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Date : 20050406

Dossier : A-410-04

Référence : 2005 CAF 119

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                              STATUS-ONE INVESTMENTS INC.

                                                                                                                                                intimée

                                      Audience tenue à Montréal (Québec), le 6 avril 2005.

                            Jugement rendu à l'audience à Montréal (Québec), le 6 avril 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                               LE JUGE NOËL


Date : 20050406

Dossier : A-410-04

Référence : 2005 CAF 119

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                              STATUS-ONE INVESTMENTS INC.

                                                                                                                                                intimée

                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                           (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec), le 6 avril 2005)

LE JUGE NOËL

[1]                Il s'agit d'un appel dirigé à l'encontre d'une décision interlocutoire rendue par le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt, accueillant en partie, la requête de Status-One Investments Inc. (Status-One ou le contribuable) visant à radier certains allégués de la réponse modifiée à l'avis d'appel déposée par Sa Majesté la Reine agissant au nom du Ministre du Revenu National (la Couronne ou le Ministre).


[2]                L'appel fut entendu en matinée, le 6 avril 2005, et ajourné pour reprendre plus tard au cours de l'après-midi afin que soient lus les motifs qui suivent.

Les faits

[3]                Les faits sont relatés de façon détaillée dans le la décision du premier juge. Nous nous contentons à ce stade-ci de rappeler la séquence des événements.

[4]                Le 22 juillet 2002, Status-One a déposé un avis d'appel devant la Cour canadienne de l'impôt à l'encontre d'avis de cotisation émis par le Ministre à l'égard de ses années d'impositions 1996, 1998 et 1999. La question en litige devant la Cour canadienne de l'impôt porte sur la déductibilité des pertes, autres qu'en capital, de Status-One provenant de sa participation dans une société en commandite, AFS Limited Partership No. 11 (AFS No. 11).

[5]                Le 23 septembre 2002, la Couronne a déposé à son tour une réponse devant la Cour canadienne de l'impôt. Plus d'un an plus tard, soit le 10 novembre 2003, quelques jours avant le début des interrogatoires préalables, la Couronne a transmis à Status-One un projet de réponse modifiée et lui a demandé de consentir au dépôt de cet acte de procédure.

[6]                Par lettre en date du 14 novembre 2003, le procureur de Status-One a opposé son refus et a avisé le procureur de la Couronne que les interrogatoires au préalable devaient être reportés après la clôture des actes de procédures.


[7]                Le même jour, la Couronne a présenté une requête visant notamment à obtenir l'autorisation de déposer une réponse modifiée. Le 22 décembre 2003, le juge Dussault de la Cour canadienne de l'impôt a accueilli la requête de la Couronne tout en réservant à Status-One le droit d'attaquer par voie de requête en radiation certains des amendements autorisés.

[8]                Quelque temps plus tard, Status-One a, en vertu de l'article 53 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (RCCI), présenté une requête visant à faire radier onze allégués contenus à la réponse modifiée:

53.La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l'acte ou le document :

a) peut compromettre ou retarder l'instruction équitable de l'appel;

                                       

b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

                                       

c) constitue un recours abusif à la Cour.

53.The Court may strike out or expunge all or part of a pleading or other document, with or without leave to amend, on the ground that the pleading or other document,

(a) may prejudice or delay the fair hearing of the action,

                                       

(b) is scandalous, frivolous or vexatious, or

                                       

(c) is an abuse of the process of the Court.

[9]                Par ordonnance rendue le 27 juillet 2004, le juge Rip rejetait la requête de Status-One, sauf en ce qui a trait aux alinéas 11uu) et 11ww) de la réponse modifiée de la Couronne, lesquels se lisent comme suit :

Autres arrangements de société en commandite similaires à AFS No. 11 :

11uu)       Equicap a procédé au cours des années 1993 à 1998 à la promotion et à la mise en marché, par voie de notices d'offre, de plusieurs arrangements de société en commandite;


11ww)      Les aspects importants de ces arrangements de société en commandite étaient identiques à AFS No. 11, notamment en ce qui concerne la structure, le mode de fonctionnement, les ententes intervenues, les parties impliquées, les actions posées, les objectifs poursuivis et les résultats financiers et fiscaux obtenus.

[10]            Le Ministre a dû reconnaître devant le juge Rip que Status-One n'était d'aucune façon partie à ces « autres arrangements » . Il a maintenu cependant qu'ils impliquaient les mêmes parties que celles avec lesquelles Status-One avait contracté et que ces « autres arrangements » pouvaient servir en quelque sorte de « faits similaires » à des fins multiples (mais non précisées dans la réponse modifiée) en plus de permettre de mieux cerner l'intention de Status-One lorsqu'elle a acquis sa propre participation.

Jugement dont est appel

[11]            Le juge Rip a tout d'abord résumé les motifs invoqués par Status-One au soutien de sa requête en radiation en ces termes (paragraphe 15) : « [... ces alinéas] introduisent de nouvelles allégations de fait, les faits [en question] n'ont absolument rien à voir avec [Status-One] et les nouvelles allégations élargissent le litige de manière à inclure d'autres contribuables. »

[12]            Au tout début de son analyse, le juge Rip a indiqué que « n'eût été » de la décision de la Cour d'appel fédérale dans La Reine c. Global Communications Ltd. 97 DTC 5194 (FCA), il aurait conclu au rejet de la requête en radiation (paragraphe 23). Dans cette affaire, notre Cour avait, dans une courte décision, confirmé une décision préalable du juge Beaubier de la Cour canadienne de l'impôt qui avait radié un allégué semblable à ceux ici en cause. Ayant fait ce constat, le juge Rip n'a pas arrêté son analyse à l'affaire Global.


[13]            Au paragraphe 25, le juge Rip a noté les difficultés que créaient, pour le contribuable, ces amendements attaqués :

[25]     Dans son argumentation, l'avocat de l'appelante a dit que les allégations de l'avis d'appel, de la réponse à l'avis d'appel et de la réplique ne font aucunement mention de faits ayant trait à des investissements autres que ceux de l'appelante dans AFS No. 11 de sorte que plus de 80 pour 100 des documents mentionnés dans la liste de documents de l'intimée ne pourraient faire l'objet de questions à l'interrogatoire préalable. L'avocat de l'appelante estime à environ 6000 le nombre des documents en question.

[14]            Au paragraphe 29, il a fait remarquer que les faits allégués par le Ministre dans ses actes de procédure, incluant ceux qui mettent en cause les agissements de tiers, se doivent d'être précis et exacts afin que le contribuable sache bien clairement ce qu'il aura à prouver (Anchor Pointe Energy Ltd. c. La Reine 2003 DTC 5512 (F.C.A.)).

[15]            L'essentiel des motifs retenus par le juge Rip pour radier les deux alinéas en cause est relaté à la toute fin de son jugement (paragraphe 30) :

[30]    Les alinéas 11uu) et 11ww) viennent embrouiller le processus d'appel. À ce stade du processus, les actions de Equicap paraissent n'avoir aucun rapport direct avec les questions fondamentales soulevées par les appels. Il convient de faire preuve d'une grande circonspection lorsque des tiers sont concernés. Ce sont les actes de l'appelante qui sont pertinents; c'est l'appelante qui a fait l'objet de cotisations et elle est en droit de savoir pourquoi. Il se peut bien que, dans certains cas, les relations ou les liens que peut avoir une partie appelante avec des tiers soient pertinents. Je pense notamment aux affaires en matière de négociation de titres. Je n'ai toutefois rien trouvé dans les actes de procédure des parties en l'espèce qui démontre que les faits allégués aux alinéas 11uu) et 11ww) sont pertinents. Une partie appelante doit toujours faire sa preuve elle-même. Le ministre doit établir la cotisation à l'égard d'un contribuable en se fondant sur ce que ce dernier a fait, ou n'a pas fait, et non pas, d'une manière générale, sur la conduite d'un tiers.


Analyse et décision

[16]            La Couronne prétend que le juge Rip a appliqué les mauvais principes, qu'il s'est considéré à tort lié par la décision de notre Cour dans l'affaire Global, supra, qu'il a commis une erreur de droit en déclarant non pertinente au litige « toute preuve concernant les tiers » et qu'il a omis de tenir compte des tests d'intention mandatés par les questions en litige (mémoire de faits et de droit de la Couronne, paragraphe 23). Selon nous, ces attaques sont sans fondement.

[17]            La pertinence ou non-pertinence d'allégués portant sur les agissements de tiers doit s'évaluer à la lumière des actes de procédure. C'est donc que le juge Rip se devait de considérer les actes de procédure et déterminer, à la lumière des questions qui s'en dégagent, si les alinéas proposés étaient pertinents.

[18]            C'est précisément ce que le juge Rip a fait et, dans ce sens, l'on ne peut lui reprocher d'avoir suivi aveuglément l'affaire Global. Hormis le fait que l'allégué en question dans l'affaire Global souffrait du même excès de généralisme dont souffrent ceux ici en cause, chaque cas est un cas d'espèce et c'est à partir des actes de procédure, tels que rédigés, que le juge Rip a conclu à la non-pertinence des amendements proposés.


[19]            Selon nous, la Couronne n'a pas été en mesure de démontrer à partir des actes de procédure en quoi les allégués aux alinéas 11uu) et 11ww) sont pertinents. Comme l'indique le juge Rip, il se peut bien que dans certains cas, les relations ou les liens que peut avoir une partie appelante avec des tiers soient pertinents à la détermination de son impôt payable. Mais encore faut-il que les actes de procédure laissent voir, de façon précise, en quoi ces liens ou relations pourraient être utiles à cette fin.

[20]            Il ne suffit pas d'affirmer comme le fait la Couronne que toutes les circonstances sont pertinentes. Le fait que la personne de qui Status-One a acquis sa participation dans la société en commandite se soit livrée à des activités semblables avec des tiers par le passé ne fait pas en soi preuve des intentions de Status-One au moment de la signature des ententes.

[21]            À cet égard, la Couronne allègue dans son mémoire (paragraphe 59) qu'un investisseur aurait tenu compte de ces transactions passées et des résultats obtenus avant de conclure sa propre entente. Or, comme l'a constaté le juge Rip, aucun allégué de la sorte n'apparaît aux actes de procédure. On n'y retrouve que l'affirmation générale reflétée dans les deux alinéas en cause.

[22]            Comme l'indique le juge Rip aux paragraphes 29 et 30 de ses motifs, la Cour doit faire preuve d'une grande circonspection lorsque la Couronne cherche à incorporer aux actes de procédure des agissements de tiers. Les faits tenus pour acquis par le Ministre en établissant les cotisations sont réputés avérés et le contribuable doit être en mesure de savoir ce qu'il a à démontrer pour renverser cette présomption (Anchor Pointe Energy Ltd., supra).


[23]            Autant cette présomption qui opère en faveur du Ministre est justifiée lorsqu'elle porte sur les agissements du contribuable en cause (puisqu'il a une connaissance privilégiée de ses propres affaires), autant elle devient compliquée et difficile à contrer lorsqu'elle porte sur les agissements de tiers. C'est cette difficulté qu'avait à l'esprit le juge Rip lorsqu'il a adressé au Ministre, en fin d'analyse, le reproche suivant (paragraphe 30) :

Le ministre doit établir la cotisation à l'égard d'un contribuable en se fondant sur ce que ce dernier a fait, ou n'a pas fait, et non pas, d'une manière générale, sur la conduite d'un tiers (nous soulignons)

[24]            Dans la mesure où le Ministre veut fonder une cotisation sur les agissements de tiers, il lui appartient de préciser le lien entre ces agissements et ceux du contribuable en cause afin que ce dernier sache ce qu'il a à démontrer.

[25]            Par exemple, si le Ministre considère que ces « autres arrangements » sont semblables à celui auquel Status One fut partie et que Status One a tenu compte des résultats financiers qu'ont procurés ces « autres arrangements » avant d'acquérir sa participation, comme il semble le prétendre, libre à lui de l'alléguer. Mais il s'expose à une requête en radiation s'il incorpore globalement les agissements de tiers dans ses actes de procédure sans préciser le lien qu'il entend faire valoir entre ces agissements et ceux du contribuable en cause.


[26]            La décision d'accueillir ou non une requête présentée en vertu de l'article 53 des RCCI relevait du pouvoir discrétionnaire du premier juge. Ce dernier a soupesé l'intérêt invoqué par la Couronne pour justifier l'ajout proposé, le fait que le contribuable n'était aucunement partie à ces « autres arrangements » ainsi que l'embarras qu'ils engendraient en introduisant des tiers dans le débat sans indiquer de façon précise et exacte le lien envisagé avec Status-One. Il a conclu que les deux alinéas en question compromettraient ou retarderaient l'instruction équitable de l'appel.

[27]            Selon nous, il s'agit là d'un exercice judiciaire de la discrétion qui lui était conféré par l'article 53 des RCCI. L'appel sera rejeté avec dépens.

                                                                                      « Marc Noël »          

                                                                                                     j.c.a.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                                                      A-410-04

INTITULÉ :                     SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                            appelante

                                                     et

                      STATUS-ONE INVESTMENTS INC.

                                                                                                intimée

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 6 avril 2005


MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :           LÉTOURNEAU, NOËL, NADON, j.c.a.

PRONONCÉS À L'AUDIENCE (PAR) :     LE JUGE NOËL

COMPARUTIONS:

Me Daniel bourgeois/Me Nicolas Simard

POUR L'APPELANTE

Me André P. Gauthier/Me Josée Vigeant

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                          

John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANTE

Heenan Blaikie LLP

Montréal (Québec)

POUR L'INTIMÉE


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