des femmes. Au contraire, elle a invoqué l'alinéa pour appuyer son argument principal voulant qu'il était discriminatoire à l'égard des hommes.

[45]            Quoi qu'il en soit, les raisons que j'ai de conclure que l'alinéa 122.6f) ne peut raisonnablement porter atteinte à la valeur des pères en tant que parents sont, pour la plupart, applicables également à l'allégation selon laquelle la disposition donnerait à penser que les femmes sont à leur place auprès des enfants. La présomption ne limite ni ne décourage les femmes de poursuivre une carrière à l'extérieur du domicile.

[46]            En appliquant la présomption de manière à verser la PFCE aux mères, dans le but de veiller à ce que la somme d'argent soit payée promptement et efficacement à la personne qui est habituellement responsable de répondre aux besoins de l'enfant, l'alinéa 122.6f) reflète tout simplement la réalité sociale du rôle des parents. Je ne suis pas convaincu qu'une femme raisonnable qui a tenu compte des facteurs contextuels conclurait que la présomption porte atteinte à sa dignité.

[47]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel et j'annulerais la décision de la Cour canadienne de l'impôt. Puisqu'il s'agit d'un appel interjeté par le ministre à l'encontre d'un jugement dans le cadre d'une procédure informelle à laquelle s'applique l'article 18 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. 1985, ch. T-2, les « frais entraînés pour le contribuable par un appel [...] sont payés » en conformité avec l'article 18.25.

« John M. Evans »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

     J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris aux présents motifs

     K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 A-590-04

                                                                                   

INTITULÉ :                                                                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                    c.

                                                                                    WILLIAM S. CAMPBELL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 12 OCTOBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                  LES JUGES SEXTON ET SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                               LE 9 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Catherine L. De St. Just

Jenny Mboutsiadis

POUR L'APPELANT

Catherine B. Flood

Anne Glover

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice

Contentieux des affaires fiscales

Toronto (Ontario)

POUR L'APPELANT

Blake Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉ

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