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Date: 19991026


Dossier: A-541-99

CORAM:      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

     Appelante

ET:

     MÉTROMÉDIA CMR MONTRÉAL INC.,

     DIFFUSION MÉTROMÉDIA CMR INC. et RADIO NORD INC.

     Intimés

     - et -

     CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES

     TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES

     Intervenant

     Audience tenue à Ottawa (Ontario), le mardi, 26 octobre 1999

     Jugement prononcé à l'audience à Ottawa (Ontario), le mardi, 26 octobre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU


Date: 19991026


Dossier: A-541-99

CORAM:      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

     Appelante

ET:

     MÉTROMÉDIA CMR MONTRÉAL INC.,

     DIFFUSION MÉTROMÉDIA CMR INC. et RADIO NORD INC.

     Intimés

     - et -

     CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES

     TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES

     Intervenant

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario),

     le mardi, 26 octobre 1999)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      Nous sommes d'avis que cet appel de la Société Radio-Canada demandant l'annulation de la décision CRTC 99-151, rendue le 21 juin 1999 par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), est sans mérite et doit être rejeté.

[2]      Le CRTC est un organisme spécialisé autonome à qui le Parlement a confié, précisément à cause de son expertise, de vastes pouvoirs pour assurer la réglementation et la surveillance du système de radiodiffusion canadienne de façon à lui permettre de mettre en oeuvre la politique de radiodiffusion énoncée dans l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, c.111. Dans l'exercice de ses pouvoirs d'attribuer ou de révoquer une licence, il est établi qu'il jouit d'une grande discrétion2.

[3]      Même si les décisions du CRTC ne sont pas protégées par une clause privative, le fait demeure que les tribunaux appelés à réviser ces décisions doivent faire preuve de grande retenue lorsque l'organisme agit dans le champ de son expertise et de sa spécialisation, qu'il est requis par les objectifs de la Loi le gouvernant de réaliser un équilibre délicat entre les intérêts divergents des parties et qu'il adjuge sur une question de fait reliée à son expertise3. Or, la décision contestée par l'appelante rencontre, à notre avis, ces trois critères et mérite une telle retenue de notre part.

[4]      Tout d'abord, la demande soumise au CRTC vise l'exploitation d'une fréquence radio qui ressort des pouvoirs de supervision et de régulation que le Parlement a octroyés au CRTC (art. 5 de la Loi) et pour laquelle le CRTC peut attribuer une licence (art. 9 de la Loi).

[5]      Deuxièmement, la Loi (art. 3) identifie une quarantaine d'objectifs parfois conflictuels qui doivent guider l'exercice par le CRTC de ses pouvoirs. Il en découle un processus d'adjudication polycentrique impliquant une multitude d'intervenants aux intérêts opposés, lequel processus vise l'implantation des politiques de radiodiffusion définies par la Loi.

[6]      Enfin, la décision du CRTC porte sur une demande d'attribution de licence qui, essentiellement, met en cause des éléments de politique économique et culturelle qui relèvent de l'expertise du CRTC et à l'égard desquels l'organisme possède une discrétion.

[7]      Pour contourner cette difficulté engendrée par l'obligation de retenue judiciaire, l'appelante prétend que le CRTC a erré en droit ou outrepassé sa compétence en ne tenant pas compte de la politique canadienne de la radiodiffusion comme le lui prescrivaient les alinéas 3(1)l), m) et n) de la Loi:

3. (1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion:

[...]

l) la Société Radio-Canada, à titre de radio\-diffuseur public national, devrait offrir des services de radio et de télévision qui compor\-tent une très large programmation qui rensei\-gne, éclaire et divertit;

3. (1) It is hereby declared as the broadcas\-ting policy for Canada that

[...]

(l) the Canadian Broadcasting Corporation, as the national public broadcaster, should provide radio and television services incorpo\-rating a wide range of programming that informs, enlightens and entertains;

m) la programmation de la Société devrait à la fois:

(i)      être principalement et typi\-quement canadienne,

(m) the programming provided by the Corpo\-ration should

(i)      be predominantly and distinctively Canadian,
(ii)      refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régio\-nale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répon\-dant aux besoins particuliers des régions,
(ii)      reflect Canada and its regions to national and regional audiences, while serving the special needs of those regions,
(iii)      contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre,
(iii)      actively contribute to the flow and exchange of cultural expression,
(iv)      être offerte en français et en anglais, de manière à refléter la situation, et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l'une ou l'autre langue,
(iv)      be in English and in French, reflec\-ting the different needs and circums\-tances of each official language com\-munity, including the particular needs and circumstances of English and French linguistic minorities,
(v)      chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais,
(v)      strive to be of equivalent quality in English and in French,
(vi)      contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationa\-les,
(vi)      contribute to shared national consciousness and identity,
(vii)      être offerte partout au Canada de la manière la plus adéquate et efficace, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens,
(vii)      be made available throughout Canada by the most appropriate and efficient means and as resources become avai\-lable for the purpose, and
(viii)      refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada;
(viii)      reflect the multicultural and multira\-cial nature of Canada;

n) les conflits entre les objectifs de la Société énumérés aux alinéas l) et m) et les intérêts de toute autre entreprise de radiodiffusion du système canadien de radiodiffusion doivent être résolus dans le sens de l'intérêt public ou, si l'intérêt public est également assuré, en faveur des objectifs énumérés aux alinéas l) et m);

(n) where any conflict arises between the objectives of the Corporation set out in para\-graphs (l) and (m) and the interests of any other broadcasting undertaking of the Cana\-dian broadcasting system, it shall be resolved in the public interest, and where the public interest would be equally served by resolving the conflict in favour of either, it shall be resolved in favour of the objectives set out in para\-graphs (l) and (m);

[8]      Il s'agit, à notre avis, d'une prétention qui ne résiste pas à un examen minutieux de la décision du CRTC, du dossier d'appel devant nous et des objectifs poursuivis par la Loi.

[9]      De fait, la Loi prévoit que le système canadien de radiodiffusion se compose d'éléments publics, privés et communautaires (alinéa 3(1)b)) et que, dans son exercice de surveillance et de réglementation, le CRTC doit tenir compte des préoccupations et des besoins régionaux (alinéa 5(2)b)). Les services doivent être offerts en français et en anglais au fur et à mesure de la disponibilité des moyens (alinéa 3(1)k)). Le système doit aussi favoriser une programmation très large destinée à favoriser l'épanouissement de l'expression canadienne (sous-alinéa 3(1)d)(ii)). L'alinéa 3(1)n) prévoit qu'en cas de conflit entre les objectifs de l'appelante et les intérêts d'une autre entreprise de radiodiffusion, le conflit doit être résolu dans le sens de l'intérêt public. C'est, à notre avis, ce que le CRTC a fait dans le cas présent.

[10]      Il est vrai que la décision du CRTC ne renvoie pas expressément aux alinéas 3(1)l), m) et n) de la Loi. Mais la décision sous attaque révèle dans son ensemble, comme le souligne à juste titre Métromédia CMR Montréal Inc. et Diffusion Métromédia CMR Inc. (les intimées), que le CRTC a tenu compte:

a)      des aspects techniques mis en preuve, de la situation financière de Métromédia et de sa position concurrentielle dans le marché commercial de la radio à Montréal, une meilleure couverture des signaux devant leur permettre d'améliorer ladite situation financière;
b)      du fait que les propositions de Métromédia favoriseraient une plus grande diversité au niveau des sources d'information;
c)      des préoccupations légitimes de politique publique que la demande de la Société Radio-Canada soulève en raison de la concentration des sources d'information de Radio-Canada sur le marché de Montréal;
d)      de l'impact de la décision sur les autres stations, lequel devrait être négligeable du fait que le CRTC n'attribue pas de nouvelles licences pour des services additionnels de programmation sur le marché de Montréal;
e)      de la nature de la programmation offerte par CKVL et CIQC, laquelle consiste en un service à caractère verbal, ce qui se prête mieux à la bande AM qu'un service musical;
f)      du fait que les deux meilleures fréquences AM encore disponibles à Montréal seront ainsi exploitées;
g)      des avantages que l'approbation de la demande des intimées procurera aux collectivités situées dans le territoire de desserte de CKVL et CIQC ainsi qu'au système de radiodiffusion dans son ensemble; et
h)      de la création de nouveaux postes et de l'embauche de 16 journalistes supplémentaires qui travailleront pour CKVL et CIQC4.

[11]      Même s'il n'a pas fait mention des alinéas 3(1)l), m) et n) de la Loi dans sa décision, il nous apparait évident que le CRTC y a considéré l'intérêt public en litige en soupesant l'aspect économique en jeu, la diversité et la nature de la programmation proposée, les bénéfices offerts à la communauté et les besoins régionaux, selon les objectifs prescrits par la Loi, pour finalement trancher en faveur des intimés.

[12]      Il est aussi clair à la lecture de la transcription des audiences publiques que le CRTC, tout au long de ces audiences et au moment d'adjuger, avait à l'esprit l'intérêt public ainsi que le rôle de l'appelante à titre de radiodiffuseur public national et, plus particulièrement, le sous-alinéa 3(1)m)(vii) de la Loi qui énonce que la programmation de l'appelante devrait "être offerte partout au Canada de la manière la plus adéquate et efficace".

[13]      C'est indubitablement au titre de l'intérêt public qu'il faut ranger ces préoccupations exprimées par la Présidente à l'audience quant à la duplication par l'appelante de ses programmes existants, quant à l'impact qu'une cinquième station de la Société Radio-Canada aurait sur la diversité des programmations dans la région de Montréal et sur les radiodiffuseurs privés, quant à la meilleure utilisation possible de la fréquence disponible, et quant à la concentration des sources d'informations, soucieuse qu'elle était de maintenir, dans l'intérêt public, un équilibre entre le secteur public et le secteur privé5:

     La Présidente         
         Maintenant, je comprends que vous allez rédiger les contenus d'InfoRadio à partir du personnel qui y est affecté, et caetera, et que ces gens-là feront leur propre rédaction. Malgré cela, quand je considère ce que vous proposez comme cueillette d'informations, du fait que vous n'aurez pas de salle de nouvelles et que le fonctionnement proposé sera basé ou se fiera essentiellement sur le travail de l'équipe journalistique des chaînes de Radio-Canada qui existent en ce moment, est-ce que nous ne risquons pas que l'auditoire reçoive l'information et l'approche qui lui est déjà disponible à la Première Chaîne, à la deuxième chaîne, à la télévision et à RDI? Et là, nous ne parlons que de francophones. Quand nous parlons de Montréal nous parlons de bien des gens bilingues qui, à ce moment-là, pourraient aussi recevoir l'information à la Première Chaîne, à la deuxième chaîne, à la télévision et à Newsworld.         
         Comment répondez-vous à la question qu'il y a un risque ici qu'il y ait un déséquilibre vis-à-vis le secteur privé et une concentration d'information qui provient finalement des mêmes ressources?         
     La Présidente: Il reste quand même deux questions. Une question est: Quel sera l'impact dans le marché? L'autre question est: Est-ce que ce petit impact à travers la fréquence convoitée devrait être au profit du secteur privé ou du secteur public en ajoutant une station... alors il y a vraiment deux questions, en ajoutant une station d'information, quel sera l'impact sur les stations existantes qui ont un format semblable? Vous nous dites minime. Mais la deuxième question est: Si on en ajoute, une station, qui aura un impact minime, devrait-elle être mise en service par le secteur privé ou le secteur public?         
         M. LAFRANCE: Je vous dirais que les deux projets qui sont devant vous sont des projets résolument différents. Ce sont des projets très, très, très différents parce que la formule d'InfoRadio que nous proposons est une formule qui repose sur une forte portée d'écoute mais sur de faibles parts, parce que ce qu'on vous dit, c'est qu'en 15 minutes vous pourrez trouver toute l'information dont vous avez besoin tout le temps, et ça, c'est un format qui est unique dans ceux qui sont devant vous actuellement.         
         Est-ce que ça doit profiter au secteur public ou au secteur privé? Je pense que ça va profiter beaucoup à l'auditoire, en tout cas; ça nous semble être un service important pour l'auditoire.         
         LA PRÉSIDENTE: C'est justement la question que je soulève: Est-ce que l'auditoire est mieux desservi s'il y a une cinquième voix de la même partie ou une autre voix au niveau des nouvelles qui ne serait pas affaiblie mais renforcée par l'utilisation de la fréquence? Parce que nous, il nous faut nous pencher sur la meilleure utilisation de cette fréquence.         

     [les soulignés sont de nous]

[14]      Enfin, il ne faut pas oublier que la décision du CRTC que l'appelante attaque se situe dans un continuum amorcé par deux décisions rendues le 4 juillet 1997 en sa faveur qui privilégiaient son approche à celle des autres demandeurs, dont les intimées, et qui l'autorisaient à convertir au FM sa station AM CBF et CBM Montréal (CRTC 97-293 et CRTC 97-294). Le CRTC fait d'ailleurs le lien dans sa décision du 21 juin 1999 avec ces décisions antérieures6. Dans le contexte de ces deux décisions, l'appelante a grandement fait état des alinéas 3(1)l), m) et n), de son rôle de diffuseur national public et de l'opportunité que sa programmation puisse "être offerte partout au Canada de la manière la plus adéquate et efficace, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens". À ce dernier titre, elle a convaincu le CRTC que la bande AM ne constituait plus le moyen adéquat d'offrir son service public de radiodiffusion à la population et que son avenir passait par un transfert de ses activités à la bande FM. Le CRTC a alors tenu compte du rôle particulier de l'appelante et de ses obligations particulières que la Loi lui impose. Pour ces motifs, il a donc autorisé l'appelante à abandonner la bande AM qu'elle avait et, en dérogation à sa politique, il lui a permis la conversion à la bande FM. Or, voilà que maintenant elle revendique à nouveau cette même bande AM en faisant valoir que, dans sa dernière décision en faveur des intimées, le CRTC n'a pas tenu compte du rôle particulier de l'appelante et du fait que la bande AM constitue pour elle un moyen adéquat d'offrir son service public de radiodiffusion à la population! Cet extrait de la décision du 4 juillet 1997 du CRTC (97-293), aux pages 15 à 19, est éloquent quant à la position de l'appelante à ce moment-là et quant au mérite de son grief maintenant:

         La SRC a fait valoir lors de l'audience publique qu'elle veut continuer à jouer un rôle important dans le paysage radiophonique et demeurer une radio pertinente, et qu'un des éléments-clés de cette stratégie du future est de rejoindre tous les auditeurs là où ils se trouvent et de la meilleure façon possible. Elle s'est référée à cet égard au sous-alinéa 3(1)m)(vii) de la Loi qui stipule que la programmation de la SRC devrait "être offerte partout au Canada de la manière la plus adéquate et efficace, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens". Interrogé lors de l'audience publique quant à la conformité de la demande avec les lignes directrices exposées dans l'avis CRTC 1991-102, le président de la SRC a déclaré qu'il fallait considérer la situation particulière de Montréal. Il a ajouté: "...ce n'est pas notre intention de vous demander de transférer chaque station de nos réseaux de la bande AM à la bande FM...".         
         La SRC a soutenu essentiellement que dans le contexte actuel de la radio à Montréal, la bande AM ne constitue plus pour elle le moyen le plus adéquat et le plus efficace d'offrir son service public de radiodiffusion à la population. S'appuyant sur ses propres analyses de la situation ainsi que sur les données BBM, la SRC a signalé à cet égard que l'écoute à la bande AM de langue française à Montréal, qui était de 64% en 1980, a chuté de plus de la moitié, pour se situer maintenant à 29%. Elle a ajouté que 85% des personnes de moins de 24 ans et 75% des personnes âgées de 25 à 34 ans n'écoutent jamais la radio AM. Dans ces conditions, la SRC s'inquiète de l'avenir de la radio publique puisqu'il lui sera très difficile de renouveler son auditoire dans les années à venir. La SRC a également noté des problèmes d'écoute inhérents à la fréquence AM, surtout dans les grands centres urbains, en signalant que 26% des auditeurs de CBF éprouvent occasionnellement des difficultés de réception du signal, particulièrement dans le centre-ville de Montréal. La SRC a de plus fait remarquer qu'étant donné que son service radiophonique AM de langue française est un service non commercial, son transfert à la bande FM n'affectera en rien l'assiette publicitaire des autres radiodiffuseurs de Montréal.         
         Tel que noté ci-haut, pour en arriver à sa décision d'approuver la demande de la SRC, le Conseil a pris en considération l'état actuel du marché de la radiodiffusion à Montréal qui a connu des bouleversements importants au cours des dernières années, dont la fermeture de deux stations, soit CJMS Montréal et CKLM Laval. Dans son intervention, la Radiomutuel a d'ailleurs signalé que la situation demeure encore précaire, même si la restructuration qu'elle a entreprise en 1994-1995 de concert avec la Télémédia a permis de raffermir le marché publicitaire de la radio de langue française. D'autre part, dans son intervention, la Cogeco a donné son appui à la demande de la SRC précisément parce qu'il s'agit d'un service non commercial, lequel est susceptible d'avoir le moins d'impact sur le marché.         
         Le Conseil a également tenu compte des particularités de l'écoute radiophonique dans le marché francophone de Montréal. Il fait remarquer que l'écoute des émissions de la SRC diffusées à la bande AM est demeurée relativement stable de 1986 à 1996, selon les données BBM. Par contre, selon ces mêmes données, le marché francophone de Montréal affichait déjà, dès 1986, le plus haut niveau d'écoute à la bande FM au Canada et ce, par une marge considérable. De plus, selon les données d'écoute BBM de l'automne 1996 pour le marché de Montréal, une proportion de 68,4% de l'écoute à la radio de langue française était allouée aux stations diffusant à la bande FM, un niveau qui se situe toujours parmi les plus élevés au Canada.         
         En ce qui a trait aux questions d'ordre technique reliées à la diffusion à la bande AM, la SRC a reconnu lors de l'audience publique que le but premier de sa démarche n'était pas de corriger des problèmes techniques reliés à sa fréquence AM actuelle mais bien d'être en mesure de rejoindre le plus grand nombre d'auditeurs possible, à titre de radiodiffuseur public national. Le Conseil a toutefois pris note de ses arguments relatifs aux problèmes rattachés à la réception des ondes AM dans les grands édifices du centre-ville de Montréal et au fait que la qualité du son à la bande AM répond de moins en moins aux exigences de ses auditeurs.         
         Le Conseil a également tenu compte du rôle spécial qu'occupe la SRC au sein du système canadien de radiodiffusion et de ses obligations particulières en vertu de la Loi. À titre de radiodiffuseur public national, la SRC doit notamment offrir un service de radio qui est rendu disponible au plus grand nombre possible de Canadiens et qui comporte une très large programmation, susceptible de répondre aux besoins et aux intérêts de tous les segments de la population canadienne. Le Conseil estime que l'ajout à la bande FM du service de la Radio française (AM) de la SRC ajoutera une nouvelle diversité aux services de radiodiffusion déjà offerts sur cette bande à Montréal et que cette approbation est également susceptible d'offrir au service public national un nouvel auditoire potentiel, notamment chez les jeunes qui fréquentent davantage la bande FM.         
         Après avoir étudié tous les éléments de preuve à sa disposition, une majorité du Conseil a conclu que l'utilisation de la fréquence 95,1 MHz se traduira en une amélioration sensible du service offert par la SRC à la population de la plus grande ville francophone au Canada et qu'elle sert donc l'intérêt public. Par conséquent, le Conseil est d'avis qu'une exception à sa politique en ce qui a trait à la conversion à la bande FM du service de la Radio française (AM) de la SRC diffusé par CBF Montréal est justifiée dans les circonstances. De plus, après avoir analysé chacune des demandes en concurrence selon son propre mérite, le Conseil a conclu que la proposition de la SRC représente la meilleure utilisation possible dans les circonstances de la fréquence 95,1 MHz.         

     [les soulignés sont de nous]

[15]      Dans ces circonstances, il est compréhensible que le CRTC n'ait pas senti le besoin, dans sa décision récente du 21 juin 1999, d'épiloguer à nouveau sur le rôle particulier de l'appelante, et qu'il ait jugé suffisant d'indiquer en quoi l'intérêt public justifiait maintenant l'approbation de la demande des intimées. On ne saurait le blâmer d'avoir agi de la sorte et il ne nous appartient pas, comme le voudrait l'appelante, de remettre en question le choix de politique ainsi effectué par le CRTC.

[16]      Enfin, nous sommes d'avis qu'est sans mérite cette prétention de l'appelante qui reproche au CRTC d'avoir violé les principes de justice naturelle et ses propres règles de procédure en permettant aux intimées d'apporter des modifications de substance à leur demande en cours ainsi que la mise en preuve de nouvelles informations. Plus spécifiquement, le CRTC aurait permis aux intimées d'apporter des changements à la nature de la programmation proposée, aux conditions de licence et à l'indissociabilité des demandes. Quant à la nouvelle preuve, elle serait relative à l'admission d'un sondage, l'engagement d'embaucher 19 journalistes et la présentation d'une grille détaillée de programmation ainsi que d'une ventilation budgétaire. L'appelante se fonde sur l'article 8 des Règles de procédure du CRTC qui se lit:

     8. Après publication de l'avis d'une demande conformément au sous-alinéa 4(2)b)(i), la demande ne peut être changée ou modifiée et aucun document nouveau ou supplémentaire ne peut être déposé, sauf si le Conseil en donne l'autorisation et selon les modalités qu'il peut fixer.         

[17]      L'article 8 n'impose pas une prohibition absolue et le CRTC peut permettre les modifications et l'ajout des renseignements qui lui semblent nécessaires ou utiles pour pouvoir procéder à une étude approfondie des questions qui lui sont soumises. En outre, l'article 33 desdites Règles permet la présentation à l'audience publique de preuves visant à appuyer les affirmations faites dans une demande ou des documents ou pièces déposés au dossier:

     33. Aucune preuve ne peut être présentée à une audience publique, sauf pour appuyer des affirmations faites dans une demande, intervention ou réplique, selon le cas, ou pour appuyer des documents ou pièces justificatives déposés au dossier.         

[18]      La transcription des audiences publiques révèle que, pour la plupart, les informations fournies par les intimées à l'audience étaient des précisions qui se rapportaient à la demande en cours ou qui furent déposées à la demande du CRTC afin de mieux informer les concurrents et les intervenants et de lui faciliter la tâche7. Quant au sondage qui a fait l'objet de commentaires par les différents intervenants, le CRTC était conscient du fait qu'il n'avait pas été déposé au dossier et il s'est engagé à appliquer la procédure normalement suivie en pareil cas. Rien n'indique que le CRTC ait manqué à son engagement et que ce sondage ait eu une influence significative sur la décision qu'il a rendue.

[19]      Enfin, rien dans le déroulement des audiences ne justifie de conclure à une violation des règles de justice naturelle. L'appelante est, dans le domaine de la radiodiffusion, un acteur de premier plan, informé, éclairé et avisé. Il est surprenant, particulièrement dans les circonstances de la présente affaire, de l'entendre dire qu'elle ne connaissait pas la nature de la cause qui faisait l'objet des audiences. Cette affirmation n'est tout simplement pas crédible.

[20]      En outre, l'appelante ne nous a pas convaincus que la procédure suivie par le CRTC lui a causé préjudice ou qu'un préjudice pouvait en résulter. Les informations additionnelles qui furent déposées par les intimées n'étaient pas du tout étrangères au domaine d'expertise de l'appelante et, dans certains cas, recoupaient celles qu'elle avait elle-même produites à l'appui de sa propre demande. Bien sûr, l'appelante aurait aimé les avoir plus tôt et non simplement en cours d'audience. Mais on ne saurait dire qu'elle a été dans l'impossibilité de faire adéquatement valoir ses prétentions à l'encontre de la demande des intimées, compte tenu de la nature de ces informations, de l'expertise de l'appelante et du fait qu'elle a disposé, tout de même, de plus d'une demie-journée pour les analyser avant de faire ses représentations au CRTC.

[21]      Au surplus, en aucun temps, elle ne s'est objectée à la façon de procéder du CRTC ou n'a requis un ajournement jugé nécessaire pour lui permettre de mieux analyser la documentation fournie par les intimées à la demande du CRTC et mieux faire valoir son point de vue. Rien au dossier nous permet d'inférer que l'appelante, tout en n'étant pas pleinement satisfaite du processus suivi, s'est cependant sentie brimée au point d'être déroutée et incapable de former une opposition valable à la demande des intimées.

[22]      Pour ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens.

     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.

__________________

1      Association for Public Broadcasting in B.C. c. CRTC, [1981] 1 C.F. 524, à la p. 530 (C.A.F.).

2      Ligue de la radiodiffusion canadienne c. CRTC, [1983] 1 C.F. 182, confirmé par la Cour suprême du Canada, [1985] 1 R.C.S. 174.

3      Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982, aux pp. 1006 à 1012.

4      Voir la décision et les considérations sur lesquelles le CRTC s'est appuyé aux pp. 6 à 9 du Dossier d'appel, vol. 1.

5      Dossier d'appel, vol. III, onglet 11, pp. 628 et 633.

6      Les fréquences AM 690 kHz et 940 kHz sont devenues disponibles à la suite des décisions CRTC 97-293 et 97-294 du 4 juillet 1997 dans lesquelles le Conseil a approuvé la conversion des stations de la Société Radio-Canada, CBF et CBM Montréal, à la bande FM. Dans la décision CRTC 97-293, il a refusé la demande concurrente sur le plan technique présentée par Métromédia CMR Montréal inc., en vue de convertir CKVL à la bande FM. Cette demande avait pour objectif de régler les problèmes de longue date de réception du signal de CKVL à sa fréquence AM actuelle.

7      Dossier d'appel, vol. III, onglet 11, pp. 668, 669, 671, 673, 695 et 765.

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