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Date : 20051014

Dossier : A-505-03

Référence : 2005 CAF 328

CORAM :       LE JUGE NADON

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

DALE DUTCHAK

requérant

et

TRAVAILLEURS UNIS DES TRANSPORTS

intimé

et

CANADIEN PACIFIQUE LTÉE

intimée

Audience tenue à Regina (Saskatchewan), le 29 septembre 2005

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE SEXTION

                                                                                                                         LE JUGE MALONE


Date : 20051014

Dossier : A-505-03

Référence : 2005 CAF 328

CORAM :       LE JUGE NADON

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

DALE DUTCHAK

requérant

et

TRAVAILLEURS UNIS DES TRANSPORTS

intimé

et

CANADIEN PACIFIQUE LTÉE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) en date du 30 septembre 2003, dans laquelle le Conseil a rejeté la plainte du requérant qui alléguait que l'intimé, le syndicat des Travailleurs unis des transports (le syndicat), avait enfreint l'article 37 du Code canadien du travail (le Code).

[2]                Un bref examen des faits permet de situer le contexte dans lequel la demande a été déposée.

[3]                Pendant toute la période pertinente, le requérant était membre du syndicat et un employé du deuxième intimé en l'espèce, la société Canadien Pacifique Ltée (CP Rail). Le requérant, à l'instar de tous les autres membres du syndicat et employés de CP Rail, était visé par la convention collective conclue entre le syndicat et CP Rail.

[4]                Le 1er novembre 2002, CP Rail a rappelé le requérant au travail à Moose Jaw (Saskatchewan). Le requérant devait s'y présenter le 4 novembre 2002. Toutefois, le 3 novembre 2002, CP Rail a annulé l'offre.

[5]                Le 6 novembre 2002, par suite de l'incident, le requérant a déposé un grief concernant le fait que CP Rail ne l'avait pas rappelé au travail.

[6]                Le 9 décembre 2002, alors que le grief avait été acheminé à la section locale du syndicat et en était rendu à la deuxième étape de la procédure de règlement des griefs, le requérant a déposé une plainte contre le syndicat, en conformité avec le paragraphe 97(1) du Code, alléguant que le syndicat avait enfreint l'article 37 du Code qui porte que :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l'égard des employés de l'unité de négociation dans l'exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

37. A trade union or representative of a trade union that is the bargaining agent for a bargaining unit shall not act in a manner that is arbitrary, discriminatory or in bad faith in the representation of any of the employees in the unit with respect to their rights under the collective agreement that is applicable to them.

[7]                Je signale que le 9 décembre 2002, le syndicat n'avait toujours pas reçu de réponse de CP Rail au sujet du grief du requérant.

[8]                Plus précisément, le requérant s'est plaint qu'en raison d'une entente conclue le 20 septembre 2002 entre CP Rail et le syndicat, il ait été empêché de travailler à Moose Jaw pendant les deux premières semaines de novembre 2002 et la première semaine de décembre 2002.

[9]                L'entente conclue en conformité avec l'article 63.1 de la convention collective devait permettre la mutation temporaire en Alberta des employés de la Saskatchewan qui avaient été mis à pied et le retour au travail de ces mêmes employés de manière à remédier à la pénurie d'employés qui existait en Alberta.

[10]            Le requérant s'est également plaint que l'entente du 20 septembre 2002 était contraire aux dispositions de la convention collective sur les droits d'ancienneté en ce que ladite entente ne protégeait pas l'ancienneté des employés de la Saskatchewan.

[11]            Le requérant s'est également plaint que l'entente n'ait pas été divulguée à tous les syndiqués et que les syndiqués n'aient pas non plus tous été invités à travailler en Alberta.

[12]            Le syndicat et CP Rail avaient convenu que l'entente du 20 septembre 2002 prendrait fin en avril 2003, auquel moment les employés mutés devaient décider dans quelle région ils souhaitaient travailler. Quand le syndicat a réalisé que l'entente était préjudiciable à certains employés alors que ce résultat n'était pas prévu, il a contacté CP Rail est l'entente a été annulée en janvier 2003.

[13]            Le 30 septembre 2003, le Conseil a rendu la décision-lettre no 923 dans laquelle elle rejetait la plainte du requérant. En conformité avec l'article 16.1 du Code, le Conseil a rendu sa décision sans tenir d'audience.

[14]            Le Conseil a tiré sa conclusion finale après avoir examiné attentivement les faits pertinents à la lumière de la jurisprudence applicable au devoir de juste représentation du syndicat à l'égard de tous ses membres. Plus particulièrement, le Conseil a examiné les principes énoncés par le juge Chouinard, au nom de la Cour suprême du Canada, à la page 527 de l'arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509. Le juge a dit que se dégageaient de la jurisprudence et de la doctrine les principes suivants :

1.         Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d'agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d'une unité de négociation comporte en contre-partie l'obligation de la part du syndicat d'une juste représentation de tous les salariés compris dans l'unité.

2.         Lorsque, comme en l'espèce et comme c'est généralement le cas, le droit de porter un grief à l'arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n'a pas un droit absolu à l'arbitrage et le syndicat jouit d'une discrétion appréciable.

3.         Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l'importance du grief et des conséquences pour le salarié, d'une part, et des intérêts légitimes du syndicat d'autre part.

4.         La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5.         La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[15]            Le Conseil a ensuite examiné la question de savoir si le syndicat s'était trompé ou s'il avait commis une erreur qui avait été préjudiciable aux employés ou qui avait eu des répercussions nuisibles et qui constituait un manquement à l'obligation de juste représentation qui incombe au syndicat à l'égard de ses membres. En répondant à la question, le Conseil a tenu compte de la décision qu'il avait rendue dans Carmel Resel (1994), 95 di 120 (CCRT no 1086). Le Conseil avait décidé que le syndicat avait le droit de se tromper dans la mesure où l'erreur n'était pas le produit d'une conduite arbitraire, gravement négligente, discriminatoire ou de mauvaise foi, et que telle erreur ne constituait pas un manquement au devoir de juste représentation.

[16]            Eu égard à ces principes, le Conseil s'est penché sur les faits en cause et elle a conclu, à la page 6 de sa décision, que le requérant n'avait pas établi le bien-fondé de sa plainte en conformité avec l'article 37 du Code. Le Conseil a formulé sa conclusion en ces termes :

[TRADUCTION]

Dans la présente affaire, le Conseil est d'avis que le syndicat a dûment pesé les répercussions éventuelles de l'entente du 20 septembre pour ses membres. Quand il s'est rendu compte que l'entente n'avait pas donné les résultats escomptés, à savoir l'offre de possibilités d'emploi aux employés excédentaires de la Saskatchewan, il l'a promptement annulée, avec l'accord de l'employeur. Ces actions ne prouvent pas que le syndicat se soit comporté de façon arbitraire, capricieuse ou discriminatoire. En outre, le plaignant n'a pas réussi à contredire de façon convaincante aucune des explications du syndicat pour avoir agi comme il l'a fait.

En sa qualité d'agent négociateur accrédité, le syndicat dispose de la marge de manoeuvre nécessaire pour interpréter la convention collective et agir conformément à ses dispositions. Il n'est pas tenu de satisfaire chacun des employés membres du syndicat, mais simplement de veiller à ce que les droits reconnus aux employés par la convention collective soient protégés. En l'espèce, le Conseil conclut que le syndicat s'est acquitté de ses obligations que lui impose l'article 37 du Code.

Pour ces motifs, le Conseil conclut qu'il n'y a eu aucune infraction de l'article 37 du Code et rejette la plainte. Il s'agit d'une décision unanime du Conseil [...]

[17]            Le requérant sollicite l'annulation de la décision du Conseil. Il a produit, au soutien de sa demande, un long mémoire de 190 paragraphes dans lequel il soutient notamment que l'entente du 20 septembre 2002 était viciée et injuste à plusieurs égards.

[18]            Toutefois, il ne démontre ni tente de démontrer, à quelque endroit que ce soit, que le syndicat, en concluant ladite entente, ait agi de manière arbitraire et en faisant preuve de mauvaise foi. Le requérant a fait plusieurs affirmations à cet égard, mais ces affirmations ne sont pas fondées sur les faits.

[19]            Le requérant soulève également des questions d'équité procédurale mais, encore une fois, il n'a présenté aucun fait pouvant étayer ces allégations.

[20]            Il ne fait guère de doute que la norme de contrôle applicable en l'espèce est la décision manifestement déraisonnable. En effet, le Code contient une clause privative rigoureuse et, dans l'ensemble, et plus particulièrement à l'article 37, le Code a pour objet de réglementer les syndicats et leurs obligations dans leur rôle de représentant des membres; le Conseil possède somme toute une grande expertise en matière de relations de travail; la nature du problème dont était saisi le Conseil, à savoir l'obligation de juste représentation de ses membres qui incombe à un syndicat, relève très certainement de l'expertise du Conseil (voir Royal Oak Mines c. Conseil canadien des relations du travail (1996), 133 D.L.R. (4th) 129; Ivanhoe Inc. c. Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, section locale 500, [2001] 2 R.C.S. 565; Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982).

[21]            Avant de conclure que le syndicat n'avait pas enfreint l'article 37 du Code, le Conseil a examiné attentivement les observations des parties, tenu compte de tous les faits pertinents et appliqué la norme juridique correcte aux faits en cause. Par conséquent, selon moi, sa décision ne saurait être qualifiée de manifestement déraisonnable.

[22]            Je suis également d'avis que même en appliquant la décision raisonnable simpliciter, une norme qui exige moins de retenue de la part de la Cour, le requérant ne peut pas avoir gain de cause en attaquant la décision du Conseil.

[23]            Il me faut ajouter que non seulement le requérant ne m'a pas convaincu que la décision était manifestement déraisonnable, mais encore il n'a pas souligné quelque erreur, juridique ou factuelle, pouvant vraisemblablement justifier la Cour de modifier la décision du Conseil.

[24]            Enfin, pour conclure, je suis d'avis que les observations du requérant concernant la validité constitutionnelle, les conditions d'application et l'application du Code ne sont absolument pas fondées. Certes, ces observations contiennent un examen utile et intéressant des principes pertinents de la Charte, mais elles n'arrivent pas à relier, comme il se doit, ces principes aux circonstances factuelles qui ont donné lieu à la présente procédure.

[25]            Pour ces motifs, je rejetterais avec dépens la demande de contrôle judiciaire présentée par le requérant.

« M. Nadon »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-505-03

INTITULÉ :                                        DALE DUTCHAK

                                                            c.

                                                            TRAVAILLEURS UNIS DES TRANSPORTS ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  REGINA (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 29 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :              LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                          LES JUGES SEXTON ET MALONE

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Dale Dutchak                                                    REQUÉRANT

Douglas Wray                                                   POUR L'INTIMÉ

                                                                        (Travailleurs unis des transports)

Karen Fleming                                                   POUR L'INTIMÉE

                                                                        (Canadien Pacifique Ltée)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dale Dutchak                                                    POUR SON PROPRE COMPTE

Moose Jaw (Saskatchewan)

CALEY WRAY                                                POUR L'INTIMÉ

Toronto (Ontario)                                              (Travailleurs unis des transports)

CANADIEN PACIFIQUE LTÉE,                    POUR L'INTIMÉE

Services du contentieux                                      (Canadien Pacifique Ltée)

Calgary (Alberta)


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