Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050302

Dossier : A-65-05

Référence : 2005 CAF 83

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE :

                                      TELECOMMUNICATIONS WORKERS UNION

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                        LE CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES et

                                                 TELUS COMMUNICATIONS INC.

                                                                                                                                            défendeurs

                                     Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 25 février 2005.

                                   Ordonnance rendue à Toronto (Ontario), le 2 mars 2005.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                           LE JUGE ROTHSTEIN


Date : 20050302

Dossier : A-65-05

Référence : 2005 CAF 83

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE :

                                      TELECOMMUNICATIONS WORKERS UNION

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                        LE CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES et

                                                 TELUS COMMUNICATIONS INC.

                                                                                                                                            défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN

Les faits


[1]                La Telecommunications Workers Union (la TWU) sollicite le sursis de la décision no 1193 du Conseil canadien des relations industrielles datée du 2 février 2005. La décision 1193 du Conseil portait sur une demande de nouvel examen présentée par Telus Communications Inc. à l'égard de certaines ordonnances antérieures du Conseil. Aux fins de la présente demande, la décision pertinente du Conseil est celle du 28 janvier 2004, dans laquelle celui-ci ordonnait à Telus d'offrir à la TWU la possibilité de recourir à l'arbitrage exécutoire en vue de conclure une convention collective entre les parties. La décision 1193 « annule » la décision du 28 janvier 2004 qui obligeait Telus à offrir l'arbitrage exécutoire à la TWU. La TWU a demandé le contrôle judiciaire de la décision 1193 et elle sollicite le sursis de l'exécution de cette décision pendant que la Cour examine cette demande de contrôle judiciaire.

[2]                Si j'ai bien compris la situation, le sursis aurait pour effet de permettre aux membres de la TWU de continuer à travailler selon les conditions de travail en vigueur actuellement. Dans le cas où le contrôle judiciaire aurait pour effet d'annuler la décision du Conseil relative au nouvel examen et de casser l'annulation, prononcée le 2 février 2005, de la décision du Conseil du 28 janvier 2004, la décision relative à l'arbitrage exécutoire, les parties seraient tenues de suivre la voie de l'arbitrage obligatoire pour résoudre les questions relatives à l'emploi qui les opposent. Dans le cas où la demande de contrôle judiciaire serait rejetée, un régime de négociation collective s'appliquerait et les parties pourraient ensuite s'entendre sur une convention collective ou faire la grève ou ordonner un lock-out.

L'existence d'une question grave


[3]                Je vais d'abord aborder le point de la question grave. Le seuil qui permet de conclure à l'existence d'une question grave est facile à atteindre. La Cour doit être convaincue que la demande n'est ni frivole ni vexatoire. Il n'est pas nécessaire ni souhaitable de procéder à une étude approfondie du bien-fondé de la demande. (Voir R.J.R. MacDonald c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 337.)

[4]                S'il n'y a pas lieu de procéder à une analyse approfondie du bien-fondé de la demande, il convient néanmoins de procéder à une étude au moins minimale. Il est difficile de procéder à l'étude de cette demande de sursis parce que le Conseil n'a pas encore fourni les motifs de sa décision.

[5]                La TWU affirme que la décision du Conseil est manifestement déraisonnable parce qu'elle est contraire aux politiques et aux procédures actuelles. Elle soutient également que le Conseil a transgressé les principes de la justice naturelle et de l'équité procédurale en ne fournissant pas à la TWU la possibilité de présenter des observations au sujet de la procédure à suivre dans la présente affaire. La troisième question que soulève la TWU est que la décision qu'a prise le Conseil de supprimer la solution de l'arbitrage exécutoire est manifestement déraisonnable.


[6]                Telus reconnaît que la TWU a besoin de prendre connaissance des motifs du Conseil pour présenter des arguments sur ces questions et que la Cour n'est pas en mesure de conclure que la TWU n'a aucune chance d'obtenir gain de cause sur l'une ou plusieurs de ces questions. Je souscris à cet avis. Même si je dispose de peu d'éléments, je ne peux affirmer que les questions soulevées par la TWU sont frivoles ou vexatoires. Dans les circonstances, je reconnais que la TWU répond à la condition de l'existence d'une question grave.

Le préjudice irréparable

[7]                La TWU affirme que la reprise des négociations serait immédiatement suivie d'un lock-out ou de l'imposition unilatérale de conditions de travail par Telus. L'imposition unilatérale de conditions de travail débouchera sur une grève. Ces différentes possibilités causeront à la TWU et à ses membres un préjudice irréparable. La TWU affirme que les conséquences suivantes sont inévitables :

1.          Si Telus modifie unilatéralement les conditions de travail, les membres de la TWU perdraient certains droits et avantages dont ils bénéficient actuellement;

2.          Le travail réalisé par l'unité de négociation serait perdu, soit parce que Telus sous-traiterait le travail qu'elle effectue, soit parce qu'elle aurait recours au personnel de direction et de surveillance en cas de grève ou de lock-out;

3.          Une grève ou un lock-out causerait aux membres de la TWU des difficultés financières et des soucis;

4.          Les membres de la TWU penseraient que leur syndicat n'est pas en mesure de conclure une convention collective révisée si le statu quo n'est pas préservé;


5.          Le Conseil a déjà conclu que le processus de négociation collective avait été « empoisonné » par Telus. En obligeant la TWU à négocier dans de telles conditions, ce syndicat serait placé dans une situation insoutenable, ce qui constituerait un préjudice irréparable.

[8]                Au départ, je ferais remarquer qu'il est bien établi par la jurisprudence que le préjudice irréparable ne peut reposer sur des hypothèses. (Voir, par exemple, Cognos Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2002 CFPI 882, au paragraphe 21.) Les quatre premiers arguments de la TWU reposent sur l'hypothèse que la décision 1193 du Conseil aura inévitablement pour résultat d'entraîner immédiatement un lock-out, l'imposition unilatérale de conditions de travail ou la grève. J'estime que ces affirmations reposent sur des hypothèses et non pas sur des preuves. Le cinquième argument, à savoir que la TWU se trouvera dans une situation insoutenable qui l'empêchera de participer à des négociations collectives, n'est pas conforme à la preuve.

[9]                À la suite de la décision 1193 du Conseil, transmise par lettre datée du 10 février 2005, Telus a écrit à la TWU. Voici les passages pertinents de cette lettre :

[TRADUCTION]

Dans le but de faciliter le retour à la table des négociations, à la suite de la décision de réexamen du CCRI datée du 2 février 2005, TELUS présente à nouveau, en vue d'en parler avec le syndicat, son document du 19 janvier 2004 (dont trois copies étaient jointes) sous réserve des modifications mentionnées ci-dessous.

[...]

La société se réserve le droit de proposer, au cours des négociations, d'autres modifications à son offre, selon ce qu'elle estime approprié.


Étant donné que plus de quatre ans se sont écoulés depuis le début des négociations, nous pensons qu'il appartient aux parties de procéder rapidement en vue de résoudre les questions en litige. C'est pourquoi nous nous sommes efforcés de modifier le moins possible l'offre générale qui avait été presentée pour discussion au syndicat le 19 janvier 2004.

[10]            Apparemment, cette lettre semble contenir une invitation sincère de reprendre les négociations collectives. Cependant, la TWU affirme qu'en réalité, la lettre sera immédiatement suivie de l'imposition d'un lock-out ou de conditions de travail unilatérales par Telus. Le syndicat affirme que la proposition du 10 février 2005 est pratiquement identique à celle du 19 janvier 2004, l'offre finale présentée par Telus avant la décision du Conseil du 28 janvier 2004 qui ordonnait l'arbitrage obligatoire. La TWU laisse entendre que Telus considère que ces conditions représentent sa position définitive et irrévocable. La TWU affirme également que la référence au fait « qu'il appartient aux parties de procéder rapidement en vue de résoudre les questions en litige... » indique que si la TWU n'accepte pas les conditions fixées par Telus, celles-ci seront alors immédiatement imposées par Telus. La TWU n'accepte pas ces conditions et il en résultera une grève.

[11]            Outre les déductions tirées de la lettre, la TWU affirme que Telus a pris des mesures pour embaucher du personnel ne faisant pas partie de l'unité de négociation pour qu'il exécute les travaux des membres de cette unité en prévision d'un lock-out ou d'une grève. Ces mesures comprennent le blocage des congés annuels et l'annonce qu'il convient de former le personnel ne faisant pas partie de l'unité de négociation pour qu'il puisse effectuer ce travail.


[12]            La TWU ne le dit pas expressément, mais son argument laisse entendre que Telus n'a pas l'intention de négocier de bonne foi.

[13]            L'article 50 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, prévoit que, lorsque l'avis de négociation collective a été donné, le syndicat et l'employeur doivent se rencontrer sans retard et entamer des négociations collectives de bonne foi et faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. L'alinéa 50a) prévoit :

50. Une fois l'avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s'appliquent :

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l'agent négociateur et l'employeur doivent :

(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective ...

50. Where notice to bargain collectively has been given under this Part,

(a) the bargaining agent and the employer, without delay, but in any case within twenty days after the notice was given unless the parties otherwise agree, shall

(i) meet and commence, or cause authorized representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith, and

(ii) make every reasonable effort to enter into a collective agreement ...

[14]            Je reconnais que les relations entre Telus et la TWU n'ont pas toujours été faciles et que le Conseil a conclu que Telus avait eu recours à des pratiques déloyales. Cependant, d'après les preuves présentées, je ne peux affirmer que Telus n'a pas l'intention de respecter l'article 50 du Code.


[15]            La lettre du 10 février 2005 mentionne que Telus veut que les parties procèdent rapidement pour résoudre les questions qui les opposent. C'est précisément ce qu'exige l'article 50. Il est possible que la proposition du 10 février 2005 ne fasse que reprendre pour l'essentiel la proposition antérieure de Telus. Cependant, la lettre énonce que la proposition est soumise à nouveau « en vue d'en discuter avec le syndicat » . Ces termes indiquent que Telus est prête à négocier de bonne foi, comme l'exige l'article 50, et à faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[16]            Je reconnais avec la TWU que les mesures prises par Telus au sujet du blocage des congés payés et la formation donnée aux employés ne faisant pas partie de l'unité de négociation pourraient être interprétées comme reflétant une stratégie imminente de lock-out ou consistant à imposer unilatéralement des conditions de travail qui déclencheraient une grève. Cependant, ce n'est pas la seule interprétation possible. Il est possible que Telus craigne que, même en l'absence de toute imposition de conditions de travail, le syndicat décide de déclencher une grève. En fait, le 2 janvier 2004, le syndicat a obtenu un vote de grève représentant 86,4 p. 100 de ses membres. Il est possible que les mesures prises par Telus aient un lien avec sa stratégie de négociation. Il est possible que Telus ait simplement établi un plan de secours au cas où les négociations de bonne foi échoueraient. Quelles que soient les raisons à l'origine des mesures prises par Telus, la conclusion selon laquelle Telus s'apprête à ordonner un lock-out ou à imposer unilatéralement des conditions de travail ne peut être qu'hypothétique.


[17]            Étant donné que le préjudice irréparable ne peut être fondé sur de simples hypothèses, il n'est pas nécessaire que je décide si une grève ou un lock-out entraînerait un préjudice irréparable comme l'allègue la TWU dans ses quatre premiers arguments.

[18]            Je ne suis pas non plus en mesure de conclure que le dernier argument de la TWU, à savoir que ce syndicat se trouverait dans une position insoutenable si l'on permettait des négociations collectives, est justifié par les preuves présentées. Je ne dis pas qu'il sera facile pour les parties de négocier une convention collective. Je ne suis toutefois pas convaincu que la TWU se trouve dans une position insoutenable, même si le Conseil a déjà déclaré que l'atmosphère entourant les négociations était empoisonnée. Dans les arguments qu'elle a présentés à la Cour, la TWU déclare « être prête à négocier de bonne foi en vue de conclure une convention collective » . Si la TWU est prête à participer à une négociation collective, je ne vois pas comment elle peut affirmer que sa position est insoutenable.

[19]            Il est possible que les négociations achoppent à un moment donné. Cependant, d'après les preuves présentées dans le cadre de cette demande de sursis, je ne peux affirmer à l'avance que les négociations sont vouées à l'échec et qu'une grève ou un lock-out imminent soit inévitable.

                                                                           « Marshall Rothstein »                      

                                                                                                     Juge                                     

Toronto (Ontario)

le 2 mars 2005

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-65-05

INTITULÉ :                                                    TELECOMMUNICATIONS WORKERS UNION

c.

LE CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES et TELUS COMMUNICATIONS INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE ROTHSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 2 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Morley D. Shortt, c.r.                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Patricia A. Dumaresq

David Stratas                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Brian Burkett                                                                 (Telus Communications Inc.)

Brad Elberg

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shortt, Moore et Arsenault                                            POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Paliare Roland Rosenberg Rothstein L.L.P.                    POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)                                                          (Le Conseil des relations industrielles)

Heenan Blaikie L.L.P.                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                          (Telus Communications Inc.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.