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Date : 20050601

Dossier : A-555-04

Référence : 2005 CAF 207

CORAM :        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

ENTRE :

ROBERT ALAN MORIYAMA

appelant

et

SA MAJESTÉLA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 mai 2005

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er juin 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL


Date : 20050601

Dossier : A-555-04

Référence : 2005 CAF 207

CORAM :        LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

ENTRE :

ROBERT ALAN MORIYAMA

appelant

et

SA MAJESTÉLA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]       Il s'agit d'un appel d'un jugement du juge Bonner de la Cour canadienne de l'impôt (2004 CCI 311). La question porte sur la responsabilité des administrateurs en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R. 1985, ch. E-15, dans sa version modifiée, (la Loi). Le juge Bonner a rejeté l'appel.


LES FAITS

[2]        L'appelant était le seul administrateur de Jetcom Communications Inc. (Jetcom). De janvier 1997 à décembre 1998, l'entreprise a connu des difficultés financières et, le 4 décembre 1998, elle a fait faillite.

[3]        L'appelant devait la somme totale de 276 277,94 $ en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi par suite du défaut de Jetcom d'effectuer les versements de TPS exigés par le paragraphe 228(2) de la Loi.

QUESTIONS EN JEU

[4]        Les trois questions soumises au juge Bonner ont été soulevées en appel devant la Cour :

1.        La personne qui a établi la cotisation était-elle autorisée à le faire?

2.        L'appelant était-il autorisé à invoquer la défense de diligence raisonnable en vertu du paragraphe 323(3)?

3.        Le ministre du Revenu national a-t-il satisfait à l'exigence de l'alinéa 323(2)c) selon laquelle il doit établir la réclamation de la somme auprès du syndic de faillite dans les six mois de la date de la faillite de la personne morale?

ANALYSE

1. Délégation


[5]              L'appelant soutient qu'au moyen d'un instrument de délégation, les pouvoirs du ministre ont été délégués à des personnes occupant des postes bien précis. La personne qui a établi la cotisation en l'espèce ntait pas l'une de ces personnes. Donc, selon l'appelant, la cotisation était invalide.

[6]        Le juge Bonner a abordé en profondeur la question de la délégation dans ses motifs. Il a conclu que ltablissement de la cotisation ne dépassait pas les limites des fonctions qui avaient été confiées au répartiteur en l'espèce. Selon lui, la question relevait des paragraphes 275(2) et (3) de la Loi. Ces derniers prévoient :

(2) Sont nommés ou employés de la manière autorisée par la loi les fonctionnaires, mandataires et préposés nécessaires à l'application et à l'exécution de la présente partie.

(3) Le ministre peut autoriser un fonctionnaire ou un mandataire désigné ou une catégorie de fonctionnaires ou de mandataires à exercer ses pouvoirs et à remplir ses fonctions prévues par la présente partie.

2) Such officers, agents and employees as are necessary to administer and enforce this Part shall be appointed or employed in the manner authorized by law.

(3) The Minister may authorize a designated officer or agent or a class of officers or agents to exercise powers or perform duties of the Minister under this Part.

[7]        Le juge Bonner a établi que le ministre avait signé un instrument de délégation, mais que cela « ne permet pas d'inférer que "les fonctionnaires, mandataires et préposés" employés en vertu du paragraphe 275(2), comme ltait [...] M. Ball [le répartiteur], doivent se faire expressément attribuer le pouvoir ministériel précis d'accomplir les actes administratifs courants » . Pour étayer cette conclusion, il a invoqué R. c. Harrisson, [1977] 1 R.C.S. 238, p. 245-246.

[8]        Je souscris à l'opinion du juge Bonner et à son analyse succincte. Il ne servirait à rien de les reprendre dans d'autres termes.


2. Diligence raisonnable

[9]        Le juge Bonner a conclu à lchec de la défense de diligence raisonnable présentée par l'appelant. Il a souligné que les déclarations ont été produites en retard et que l'appelant « a admis qu'il ne stait pas renseigné auprès de [ses supérieurs] parce que, à ce moment-là , il [traduction] "savai[t] que les affaires allaient mal" » (paragraphe 34). Il a conclu qu'en dépit d'un effort sincère pour payer les arriérés, l'omission de s'assurer chaque mois que les versements étaient effectués à temps ne satisfaisait pas à la norme de soin prévue par la Loi.

[10]       Voici un extrait des passages pertinents de l'article 323 :



323. (1) Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

(2) L'administrateur n'encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

      ...

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l'ordonnance.

(3) L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

323. (1) Where a corporation fails to remit an amount of net tax as required under subsection 228(2) or (2.3), the directors of the corporation at the time the corporation was required to remit the amount are jointly and severally liable, together with the corporation, to pay that amount and any interest thereon or penalties relating thereto.

(2) A director of a corporation is not liable under subsection (1) unless

                         ...

(c) the corporation has made an assignment or a receiving order has been made against it under the Bankruptcy and Insolvency Act and a claim for the amount of the corporation's liability referred to in subsection (1) has been proved within six months after the date of the assignment or receiving order.

(3) A director of a corporation is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances.                     

[11]       Cette affaire inspire à la Cour beaucoup de compassion. Entre le moment où il a été informé des problèmes de versement d'impôt par ses supérieurs en août 1997 et la faillite en décembre 1998, l'appelant s'est assuré que Jetcom a effectué des versements d'impôts dus et en souffrance d'un montant de plus de 378 000 $. Le juge Bonner a statué que l'appelant avait fait des « efforts sérieux » pour payer l'arriéré, mais qu'il n'avait pas « tenté de prévenir l'omission d'effectuer les versements pendant la période    » (paragraphe 35).

[12]       À une exception près, je ne peux pas dire que le juge Bonner a commis des erreurs manifestes ou dominantes en tirant cette conclusion.

[13]       L'exception concerne les versements payables le 31 décembre 1997 et le 31 janvier 1998. Au paragraphe 21 de ses motifs, le juge Bonner a dit ceci :

Au mois de décembre 1997, la banque a désigné un conseiller chargé de préparer un rapport sur le rendement et les opérations de Jetcom. Les conditions de nomination, que l'appelant a acceptées avec réticence, enlevaient à celui-ci toute responsabilité en matière de gestion ainsi que le contrôle sur les opérations de l'entreprise.

La banque a conservé la maîtrise des opérations de décembre 1997 à février 1998, moment où Jetcom a été refinancée et où l'appelant a repris la direction de l'entreprise et a conclu avec Revenu Canada des arrangements visant le paiement des versements dus et de montants supplémentaires afin d'effacer les arriérés d'impôt.


[14]       En certaines circonstances, lorsqu'un administrateur perd le contrôle de fait d'une entreprise, il peut être autorisé à invoquer la défense de diligence raisonnable. Voir, par exemple Canada (Procureur général) c. McKinnon (C.A.), [2001] 2 C.F. 203, par. 39 et 79. Dans chaque cas, il faut statuer selon les faits de l'espèce.

[15]       En l'espèce, jusqu au plus quelques semaines avant que la banque reprenne la direction des opérations, les paiements des versements dus étaient effectués et certains arriérés d'impôt étaient remboursés. Le 23 décembre 1997, la banque a demandé le remboursement de son prêt. Les versements exigibles le 31 décembre 1997 et le 31 janvier 1998, alors que la banque assumait la direction de Jetcom, n'ont pas été effectués.

[16]       Dans ces circonstances, je ne vois pas comment on pourrait dire que l'appelant n'a pas fait preuve de diligence raisonnable alors qu'il ntait pas responsable de la gestion et qu'il ne dirigeait pas les opérations.

[17]       Le juge Bonner souligne que rien ne permettait dtablir que l'appelant avait demandéau représentant de la banque de respecter les exigences concernant le dépôt des déclarations et les versements de taxe d'accise. Cependant, à partir du moment où l'appelant n'avait plus de pouvoir, l'omission de faire une telle demande ne peut être considérée comme une inobservation de la norme de diligence.


[18]       Lorsque la banque a rappelé son prêt, l'appelant s'est fait servir un ultimatum. La banque voulait son argent. Il semble que, en fin de compte, la banque ait accepté environ quarante cents par dollar en remboursement partiel de son prêt à Jetcom. Dans ces circonstances, il est clair qu'une demande faite au représentant de la banque concernant les versements de TPS n'aurait eu aucune suite.

[19]       Il sera toujours possible dtablir qu'un administrateur n'a pas pris de mesures pour empêcher une société d'omettre de payer des impôts. Cependant, le critère de la diligence raisonnable en vertu du paragraphe 323(3) ne porte pas sur toutes les mesures imaginables qui peuvent avoir été prises, mais plutôt sur les mesures qu'auraient prises pour éviter ce défaut « une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances » .

[20]       À mon avis, une personne raisonnablement prudente serait guidée par son sens des affaires. Au moment où la banque a rappelé son prêt, une simple demande portant sur le paiement des versements de la TPS qui aurait été formulée par l'appelant, dépourvu de tout pouvoir d'influencer le représentant de la banque, n'est pas réaliste. Ce n'est pas ce qu'une personne raisonnablement prudente ferait dans les mêmes circonstances. Respectueusement, j'estime que le juge Bonner n'a pas appliqué la norme de la personne raisonnablement prudente du paragraphe 323(3) à lgard des versements qui étaient payables le 31 décembre 1997 et le 31 janvier 1998 et qu'il a commis une erreur en ntablissant pas que la défense de diligence raisonnable s'appliquait à ces deux paiements.

[21]       À tous les autres égards, je ne modifierais pas ses conclusions concernant la norme de diligence.


3. Dépôt en retard et relevédes pertes

[22]       L'appelant déclare que le ministre n'a pas respecté les exigences de l'alinéa 323(2)c) à lgard des versements exigibles le 30 novembre 1998 et le 31 décembre 1998. L'entreprise a fait faillite le 4 décembre 1998. Les montants dus en novembre et en décembre 1998 n'ont pas été transmis au syndic de faillite au moment du dépôt du relevé original des pertes. Ils ont été transmis uniquement le 11 janvier 2000, soit un an après la faillite.

[23]       L'appelant soutient que l'exigence dtablir les pertes dans les six mois est impérative et que, à cause du défaut du ministre de respecter ce délai, l'appelant n'est pas responsable des montants exigibles le 30 novembre et le 31 décembre 1998.

[24]       Le paragraphe 299(5) de la Loi prévoit :

(5) L'appel d'une cotisation ne peut être accueilli pour cause seulement d'irrégularité, de vice de forme, d'omission ou d'erreur de la part d'une personne dans le respect d'une disposition directrice de la présente partie.                                                      

(5) An appeal from an assessment shall not be allowed by reasons only of an irregularity, informality, omission or error on the part of any person in the observation of any directory provision of this Part.

[25]       Le juge Bonner a rejeté les arguments de l'appelant, s'appuyant sur le jugement de la Cour dans Kyte c. La Reine (1997), 97 D.T.C. 5022. Dans Kyte, un certificat enregistré à lgard de la société a été contesté du fait qu'il n'indiquait pas le montant exact. L'argument a été rejeté pour le motif que cette disposition était directrice et non impérative. Les dispositions de l'alinéa 227.1(2)a) sont presqu'identiques à celles du paragraphe 299(5).


[26]       Le juge Bonner a estimé que le raisonnement tenu dans Kyte s'appliquait à l'alinéa 323(2)c) et à la situation en l'espèce, et que le dépôt en retard d'un relevé modifié des pertes n'avait pas de conséquence grave. Je suis d'accord avec son analyse et avec sa conclusion.

CONCLUSION

[27]       L'appel devrait être accueilli à lgard des versements exigibles le 31 décembre 1997 et le 31 janvier 1998 et, à tous les autres égards, il devrait être rejeté. Le ministre devrait établir une nouvelle cotisation en conformité des présents motifs. Puisque chacune des parties a eu partiellement gain de cause, aucuns dépens ne devraient être adjugés tant en l'espèce que devant la Cour canadienne de l'impôt.

            Marshall Rothstein                   

Juge                                

Je souscris aux motifs

Le juge Linden

Je souscris aux motifs

Le juge Noël

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              A-555-04

INTITULÉ :                                               ROBERT ALAN MORIYAMA c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                     LE 26 MAI 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                   LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                               LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

DATE :                                                      LE 1er JUIN 2005

COMPARUTIONS :

David Douglas Robertson                      POUR L'APPELANT

Marie-Thérèse Boris

Andrea Jackett                                         POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                            

David Douglas Robertson

Toronto (Ontario)                                      POUR L'APPELANT

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                     POUR L'INTIMÉE


Date : 20050601

Dossier : A-555-04

OTTAWA (ONTARIO), LE 1ER JUIN 2005

CORAM :                                          LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

ENTRE :

ROBERT ALAN MORIYAMA

appelant

et

SA MAJESTÉLA REINE

intimée

JUGEMENT

L'appel est accueilli à lgard des versements exigibles le 31 décembre 1997 et le 31 janvier 1998 et, à tous les autres égards, il est rejeté. Le ministre doit établir une nouvelle cotisation en conformité des présents motifs. Puisque chacune des parties a eu partiellement gain de cause, aucuns dépens ne sont adjugés tant en l'espèce que devant la Cour canadienne de l'impôt.

Allen M. Linden

        Juge                            

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

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