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Date: 20010302

Dossier: A-300-97

2001 CAF 46

CORAM:          LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE:

                                                                           GILLES M. TREMBLAY

                                                                                                                                                          Requérant/APPELANT

ET:

                                                              LE SURINTENDANT DES FAILLITES

                                                                                            - et -

                                                                            FRANÇOIS A. GOUIN

                                                                                            - et -

                                                                               MARC MAYRAND

                                                                                            - et -

                                                                             PIERRE LECAVALIER

                                                                                            - et -

                                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                                  Intimés/INTIMÉS

                                     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                                      (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec)

                                                     le vendredi, 2 mars 2001)

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                Les appelants dans les dossiers A-290-97 et A-300-97 s'attaquent à une décision de Madame le juge Tremblay-Lamer rendue le 12 mars 1997, laquelle accueillait en partie leurs demandes de contrôle judiciaire. Cette décision renferme une analyse motivée, appropriée, bien structurée et bien articulée des questions en litige et les appelants ne nous ont pas convaincus qu'elle était entachée d'erreurs.

[2]                Les motifs raisonnables qu'avait le surintendant des faillites de prendre des mesures de sauvegarde des dossiers d'actifs étaient amplement supportés par la gravité des gestes et des infractions reprochés aux appelants tel qu'en fait foi cet extrait de l'affidavit du surintendant associé, M. Marc Mayrand, dossier d'appel, vol. 1, aux pages 107 à 109:

40.           Le rapport et ses annexes font état notamment:

a)             D'actifs non réalisés.

b)             D'actifs réalisés à vil prix.

c)             De fonds perçus et non déposés aux comptes d'actifs ainsi que d'appropriations de fonds.

d)             De fausses représentations faites à un créancier garanti quant à une offre reçue pour l'achat de biens grevés.

e)             D'inventaires dévalués suite aux demandes répétées du syndic.

f)             De fausses représentations faites aux tribunaux.

g)             De fausses représentations faites au séquestre officiel.

h)             De représentations dolosives faites à des débiteurs ainsi qu'à des créanciers.

i)              De faux documents statutaires.

j)              De déficiences administratives nombreuses et répétées.

k)             D'une tenue de livres et registres comptables déficiente et non conforme à la loi, ainsi que d'autres manquements, irrégularités et déficiences énoncées à ce rapport ainsi qu'à ses annexes.

43.            Compte tenu de la gravité, de la fréquence et de la nature des déficiences observées dans l'administration des syndics, des préjudices causés aux débiteurs et aux créanciers, et de l'insuccès des représentants du surintendant d'obtenir des réponses complètes et satisfaisantes, il devenait urgent et nécessaire pour sauvegarder les dossiers d'actifs d'instaurer des mesures conservatoires conformément et en vertu de l'article 14.03 de la Loi.

44.            Les faits reprochés soulevaient un manque d'intégrité à l'égard de plusieurs dossiers ainsi qu'une administration préjudiciable répétée dans de nombreux dossiers ce qui a miné entièrement envers le surintendant la confiance que doivent susciter en tout temps les requérants dans l'exercice de leurs fonctions statutaires.

46.            Il m'apparaissait dès lors, soit à la fin d'août 1995, nécessaire de prendre des mesures conservatoires efficaces pour protéger les actifs sous l'administration des requérants.


47.            Compte tenu de la nature, de la gravité et de la fréquence des irrégularités entourant l'administration des actifs sous la responsabilité des requérants, il me paraissait nettement insuffisant de recourir aux mesures conservatoires traditionnelles telles un contrôle des comptes bancaires en fiducie ou même une surveillance plus étroite des requérants eut-elle même consisté en la présence permanente de représentants du surintendant des faillites aux places d'affaires des requérants. En effet, peu importe son étroitesse, une telle surveillance n'aurait pu prévenir entièrement la répétition des faits et incidents reprochés. De plus, la répétition des faits et incidents auraient eu pour effet d'associer le surintendant des faillites auxdits faits et incidents ce qui aurait endommagé de façon irrémédiable et irréparable la crédibilité et la confiance du public dans le régime de faillite et ses institutions.

48.            Lesdites mesures traditionnelles me paraissaient donc nettement insuffisantes en raison du fait que les manoeuvres reprochées aux requérants faisaient état de fausses représentations ainsi que du fait que des biens ou des sommes d'argent n'étaient tout simplement pas créditées aux actifs sous la responsabilité des requérants.

49.            Il m'est donc apparu que la seule façon de mettre fin aux manoeuvres reprochées et de protéger efficacement les actifs sous la responsabilité des requérants était de nommer un gardien pour prendre le contrôle desdits actifs et en assurer l'administration jusqu'à ce que l'enquête administrative soit complétée en vue qu'une décision soit prise à l'égard des licences des requérants.

D'ailleurs, ces gestes ont donné lieu à une enquête criminelle de la Gendarmerie Royale du Canada et ont débouché sur l'émission de mandats de perquisition par la Cour du Québec. Ce fait ainsi que les motifs justifiant l'émission des mandats furent portés à la connaissance du surintendant.

[3]                Il existe aussi au dossier une preuve accablante d'un manque flagrant de collaboration des appelants avec le surintendant, sans compter celle d'un défaut systématique de respecter les engagements pris à son égard ou de se présenter à des rendez-vous pour discuter des dossiers problématiques sous vérification. Voici comment l'un des vérificateurs à l'emploi de la Direction des faillites, M. Laurent Lachance, décrit dans son affidavit les difficultés qu'il a rencontrées avec les appelants, dossier d'appel, vol. 1, aux pages 131 à 132:

4.              Dans le cadre de cette vérification, j'ai observé plusieurs déficiences et lacunes, lesquelles sont plus amplement exposées à mon rapport de vérification qui a été produit par le Syndic Gilles Tremblay sous la cote R-1 dans le dossier T-1952-95;


5.              Lors de l'entrevue initiale, il avait été convenu de rencontres hebdomadaires avec M. Gilles M. Tremblay pour discuter des dossiers vérifiés;

6.              Durant cette vérification, le Syndic Gilles M. Tremblay était rarement à son bureau et, avant la rédaction de mon rapport de vérification qui a été déposé sous la cote R-1 par le requérant, Gilles M. Tremblay dans le dossier T-1952-95, j'ai sollicité verbalement à maintes reprises des rencontres avec celui-ci afin d'obtenir les explications nécessaires;

7.              J'ai même demandé à au moins deux (2) ou trois (3) reprises à la secrétaire du requérant, Gilles M. Tremblay, qu'elle inscrive nos rendez-vous dans l'agenda de ce dernier;

8.              Pour diverses et multiples raisons, soit que le requérant Gilles M. Tremblay ne se présentait pas aux rendez-vous fixés, soit qu'il les annulait à la dernière minute en invoquant des voyages impromptus et urgents ou des malaises soudains;

9.              Il a fallu l'intervention de mon supérieur, M. Michael Luftglass, qui a lui-même contacté M. Gilles M. Tremblay afin de fixer une rencontre entre celui-ci et moi-même;

10.            Ladite rencontre a effectivement eu lieu le 13 avril 1995 mais les documents antérieurement promis n'ont pas été présentés et plusieurs questions sont demeurées sans réponse. Cependant, les précisions que j'ai obtenues ont toutes été annotées à mon rapport produit sous la cote R-1;

11.            À l'issue de la rencontre du 13 avril 1995, le requérant, Gilles M. Tremblay, avait pris l'engagement de me fournir les autres précisions et documents manquants dans un délai d'un mois;

12.            À l'intérieur de ce délai d'un mois, le requérant, Gilles M. Tremblay, m'a effectivement écrit mais simplement pour me confirmer une information relative à un dossier particulier qu'il m'avait d'ailleurs antérieurement donnée verbalement et, quant au reste, il n'y a jamais eu de suite et je n'ai jamais obtenu les précisions et documents manquants concernant la portion de mon rapport de vérification des dossiers situés au 1170, Lebourgneuf, à Québec;

13.            Le 4 juillet 1995, lors d'une rencontre avec MM. Gilles M. Tremblay et Louis Drolet, M. Tremblay m'a admis qu'il avait été négligent dans sa promesse de répondre à mes questions soulevées lors de la rencontre du 13 avril 1995 et qu'il verrait à y donner suite, ce qu'il n'a d'ailleurs jamais fait;

14.            Le 4 juillet 1995, j'ai débuté une vérification des dossiers du Groupe G. Temblay Syndics Inc. au bureau sis au 70, rue Dalhousie, bureau 20, à Québec, province de Québec;

15.            Lors de l'entrevue initiale, il avait été convenu avec M. Gilles M. Tremblay et M. Louis Drolet de rencontres hebdomadaires pour discuter des dossiers vérifiés;

16.            À l'issue de cette rencontre du 4 juillet 1995, M. Louis Drolet est personnellement venu me parler seul à seul dans le bureau qui venait de m'être assigné pour me dire qu'il n'agirait pas comme M. Gilles M. Tremblay puisqu'il m'assurait son entière collaboration à discuter des dossiers dont j'effectuais la vérification et ce, suivant l'entente que nous venions de convenir;

17.            Une employée du Groupe Gilles M. Tremblay Syndics Inc., soit Mme Aline Finn, avait été chargée de me fournir les dossiers et documents demandés;

18.            J'ai également, au cours de cette vérification, dénombré des lacunes et anomalies que j'ai mentionnées à Mme Finn et pour lesquelles elle m'a fourni des explications qui ont toutes été annotées à mon rapport produit sous la cote R-1;

19.            À plusieurs reprises, Mme Finn m'a elle-même référé aux Syndics Louis Drolet ou Gilles M. Tremblay pour obtenir des réponses à des questions dont elle n'avait pu me fournir d'explications mais je n'ai jamais pu rencontrer M. Louis Drolet pour en discuter;


20.            De fait, j'ai fixé plusieurs rencontres avec ledit Louis Drolet soit, le 27 juillet, les 2, 7, 14, 28, et 30 août 1995 mais toutes ces rencontres ont été annulées par celui-ci pour cause, selon ses affirmations, de vacances ou de maladie;

[4]                Dans un tel contexte, il n'est guère surprenant que le surintendant ait jugé nécessaire de recourir à des mesures conservatoires pour protéger les actifs qui, objectivement, selon la preuve dont il disposait, lui semblaient alors en péril.

[5]                Nous sommes d'avis qu'il n'y a aucun mérite dans cette prétention des appelants que le surintendant n'a pas, en transigeant avec eux, respecté les règles de justice naturelle. Les appelants étaient au courant des vérifications en cours à leurs bureaux. Ils savaient qu'un certain nombre de plaintes avaient été portées contre eux et ils en connaissaient la teneur. Comme l'a souligné à juste titre la juge des requêtes, ils ont eu plusieurs opportunités d'être entendus et de fournir des explications sur les manquements reprochés, mais ils ont choisi de les ignorer. Ils sont bien mal venus aujourd'hui de s'en plaindre.


[6]                Enfin, les appelants prétendent que la prise en charge des dossiers d'actifs par le surintendant constituait une révocation déguisée de leur licence de syndic sans qu'ils aient eu l'opportunité de se faire entendre comme le prévoit l'article 14.02 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), c. B-3, telle que modifiée ( « Loi » ) . Cette prétention, sans fondement en l'espèce, repose sur une qualification erronée, pour ne pas dire une dénaturation, du geste posé par le surintendant. La prise en charge des dossiers d'actifs, rendue nécessaire par le comportement des appelants, était une mesure de protection des biens d'autrui prise en cours d'enquête administrative et disciplinaire. Cette enquête est maintenant terminée, des poursuites disciplinaires ont été entamées et les appelants pourront, si ce n'est déjà fait, y exercer les droits que leur confère l'article 14.02.

[7]                Lors de l'audition, nous avons souligné aux procureurs des intimés la divergence qui existe entre les motifs de la décision du juge des requêtes et l'ordonnance qu'elle a rendue en conséquence.

[8]                Cette ordonnance porte que l'alinéa 14.03(1)b) de la Loi est inopérant dans la mesure où il autorise le recours à des mesures conservatoires de la nature d'une saisie "en l'absence de motifs raisonnables de croire que ces mesures permettront la sauvegarde des dossiers d'actifs".


[9]                Telle que formulée, l'ordonnance exige que la personne qui procède à la prise en charge des dossiers d'actifs soit raisonnablement justifiée de croire que les mesures prises seront efficaces pour assurer la protection des actifs. Or, tel qu'il appert des motifs de la décision, ce n'est pas la mesure conservatoire elle-même et son efficacité qu'il faut apprécier à partir de motifs raisonnables, mais plutôt le droit et le pouvoir d'y recourir et de la décréter ou de l'ordonner. La personne qui recourt ou désire recourir à des mesures conservatoires doit avoir des motifs raisonnables de croire que les actifs sont menacés et qu'il est nécessaire d'assurer leur sauvegarde. En d'autres termes, elle doit avoir des motifs raisonnables de croire que la saisie est nécessaire et non pas de croire que les mesures prises en exécution de la saisie seront efficaces. Une fois ce critère rencontré, le choix des mesures proprement dites de sauvegarde relève de la discrétion de la personne investie de ce pouvoir par le surintendant car, comme le mentionne l'alinéa 14.03(1)b) de la Loi, celle-ci peut prendre les mesures qu'elle estime nécessaires à la sauvegarde des dossiers de l'actif.

[10]            L'appel sera accueilli dans les dossiers A-300-97 et A-290-97 à la seule fin de remplacer le premier paragraphe de l'ordonnance du juge rendue le 12 mars 1997 par le suivant:

Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies en partie. L'alinéa 14.03(1)b) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité est inopérant dans la mesure où il autorise l'émission de mesures conservatoires de la nature d'une saisie en l'absence de motifs raisonnables de croire que les actifs qui font l'objet de ces mesures sont menacés et qu'il est nécessaire d'assurer leur sauvegarde au moyen de mesures conservatoires.

[11]            À tous autres égards, l'appel dans chacun des deux dossiers sera rejeté avec les entiers dépens en faveur des intimés. Une copie des présents motifs sera déposée dans le dossier A-290-97.

                                                                                                                   "Gilles Létourneau"              

                                                                                                                                         j.c.a.


                                               

                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                               SECTION D'APPEL

Date : 20010302

Dossier : A-300-97

ENTRE:

                                           GILLES M. TREMBLAY

                                                                                          Requérant/APPELANT

ET:

                              LE SURINTENDANT DES FAILLITES

                                                            - et -

                                            FRANÇOIS A. GOUIN

                                                            - et -

                                               MARC MAYRAND

                                                            - et -

                                             PIERRE LECAVALIER

                                                            - et -

                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                  Intimés/INTIMÉS

                                                                                                                      

                         MOTIFS DU JUGEMENT

                                                                                                                      

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