Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20060125

Dossier : A‑117‑05

Référence : 2006 CAF 29

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                       

 

ENTRE:

COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC., DISNEY ENTERPRISES, INC., METRO‑GOLDWYN-MAYER STUDIOS, INC., PARAMOUNT PICTURES CORPORATION, TRISTAR PICTURES, INC., TWENTIETH CENTURY FOX FILM CORPORATION, UNITED ARTISTS PICTURES, INC., UNITED ARTISTS CORPORATION, UNIVERSAL CITY STUDIOS, INC., WARNER BROS., une division de

TIME WARNER ENTERTAINMENT CO., L.P.

 

appelantes

et

SERGE GAUDREAULT

intimé

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2005

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

 


 

 

Date : 20060125

Dossier : A‑117‑05

Référence : 2006 CAF 29

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

 

 

ENTRE :

COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC., DISNEY ENTERPRISES, INC.,

METRO‑GOLDWYN-MAYER STUDIOS, INC., PARAMOUNT PICTURES CORPORATION, TRISTAR PICTURES, INC., TWENTIETH CENTURY FOX FILM CORPORATION, UNITED ARTISTS PICTURES, INC., UNITED ARTISTS CORPORATION, UNIVERSAL CITY STUDIOS, INC., WARNER BROS., une division de

TIME WARNER ENTERTAINMENT CO., L.P.

 

appelantes

et

SERGE GAUDREAULT

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

Introduction

[1]               Les appelantes possèdent les droits de propriété intellectuelle sur un certain nombre de films et d’événements sportifs qui ont été ou sont offerts à des téléspectateurs abonnés à la câblodistribution ou à la télévision par satellite disposés à payer les frais additionnels exigés. L’intimé a été déclaré coupable de certaines infractions prévues par la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. 1985, ch. R‑2 (la Loi), relativement au décodage non autorisé des signaux par lesquels les produits des appelantes sont transmis aux clients. Les appelantes ont intenté une action en dommages‑intérêts et ont présenté, au cours de cette action, une requête en jugement sommaire. La requête a été rejetée parce que la preuve produite à l’appui était insuffisante. C’est ce rejet qui fait l’objet du présent appel.

 

L’HISTORIQUE PROCÉDURAL

[2]               Le 18 janvier 2000, la Gendarmerie royale du Canada a arrêté M. Serge Gaudreault. Lorsque les policiers ont fouillé sa maison et son véhicule, ils ont découvert 65 décodeurs non autorisés permettant de voir du matériel encodé sans avoir à payer les frais exigés par l’exploitant du système.

 

[3]               M. Gaudreault a été accusé de certaines infractions prévues par la Loi. Il a plaidé coupable et a été condamné à une amende de 5 000 $. L’article 18 de la Loi permet à quiconque détient, à titre de titulaire du droit d’auteur, un droit dans le contenu d’un signal d’abonnement, comme les appelantes, d’exercer un recours civil afin d’obtenir compensation pour les dommages causés par le non‑respect de certaines interdictions prévues par la Loi, notamment la vente de décodeurs sans autorisation.

18. (1) Peut former, devant tout tribunal compétent, un recours civil à l’encontre du contrevenant quiconque a subi une perte ou des dommages par suite d’une contravention aux alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) et :

a) soit détient, à titre de titulaire du droit d’auteur ou d’une licence accordée par ce dernier, un droit dans le contenu d’un signal d’abonnement ou d’une alimentation réseau;

[…]

Cette personne est admise à exercer tous recours, notamment par voie de dommages-intérêts, d’injonction ou de reddition de compte, selon ce que le tribunal estime indiqué.

 

18. (1) Any person who

(a) holds an interest in the content of a subscription programming signal or network feed, by virtue of copyright ownership or a licence granted by a copyright owner,

may, where the person has suffered loss or damage as a result of conduct that is contrary to paragraph 9(1)(c), (d) or (e) or 10(1)(b), in any court of competent jurisdiction, sue for and recover damages from the person who engaged in the conduct, or obtain such other remedy, by way of injunction, accounting or otherwise, as the court considers appropriate.

 

 

 

[4]               S’appuyant sur cette disposition, les appelantes ont intenté un recours contre M. Gaudreault. Ce dernier venait à peine de déposer sa défense lorsque les appelantes ont présenté une requête en jugement sommaire en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi, lequel prévoit :

(3) Dans tout recours visé au paragraphe (1) et intenté contre une personne, les procès‑verbaux relatifs aux procédures engagées devant tout tribunal qui a déclaré celle‑ci coupable d’une infraction aux alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) constituent, sauf preuve contraire, la preuve que cette personne a eu un comportement allant à l’encontre de ces dispositions; toute preuve fournie lors de ces procédures quant à l’effet de l’infraction sur la personne qui intente le recours constitue une preuve à cet égard.

(3) In an action under subsection (1) against a person, the record of proceedings in any court in which that person was convicted of an offence under paragraph 9(1)(c), (d) or (e) or 10(1)(b) is, in the absence of any evidence to the contrary, proof that the person against whom the action is brought engaged in conduct that was contrary to that paragraph, and any evidence given in those proceedings as to the effect of that conduct on the person bringing the action is evidence thereof in the action.

 

[5]               Les appelantes ont déposé, au soutien de leur requête en jugement sommaire, l’affidavit de Serge Corriveau, le directeur national du programme anti‑piratage canadien du Bureau de surveillance – Film et vidéo de l’Association canadienne des distributeurs de films. M. Corriveau a déclaré dans son affidavit :

[traduction]

65. Le 18 janvier 2000, ou vers cette date, la GRC a arrêté le défendeur en application de la Loi sur la radiocommunication. Le véhicule du défendeur a été fouillé et deux boîtes, l’une contenant 10 décodeurs et l’autre, des composants d’équipements électroniques, ont été saisies, de même que 55 autres décodeurs, 86 autres composants électroniques et une somme de 4 723 $CAN. Le 11 septembre 2001, le défendeur a plaidé coupable à deux chefs déposés en vertu de la Loi sur la radiocommunication et a été condamné à une amende de 5 000 $.

 

[6]               Les appelantes ont également déposé l’affidavit de Claude Larose, lequel affirme que M. Gaudreault lui a vendu quatre ou cinq décodeurs non autorisés par mois entre 1999 et 2001. Finalement, elles ont déposé l’affidavit de Deborah Monton, une assistante juridique du cabinet de leur avocat, qui a nommé et produit les documents divulgués par la Couronne à M. Gaudreault dans le cadre de la poursuite criminelle (le dossier de la Couronne).

 

[7]               En réponse à la requête des appelantes, M. Gaudreault a déposé son propre affidavit dans lequel il a affirmé :

10. Si j’ai plaidé coupable à certaines infractions statutaires fédérales en 2000, c’est uniquement pour éviter les frais relatifs à un procès.

 

[8]               La requête en jugement sommaire a été entendue par le juge James Hugessen. Ce dernier, qui a rejeté la requête, a décrit la thèse des appelantes dans les termes suivants :

[4] À l’exception d’une preuve par affidavit très générale au sujet des activités illégales imputées au défendeur qui n’est pas suffisamment précise, à mon avis, pour m’autoriser à prononcer un jugement en faveur des demanderesses dans le cadre de la présente requête, les demanderesses invoquent, comme le paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiocommunication les y autorise, le fait que le défendeur a inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard de deux accusations portées aux termes des articles 9 et 10 de cette Loi.

[…]

 

[9]               Le juge a ensuite souligné que M. Gaudreault avait inscrit un plaidoyer de culpabilité pour éviter un procès et qu’il n’avait pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. Sans décider si l’affidavit de M. Gaudreault était véridique ou digne de foi, il a conclu que cet affidavit constituait une preuve contraire au sens du paragraphe 18(3) de la Loi, de sorte que les appelantes ne pouvaient pas s’appuyer sur le plaidoyer de culpabilité. Ainsi, aucune preuve n’établissait que M. Gaudreault avait commis les actes que lui reprochaient les appelantes et la requête a été rejetée.

 

LA THÈSE DES APPELANTES

[10]           Les appelantes ont soutenu devant nous que la preuve qu’elles ont produite est suffisante pour étayer leur thèse, sans qu’il soit nécessaire de recourir au paragraphe 18(3) de la Loi. Elles ont soutenu également que le plaidoyer de culpabilité de M. Gaudreault constituait une preuve prima facie du fait qu’il avait commis les actes dont il était accusé, de sorte que les exigences prévues au paragraphe 18(1) étaient remplies. Finalement, elles ont fait valoir, en plus d’exercer le recours que la Loi les autorisait à intenter, que la preuve établissait que M. Gaudreault avait violé leurs droits d’auteur en permettant à d’autres personnes de le faire également en leur vendant des décodeurs sans autorisation.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[11]           Le présent appel ayant trait à une décision discrétionnaire rendue par un juge, la norme de contrôle qui s’applique consiste à déterminer si celui‑ci a tenu compte de toutes les considérations pertinentes et leur a accordé le poids approprié (Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394). Le juge saisi de la requête l’a rejetée en application de la Loi en se fondant sur son interprétation de la preuve, et il n’a pas traité de la prétention des appelantes fondée sur la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42. En conséquence, en ce qui concerne la requête présentée en vertu de la Loi, le rôle de la Cour est de déterminer si le juge a tenu compte des considérations pertinentes et leur a accordé le poids approprié. Pour ce qui est de la prétention fondée sur la Loi sur le droit d’auteur, la Cour peut décider d’être la première à l’examiner étant donné qu’elle n’a pas encore fait l’objet d’une décision.

 

ANALYSE

[12]           Comme il a été mentionné précédemment, les appelantes invoquent deux causes d’action, l’une en vertu de la Loi et l’autre en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Pour avoir gain de cause en vertu de la Loi, elles doivent remplir les exigences du paragraphe 18(1) de la Loi, reproduit plus haut. Cette disposition fait référence aux actes décrits aux alinéas 9(1)c), d) ou e) ou à l’alinéa 10(1)b) :

9. (1) Il est interdit :

a) d’envoyer, d’émettre ou de faire envoyer ou émettre, sciemment, un signal de détresse ou un message, appel ou radiogramme de quelque nature, faux ou frauduleux;

 

9. (1) No person shall

(a) knowingly send, transmit or cause to be sent or transmitted any false or fraudulent distress signal, message, call or radiogram of any kind;

 

b) sans excuse légitime, de gêner ou d’entraver la radiocommunication;

 

(b) without lawful excuse, interfere with or obstruct any radiocommunication;

 

c) de décoder, sans l’autorisation de leur distributeur légitime ou en contravention avec celle‑ci, un signal d’abonnement ou une alimentation réseau;

 

(c) decode an encrypted subscription programming signal or encrypted network feed otherwise than under and in accordance with an authorization from the lawful distributor of the signal or feed;

 

d) d’utiliser un appareil radio de façon à recevoir un signal d’abonnement ou une alimentation réseau ainsi décodé;

 

(d) operate a radio apparatus so as to receive an encrypted subscription programming signal or encrypted network feed that has been decoded in contravention of paragraph (c); or

 

e) de transmettre au public un signal d’abonnement ou une alimentation réseau ainsi décodé.

 

(e) retransmit to the public an encrypted subscription programming signal or encrypted network feed that has been decoded in contravention of paragraph (c).

 

10. (1) Commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, dans le cas d’une personne physique, une amende maximale de cinq mille dollars et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines, ou, dans le cas d’une personne morale, une amende maximale de vingt‑cinq mille dollars quiconque, selon le cas :

a) contrevient à l’article 4 ou aux alinéas 9(1)a) ou b);

b) sans excuse légitime, fabrique, importe, distribue, loue, met en vente, vend, installe, modifie, exploite ou possède tout matériel ou dispositif, ou composante de celui‑ci, dans des circonstances donnant à penser que l’un ou l’autre est utilisé en vue d’enfreindre l’article 9, l’a été ou est destiné à l’être;

c) contrevient à l’ordre donné par le ministre en vertu de l’alinéa 5(1)l);

d) à défaut de peine prévue par règlement d’application de l’alinéa 6(1)r), contrevient à un règlement.

 

10. (1) Every person who

(a) contravenes section 4 or paragraph 9(1)(a) or (b),

(b) without lawful excuse, manufactures, imports, distributes, leases, offers for sale, sells, installs, modifies, operates or possesses any equipment or device, or any component thereof, under circumstances that give rise to a reasonable inference that the equipment, device or component has been used, or is or was intended to be used, for the purpose of contravening section 9,

(c) contravenes or fails to comply with an order issued by the Minister under paragraph 5(1)(l), or

(d) contravenes or fails to comply with a regulation, where no punishment is prescribed by regulations made under paragraph 6(1)(r) for that contravention or failure to comply,

is guilty of an offence punishable on summary conviction and is liable, in the case of an individual, to a fine not exceeding five thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding one year, or to both, or, in the case of a corporation, to a fine not exceeding twenty‑five thousand dollars.

 

(2.5) Nul ne peut être déclaré coupable de l’infraction visée aux alinéas 9(1)c), d) ou e) s’il a pris les mesures nécessaires pour l’empêcher.

(2.5) No person shall be convicted of an offence under paragraph 9(1)(c), (d) or (e) if the person exercised all due diligence to prevent the commission of the offence.

 

 

[13]           Les appelantes pouvaient démontrer que M. Gaudreault avait contrevenu aux alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) de trois façons. Elles pouvaient produire une preuve concernant les actes eux‑mêmes, comme elles l’ont fait en déposant l’affidavit de M. Larose, et laisser la Cour conclure que les actes étaient contraires à l’une des dispositions mentionnées. Elles pouvaient également produire une preuve démontrant que M. Gaudreault a plaidé coupable à une accusation d’avoir contrevenu à l’une des dispositions mentionnées (comme elles ont cherché à le faire en déposant l’affidavit de M. Corriveau), s’appuyant sur la règle qui veut qu’un plaidoyer de culpabilité constitue un aveu de tous les éléments de l’infraction reprochée. Elles pouvaient aussi s’appuyer sur la règle de preuve énoncée au paragraphe 18(3) et présenter à la Cour les « procès‑verbaux relatifs aux procédures » (« record of proceedings ») engagées devant la cour criminelle qui a déclaré M. Gaudreault coupable de l’une des infractions mentionnées au paragraphe 18(1).

 

[14]           Les appelantes peuvent avoir gain de cause si elles établissent les faits en utilisant l’une de ces méthodes. En ce qui concerne leur propre preuve de la violation des articles 9 et 10 de la Loi, les appelantes disent que le témoignage de M. Larose prouve que M. Gaudreault a vendu du matériel ou des dispositifs capables de décoder des signaux dans des circonstances donnant à penser que le matériel ou les dispositifs étaient destinés à être utilisés pour décoder des signaux sans l’autorisation de leur distributeur légitime, infraction prévue à l’alinéa 10(1)b) de la Loi. M. Larose affirme dans son affidavit que M. Gaudreault leur a vendu, à lui et à sa société, quatre ou cinq dispositifs de décodage non autorisés par mois, à un coût mensuel d’environ 150 $, en 1999 et en 2000. M. Larose a ensuite revendu les dispositifs 2 000 $. L’affidavit de M. Larose ne permet pas d’en savoir plus au sujet de circonstances qui pourraient donner à penser que les dispositifs devaient être utilisés pour décoder des signaux sans l’autorisation du distributeur légitime.

 

[15]           M. Gaudreault a affirmé qu’il remettait à chaque acheteur de ses décodeurs l’avis suivant : « AVIS IMPORTANT À défaut d’acquitter les droits exigibles, l’utilisation de cet appareil est illégale ». Dans son affidavit, M. Gaudreault a déclaré également qu’il connaissait la décision R. c. Langlais, une décision inédite rendue par la Cour du Québec. Dans cette affaire, M. Langlais a été acquitté de l’accusation d’avoir contrevenu à l’alinéa 10(1)b) de la Loi parce que la Cour a conclu que la remise d’un avis indiquant qu’il est illégal d’utiliser le dispositif sans avoir payé les droits exigés soulevait un doute raisonnable quant à la question de savoir si, le matériel, le dispositif ou la composante avait été vendu dans des circonstances donnant à penser que l’un ou l’autre était utilisé en vue d’enfreindre l’article 9, l’avait été ou était destiné à l’être.

 

[16]           Il faut évaluer l’ensemble des circonstances pour savoir si les opérations entre M. Larose et M. Gaudreault étaient de nature à donner à penser que les dispositifs vendus par M. Gaudreault seraient utilisés par les clients de M. Larose pour décoder des signaux sans y être autorisés. Or, la Cour ne dispose d’aucune preuve concernant ces circonstances. Aussi, le juge saisi de la requête a eu raison de dire que la preuve n’était pas suffisamment précise pour lui permettre de prononcer un jugement en faveur des appelantes.

 

[17]           Si le témoignage de M. Larose est insuffisant, les appelantes cherchent à s’appuyer sur le plaidoyer de culpabilité inscrit par M. Gaudreault pour étayer leur thèse. « En droit, un plaidoyer de “culpabilité” équivaut à un aveu de tous les éléments de l’infraction » (Hansen c. Navire Ocean Victoria Daichi Tanker K.K., [1985] 1 C.F. 451, à la page 455). Un plaidoyer de culpabilité peut cependant être expliqué et nuancé (Re Charlton, [1969] 1 O.R. 706 (C.A. Ont.)). La difficulté réside dans le fait que le dossier n’indique pas à quelle accusation M. Gaudreault a plaidé coupable. M. Corriveau affirme seulement que M. Gaudreault a plaidé coupable à deux [traduction] « chefs » en application de la Loi. Le dossier ne renferme pas de copie de la dénonciation qui a entraîné les poursuites criminelles, ni de copie d’un certificat attestant la déclaration de culpabilité visé au paragraphe 12(2) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5. Aussi, bien que certains éléments de preuve indiquent que M. Gaudreault a inscrit un plaidoyer de culpabilité, rien dans la preuve ne permet pas de savoir à quelle accusation il a plaidé coupable.

 

[18]           Étant donné qu’un certain nombre de décodeurs non autorisés ont été saisis quand M. Gaudreault a été arrêté, on peut présumer que ce dernier a été accusé d’avoir contrevenu à l’alinéa 10(1)b) de la Loi. Une telle présomption ne peut cependant pas être traitée comme un fait parce qu’il est possible que la Couronne et M. Gaudreault se soient entendus sur une autre accusation, comme cela arrive souvent. Comme les appelantes réclament des dommages‑intérêts, il faut connaître les circonstances ayant donné lieu à la perte qu’elles ont subie pour déterminer le montant de ces dommages‑intérêts. Si M. Gaudreault a plaidé coupable à l’infraction prévue à l’alinéa 9(1)c) ou d), qui traite de l’utilisation d’un dispositif de décodage sans autorisation, les dommages‑intérêts seront beaucoup moins élevés que s’il a plaidé coupable à l’infraction prévue à l’alinéa 10(1)b), qui vise la vente et la distribution sans autorisation de dispositifs de décodage. Par conséquent, il ne suffit pas de démontrer que M. Gaudreault a plaidé coupable à une infraction non précisée prévue par la Loi. L’aveu découlant du plaidoyer de culpabilité sur lequel les appelantes s’appuient ne satisfait donc pas aux exigences du paragraphe 18(1) parce qu’il ne permet pas de connaître l’infraction à laquelle M. Gaudreault a plaidé coupable.

 

[19]           Dans ce cas, les appelantes cherchent à s’appuyer sur le paragraphe 18(3) afin que les procès‑verbaux relatifs aux procédures criminelles constituent la preuve en l’espèce. Le juge Hugessen a rendu une décision qui leur est défavorable à ce sujet lorsqu’il a statué que le témoignage de M. Gaudreault selon lequel il a plaidé coupable pour éviter les frais relatifs à un procès constituait une « preuve contraire ». Il est évident que le juge saisi de la requête a adopté la position la plus favorable aux appelantes sur la question des « procès‑verbaux », en présumant qu’il disposait de tels procès‑verbaux, mais il a conclu que, même dans ces circonstances, les appelantes ne pouvaient pas avoir gain de cause. Bien que j’arrive au même résultat, je préfère aborder la question en considérant que les appelantes doivent établir que la Cour dispose des procès‑verbaux.

 

[20]           Pressé de questions à ce sujet, l’avocat des appelantes a indiqué que le dossier de la Couronne constituait les procès‑verbaux. Il s’agit nettement d’une erreur. Le paragraphe 18(3) prévoit deux règles de preuve. Selon la première, les procès‑verbaux relatifs aux procédures engagées devant le tribunal qui a déclaré une personne coupable d’une infraction prévue aux alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) constituent, sauf preuve contraire, la preuve que cette personne a eu un comportement constituant l’infraction. En d’autres termes, la preuve de la déclaration de culpabilité constitue, en l’absence de preuve contraire, la preuve des faits à l’égard desquels cette déclaration a été prononcée. La preuve de la déclaration de culpabilité peut se faire par la transcription des procédures ou par les procès‑verbaux des procédures dans les instances où le greffier dresse de tels procès‑verbaux. Une partie peut aussi, conformément au paragraphe 12(2) de la Loi sur la preuve au Canada, prouver la déclaration de culpabilité en produisant un certificat attestant la déclaration de culpabilité et une preuve d’identité.

 

[21]           La deuxième règle de preuve prévue au paragraphe 18(3) veut que toute preuve produite lors d’un procès criminel quant à l’effet de l’infraction commise par le défendeur sur les titulaires de droits constitue une preuve « à cet égard » dans la poursuite civile. En d’autres termes, la preuve des dommages présentée lors du procès criminel peut être utilisée comme preuve des dommages lors du procès civil. Dans ce cas également, il faudrait une transcription ou un autre compte rendu de la preuve, par exemple les procès‑verbaux des procédures si de tels documents existent et s’ils décrivent la preuve en détail.

 

[22]           Il est donc clair que le dossier de la Couronne, qui renferme simplement l’information détenue par la Couronne relativement aux faits révélés par l’enquête policière, ne constitue pas les procès‑verbaux relatifs aux procédures puisqu’il n’a pas trait aux procédures, mais à l’enquête. En conséquence, les appelantes ne peuvent pas s’appuyer sur le paragraphe 18(3).

 

[23]           Même si le juge saisi de la requête n’a pas formulé son analyse comme je le fais, il ne fait aucun doute qu’il n’était pas convaincu par la preuve présentée par les appelantes et qu’il a refusé de leur permettre de s’appuyer sur le paragraphe 18(3). En conséquence, il n’y a aucun motif exigeant notre intervention.

 

[24]           J’examinerai maintenant la prétention fondée sur la Loi sur le droit d’auteur. Les appelantes prétendent que M. Gaudreault a violé leurs droits d’auteur en autorisant d’autres personnes à le faire. Pour que je leur donne raison, elles doivent démontrer que leurs droits ont été violés et que M. Gaudreault a autorisé cette violation.

 

[25]           Les droits exclusifs du titulaire du droit d’auteur sont décrits au paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

 

3. (1) For the purposes of this Act, copyright", in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

 

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l’œuvre;

 

(a) to produce, reproduce, perform or publish any translation of the work,

 

b) s’il s’agit d’une œuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre œuvre non dramatique;

 

(b) in the case of a dramatic work, to convert it into a novel or other non-dramatic work,

 

c) s’il s’agit d’un roman ou d’une autre œuvre non dramatique, ou d’une œuvre artistique, de transformer cette œuvre en une œuvre dramatique, par voie de représentation publique ou autrement;

 

(c) in the case of a novel or other non-dramatic work, or of an artistic work, to convert it into a dramatic work, by way of performance in public or otherwise,

 

d) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, d’en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l’aide desquels l’œuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;

 

(d) in the case of a literary, dramatic or musical work, to make any sound recording, cinematograph film or other contrivance by means of which the work may be mechanically reproduced or performed,

 

e) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d’adapter et de présenter publiquement l’œuvre en tant qu’œuvre cinématographique;

 

(e) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to reproduce, adapt and publicly present the work as a cinematographic work,

 

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

 

(f) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to communicate the work to the public by telecommunication,

 

g) de présenter au public lors d’une exposition, à des fins autres que la vente ou la location, une œuvre artistique — autre qu’une carte géographique ou marine, un plan ou un graphique — créée après le 7 juin 1988;

 

(g) to present at a public exhibition, for a purpose other than sale or hire, an artistic work created after June 7, 1988, other than a map, chart or plan,

 

h) de louer un programme d’ordinateur qui peut être reproduit dans le cadre normal de son utilisation, sauf la reproduction effectuée pendant son exécution avec un ordinateur ou autre machine ou appareil;

 

(h) in the case of a computer program that can be reproduced in the ordinary course of its use, other than by a reproduction during its execution in conjunction with a machine, device or computer, to rent out the computer program, and

 

i) s’il s’agit d’une œuvre musicale, d’en louer tout enregistrement sonore.

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

 

[Non souligné dans l’original.]

(i) in the case of a musical work, to rent out a sound recording in which the work is embodied, and to authorize any such acts

 

(emphasis added)

 

[26]           L’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que « [c]onstitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir ». Ainsi, une personne qui communique au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique sans le consentement du titulaire du droit d’auteur viole le droit d’auteur. Toute personne qui autorise une autre personne à communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique sans le consentement du titulaire du droit d’auteur viole aussi le droit d’auteur.

 

[27]           En l’espèce, la plainte précise des appelantes est décrite dans leur mémoire :

[traduction] Les demanderesses/appelantes reconnaissent qu’elles doivent, pour établir que le défendeur/intimé a violé leurs droits d’auteur, démontrer qu’il a, par ses actions, autorisé d’autres personnes à porter atteinte à l’arrangement autorisé [des appelantes] concernant la reproduction et la communication au public, par télécommunication, des œuvres sur lesquels elles ont un droit d’auteur.

 

 

 

[28]           Quel type de violation les appelantes allèguent‑elles? Elles allèguent une atteinte aux arrangements autorisés concernant la reproduction et la communication au public, par télécommunication, des œuvres sur lesquelles elles ont un droit d’auteur. Elles ne précisent pas de quelle façon cette atteinte concerne l’exercice des droits réservés exclusivement aux titulaires du droit d’auteur qui sont décrits au paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Plus précisément, elles n’allèguent pas que les utilisateurs des décodeurs non autorisés ont transmis ou reproduit du matériel protégé par le droit d’auteur sans le consentement du titulaire de celui‑ci. Le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur ne prévoit rien, à mon avis, qui ferait du décodage non autorisé de signaux une violation du droit d’auteur.

 

[29]           Le seul précédent invoqué par les appelantes au soutien de leur thèse est la décision rendue par la Cour fédérale dans Columbia Pictures Industries, Inc. c. Frankl (faisant affaire sous le nom de Signal Solutions), 2004 CF 1454, (2004), 36 C.P.R. (4th) 342. Les faits dans cette affaire étaient analogues à ceux en l’espèce, à l’exception du fait que M. Frankl faisait le commerce de cartes à puce permettant au décodeur de décoder des signaux. La Cour a donné raison aux demanderesses sur la question de la violation du droit d’auteur aux paragraphes 27 et 28 de sa décision :

[27] En l’espèce, la preuve par affidavit - qui n’a pas été contredite - démontre que le défendeur a importé, fabriqué, distribué, modifié, programmé, reprogrammé, loué, mis en location, vendu et mis en vente du matériel spécialement conçu pour battre en brèche le cryptage par DirecTV des signaux de radiodiffusion protégés, autorisant ainsi la réception en clair desdits signaux et portant atteinte aux droits des demanderesses dans les œuvres protégées par droit d’auteur.

 

[28] Par conséquent, je conclus que le défendeur a autorisé d’autres personnes à reproduire les œuvres des demanderesses protégées par droit d’auteur. Il n’existe donc aucune question sérieuse à instruire relativement à la violation de droits d’auteur au sens de la Loi sur le droit d’auteur.

 

[30]           D’après mon interprétation du paragraphe 27, la Cour a conclu que « la réception en clair desdits signaux [les signaux encodés] » constitue une violation du droit d’auteur (« portant atteinte aux droits des demanderesses dans les œuvres protégées par droit d’auteur »). La Cour n’a cité aucune source à l’appui de sa décision et je n’ai pas été en mesure d’en trouver une. Or, le paragraphe 3(1) ne réserve pas au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif de recevoir des signaux de radiodiffusions encodées et d’y avoir accès. Le droit qui est protégé par le paragraphe 3(1) est le droit de transmettre des signaux, et non le droit d’en recevoir. J’estime en conséquence que cette décision n’est pas convaincante.

 

[31]           Le fait que le décodage non autorisé est interdit à l’alinéa 9(1)c) de la Loi ne fait pas en sorte qu’il s’agit d’une violation du droit d’auteur. Étant donné qu’il incombe aux appelantes de démontrer le bien‑fondé de leur thèse, en particulier dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, j’estime qu’elles ne m’ont pas convaincu que, en droit, le décodage non autorisé de signaux constitue en soi une violation du droit d’auteur.

 

[32]           S’il n’y a pas violation du droit d’auteur, il ne peut y avoir autorisation d’une telle violation. Les appelantes ne peuvent donc avoir gain de cause au regard du droit d’auteur. Le résultat aurait été identique même si j’avais conclu que le décodage non autorisé constituait une violation du droit d’auteur. La Cour suprême a rejeté l’idée que la fourniture de matériel permettant à une personne de violer le droit d’auteur équivaut nécessairement à autoriser une violation du droit d’auteur dans CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, 2004 CSC 13, où la juge en chef McLachlin a écrit, au nom de la Cour, au paragraphe 38 :

[38] […] Toutefois, ce n’est pas autoriser la violation du droit d’auteur que de permettre la simple utilisation d’un appareil susceptible d’être utilisé à cette fin. Les tribunaux doivent présumer que celui qui autorise une activité ne l’autorise que dans les limites de la légalité […]

 

[33]           Selon la preuve par affidavit de M. Gaudreault, à l’égard de laquelle celui‑ci n’a pas été contre‑interrogé, tous ses décodeurs ont été vendus avec un avis indiquant que l’utilisation de l’appareil sans avoir payé les droits exigibles était illégale. Cela semble à première vue faire en sorte que la présomption dont il a été question précédemment s’applique. En conséquence, les appelantes ne m’ont pas convaincu qu’il n’y avait aucune véritable question à trancher relativement à leur allégation selon laquelle M. Gaudreault a violé leurs droits d’auteur en autorisant d’autres personnes à le faire.

 

CONCLUSION

[34]           En conséquence, il n’y a aucune raison de modifier la décision du juge saisi de la requête en jugement sommaire de la rejeter. Le juge a tenu compte de manière appropriée de tous les facteurs pertinents au regard de la demande fondée sur la Loi et leur a accordé le poids qu’il fallait. Bien qu’il n’ait pas examiné la prétention fondée sur la Loi sur le droit d’auteur, j’ai conclu que les appelantes n’ont pas réussi à établir qu’il n’y a pas de véritable question à trancher à cet égard. Par conséquent, il n’y a aucune raison de modifier la décision du juge saisi de la requête. Je rejetterais donc l’appel avec dépens.

 

« J. D. Denis Pelletier »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

     Robert Décary, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

     Gilles Létourneau, juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE HUGESSEN DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA EN DATE DU 4 MARS 2005 (T‑42‑02)

 

DOSSIER :                                                             A‑117‑05

 

INTITULÉ :                                                           COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES INC.

                                                                                ET AL.

                                                                                c.

                                                                                SERGE GAUDREAULT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 11 OCTOBRE 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :       LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                             LE JUGE DÉCARY

                                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 25 JANVIER 2006

 

 

COMPARUTIONS :

Thomas M. Slahta                                                     POUR LES APPELANTES

Lorne Lipkus

 

Louis Savoie                                                             POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Ovadia                                                           POUR LES APPELANTES

Montréal (Québec)

 

Kestenburg Siegal Lipkus s.r.l.

Toronto (Ontario)

Jutras et Associés                                                     POUR L’INTIMÉ

Drummondville (Québec)


 

 

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