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Date : 20030729

Dossier : A-302-03

Référence : 2003 CAF 311

PRÉSENT : LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                       MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                                                                                                       

                                                                                   et

LE SYNDICAT CANADIEN DES OFFICIERS

DE MARINE MARCHANDE (SCOMM)

défendeur

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2003.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                               LE JUGE EVANS


Date : 20030729

Dossier : A-302-03

Référence : 2003 CAF 311

PRÉSENT : LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                       MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                                                                                                       

                                                                                   et

LE SYNDICAT CANADIEN DES OFFICIERS

DE MARINE MARCHANDE (SCOMM)

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                                                                                                                       

                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1]                 Il s'agit d'une requête présentée conformément à l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) par Marine Atlantique S.C.C., visant la suspension de l'instance dont le Conseil canadien des relations industrielles est actuellement saisi. Les audiences sont instruites en vertu de l'article 87.4 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. Le Conseil cherche à déterminer le niveau d'activités qui doit être maintenu pour prévenir des risques imminents pour la santé et la sécurité du public si un conflit de travail perturbe le service de traversiers offert par Marine Atlantique entre Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse.


[2]                 Le 2 décembre 2002, Marine Atlantique a saisi le Conseil d'une question constitutionnelle préliminaire en rapport avec l'article 87.4 afin de faire déterminer si le Conseil a la compétence requise pour rendre une ordonnance en vertu de l'article 87.4, autorisant le Syndicat Canadien des Officiers de Marine Marchande à faire une grève. Le syndicat représente les employés de Marine Atlantique qui pilotent les traversiers. Les membres de l'unité de négociation actuellement représentés par le syndicat sont sans convention collective depuis le 31 décembre 2000 et les négociations avec Marine Atlantique relatives à une nouvelle convention collective ont été rompues. Le syndicat a présenté sa demande en vertu de l'article 87.4 en août 2002.

[3]                 Marine Atlantique a soutenu que le Conseil n'avait pas l'autorité constitutionnelle requise pour rendre, en vertu de l'article 87.4, une ordonnance qui risquerait d'entraîner l'interruption ou la réduction du service de traversiers, en violation de l'obligation qu'a le Canada, en vertu de la clause 32(1) des Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada (annexe A, Loi sur Terre-Neuve, 1949,12 et 13 Geo. VI, ch. 22 (R.-U.), de maintenir un service de traversier entre Port aux Basques (Terre-Neuve-et-Labrador) et North Sydney (Nouvelle-Écosse). Marine Atlantique, une société de la Couronne, est l'unique exploitant mandaté constitutionnellement à offrir ce service de traversiers servant à des fins commerciales et au transport de passagers.


[4]                 Dans une décision rendue le 26 mai 2003, le Conseil a rejeté la requête préliminaire de Marine Atlantique au motif qu'il n'avait pas la compétence requise pour appliquer la clause 32(1) à l'instance concernant l'article 87.4, parce que les parties et l'objet de l'instance n'étaient pas suffisamment directement liés aux parties et à l'objet de la clause 32(1).

[5]                 Le 24 juin 2003, Marine Atlantique a présenté à la Cour un avis de demande de contrôle judiciaire afin qu'elle annule la décision du Conseil relative à la question constitutionnelle, alléguant que le Conseil avait commis une erreur de compétence en concluant que l'instance concernant article 87.4 ne met pas en cause la clause 32(1).

[6]                 L'avocat de Marine Atlantique a demandé au Conseil d'ajourner l'audience concernant la l'article 87.4 en attendant que la Cour rende sa décision sur la demande de contrôle judiciaire de la décision du Conseil sur la question constitutionnelle. Le Conseil a refusé. C'est pourquoi l'avocat de Marine Atlantique présente cette requête à la Cour afin qu'elle ordonne au Conseil de suspendre l'audience tant que la Cour n'aura pas rendu sa décision sur la demande de contrôle judiciaire et afin d'obtenir une ordonnance d'instruction accélérée de la demande.

[7]                 Marine Atlantique a déposé son dossier de requête le 8 juillet 2003. Comme prévu, l'audience du Conseil a commencé le 14 juillet et elle a été ajournée cinq jours plus tard. L'audience doit reprendre le 11 août. Six jours consécutifs sont prévus pour permettre aux parties de présenter le reste de la preuve.


[8]                 Pour décider si elle doit autoriser la suspension d'une audience instruite par un tribunal administratif en attendant la conclusion d'une demande de contrôle judiciaire concernant le tribunal, la Cour doit respecter le critère en trois volets qui a été formulé dans l'arrêt RJR-MacDonald Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Comme d'habitude, il s'agit en l'espèce de décider si la partie qui présente la requête a prouvé qu'elle subira un tort irréparable si la suspension est refusée et de déterminer de quel côté penche la prépondérance des inconvénients. Il est évident que la demande de contrôle judiciaire soulève une grave question de droit quant à la compétence du Conseil.

[9]                 L'avocat de Marine Atlantique présente trois arguments relatifs au préjudice irréparable. Je les examinerai à tour de rôle. Premièrement, il soutient que si le Conseil rend sa décision et autorise le syndicat à faire la grève avant que la Cour ne rende sa décision sur la demande de contrôle judiciaire, la demande de Marine Atlantique n'aura plus aucune raison d'être. À mon avis, cette crainte est hypothétique. On ne connaît pas encore l'issue de l'instance concernant l'article 87.4 et nul ne peut prévoir si l'ordonnance que rendra le Conseil donnera lieu ou non à une grève ou à un lock-out. De plus, Marine Atlantique peut présenter une demande de contrôle judiciaire de toute décision défavorable et demander un sursis en attendant qu'une décision soit rendue, de sorte que, si la demande est accueillie, toute interruption du service de traversier n'aura été que temporaire. Bref, rien ne prouve que si la présente requête en suspension est rejetée, Marine Atlantique sera effectivement privée de la réparation dont elle bénéficierait si la présente demande de contrôle judiciaire était accueillie.


[10]            Deuxièmement, l'avocat de Marine Atlantique soutient que sa cliente devrait pas avoir à engager des frais pour une audience concernant l'article 87.4 sans connaître le critère juridique que le Conseil doit appliquer. Puisqu'il a décidé que la question de la constitutionnalité ne s'appliquait pas à l'audience concernant l'article 87.4, le Conseil a refusé d'admettre les éléments de preuve relatifs à la norme constitutionnelle, sans doute dans le but de faire progresser plus rapidement une affaire déjà complexe.

[11]            Une réponse partielle à cette préoccupation de l'avocat de Marine Atlantique quant au gaspillage que cela entraînerait si le Conseil amorçait une nouvelle audience après que la Cour aura rendu sa décision sur la demande de contrôle judiciaire relative à la constitutionnalité, est que l'audience a déjà duré cinq des douze jours prévus.


[12]            Troisièmement, l'avocat de Marine Atlantique à déclaré qu'une interruption des services de traversiers en violation des Conditions de l'Union priverait les Terre-Neuviens et les autres Canadiens de leur droit constitutionnel à un service de traversiers ininterrompu et ce en raison d'un conflit de travail sanctionné par le Conseil. Là encore, à l'étape où en est rendue la procédure, et parce qu'on ne peut pas savoir si une diminution du service de traversier à un niveau inférieur à ce que l'avocat affirme être constitutionnellement garanti se produira, il me semble que la prédiction de l'avocat relative au préjudice irréparable est hypothétique. De plus, il n'est pas dit dans la loi qu'une partie peut effectivement prouver qu'elle subira un préjudice irréparable rien qu'en alléguant que la décision d'un tribunal portera atteinte aux droits constitutionnels si l'exécution de cette décision n'est pas suspendue en attendant la conclusion d'une demande de contrôle judiciaire.

[13]            Pour ce qui est de la prépondérance des inconvénients, je partage l'avis de l'avocat du Conseil voulant que, quand une partie a contesté l'autorité constitutionnelle du Conseil de rendre certains types d'ordonnances, la Cour est tenue, aux termes de l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, de tenir compte de l'intérêt public quant à la bonne administration de la loi contestée sur le plan constitutionnel. L'importance accordée à l'intérêt public dans le règlement des conflits de travail et le rôle central que le Parlement attribue aux spécialistes du Conseil sur ces questions sont bien connus. Les solides clauses restrictives limitant l'intervention judiciaire dans les audiences du Conseil sont un indice législatif clair de la volonté du législateur que la Cour doive montrer une retenue considérable dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'ordonner la suspension d'une instance qui, de l'avis du Conseil, dans l'intérêt des parties et de celui du public, ne devrait plus être reportée.

[14]            Mes observations sur le caractère hypothétique de l'argument de l'avocat relatif au dommage qu'entraînerait une grève légale ou un lock-out s'appliquent autant à l'examen de la prépondérance des inconvénients qu'à la question du préjudice irréparable.


[15]            Pour ces motifs, la requête en suspension d'instance sera rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause. Au point où en est la procédure, je ne vois aucune raison d'ordonner que l'audience relative à la demande de contrôle judiciaire de Marine Atlantique ait lieu en priorité. Dépendamment de l'issue de l'audience concernant l'article 87.4 et du moment que le Conseil choisira pour rendre sa décision, il pourrait être pratique pour la Cour d'instruire en même temps la contestation de la décision du Conseil sur la question de la constitutionnalité soulevée par Marine Atlantique et toute autre contestation sans rapport avec la constitutionnalité de la décision du Conseil.

                                                                                                                                         _ John M. Evans _             

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Tra.


                                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               A-302-03

INTITULÉ :                                                              Marine Atlantique S.C.C. c. Syndicat Canadien des Officiers de Marine Marchande (SCOMM)

                                                                                   

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                      MONSIEUR LE JUGE EVANS

DATE :                                                                       Le 29 juillet 2003

PRÉTENTIONS ÉCRITES :

Neil Finkelstein

Matthew Horner                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Paul E. Dion                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Susan L. Nicholas                                                        CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon LL.P.                               POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Syndicat Canadien des Officiers

de Marine Marchande

Montréal (Québec)                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Avocat                                                                         CONSEIL CANADIEN DES

Ottawa (Ontario)                                                        RELATIONS INDUSTRIELLES


Date : 20030729

Dossier : A-302-03

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2003

PRÉSENT : LE JUGE EVANS

ENTRE :

                                                    MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                                                                                                       

                                                                                   et

                                          LE SYNDICAT CANADIEN DES OFFICIERS

DE MARINE MARCHANDE (SCOMM)

défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La requête en suspension d'instance sollicitant un traitement accéléré de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                                         _ John M. Evans _                 

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Tra.


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