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Date : 20060127

Dossier : A-641-04

Référence : 2006 CAF 34

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

SOUTH YUKON FOREST CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er décembre 2005

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                           LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                            LE JUGE PELLETIER


Date : 20060127

Dossier : A-641-04

Référence : 2006 CAF 34

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

SOUTH YUKON FOREST CORPORATION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]                La Cour est saisie d'un appel interjeté à l'encontre d'une décision de Madame la juge Heneghan de la Cour fédérale, en date du 23 novembre 2004, telle que modifiée par une ordonnance du 11 janvier 2005, rejetant en partie la requête de l'appelante en vue de :

1.                   de constituer Liard Plywood & Lumber Manufacturing Inc. (LPL) codemanderesse;

2.                   de modifier sa déclaration pour ajouter une nouvelle cause d'action pour inexécution de contrat;

3.                   d'apporter différentes modifications accessoires à sa déclaration concernant les causes d'action existantes.

[2]                Pour commencer, il est utile de reproduire les deux ordonnances rendues par la juge saisie des requêtes :

Ordonnance du 23 novembre 2004

                La Cour rejette la requête présentée par la demanderesse en vue de constituer LPL codemanderesse.

La requête présentée par la demanderesse en vue de modifier la déclaration et d'ajouter un droit d'action de nature contractuelle est accueillie. La demanderesse devra, dans les dix (10) jours de la présente ordonnance, déposer et signifier une déclaration expurgée après avoir supprimé les modifications proposées par lesquelles elle cherche à constituer LPL codemanderesse dans la présente action. La défenderesse est autorisée à déposer et à signifier une défense modifiée dans les deux semaines de la réception de la déclaration expurgée.

Les parties doivent déposer et signifier leurs observations sur les dépens de la manière suivante : la demanderesse devra déposer et signifier ses observations dans les sept jours de la présente ordonnance et la défenderesse devra déposer et signifier ses observations dans les sept jours de la réception des observations de la demanderesse. Il n'y aura pas d'actes de procédure en réponse.

****************

Ordonnance du 11 janvier 2005

[Traduction]

                VU qu'une faute de transcription s'est glissée dans la première ligne du paragraphe 2 de l'ordonnance rendue le 23 novembre 2004, disposant de la requête présentée par la demanderesse en vue de modifier la déclaration;

                ET conformément aux Règles des Cours fédérales de 1998, DORS/98-106 (les Règles), et plus particulièrement au paragraphe 397(2), l'ordonnance mentionnée plus haut est par les présentes modifiée par l'élimination du mot « et » de manière à ce que la première phrase du paragraphe 2 se lise comme suit :

                                La requête présentée par la demanderesse en vue de modifier la déclaration de nature contractuelle est accueillie.

                Hormis cette modification, l'ordonnance demeure inchangée.

[Non souligné dans l'original.]

[3]                Voici les dispositions pertinentes des Règles des Cours fédérales de 1998, soit les articles 104 et 397 :

104. (1) la Cour peut, à tout moment ordonner :

a) qu'une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n'est pas nécessaire au règlement des questions en litige soit mise hors de cause;

b) que soit constituée comme partie à l'instance toute personne qui aurait dû l'être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l'instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

[...]

397. (1) Dans les 10 jours après qu'une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l'ordonnance, telle qu'elle était constituée à ce moment, d'en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :

a) l'ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier;

b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.

(2) Les fautes de transcription, les erreurs et les omissions contenues dans les ordonnances peuvent être corrigées à tout moment par la Cour.

104. (1) At any time, the Court may

(a) order that a person who is not a proper or necessary party shall cease to be a party; or

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all manners in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

...

397. (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that

(a) the order does not accord with any reasons given for it; or

(b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted.

(2) Clerical mistakes, errors or omissions in an order may at any time be corrected by the Court.

[4]                L'appelante, South Yukon Forest Corporation, a déposé une déclaration devant la Cour fédérale le 9 novembre 2001; elle a déposé une déclaration modifiée le 27 août 2002. En résumé, l'appelante allègue qu'en se fondant sur une entente conclue avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère) et les déclarations et promesses faites par ce ministère, selon lesquelles une quantité de bois minimale serait allouée à la région de Watson Lake, au Yukon, elle a entrepris de construire une scierie dans la région. L'appelante affirme que le ministère a omis de fournir le volume de bois minimal convenu et qu'à ce titre, elle a un droit d'action pour inexécution de contrat, déclarations négligentes, manquement aux obligations de fiduciaire et abus dans l'exercice d'une charge publique.

[5]                Le 13 février 2004, l'appelante a déposé la requête faisant l'objet des deux ordonnances rendues par la juge saisie des requêtes. Comme l'indiquent ces ordonnances, la juge a refusé d'autoriser l'appelante à constituer LPL codemanderesse et l'a autorisée à ajouter un nouveau droit d'action de nature contractuelle. En ce qui concerne le volet de la requête où l'appelante demande l'autorisation d'apporter des modifications qualifiées d'accessoires, il subsiste un doute sur ce que la juge a ordonné exactement en raison du contenu de la deuxième ordonnance.

[6]                Avant d'examiner les arguments soulevés par l'appelante au soutien de sa demande de constituer LPL codemanderesse, un bref examen de l'affidavit souscrit le 9 février 2004 par Alan Glen Kerr, président de l'appelante et de LPL à une certaine époque, s'impose. L'affidavit de M. Kerr a été déposé par l'appelante au soutien de sa requête en vue de constituer LPL codemanderesse.

[7]                M. Kerr a déclaré que LPL, qui a été constituée en personne morale le 26 janvier 1996, a entamé des discussions avec les dirigeants de 391605 B.C. Ltd. au cours de l'été 1997, dans le but précis de conclure une entente pour la construction d'un complexe de transformation du bois à Watson Lake, au Yukon. La société 391605 B.C. Ltd. devait fournir le soutien financier et l'expertise nécessaires pour concevoir, construire, installer et exploiter le complexe de transformation du bois proposé. Pour sa part, LPL devait fournir le capital de risque, les plans d'affaires, l'achalandage, la location du moulin à scie, les ententes d'exploitation forestière de même que les participations et les ressources pour le projet.

[8]                Pour la mise en oeuvre de leur entente, LPL et 391605 B.C. Ltd. ont décidé de constituer une nouvelle entité, South Yukon Forest Corporation (l'appelante) et ont convenu que LPL détiendrait en fiducie la seule et unique action émise, au nom de LPL et de 391605 B.C. Ltd. Il a été entendu entre les parties que l'appelante réaliserait le projet pour leur compte, y compris la construction et l'exploitation du complexe de transformation du bois. L'appelante a été constituée en personne morale le 5 novembre 1997.

[9]                Aux paragraphes 20 à 27 de son affidavit, M. Kerr mentionne cette partie de la déclaration modifiée et plus particulièrement, le paragraphe 12 de cette déclaration, qui contient des allégations sur les assurances, déclarations, engagements et promesses faits par l'intimée, avant la constitution de l'appelante en personne morale, le 5 novembre 1997. M. Kerr affirme que ces assurances, déclarations, engagements et promesses ont été donnés par l'intimée à LPL ou à ses dirigeants, mandataires, employés ou représentants.

[10]            Au paragraphe 32 de son affidavit, M. Kerr affirme qu'au cours de l'interrogatoire préalable de l'appelante, le 6 février 2003, l'avocat de l'appelante a informé l'avocat de l'intimée que tous les droits de LPL avaient été cédés à l'appelante à la date de constitution de cette entité.

[11]            Le principal argument de l'appelante, dans ce litige, est qu'elle est habilitée à se prévaloir de tous les droits d'action contre l'intimée, au motif que tous les droits d'action de LPL contre l'intimée lui ont été cédés. Toutefois, à titre d'argument subsidiaire, l'appelante fait valoir que dans l'éventualité où la cession est jugée invalide ou sans effet, en droit ou en equity, LPL est habilitée à se prévaloir de tous ses droits contre l'intimée. Ces arguments sont exposés aux paragraphes 6 et 7 de la déclaration modifiée du 27 avril 2004, jointe à la requête présentée par l'appelante le 13 février 2004 :

6.                     Vers 1997, LPL a fait constituer South Yukon Forest Corporation en personne morale pour qu'elle puisse exploiter la coentreprise et LPL a cédé à South Yukon Forest Corporation tous les droits, titres, participations et ressources qu'elles possédaient dans le projet de scierie de Watson Lake, y compris, toutes les actions, réclamations, mises en demeure et causes d'action qu'elle possédait ou pouvait faire valoir contre la défenderesse.

7.                     À titre subsidiaire, vers 1997, LPL a conclu avec la 391605 British Columbia Ltd. un contrat aux termes duquel LPL s'engageait à faire apport à l'entreprise de certains de ses droits, titres, participations et ressources tout en conservant toutes ses actions, réclamations, mises en demeure et causes d'action contre la défenderesse en ce qui concerne les assurances, déclarations, engagements et promesses faites par la défenderesse à LPL.

[12]            En conséquence, l'appelante soutient que LPL doit être constituée codemanderesse afin de protéger tous ses droits d'action contre l'intimée.

[13]            La juge a rejeté la requête présentée par l'appelante en vue de constituer LPL codemanderesse. Premièrement, elle a estimé que la question soulevée par la cession alléguée des droits de LPL à l'appelante était une question de faits et qu'il n'y avait pas lieu de conclure qu'une personne doit nécessairement être constituée partie dans une action pour la seule raison que cette personne peut fournir un élément de preuve concernant une question en litige. La juge a également estimé que la cession était une question secondaire, en ce qui concerne les modifications que l'appelante souhaitait apporter à sa déclaration en vue de plaider l'inexécution de contrat. Selon elle, il n'existe « pas de lien évident entre les deux questions » .

[14]            Deuxièmement, la juge a souligné que contrairement à l'alinéa 104(1)b) des Règles, qui exige un consentement écrit de la part du demandeur proposé, aucun consentement écrit de LPL n'avait été versé au dossier de la Cour.

[15]            Comme je l'ai déjà mentionné, l'appelante cherche à faire constituer LPL codemanderesse, non pas pour prouver la cession des droits de LPL mais pour protéger les droits d'action contre l'intimée, dans l'éventualité où la cession est déclarée invalide ou sans effet. Aux paragraphes 32 à 65 de son exposé des faits et du droit, l'appelante explique avec force détails pourquoi la juge pourrait éventuellement remettre en cause la validité de la cession. Plus particulièrement, l'appelante soutient que la juge pourrait conclure qu'il s'agit d'une cession en equity non absolue de choses non possessoires ou que la cession n'est pas valable parce que les recours de LPL contre l'intimée constituent une « créance sur Sa Majesté » incessible. L'appelante plaide que dans l'une ou l'autre situation, LPL doit être constituée codemanderesse afin de protéger ses droits d'action contre l'intimée.

[16]            L'intimée, qui s'oppose à la constitution de LPL comme demanderesse et par le fait même, appuie la décision de la juge saisie des requêtes, fait valoir plusieurs arguments.

[17]            En premier lieu, elle affirme que l'ordonnance relève d'un pouvoir discrétionnaire et que la Cour ne doit pas intervenir, sauf si elle est convaincue que la juge a appliqué un principe erroné ou qu'elle a commis une erreur manifeste sur les faits. L'intimée soutient que la juge n'a commis aucune erreur de cette nature.

[18]            L'intimée fait ensuite valoir que la juge n'a commis aucune erreur en affirmant qu'il fallait un consentement écrit de LPL pour satisfaire aux exigences de l'alinéa 104(1)b) des Règles.

[19]            Troisièmement, l'intimée soutient que la juge a conclu à juste titre que l'appelante, à qui il incombait de prouver que la présence de LPL était nécessaire, n'avait pas satisfait à son fardeau de preuve.

[20]            À mon avis, la juge a commis une erreur en refusant d'autoriser l'appelante à constituer LPL comme partie à l'instance. Je suis convaincu que l'erreur de la juge découle à la fois d'une mauvaise compréhension des motifs soulevés par l'appelante en vue de constituer LPL codemanderesse et d'une interprétation erronée de l'article 104 des Règles.

[21]            En ce qui concerne le fait que LPL a omis de fournir un consentement écrit, je suis d'avis que la juge a commis une erreur de droit en concluant, avant de rendre sa décision, que l'alinéa 104(1)b) des Règles exige le dépôt d'un consentement écrit de LPL.

[22]            L'alinéa 104(1)b) des Règles précise simplement que « nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne » . Cette disposition n'impose pas comme condition absolue qu'une personne dépose un consentement écrit avant qu'une question ne soit tranchée et elle ne limite pas non plus l'expression du consentement à la forme écrite. La Cour peut, selon les circonstances, juger suffisant le consentement d'une personne exprimé d'une autre manière que par un document écrit.

[23]            À mon avis, le fait que LPL et l'appelante soient représentés par les mêmes avocats et que l'avocat ait informé le juge lors de l'audience que LPL consentait à être constituée codemanderesse était suffisant pour permettre à la juge de conclure qu'il y avait consentement de la part de LPL et que par voie de conséquence, les exigences de l'alinéa 104(1)b) des Règles avaient été satisfaites. À tout le moins, la juge aurait dû, comme le propose l'appelante, rendre une ordonnance conditionnelle au dépôt d'un consentement écrit de LPL.

[24]            Examinons maintenant l'argument principal de l'appelante, à savoir que LPL doit nécessairement être partie au présent litige et que par conséquent, conformément à l'article 104 des Règles, la juge aurait dû ordonner que LPL soit constituée partie à l'instance.

[25]            Même s'il est vrai, comme l'a si justement souligné l'intimée, que la Cour doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard des ordonnances rendues en vertu d'un pouvoir discrétionnaire du juge, je pense que la juge a commis une erreur manifeste quant aux faits. Selon moi, elle a mal compris la raison pour laquelle l'appelante souhaitait constituer LPL codemanderesse. Au paragraphe 13 qui précède, j'ai précisé les motifs sur lesquels la juge s'est fondée pour rejeter la requête de l'appelante en vue de constituer LPL codemanderesse. Son raisonnement est exposé aux paragraphes 17 et 18 de ses motifs, comme suit :

[17]             La présumée cession est une question de fait et, partant, une question de preuve. Une personne n'est pas une partie dont la présence est nécessaire du simple fait qu'elle a des éléments de preuve pertinents à apporter (Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d'enquête), [1998] 4 C.F. 125 (C.A.)).

[18]             Il me semble que la question de la cession est secondaire par rapport aux modifications que la demanderesse souhaite apporter à sa déclaration pour plaider l'inexécution de contrat. Je ne vois pas de lien évident entre les deux questions.

[26]            Ces extraits illustrent que la juge n'a manifestement pas tenu compte des motifs précis soulevés par l'appelante pour justifier sa requête de constituer LPL codemanderesse, à savoir qu'il était nécessaire de joindre LPL au litige pour le cas où la cession serait déclarée invalide, afin de protéger ses droits d'action contre l'intimée.

[27]            À l'appui de la décision de la juge saisie des requêtes, l'intimée plaide un manque de preuve concernant la cession des droits de LPL à l'appelante. Plus particulièrement, elle affirme que l'appelante a omis de préciser la nature de la cession et la nature des droits incorporels allégués.

[28]            Ces considérations ne sont pas pertinentes. La question que la juge saisie des requêtes devait trancher ne consistait pas à déterminer si LPL avait effectivement cédé ses droits à l'appelante mais plutôt à déterminer si, dans les circonstances, il était nécessaire d'autoriser l'appelante à constituer LPL codemanderesse pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige en l'espèce. À mon avis, la réponse à cette question ne peut être qu'affirmative.

[29]            Les arguments soulevés par l'appelante et LPL sont clairement exposés aux paragraphes 6 et 7 de la deuxième version modifiée de leur déclaration tel que proposée, que j'ai déjà reproduits. L'appelante et LPL soutiennent que les droits d'action de LPL contre l'intimée ont été cédés à l'appelante. Si cette allégation s'avérait exacte, l'appelante serait alors habilitée, dans l'éventualité où la responsabilité de l'intimée est établie, à obtenir les réparations qu'elle demande. Cependant, si la cession était déclarée invalide, il deviendrait impossible d'obtenir réparation de l'intimée, à moins que LPL n'ait été constituée partie à l'instance.

[30]            En de telles circonstances, donc, contrairement à ce qu'affirme l'intimée, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas suffisant que l'appelante allègue, au soutien de sa requête en vue de constituer LPL codemanderesse, la cession qui aurait été faite par LPL. Que l'appelante obtienne ou non gain de cause, au bout du compte, n'est pas une question pertinente dans le présent appel, pas plus qu'elle n'aurait dû l'être devant la juge saisie des requêtes.

[31]            Je conclus donc qu'en refusant d'autoriser l'appelante à constituer LPL codemanderesse, la juge a commis une erreur manifeste sur les faits dont elle était saisie.

[32]            Examinons maintenant la question des modifications accessoires. Cette question découle de la deuxième ordonnance prononcée par la juge le 11 janvier 2005, que j'ai déjà reproduite avec la première ordonnance. Pour avoir une vue d'ensemble plus complète, il faut également examiner les paragraphes 23 à 25 des motifs fournis par la juge saisie des requêtes au soutien de sa première ordonnance :

[23]             Les modifications proposées ne visent pas à modifier la qualité en laquelle la demanderesse intente la présente action. Elles visent un double objectif : constituer une nouvelle partie à l'instance et ajouter une nouvelle cause d'action, en l'occurrence l'inexécution de contrat découlant d'un contrat implicite conclu avec la défenderesse. Sinon, les modifications proposées visent des ententes contractuelles intervenues entre LPL et d'autres personnes et elles fournissent des précisions au sujet des allégations de négligence formulées contre la défenderesse.

[24]             La jurisprudence récente de la Cour d'appel fédérale en matière de modification des actes de procédure semble favoriser l'octroi de telles modifications. À cet égard, je cite les arrêts Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Landmark Cinemas of Canada Ltd. et al. (2004), 316 N.R. 387 (C.A.F.) et Iris, Le Groupe Visuel (1990) Inc. c. Trustus International Trading Inc., [2004] A.C.F. n ° 752.

[25]             La requête présentée par la demanderesse en vue de constituer LPL codemanderesse est par conséquent rejetée. La requête en modification de la déclaration en vue d'y ajouter un droit d'action de nature contractuelle est accueillie, à condition que la demanderesse supporte tous les dépens entraînés par ces modifications.

[33]            Au paragraphe 25 de ses motifs, la juge affirme que « [l]a requête en modification de la déclaration en vue d'y ajouter un droit d'action de nature contractuelle est accueillie » . Pourtant, l'ordonnance est libellée différemment : « [l]a requête présentée par la demanderesse en vue de modifier la déclaration et d'ajouter un droit d'action de nature contractuelle est accueillie » .

[34]            L'ordonnance précise en outre que l'appelante devra « déposer et signifier une déclaration expurgée après avoir supprimé les modifications proposées par lesquelles elle cherche à constituer LPL codemanderesse dans la présente action » . Autrement dit, l'appelante devra inclure dans sa nouvelle déclaration modifiée toutes les modifications demandées, exception faite de celles qui visent à constituer LPL codemanderesse.

[35]            En se fondant sur la première ordonnance et les motifs fournis par la juge au soutien de cette ordonnance, l'appelante a déposé et signifié une deuxième déclaration modifiée incorporant les modifications relatives au droit d'action contractuel de même que les modifications accessoires. Dans la deuxième défense modifiée qu'elle a déposée et signifiée en réponse à la deuxième déclaration modifiée, l'intimée réplique aux modifications relatives au droit d'action contractuel ainsi qu'aux modifications accessoires faisant suite à la première ordonnance. La deuxième déclaration modifiée et la deuxième défense modifiée ont été déposées et signifiées avant que la juge ne rende la deuxième ordonnance.

[36]            Je dois dire, en premier lieu, que la première ordonnance est claire. Elle ne comporte aucune ambiguïté puisqu'il ne fait aucun doute que la juge a autorisé les modifications accessoires. Non seulement l'ordonnance précise-t-elle que la requête de l'appelante en vue de modifier sa déclaration et d'ajouter un droit d'action de nature contractuelle est accueillie mais elle enjoint également à l'appelante de signifier et de déposer « une déclaration expurgée » dans laquelle seront incorporées les modifications proposées, hormis celles visant à constituer LPL codemanderesse. L'ordonnance rendue par la juge découle en toute logique de ce qu'elle affirme aux paragraphes 23 et 24 de ses motifs. Au paragraphe 23, elle explique que les modifications proposées par l'appelante visent à ajouter un nouveau droit d'action, à savoir l'inexécution contractuelle, et entre autres choses, à apporter des précisions concernant les allégations de négligence contre l'intimée. Au paragraphe 24, elle cite des décisions de la Cour en matière de modification d'actes de procédure et affirme que cette jurisprudence milite en faveur d'une décision autorisant les modifications. Ainsi, le libellé de la première ordonnance était tout à fait prévisible. De fait, tant l'appelante que l'intimée ont présumé, en signifiant et en déposant leurs déclaration et défense modifiées, que la juge avait autorisé l'appelante à apporter les modifications accessoires. Selon moi, compte tenu du libellé de la première ordonnance, l'appelante et l'intimée avaient compris à juste titre que les modifications accessoires avaient été autorisées.

[37]            En tout état de cause, il me semble qu'après avoir répondu à la deuxième déclaration modifiée sans soulever d'objection, l'intimée n'est plus en position de prétendre que cette procédure n'est pas recevable. Si l'intimée pensait que cet acte de procédure n'est pas recevable, elle n'avait qu'à présenter une requête en vertu de l'article 58 des Règles avant de déposer une défense modifiée en réponse à la deuxième déclaration modifiée.

[38]            Dans son ordonnance du 11 janvier 2005, la juge, prétendant corriger une faute de transcription tel que prévu au paragraphe 397(2) des Règles, a supprimé les mots « et d'ajouter un droit d'action de nature contractuelle » , dans la première phrase du deuxième paragraphe de la première ordonnance. Suite à la délivrance de cette deuxième ordonnance, l'appelante ne sait plus si les modifications accessoires ont été autorisées ou non.

[39]            Bien que la juge ait justifié la deuxième ordonnance en s'appuyant sur le paragraphe 397(2) des Règles, je pense qu'elle n'était pas fondée de rendre son ordonnance en vertu de cette disposition. Le paragraphe 397(2) des Règles autorise la Cour à corriger, à tout moment, les fautes de transcription, les erreurs et les omissions contenues dans une ordonnance. Selon moi, les corrections apportées à la première ordonnance de la juge ne relèvent pas du champ d'application de cette règle. Il me semble plutôt que les faits en l'espèce auraient pu donner lieu à une requête en réexamen en vertu du paragraphe 397(1) des Règles, au motif que l'ordonnance ne concorde pas avec les motifs ou qu'une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement. En l'occurrence, aucune des parties n'a présenté de telle requête parce qu'elles avaient parfaitement compris qu'aux termes de la première ordonnance, les modifications accessoires avaient été autorisées.

[40]            Dans Montreal Fast Print (1975) Ltd. c. Polylok Corp., [1984] 1 C.F. 713, un appel interjeté devant la Cour portait sur la décision d'un juge saisi d'une requête en réexamen de modifier une ordonnance qu'il avait rendue concernant les interrogatoires préalables. Après avoir déclaré que rien ne permettait de croire, compte tenu des faits de l'espèce, qu'une faute de transcription avait été commise dans l'ordonnance, au sens prévu au paragraphe 337c) des Règles (aujourd'hui le paragraphe 397(2)), le juge en chef Thurlow affirme ce qui suit, à la page 718 :

       Il faudrait souligner deux choses. Premièrement, l'ordonnance originale ne comportait aucune ambiguïté ni aucune incertitude quant à ce qu'elle signifiait, et elle n'était pas incomplète. En outre, il ne s'agissait pas d'une ordonnance apparemment déraisonnable ou de nature à faire penser qu'elle a été rendue par erreur. On ne pouvait considérer, étant donné les faits décrits et vu la nature de l'action et des autres considérations dont il faut tenir compte, qu'il était improbable qu'une telle ordonnance soit prononcée. Deuxièmement, compte tenu des questions qu'il fallait trancher, la modification avait pour effet d'infirmer la décision rendue.

[41]            Comme le juge en chef Thurlow dans Montreal Fast Print, précité, je suis d'avis que compte tenu des faits en l'espèce, la première ordonnance ne contient aucune faute de transcription au sens entendu au paragraphe 397(2) des Règles. Il n'y a pas lieu de me prononcer sur la question de savoir si une requête en réexamen en vertu de l'article 397(1) des Règles aurait été accueillie. Aucune requête de cette nature n'ayant été déposée, la première ordonnance doit être maintenue.

[42]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens, j'annulerais l'ordonnance du 11 janvier 2005 de même que l'ordonnance du 23 novembre 2004, dans la mesure où elle rejette la requête de l'appelante en vue de constituer LPL codemanderesse. Rendant la décision qui aurait dû être rendue, j'accueillerais la requête de l'appelante en vue de modifier sa déclaration, dans son intégralité. En conséquence, je modifierais l'ordonnance du 23 novembre 2004 comme suit :

La requête présentée par la demanderesse en vue de constituer LPL codemanderesse, de modifier la déclaration pour ajouter un droit d'action de nature contractuelle et d'apporter diverses modifications accessoires concernant les causes d'action existantes est accueillie.

La demanderesse devra, dans les dix (10) jours de la présente ordonnance, déposer et signifier une déclaration expurgée, après avoir ajouté les modifications proposées, y compris celles visant à constituer LPL codemanderesse dans la présente instance. La défenderesse est autorisée à déposer et à signifier une défense modifiée dans les deux semaines de la réception de la déclaration expurgée.

[43]            Enfin, je modifierais l'intitulé de la cause comme suit, pour tenir compte du fait que LPL a été constituée codemanderesse :

SOUTH YUKON FOREST CORPORATION et

LIARD PLYWOOD AND LUMBER MANUFACTURING INC.

demanderesses

ET

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

[44]            Une dernière remarque. Comme l'indique l'ordonnance rendue par la juge le 23 novembre 2004, les parties ont été invitées à présenter leurs arguments quant aux dépens et, en conséquence, cette question a été tranchée dans une ordonnance distincte. Comme l'appelante n'a pas interjeté appel de cette ordonnance, je n'ai pas adjugé les dépens de la requête en modification à l'appelante, même si je m'apprête à accueillir sa requête dans son intégralité.

« M. Nadon »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

            Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris aux présents motifs

            J.D. Denis Pelletier, juge »

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-641-04

(APPEL INTERJETÉ À L'ENCONTRE D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 23 NOVEMBRE 2004, DANS LE DOSSIER N ° T-2012-01)

INTITULÉ :                                                                            SOUTH YUKON FOREST CORP. c. LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 1er DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 27 JANVIER 2006

COMPARUTIONS:

Chris Wilson

POUR L'APPELANTE

Gary Whittle

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bull, Housser & Tupper

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L'APPELANTE

Whittle & Company

Avocats

Whitehorse (Territoire du Yukon)

POUR L'INTIMÉE

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