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Date : 20051104

Dossier : A-659-04

Référence : 2005 CAF 359

CORAM :        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                         1243573 ONTARIO INC.

                                                                                                                                           appelante

                                                                             et

                                   SA MAJESTÉLA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                             intimée/appelante incidente

                               Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2005

                           Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                  LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE LINDEN

                                                                                                                           LE JUGE NADON


Date : 20051104

Dossier : A-659-04

Référence : 2005 CAF 359

CORAM :        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                         1243573 ONTARIO INC.

                                                                                                                                           appelante

                                                                             et

                                   SA MAJESTÉLA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

INTRODUCTION


[1]                 Il s'agit d'un appel d'une décision de la Cour fédérale qui portait sur l'offre qu'avait faite l'appelante de louer des locaux à la Couronne. La Couronne a rejeté l'offre de l'appelante parce qu'elle a estimé qu'elle ne respectait pas les documents relatifs à l'appel d'offres de location lancé par la Couronne (le dossier d'appel d'offres) pour le motif que l'offre de l'appelante n'était pas conforme aux règlements de zonage applicables, une condition qu'exigeait, affirme la Couronne, le dossier d'appel d'offres. L'appelante soutient qu'elle respectait le dossier d'appel d'offres et qutant le moins-disant, la Couronne était tenue d'accepter son offre; la Couronne a refusé de le faire et a ainsi violé son obligation contractuelle envers l'appelante; celle-ci en a subi un préjudice en conséquence. Le juge de la Cour fédérale a statuéque la Couronne n'avait pas violé le contrat lorsqu'elle a rejeté l'offre de l'appelante pour défaut de conformité.

[2]                L'appel incident interjeté par la Couronne porte sur l'attribution des dépens par le juge de la Cour fédérale.

LES FAITS

[3]                Le 14 novembre 2001, la Couronne a publié une annonce dans le Windsor Star intitulée « Appel d'intérêt pour la location à bail de locaux à Windsor (Ontario) » dans le but de solliciter des propositions émanant de firmes qui souhaitaient être invitées à présenter une offre de fourniture de locaux loués. Les locaux à louer devaient représenter une superficie d'environ 2 140 mètres carrés de locaux de base pour bureaux pour les besoins de Citoyenneté et Immigration Canada. La durée du bail devait être de cinq ans et les documents précisaient les limites géographiques dans lesquelles devaient être situés ces locaux. L'appelante a répondu à l'invitation. Le 27 février 2002, l'appelante, ainsi qu'un certain nombre d'autres parties, ont été invitée par la Couronne à présenter une offre, parce qu'elle respectait certaines conditions. La Couronne a alors distribué le dossier d'appel d'offres à cette même époque.


[4]                L'appel d'offres se terminait le 9 avril 2002. L'appelante et sept autres parties intéressées ont présenté une offre.

[5]                Les terrains proposés à la Couronne par l'appelante étaient situés dans la zone géographique précisée, mais ils étaient zonés M1.1, c'est-à-dire pour l'industrie légère. Le 26 juin 2002, la Couronne a informé l'appelante que son offre avait été jugée non conforme parce que la Couronne a estimé que le zonage de ce terrain n'autorisait pas une utilisation à titre de locaux de base pour bureaux, qui était une condition, affirmait la Couronne, précisée dans le dossier d'appel d'offres.

[6]                La Couronne n'a pas admis ce point dans le présent appel, mais l'appelante affirme que la Couronne a admis que, si l'offre de l'appelante avait été conforme à la condition relative au zonage, l'offre de l'appelante était la plus favorable et aurait été acceptée par la Couronne.

LA QUESTION EN LITIGE

[7]                La question en litige est de savoir si le dossier d'appel d'offres contenait un document exigeant que les terrains proposés soient zonés pour des locaux de base pour bureaux. L'appelante reconnaît que si les documents de l'appel d'offres sont interprétés comme exigeant que les terrains soient zonés pour des locaux de base pour bureaux, l'appel doit être rejeté.


ANALYSE

[8]                La position de l'appelante repose sur le fait que la Couronne fédérale n'est pas liée par les règlements de zonage municipaux et que le dossier d'appel d'offres n'exigeait pas que les locaux respectent ces règlements. La Couronne a reconnu qu'elle n'est pas juridiquement tenue de respecter les règlements de zonage municipaux. Elle affirme néanmoins que le dossier d'appel d'offres exigeait que les offres respectent les règlements de zonage municipaux et que celle de l'appelante ne les respectait pas.

[9]                J'estime qu'il y a lieu de trancher cette question en faveur de la Couronne. L'article 8.1 de la partie 2 du dossier d'appel d'offres énonce :

[Traduction]

Le soumissionnaire déclare que les terrains, l'immeuble dans lesquels se trouvent les lieux loués, les lieux loués et l'usage que le locataire compte en faire sont conformes à tous égards aux dispositions de toutes les lois applicables. [Non souligné dans l'original.]

[10]            La Couronne soutient qu'il faut interpréter les passages soulignés comme s'ils indiquaient que l'usage recherché par la Couronne devait être conforme aux règlements de zonage. Toute interprétation contraire viderait ces mots de leur sens.


[11]            Les dispositions de l'article 8.1 ont une large portée. Elles prévoient notamment que l'usage des locaux recherché par la Couronne doit respecter les conditions figurant dans les lois applicables. Les règlements de zonage sont des dispositions qui sont généralement applicables à l'utilisation de terrains et de locaux. Il a été dit que la Couronne souhaitait peut-être respecter les règlements de zonage généralement applicables ou que la Couronne voudrait avoir la possibilité de sous-louer les locaux à un locataire autre que la Couronne à qui les règlements de zonage s'appliqueraient. L'appelante n'a pas précisé le sens qu'il fallait donner à ces mots, sinon qu'ils englobent les règlements de zonage municipaux. Par contre, la Couronne a reconnu qu'elle n'était pas liée par les règlements de zonage municipaux. Lus de façon isolée, les termes de l'article 8.1 ne sont donc pas dépourvus de toute ambiguïté.

[12]            Il est par conséquent nécessaire d'examiner les autres dispositions du dossier d'appel d'offres pour décider si elles précisent cette ambiguïté.

[13]            L'alinéa 8.3i) de la partie 1 du dossier d'appel d'offres exige que « l'offre [du soumissionnaire] comprenne... une preuve de zonage » . L'appelante soutient que cette disposition veut simplement dire que le soumissionnaire doit présenter des éléments concernant le zonage des terrains visés et non pas que l'usage que la Couronne prévoyait faire des locaux devait être conforme aux règlements de zonage applicables. Il est affirmé que cette disposition a simplement pour objet d'informer la Couronne des autres utilisations potentielles des terrains adjacents qui pourraient influencer l'évaluation que fait la Couronne de l'offre de l'appelante.


[14]            Même en lisant l'alinéa 8.3i) de façon isolée, il me paraît difficile de retenir cette interprétation. Il est difficile de penser que les mots « preuve de zonage » avaient pour seul but d'informer la Couronne des utilisations possibles des terrains adjacents ou n'étaient mentionnés qu'à titre d'information générale. L'obligation de fournir une preuve de zonage indique que, pour la Couronne, le zonage était un élément important de l'utilisation qu'elle entendait faire des locaux qu'elle souhaitait louer.

[15]            Les dispositions de l'alinéa 8.3i) de la partie 1 et celles de l'article 8.1 de la partie 2 doivent s'interpréter ensemble. Chaque disposition fournit le contexte dans lequel l'autre doit être interprétée. Lorsque ces dispositions sont examinées ensemble, il ressort clairement que les documents exigeaient aux termes de l'alinéa 8.3i) de la partie 1 une preuve de zonage pour que la Couronne puisse s'assurer que l'utilisation qu'elle entendait faire des locaux était conforme aux règlements de zonage généralement applicables conformément à l'article 8.1 de la partie 2 et que les offres respectaient les documents d'appel d'offres.

[16]            L'appelante soutient que le contrat en litige est un contrat d'adhésion et que la règle contra proferentum, qui accorde à l'appelante le bénéfice de l'interprétation la plus favorable en cas d'ambiguïté, s'applique en l'espèce. Cependant, si l'on examine l'ensemble du dossier d'appel d'offres, il n'y a pas d'ambiguïté au sujet du respect des règlements de zonage. Il n'est par conséquent pas nécessaire d'appliquer la règle contra proferentum. (Voir G.H.L. Fridman, The Law of Contracts in Canada, 4e éd. (Toronto: Carswell, 1999) à la p. 495 et H.G. Beale, éd., Chitty on Contracts, volume 1: General Principles, 29e éd. (London: Sweet and Maxwell, 2004) à la p. 747.)


[17]            Par conséquent, la Couronne n'a pas commis de violation lorsqu'elle a décidé que l'offre de l'appelante ne respectait pas le dossier d'appel d'offres. Le juge de la Cour fédérale en est arrivé à la même conclusion en s'appuyant sur la clause de privilège que contenait ce dossier. Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis arrivé selon laquelle le dossier d'appel d'offres exigeait que soient respectés les règlements municipaux, il n'est pas nécessaire que j'interprète et applique la clause de privilège.

[18]            L'appel devrait être rejeté.

L'APPEL INCIDENT

[19]            La Couronne a formé un appel incident à l'égard de la décision du juge de la Cour fédérale au sujet des dépens. Le juge a conclu que la Couronne n'avait pas respecté le contrat figurant dans le dossier d'appel d'offres lorsqu'elle a attribué le bail à un autre soumissionnaire non conforme. Étant donné que les parties avaient chacune obtenu en partie gain de cause, il a décidé de ne pas accorder de dépens.

[20]            La Couronne soutient que le fait qu'elle ait attribué le bail à un autre soumissionnaire non conforme n'intéresse aucunement la question que devait trancher le juge de la Cour fédérale, soit celle de savoir si l'offre de l'appelante était conforme ou non.


[21]            Je souscris à cet argument. Si l'offre de l'appelante avait été jugée conforme, celle-ci aurait eu le droit de faire examiner l'attribution du bail par la Couronne à un soumissionnaire non conforme. Mais je ne vois pas comment l'appelante, un soumissionnaire également non conforme, peut avoir un droit de regard sur l'attribution du bail à un autre soumissionnaire non conforme. Autrement dit, étant elle-même un soumissionnaire non conforme, elle n'avait pas conclu de contrat avec la Couronne et n'avait pas le droit de se voir attribuer le bail. Il est possible que la Couronne ait violé un ou plusieurs contrats conclus avec des soumissionnaires conformes mais cela n'est d'aucun secours à l'appelante. Par conséquent, le juge de la Cour fédérale a tenu compte d'une considération non pertinente lorsqu'il s'est prononcé sur la question des dépens.

[22]            Il semble également que la Couronne ait présenté une offre de règlement avant le procès, qui n'avait pas été retirée. Le juge de la Cour fédérale avait connaissance de cette offre. Il a néanmoins décidé que les autres questions relatives aux dépens, notamment celle découlant de l'offre de règlement, pourraient être soulevées au cours de la partie de l'instance portant sur les dommages-intérêts.

[23]            Lorsque la Cour a décidé que la Couronne n'avait pas rompu un contrat avec l'appelante lorsqu'elle a estimé que l'offre de l'appelante n'était pas conforme, elle a mis fin au litige. Autrement dit, il n'y avait pas lieu de procéder à l'évaluation du préjudice. Le juge devait tenir compte de l'offre de règlement présentée pour attribuer les dépens à l'issue de l'instance qu'il avait conduite.


[24]            La Couronne affirme que le montant approprié des dépens pour le procès, y compris les débours, s'élevait à 11 700 $ et à 3 000 $ pour l'appel. L'appelante n'a pas contesté ces chiffres. Par conséquent, il y aurait lieu d'accueillir l'appel incident et la Couronne devrait avoir droit à des dépens de 14 700 $, y compris les frais et les débours, pour le procès et l'appel dans la présente affaire.

                                                                                                   « Marshall Rothstein »     

                                                                                                                             Juge                   

« Je souscris aux présents motifs

A.M. Linden, juge »

« Je souscris aux présents motifs

M. Nadon, juge »

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                        COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       A-659-04

APPEL ET APPEL INCIDENT D'UN JUGEMENT OU D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉS DU 26 NOVEMBRE 2004, No DE DOSSIER DE LA COUR T-1208-02

INTITULÉ:                                         1243573 CANADA INC.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 11 OCTOBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                        LE JUGE LINDEN

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                     LE 4 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Myron W. Shulgan, c.r.                       POUR L'APPELANTE

Jacqueline Dais-Visca                      POUR LA COURONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Miller, Canfield, Paddock                 POUR L'APPELANTE

and Stone, LLP

Windsor (Ontario)

John H. Sims, c.r.                               POUR LA COURONNE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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