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                                                                                                               ITA-7937-96

 

 

 

            Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

 

                                                               - et -

 

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes:  la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-chômage,

 

 

            CONTRE:

 

 

 

                                                   CHAIM MELNICK

 

                                                                                                              Débiteur-saisi

 

                                                                ET

 

                                             FINANCIÈRE MANUVIE

 

                                                                                                                Tierce-saisie

 

 

 

                                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

ME RICHARD MORNEAU,

PROTONOTAIRE:

 

            Il s'agit en l'espèce d'une requête de la créancière-saisissante, Sa Majesté la Reine, aux fins d'obtenir une ordonnance définitive de saisie-arrêt contre la tierce-saisie, Financière Manuvie.

 

            La présente affaire porte sur une application possible de l'article 1631 C.c.Q. qui dispose qu'un

 

... créancier, s'il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l'acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, ...

 

 

            Nous verrons que l'acte juridique en cause est un contrat de rente à terme avec désignation d'une bénéficiaire visée par l'article 2457 C.c.Q.

 

Les faits

 

            Les faits ayant mené à l'émission le 21 octobre 1996 d'une ordonnance provisoire de saisie-arrêt se retrouvent au dossier de la Cour (le dossier) à l'affidavit déposé le 11 octobre 1996 par la créancière au soutien de la requête pour l'obtention de ladite ordonnance provisoire.  Il importe de reproduire dans son entier le corps de cet affidavit puisque ses douze (12) premiers paragraphes relatent des faits qui ne sont pas véritablement contestés.  Quant à ses deux derniers paragraphes, nous verrons qu'ils portent sur le litige dont est saisie la Cour:

 

1.      Le 10 octobre 1996, un certificat a été déposé devant la Cour fédérale du Canada certifiant que M. Chaim Melnick du 11115 boulevard Cavendish, suite 1008, à ville St-Laurent, province de Québec, H4R 2M9, était endetté envers le ministère du Revenu national, Impôt, pour une somme de 22 649,81 $, le tout tel qu'il appert de la pièce A-1 au soutien de mon affidavit;

 

2.      Le 22 février 1994, le ministre du Revenu national a avisé M. Chaim Melnick de sa responsabilité à titre d'administrateur, le tout tel qu'il appert de la pièce A-2 au soutien de mon affidavit;

 

3.      Le procureur de M. Melnick, Me Judah Wolofsky, a demandé certains documents au ministre du Revenu national pour effectuer des représentations, le tout tel qu'il appert de la pièce A-3 au soutien de mon affidavit;

 

4.      Le 6 octobre 1995, Me Wolofsky me disait «qu'[il n'irait] pas plus loin dans ce dossier parce que ce n'[était] pas un dossier payant..  Faites ce que vous avez à faire!»

 

5.      Le 4 janvier 1996, le ministre du Revenu national a cotisé M. Melnick pour la somme de 22 649,81 $, le tout tel qu'il appert de la pièce A-4 au soutien de mon affidavit;

 

6.      Le 6 février et le 8 mars 1996, j'ai avisé M. Melnick que la somme de 22 649,81 $ demeurait encore due, le tout tel qu'il appert de la pièce A-5 au soutien de mon affidavit;

 

7.      Le 11 avril 1996, une demande formelle de paiement a été envoyée à la Financière Manuvie Inc. dans le but de saisir le régime d'épargne-retraite enregistré que M. Melnick y détient (ci-après: «r.é.e.r.»), le tout tel qu'il appert de la pièce A-6 au soutien de mon affidavit;

 

8.      La Financière Manuvie Inc. n'a toujours pas respecté la demande formelle de paiement;

 

9.      J'ai appris que M. Melnick avait eu un r.é.e.r. auprès de la compagnie Richardson Greenshields du Canada Limitée (agissant comme mandataire de Investors Group Trust Co. Ltd.), le tout tel qu'il appert de la pièce A-7 au soutien de mon affidavit;

 

10.    Dû à la fusion de deux succursales bancaires, le numéro d'identification du r.é.e.r. de M. Melnick i.e. le 30-73025, a été changé pour le 32-46910, le tout tel qu'il appert de la pièce A-8 au soutien de mon affidavit;

 

11.    Au 13 octobre 1995, le r.é.e.r. était évalué à 240 498,07 $, le tout tel qu'il appert de la pièce A-9 au soutien de mon affidavit;

 

12.    Le 16 octobre 1995, j'ai appris que ledit r.é.e.r. avait été transféré à la Financière Manuvie Inc. le 22 avril 1994, le tout tel qu'il appert de la pièce A-9 au soutien de mon affidavit;

 

13.    Après avoir été avisé de sa responsabilité le 22 février 1994, M. Melnick a transféré son r.é.e.r. à la Financière Manuvie Inc. le 22 avril 1994, en désignant son épouse, Mme Roslyn Melnick, bénéficiaire pour rendre son r.é.e.r. insaisissable;  [souligné dans le texte]

 

14.    La désignation de bénéficiaire à l'égard du r.é.e.r. de M. Melnick a été préjudiciable au ministre du Revenu national puisqu'elle a eu pour effet de l'empêcher de réaliser sa créance.

 

 

 

            Le 5 décembre 1996, la tierce-saisie déposait au dossier une déclaration faisant ressortir les diverses caractéristiques du contrat de rente conclu entre elle et le débiteur-saisi; caractéristiques qui ressortent davantage de la déclaration que le débiteur-saisi produira éventuellement au dossier et que nous aurons l'occasion de citer ci-après.

 

            Il est à noter qu'en tout temps pertinent, la tierce-saisie ne s'est pas immiscée, à bon titre je dois dire, dans l'approche prise initialement, tel que nous l'avons vu, par la créancière quant à l'inopposabilité de la désignation de bénéficiaire par le débiteur-saisi, voire l'inopposabilité du contrat de rente dans son entier.

 

            Ce n'est que le 22 mai 1997 que le débiteur-saisi déposa au dossier une déclaration.  Il est intéressant de reproduire également en entier cette déclaration puisqu'elle dévoile les aspects sur lesquels le débiteur-saisi fait porter sa réplique, soit uniquement les conséquences juridiques de son contrat de rente à l'égard de tout créancier:

 

          1o     THAT I am the policy holder of insurance contract number 7738370 with Manulife Financial, of 2000 Mansfield Street, Suite 300, in the City and District of Montreal, Province of Quebec H3A 2Y9;

 

          2o     THAT the beneficiary of my insurance policy is my wife, ROSYLN MILLMAN;

 

          3o     THAT the insurance policy is in force for various amounts, due and cashable before income taxes as follows:

 

          -Deposit of $240,498,07, having a redemption value of $282,356.53 (before taxes) as of May 23, 1996.  The redemption value on the due date, namely, April 22, 2000 will be $381,640.21;

 

          -Deposit of $24,257.80, having a redemption value of $24,889.87 (before taxes) as of May 3, 1996.  The redemption value on the due date, namely, May 3, 2000 will be $33,733.44;

 

          -Deposit of $9,501.93, having a redemption value of $11,129.26 (before taxes) as of May 23, 1996.  The redemption value on the due date, namely, May 3, 2000 will be $15,078.78;

 

          -Deposit of $3,643.33, having a redemption value of $4,252.26 (before taxes) as of May 23, 1996.  The redemption value on the due date, namely, May 20, 2000 will be $5,781.49;

 

          -Deposit of $9,497.84, having a redemption value of $11,071.29 (before taxes) as of May 23, 1996.  The redemption value on the due date, namely, May 26, 2000 will be $15,071.87;

 

          -Deposit of $2,800.00, having a redemption value of $3,149.79 (before taxes) as of May 23, 1996.  The redemption value on the due date, namely, April 22, 2000 will be $4,453.62

 

 

          4o     THAT although the insurance policy is revocable, I have no intention as this time of either revoking the beneficiary or cashing in the policy before the due date;

 

          5o     THAT it is my understanding that a RRSP subscribed to in an insurance company is not seizable because the jurisprudence in the Province of Quebec is consistent;  "Pour que le R.E.E.R. souscrit auprès d'une compagnie d'assurance soit insaisissable, il faut qu'il s'agisse d'une rente viagère ou à terme fixe avec désignation des bénéficiaires lors de l'adhésion.  En l'espèce, le saisi a investi des sommes dans un R.E.E.R. consistant en un contrat de rentes différées.  Or, les rentes viagères ou à terme fixe offertes par les assureurs sont assimilées à l'assurance sur la vie, ainsi qu'il appert à l'article 2473 C.C.  Cette assimilation fait donc en sorte que les articles 2550, 2552 et 2554 C.C. s'appliquent et que les droits conférés par le contrat sont insaisissables tant que le bénéficiaire n'a pas touché la somme assurée.  De plus, pour être saisissables, les sommes accumulées et investies dans le R.E.E.R. doivent tomber dans le patrimoine du saisi.  Or, d'après les termes du contrat, avant la date d'échéance, les sommes ne sont pas dans le patrimoine du saisi et, à la date de renouvellement, elles ne tomberont pas dans son patrimoine à moins qu'il n'exerce l'une des trois options qui lui sont offertes.  Comme cette décision lui revient et que celle-ci ne sera prise que lors du renouvellement, les biens saisis chez la tierce saisie sont présentement insaisissables."

 

          6o     THAT in virtue of my contract number 7738370, the sums of money mentioned in the said insurance policy are not seizable in virtue of the law, that is to say, in virtue of Article 2473 and 2552 under the old law, the Civil Code of Lower Canada, and in virtue of Articles 2393 and 2457 under the new law, the Civil Code of Quebec;  the law is constant;

 

          7o     THAT according to the insurance policy, there is no money due and payable to either myself as policy holder or the beneficiary named in the said insurance policy at the date of the seizure by garnishment nor on the date of this Declaration - Contestation;

 

          8o     THAT in fact, Manulife Financial's obligation in virtue of the insurance policy in question shall become effective either (i) when I, as policy holder will have reached the maximal age mentioned in the policy, or (ii) at my request;

 

          9o     THAT by default, the type of pension offered by my insurance policy is a guaranteed annuity of ten years;

 

          10o   THAT only I can constitute a pension before the prescribed maturity date provided for on the insurance policy or demand its redemption before its due date, which I reiterate, I have no intention of doing at this time;

 

          11o   THAT all the facts contained herein are true and correct.

 

 

Analyse

 

            On doit présumer que le débiteur-saisi au moment de produire sa déclaration au dossier - alors que ce dernier était représenté par procureur depuis à tout le moins la fin de novembre 1996 - connaissait le contenu du dossier et l'approche prise par la créancière dans son affidavit déposé le 11 octobre 1996.  Or, tel que nous l'avons vu, le débiteur-saisi ne cherche point dans sa déclaration à répondre à l'allégation grave et précise qui se retrouve plus spécifiquement aux paragraphes 13 et 14 dudit affidavit.  Son silence à cet égard est éloquent et concorde donc avec cette allégation qui doit être vue comme non contredite.

 

            Dans sa déclaration, le débiteur-saisi fait uniquement ressortir que son contrat de rente indique un bénéficiaire visé par l'article 2457 C.c.Q.[1] et que le même contrat lui octroie des droits d'option qui lui sont purement personnels[2].

 

            La seule défense de nature factuelle soulevée par le débiteur-saisi est venue de son procureur à l'audition.  Ce dernier a soutenu alors que ledit contrat ne pouvait être tenu comme inopposable à la créancière parce que cette dernière n'avait pas établi qu'en prenant cette rente, le débiteur-saisi se rendait ou cherchait à se rendre insolvable.  Toutefois, l'article 1631 C.c.Q. ne se limite pas à cette seule avenue.  Cet article se lit au complet ainsi:

 

          Art. 1631.  Le créancier, s'il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l'acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, notamment l'acte par lequel il se rend ou cherche à se rendre insolvable ou accorde, alors qu'il est insolvable, une préférence à un autre créancier.

 

(mon souligné)

 

 

            C'est en vertu de la première partie de cet article qu'il faut apprécier la position de la créancière.  À cet égard, je considère que la preuve au dossier, soit les affirmations non contredites de cette dernière alliées au silence du débiteur-saisi à leur encontre, m'amène à considérer que la créancière a établi une preuve prépondérante, par présomptions, de la présence des éléments requis par l'article 1631, soit le préjudice et l'intention de fraude à son égard.

 

            Reste à déterminer néanmoins la portée de cette inopposabilité.

 

            La preuve au dossier ainsi que les représentations écrites de la créancière[3] m'amènent à conclure que c'est le contrat de rente dans son entier qui à l'égard de la créancière doit être vu comme inopposable aux termes de l'article 1631.

 

            En effet, le débiteur-saisi, en faisant passer ses droits d'un portefeuille d'actions à une rente, a non seulement protégé davantage de toute saisie le bénéficiaire du véhicule (on a passé de la "succession", sous le portefeuille d'actions, à la "conjointe" du débiteur-saisi sous la rente) mais a également accompli ce même résultat quant à ses droits de faire revenir dans son patrimoine la valeur de ses investissements.  J'en conclus en effet que lors de la détention du portefeuille d'actions, lesdits droits ne pouvaient être vus comme des droits purement personnels au débiteur-saisi ne pouvant être exercés, partant, que par lui.  Telle est toutefois devenue la situation lorsque la rente fut contractée (voir à cet effet la série d'arrêts communs cités tant par le procureur de la créancière sous la première note en bas page de ses représentations écrites que par le procureur de la tierce-saisie en page 6 et ss. de ses représentations écrites).

 

            Vu ma conclusion, il n'y aura pas lieu de reconvoquer les procureurs des parties pour poursuivre le débat quant à l'impact du contrat sur le droit de la créancière d'obtenir: une ordonnance de paiement immédiat, une ordonnance tenante ou aucune ordonnance de saisie.  Le contrat étant inopposable à la créancière, on doit conclure que la tierce-saisie détient les sommes en litige comme simple détentrice ou dépositaire de facto et que, conséquemment, la créancière a droit à une ordonnance dirigée contre la tierce-saisie requérant le paiement immédiat de la somme qu'elle recherche par ailleurs.

 

            Une ordonnance en langue anglaise sera émise en conséquence.

 

 

                                                                                                     Richard Morneau            

                                                                                                                Protonotaire               

 

 

Montréal (Québec)

le 25 juin 1997


                                    ITA-7937-96

 

 

 

 

 

 

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

                                   - et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes:  la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-chômage,

 

CONTRE:

 

CHAIM MELNICK

 

                                    Débiteur-saisi

ET

 

FINANCIÈRE MANUVIE INC.

 

                                    Tierce-saisie

          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

            NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE:


ITA-7937-96

 

 

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

 

- et -

 

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes:  la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-chômage,

 

CONTRE:

 

CHAIM MELNICK

                                                              Débiteur-saisi

ET

 

FINANCIÈRE MANUVIE INC.

                                                                 Tierce-saisie


 

 

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE:le 30 mai 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR:Me Richard Morneau, protonotaire

 

 

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 25 juin 1997

 

 

COMPARUTIONS:

 

Me Israel H. Kaufman pour le débiteur-saisi

 

Me Claude Bernard pour Sa Majesté la Reine

 

Me Michel S. Paquet pour la tierce-saisie

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Me Israel H. Kaufman pour le débiteur-saisi

Montréal (Québec)

 

Me George Thomson pour Sa Majesté la Reine

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Me Michel S. Paquet pour la tierce-saisie

Montréal (Québec)



    [1]Article qui se lit:

 

                     Art. 2457.  Lorsque le bénéficiaire désigné de l'assurance est le conjoint, le descendant ou l'ascendant du titulaire ou de l'adhérent, les droits conférés par le contrat sont insaisissables, tant que le bénéficiaire n'a pas touché la somme assurée.

    [2]C'est du reste ce qu'indique clairement la jurisprudence citée tant par la créancière que par la tierce-saisie.

    [3]Représentations que la Cour a requises des procureurs des trois parties en présence lors de l'audition après qu'il fut convenu de scinder le débat.  Les représentations des parties devaient porter sur l'ampleur d'une inopposabilité possible.  Cette inopposabilité, en cas d'une telle reconnaissance, devait-elle se limiter à la désignation du bénéficiaire ou pouvait-on soutenir que l'ensemble du contrat de rente pouvait être considéré comme inopposable à la créancière?

 

Le procureur du débiteur-saisi n'a fait tenir à cet égard aucunes représentations dans le délai imparti aux procureurs.  Quant au procureur de la tierce-saisie, ses représentations portent sur une inopposabilité qui se limiterait à la désignation du bénéficiaire.  Seul le procureur de la créancière a cherché à démontrer que le contrat de rente dans son entier est plus onéreux que celui existant en février 1994 et préjudicie la créancière dans cette mesure.

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