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Date : 20181002


Dossier : A-297-16

Référence : 2018 CAF 177

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

demandeur

et

SONIA MICHAUD

défenderesse

Audience tenue à Québec (Québec), le 2 octobre 2018.

Jugement rendu à l’audience à Québec (Québec), le 2 octobre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20181002


Dossier : A-297-16

Référence : 2018 CAF 177

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT

demandeur

et

SONIA MICHAUD

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Québec (Québec), le 2 octobre 2018.)

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) le 3 août 2016, dans le cadre de laquelle une des deux plaintes de pratique déloyale soumises par Mme Sonia Michaud (la défenderesse) à l’encontre du Conseil des Innus de Pessamit (le demandeur) a été accueillie. Considérant que le demandeur avait enfreint le paragraphe 94(3) du Code canadien du travail (Code), L.R.C. (1985), ch. L‑2, qui interdit à tout employeur de licencier ou de refuser de continuer à employer une personne pour cause d’activités syndicales, le Conseil a ordonné la réintégration de la défenderesse dans ses fonctions et le versement à titre d’indemnité du salaire et des autres avantages qu’elle a perdus par suite de son congédiement.

[2]  Malgré les représentations habiles de Me Gauthier, le demandeur ne nous a pas convaincu que le Conseil a erré dans son évaluation de la preuve. Il a par ailleurs concédé que le Conseil n’a pas erré dans son interprétation du Code.

[3]  Il convient tout d’abord de préciser que cette Cour ne peut tenir compte de la preuve nouvelle introduite par le demandeur. Il est en effet bien établi que seule la preuve présentée au décideur administratif est admissible lors d’une procédure en contrôle judiciaire : voir notamment Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, aux para. 41-42 ; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux para. 17 et 19. Il en va ainsi parce que c’est à l’instance administrative que le législateur a confié le soin de dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fond qui relèvent de sa juridiction. Les exceptions restreintes à ce principe reconnues par la jurisprudence ne s’appliquent pas dans le cas présent.

[4]  Il n’est pas contesté que cette Cour doit faire preuve de déférence lorsqu’elle est appelée à contrôler la légalité des décisions du Conseil ; c’est donc en appliquant la norme de la décision raisonnable qu’il nous faut examiner l’application du Code aux faits particuliers soulevés dans la plainte de la défenderesse.

[5]  Le sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code stipule qu’un employeur ne peut mettre une personne à pied ou refuser de continuer à l’employer en raison de ses activités syndicales. Le paragraphe 98(4) prévoit d’autre part un renversement du fardeau de preuve : dès l’instant où une plainte est déposée, c’est à l’employeur qu’il revient de démontrer par prépondérance des probabilités que ses actions n’ont pas été motivées par quelque sentiment antisyndical. Or, le demandeur soutient que le Conseil a erré en appliquant la présomption édictée au paragraphe 98(4) sans tenir compte de la preuve contraire à l’effet que la mise à pied de la défenderesse et de trois autres enseignantes résultaient d’une saine gestion, et que la défenderesse avait signifié son intention de démissionner.

[6]  Contrairement à ce que soutient le demandeur, il n’était pas nécessaire de démontrer par une preuve directe une attitude ou des gestes antisyndicaux de sa part ; une telle exigence viderait de tout son sens la présomption établie au paragraphe 98(4) du Code. C’est au demandeur qu’il appartenait d’établir que sa décision n’était pas motivée par sa réprobation des activités syndicales de la défenderesse; ce fardeau est particulièrement élevé lorsque le licenciement, comme en l’instance, a lieu entre le dépôt de la demande d’accréditation et l’accréditation du syndicat.

[7]  Le Conseil était en droit de rejeter la preuve de saine gestion présentée par le demandeur. Loin d’ignorer cette preuve, le Conseil en a fait état à quelques reprises dans son résumé des arguments mis de l’avant par le demandeur (voir paras. 18, 121 et 126 de sa décision), en plus de passer en revue les témoignages de Mme Ross (au para. 28), de Mme Rock (au para. 48) et de M. Vollant (aux para. 74, 78 et 80) à ce chapitre. Bien qu’il eût été souhaitable que le Conseil se prononce de façon plus explicite sur ce motif dans son analyse, il faut présumer qu’il a pris sa décision en tenant compte de la preuve qui était devant lui. Au surplus, certains éléments au dossier viennent étayer la décision du Conseil de ne pas retenir l’argument de saine gestion, notamment le fait que la décision de licencier les quatre enseignantes ait été suspendue dès le lendemain, que les trois autres enseignantes aient été réintégrées, et que Mme Rock (alors directrice de l’école) ait transmis une demande de personnel dans sa lettre au Conseil en date du 29 juin 2012. Dans ces circonstances, nous estimons que le Conseil pouvait raisonnablement considérer que la preuve de saine gestion présentée par le demandeur ne suffisait pas à renverser la présomption du paragraphe 98(4) du Code.

[8]  Nous ne retenons pas davantage la prétention du demandeur à l’effet que le Conseil a erré en « imputant » à la défenderesse « des prétendues activités syndicales », et ce en l’absence de preuve « même minimale ». Le Conseil était tout à fait justifié de s’en remettre au témoignage de la défenderesse non contredit par les témoins de l’employeur ; tout au plus ces derniers ont-ils mentionné qu’ils ignoraient les démarches qu’auraient faites la défenderesse pour obtenir l’accréditation syndicale. Il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer la preuve, et encore moins d’écarter la décision du Conseil sur la base d’une preuve qui n’était pas devant lui. Quant à la période durant laquelle la défenderesse aurait cessé ses activités syndicales, il est évident que le Conseil en était conscient.

[9]  Enfin, le demandeur ne nous a pas convaincu que le Conseil avait rendu une décision déraisonnable en ne tenant pas compte de la preuve qui tendrait à démontrer que la défenderesse a démissionné de son poste. Au contraire, le Conseil a référé à maintes reprises aux arguments du demandeur à cet égard (aux para. 127-129, 133-136), ainsi qu’à la preuve présentée au soutien de ses représentations (aux para. 35-37, 42, 49-50). Il n’a cependant pas accepté la thèse du demandeur, et il a préféré le témoignage de la défenderesse à celui de Mme Rock, comme il était en droit de le faire. Le Conseil pouvait également rejeter la prétention du demandeur voulant que la défenderesse ait compris la teneur de la lettre du 5 avril 2012, et retenir plutôt que cette dernière portait à confusion du fait qu’elle indiquait à la fois que l’employeur sursoit à l’application de sa décision et que celle-ci serait réévaluée. Il s’agit là d’une appréciation hautement factuelle. La question n’est pas de savoir si cette Cour en serait venue à la même conclusion que le Conseil, mais plutôt de déterminer si la décision du Conseil est intelligible et fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Après avoir soigneusement examiné le dossier et les prétentions des parties, nous sommes d’avis que tel est le cas.

[10]  Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

« Yves de Montigny »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-297-16

 

 

INTITULÉ :

CONSEIL DES INNUS DE PESSAMIT c. SONIA MICHAUD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 OCTOBRE 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

COMPARUTIONS :

Me Kenneth Gauthier

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Karim Lebnan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kenneth Gauthier AVOCAT

Baie-Comeau (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laroche Martin (Service juridique de la CSN)

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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