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Date : 20060508

Dossier : A-99-04

Référence : 2006 CAF 167

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

JAMES W. HALFORD et VALE FARMS LTD.

appelants

et

SEED HAWK INC., PAT BEAUJOT, NORBERT BEAUJOT, BRIAN KENT et

SIMPLOT CANADA LIMITED

intimés

Audience tenue par vidéoconférence à Ottawa, Calgary et Winnipeg, le 5 mai 2006.

Ordonnance rendue à Toronto (Ontario), le 8 mai 2006.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                  LA JUGE SHARLOW


Date : 20060508

Dossier : A-99-04

Référence : 2006 CAF 167

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

JAMES W. HALFORD et VALE FARMS LTD.

appelants

et

SEED HAWK INC., PAT BEAUJOT, NORBERT BEAUJOT, BRIAN KENT et

SIMPLOT CANADA LIMITED

intimés

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SHARLOW

[1]                Les appelants James W. Halford et Vale Farms Ltd. (collectivement Halford) sollicitent une suspension de l'adjudication des dépens devant la Cour fédérale en attendant le règlement de la présente instance, dans laquelle un appel et un appel incident ont été interjetés à la suite d'un jugement rendu par la Cour fédérale le 23 janvier 2004 (2004 CF 88). Le jugement porté en appel rejetait l'action en contrefaçon de brevet que Halford avait intentée, rejetait l'appel incident en vue de l'obtention d'une déclaration portant que le brevet était invalide et adjugeait les dépens aux intimés, ces dépens devant être traités au moyen d'un avis de requête. L'audition de l'appel doit commencer le 29 mai 2006, soit trois semaines après la date des présents motifs.

[2]                Après que le jugement porté en appel eut été rendu, une requête a été présentée devant la Cour fédérale en vue de l'obtention de directives concernant les dépens. Cela a donné lieu à une ordonnance en date du 14 septembre 2004 (2004 CF 1259) dans laquelle la Cour fédérale donnait certaines directives. Cette ordonnance n'a pas été portée en appel. La taxation des dépens a été achevée le 31 mars 2006 (2006 CF 422). Les montants taxés s'élèvent à 540 031,60 $ pour Seed Hawk Inc. et pour les intimés individuels (collectivement Seed Hawk), et à 253 996,51 $ pour l'intimée Simplot Canada Limited (Simplot). Les montants adjugés portent intérêt à compter du 23 janvier 2004 au taux annuel de 5 p. 100. Halford a demandé à la Cour fédérale de procéder à un examen de la taxation.

[3]                Seed Hawk s'oppose à la suspension pour le motif que la Cour n'a pas compétence pour l'accorder, ou subsidiairement pour le motif que la requête visant la suspension devrait être rejetée au fond. Seed Hawk a également demandé un cautionnement pour dépens, au cas où la suspension serait accordée. Halford s'oppose à la requête visant le cautionnement. L'avocat de Simplot n'a pas soumis d'arguments distincts, mais elle a adopté la position de Seed Hawk, notamment en ce qui concerne la demande relative au cautionnement pour dépens au cas où la suspension serait accordée.

La compétence

[4]                L'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, est rédigé comme suit :

50. (1) La Cour d'appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

50. (1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

[5]                L'article 50 permet à la Cour d'entendre une requête visant à faire suspendre tout jugement de la Cour fédérale qui fait l'objet d'un appel. Seed Hawk soutient que Halford demande à la Cour de suspendre un jugement de la Cour fédérale qui n'est pas porté en appel, à savoir l'ordonnance du 14 septembre 2004. Cette ordonnance prévoit, entre autres choses, que les dépens seront taxés sans attendre l'issue de l'appel et qu'ils seront payables dès leur taxation. Seed Hawk soutient que les tentatives qu'elle a faites pour obtenir l'exécution de l'ordonnance adjugeant les dépens ne peuvent pas donner lieu à une suspension de la part de la Cour parce que Halford n'a pas interjeté appel de l'ordonnance du 14 septembre 2004.

[6]                Je ne retiens pas l'argument de Seed Hawk sur ce point. La Cour a été saisie d'un appel qui remet en question la décision rendue par la Cour fédérale en l'espèce. Cela inclut nécessairement l'adjudication des dépens (laquelle est de toute façon expressément mentionnée dans l'avis d'appel de Halford). À mon avis, cela suffit pour conférer à la Cour la compétence voulue pour entendre la requête que Halford a présentée en vue de faire suspendre l'exécution forcée de l'ordonnance adjugeant les dépens.

Bien-fondé de la requête visant la suspension

[7]                Il est reconnu que je suis obligée de tenir compte du critère en trois parties énoncé dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

a) Question sérieuse

[8]                Halford fait valoir que l'appel soulève une question sérieuse. Seed Hawk ne conteste pas ce point.

b) Préjudice irréparable

[9]                Quant à la question du préjudice irréparable, Halford déclare posséder suffisamment d'éléments d'actif, déduction faite des dettes, pour être en mesure de payer les dépens taxés si l'appel n'est pas accueilli, mais elle dit que ses actifs ne sont pas liquides. En effet, la plupart de ses actifs sont des immobilisations qui sont nécessaires aux fins de l'exploitation de l'entreprise de Vale Farms Ltd. ou de l'entreprise agricole de M. Halford (qu'il exploite en commun avec son fils). Halford dit que si Seed Hawk et Simplot sont autorisées à faire exécuter les ordonnances par lesquelles les dépens leur ont été adjugés avant l'appel, l'entreprise de Vale Farms Ltd. prendra nécessairement fin et qu'il ne sera probablement pas possible de rétablir l'entreprise si l'appel est accueilli.

[10]            Seed Hawk fait valoir que Halford n'a pas établi l'existence d'un préjudice irréparable, en se fondant principalement sur la décision Dableh c. Ontario Hydro (1994), 57 C.P.R. (3d) 387 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, comme dans la présente affaire, le tribunal avait débouté le titulaire du brevet de son action en contrefaçon et les dépens avaient été adjugés à son encontre. Avant la fin de la taxation, le titulaire du brevet avait présenté une demande à la Cour fédérale en vue de faire suspendre les procédures relatives aux dépens en attendant l'issue de l'appel, en affirmant apparemment entre autres choses qu'il risquait de faire faillite. Seed Hawk fait valoir que cet arrêt établit en droit que l'exécution d'une obligation de payer les dépens ne peut jamais causer de préjudice irréparable. Je n'interprète pas cette décision comme établissant ou comme visant à établir une proposition aussi générale. À mon avis, la partie du jugement que Seed Hawk a citée est simplement un énoncé se rapportant aux faits particuliers de l'affaire. Il importe de noter que même si l'appelant, dans cette affaire-là, n'a pas obtenu la suspension, son appel s'est poursuivi et a été accueilli : Dableh c. Ontario Hydro (C.A.), [1996] 3 C.F. 751.

[11]            Quoi qu'il en soit, Halford ne soutient pas qu'il existe un risque de faillite. Halford affirme plutôt que son entreprise risque de se voir obligée de fermer ses portes. Or, il a été reconnu dans plusieurs cas qu'il s'agissait d'un préjudice irréparable : voir par exemple RJR-MacDonald (précité), paragraphe 59 ; et Trojan Technologies Inc. c. Suntec Environmental Inc., 2003 CAF 309.

[12]            À mon avis, la preuve soumise par Halford est suffisante pour établir selon la prépondérance des probabilités qu'un préjudice irréparable sera causé si la suspension n'est pas accordée.

c) Prépondérance des inconvénients

[13]            Quant à la troisième partie du critère, je dois soupeser le préjudice probable que Seed Hawk subirait si la suspension était accordée, mais que l'appel était rejeté, par rapport au préjudice probable que subirait Halford si la suspension était refusée, mais que l'appel était accueilli.

[14]            J'ai déjà indiqué que je suis convaincue que si la suspension est refusée, l'entreprise de Vale Farms Ltd. cessera probablement ses activités.

[15]            Si la suspension est accordée, mais que l'appel est rejeté, Halford fera face à de gros problèmes pratiques en faisant exécuter l'ordonnance par laquelle les dépens ont été adjugés étant donné que ses actifs ne sont pas liquides et que, de toute façon, tous les éléments ou presque tous les éléments d'actif de Vale Farms Ltd. et de M. Halford sont grevés de garanties en faveur de tiers qui ne sont pas parties à la présente instance. Un grand nombre des biens meubles de valeur de M. Halford sont des biens agricoles qui, en vertu des lois provinciales pertinentes, ne sont pas assujettis à des procédures d'exécution. Il est en théorie possible que Halford fasse faillite, même s'il n'existe aucune menace à ce sujet ou même si la chose n'est pas envisagée en ce moment. Les dépens constituent une créance non garantie qui prendrait rang après celles de tous les créanciers garantis existants de Vale Farms Ltd. et de M. Halford.

[16]            Je reconnais les difficultés possibles auxquelles Seed Hawk fait face en tentant de recouvrer les dépens adjugés, mais rien ne me permet de conclure que ces difficultés seront aggravées si l'instance est suspendue pour la période nécessaire aux fins du règlement de l'appel en instance. Il s'écoulera environ trois semaines avant le début de l'audience, plus tout délai additionnel qui pourra être nécessaire si le jugement est différé. Or, devant la Cour, la plupart des jugements différés sont rendus quelques semaines à peine après la date de l'audience.

[17]            Compte tenu du dossier mis à ma disposition, je conclus que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l'octroi de la suspension.

Conditions

[18]            Tous les intimés sollicitent un cautionnement pour les dépens taxés ainsi que pour les dépens prévus de l'appel. Le cautionnement pour les dépens peut être accordé comme condition de l'octroi d'une suspension en vertu du paragraphe 398(2) des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106, ou en vertu de l'article 416 des Règles si les dépens adjugés demeurent impayés. En principe, le cautionnement devrait être une condition de la suspension, si cela est raisonnablement possible.

[19]            Le genre de cautionnement recherché par Seed Hawk est une garantie bancaire ou une lettre de crédit. Seed Hawk fait valoir que Halford n'a pas étudié avec diligence la possibilité d'obtenir un tel cautionnement, et elle affirme également qu'aucun élément de preuve ne montre que Halford serait obligée de fournir un cautionnement à toute banque qui serait prête à lui accorder une garantie bancaire ou une lettre de crédit. Jusqu'à maintenant, Halford ne s'est pas vraiment efforcée d'étudier la possibilité de fournir le genre de cautionnement recherché par Seed Hawk. D'autre part, Halford n'a pas eu beaucoup de temps pour étudier toutes les solutions possibles à cet égard.

[20]            Quoi qu'il en soit, si les documents versés au dossier représentent d'une façon juste la situation financière de Vale Farms Ltd. et de M. Halford personnellement, il pourra bien s'avérer fort difficile pour eux d'obtenir une garantie bancaire ou une lettre de crédit telle que celle qui est recherchée par Seed Hawk, et ce, de la même façon que Seed Hawk peut faire face à des problèmes pratiques en recouvrant les dépens qui lui ont été adjugés en cas de rejet de l'appel interjeté par Halford. Je ne vois pas pourquoi il faudrait imposer à Halford une condition qu'il est en pratique impossible de remplir.

[21]            Cela ne veut pas pour autant dire qu'aucune condition ne devrait être imposée. Halford a pris spontanément certains engagements qui empêcheront toute opération sortant du cours ordinaire des affaires. J'ai accordé une suspension provisoire en attendant le règlement de ces requêtes, en l'assortissant d'un certain nombre de conditions. Je ne vois pas pourquoi ces conditions ne devraient pas continuer à s'appliquer.

[22]            Je note qu'une partie importante de la cause de Halford reposait sur ce que la valeur de réalisation des éléments d'actif de Vale Farms Ltd. devrait être établie sans qu'il soit tenu compte de certaines dettes que Vale Farms Ltd. a contractées envers M. Halford et envers les sociétés que celui-ci contrôle. Dans la mesure où je puis le conclure, compte tenu des documents fournis par Halford, M. Halford est l'actionnaire majoritaire de J. Fund Investments Ltd.; de plus, il contrôle indirectement Halford Holdings Inc. et Vale Farms Ltd. J'imposerai donc certaines conditions qui empêcheront M. Halford et les sociétés que celui-ci contrôle de faire valoir leurs droits à titre de créanciers ou d'actionnaires au détriment de la réclamation de l'un quelconque des intimés quant aux dépens.

Articles assujettis à une saisie

[23]            J'ai déjà accordé une suspension provisoire, qui sera remplacée par l'ordonnance rendue en même temps que les présents motifs. Avant que la suspension ait pris effet, les intimés avaient saisi de la machinerie et de l'équipement de Vale Farms Ltd. Une partie de la machinerie a fait l'objet d'une mainlevée de saisie conformément à l'ordonnance de suspension provisoire. Les intimés ont depuis lors appris que le reste de la machinerie et de l'équipement saisis sont grevés d'une garantie en faveur d'un tiers créancier de Vale Farms Ltd. La rétention continue de ces éléments d'actif n'aidera pas les intimés dans les efforts qu'ils font pour recouvrer les dépens qui leur seront peut-être dus après la conclusion du présent appel. J'ordonnerai donc que ces actifs fassent immédiatement l'objet d'une mainlevée de saisie.

Les dépens

[24]            Les dépens de ces requêtes suivront l'issue de la cause.

« K. Sharlow »

Juge


Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-99-04

APPEL D'UN JUGEMENT OU D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

EN DATE DU 23 JANVIER 2004, COUR FÉDÉRALE, DOSSIER No T-2406-93

INTITULÉ :                                                    JAMES W. HALFORD et al.

                                                                        c.

                                                                        SEED HAWK INC. et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO) (PAR VIDÉOCONFÉRENCE À

                                                                        WINNIPEG (MANITOBA) ET À

                                                                        CALGARY (ALBERTA))

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 5 MAI 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 MAI 2006

COMPARUTIONS :

Dean Giles

POUR LES APPELANTS

D. Doak Horne

POUR L'INTIMÉE, SEED HAWK

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fillmore Riley LLP

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES APPELANTS

Gowling Lafleur Henderson LLP

Calgary (Alberta)

POUR L'INTIMÉE, SEED HAWK

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