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Date : 19990526


Dossiers: ITA-2027-98

& ITA-10077-98

Entre :

     DANS L"AFFAIRE DE la Loi de l"impôt sur le revenu

     et

     DANS L"AFFAIRE D"une cotisation ou des cotisations établies

     par le ministre du Revenu national en vertu d"une ou plusieurs des

     lois suivantes: La Loi de l"impôt sur le revenu, le Régime de

     pensions du Canada, la Loi sur l"assurance-emploi

     Partie demanderesse

     - et -

     THÉRÈSE ANGERS

     Partie défenderesse-opposante

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NADON:

[1]      Dans la présente affaire, je dois décider du bien-fondé de deux requêtes déposées par 9024-2991 Québec Inc. ("9024") et d"une requête déposée par 9041-1612 Québec Inc. ("9041") en opposition à des saisies-exécution mobilières pratiquées le 23 septembre 1998 et le 16 février 1999 sur des biens situés au 27, rue Des Nations et au 241, boulevard Labbé Nord à Victoriaville, province de Québec.

[2]      Les saisies furent pratiquées en exécution de brefs émis par cette Cour les 17 mars et 26 novembre 1998 suite au dépôt par le Ministre du Revenu national de certificats, établis en vertu de la Loi de l"impôt sur le revenu, attestant l"endettement de la défenderesse Thérèse Angers (aussi connu sous le nom de Thérèse Gagné) envers Revenu Canada. Les sommes dues par la défenderesse à Revenu Canada sont 21 857,33 $ et 5 888,39 $.

[3]      L"audition des oppositions a eu lieu à Québec le 18 mars dernier. À la fin des arguments des procureurs, j"ai rejeté les oppositions de 9024. Quant à l"opposition de 9041, je l"ai prise en délibéré.

[4]      La défenderesse est la présidente et seule actionnaire de 9024. Dans ses affidavits déposés au soutien des deux requêtes en opposition de 9024, Mme Angers déclare que 9024 "est la seule et unique propriétaire de tous les matériaux et équipements qui ont été saisis".

[5]      Il est à noter que le 9 octobre 1998, Mme Angers, agissant en son propre nom, a déposé une requête en opposition à la saisie pratiquée le 23 septembre 1998 en exécution du bref émis le 17 mars 1998. Mme Angers s"est désistée purement et simplement de cette requête en opposition le 8 janvier 1999, soit le jour prévu pour l"audition de sa requête. Les requêtes en opposition de 9024 et de 9041, qui font l"objet du présent litige, ont été signifiées le 4 mars 1999, soit deux jours avant la date prévue pour la vente des biens saisis. Tel que je l"ai indiqué plus haut, j"ai rejeté les requêtes en opposition de 9024 le 18 mars dernier. Voici les motifs pour lesquels j"en suis venu à cette conclusion.

[6]      Par son affidavit daté le 6 octobre 1998, produit au soutien de sa requête en opposition déposée le 9 octobre 1998, Mme Angers déclarait qu"elle était propriétaire des biens saisis le 23 septembre 1998, à savoir les biens apparaissant à l"annexe 1 de la requête en opposition datée le 6 octobre1998. Ces biens sont les suivants:

             Tout [sic] les matériaux provenant de démolition ou autres tel que:             
             -      Bois de construction usagé, métal de toutes sorte [sic], tuyau de chauffage, tôle 2x2, 2x4, 2x6 etc. [sic] Photo # 1 et 2             
             -      Lots [sic] de poutres de différentes dimensions et longueur Photo # 3             
             -      Lot de portes de toutes sorte [sic] et de différentes grandeur [sic] Photo # 4             
             -      Plusieurs flowrescent [sic] de 4" en métal, plusieurs machines de toutes sortes Photo # 5             
             -      Brique, blocs de ciment de différentes grandeur Photo # 6             
             -      1 bocket [sic] à gravier et 1 à pépine             
             -      1 machine Reeves et 1 craft Photo # 7             
             -      Tout [sic] les matériaux: au 241 Boul. Labbé Nord, Victoriaville et tout [sic] les équipement [sic]             
             -      1 Automobile Ford Escrot 1990 (RPP) Série # 1FABP9193LT162672 (Blanc) Plaque QHG-488             

[7]      Les biens qui apparaissent à l"annexe 1 de la requête en opposition déposée le 9 octobre 1998, sauf pour l"automobile Ford Escort, sont les mêmes biens qui apparaissent à l"affidavit de la défenderesse déposé au soutien de la requête en opposition de 9024 dans le dossier ITA-2027-98. Donc, le 6 octobre 1998, la défenderesse déclarait qu"elle était propriétaire de ces biens alors que le 3 mars 1999, elle déclare que 9024 est propriétaire des biens. Ces positions sont évidemment contradictoires.

[8]      Lors de l"audition des requêtes en opposition, Mme Angers a témoigné que 9024 existait depuis le mois d"août 1995 et qu"elle en était l"unique actionnaire et présidente. Elle a expliqué que le commerce de 9024 était la vente de matériaux de construction usagés. Elle a de plus expliqué que 9024 avait acheté les matériaux de construction revendiqués de la compagnie 9017-7411 Québec Inc. ("9017"). Cette compagnie a mis fin à ses activités en juin 1997.

[9]      Mme Angers a de plus expliqué qu"elle avait opéré son commerce sous la raison sociale T.G. Enr. pendant cinq ans. Mme Angers a témoigné que T.G. Enr. avait cessé ses activités à la fin 1995 ou début de l"année 1996.

[10]      Elle a déposé comme pièce 6 des factures de Location T.G. Enr. pour démontrer la vente de matériaux de construction à 9017 et à 9024. Elle a de plus déposé comme pièce 5 des factures de Gestion T.G. Inc. pour faire preuve de travaux effectués par 9024 pour le compte de Location T.G. Enr. Lors de son contre-interrogatoire, la défenderesse a expliqué que Gestion T.G. était la raison sociale de 9024 et que Location T.G. était la raison sociale de Thérèse Angers. Elle a concédé que 9024 n"avait jamais effectué de paiement relativement à l"achat des matériaux de construction revendiqués.

[11]      Le témoignage de Mme Angers ne m"a pas paru crédible. Elle était soit confuse relativement à ses affaires ou elle tentait de dissimuler la vérité. Elle n"a su expliquer de façon intelligible et crédible les factures déposées comme pièces 5 et 6. J"hésite à conclure que Mme Angers mentait mais la conséquence de son témoignage est telle que 9024 n"a su me convaincre qu"elle était propriétaire des biens revendiqués. Il est à signaler que malgré le fait qu"elle a reçu signification d"un subpoena duces tecum , Mme Angers a omis d"apporter avec elle la majorité des documents demandés par la demanderesse. Voilà pourquoi j"en suis venu à la conclusion que les oppositions de 9024 devaient être rejetées avec frais en faveur de la demanderesse.

[12]      Il me reste maintenant à traiter de l"opposition de 9041 qui revendique les biens suivants:

             -      1 tracteur Kubota R410 de l"année 1989 # série 10022 avec pelle avant;             
             -      1 trailer métal dumper hydrolique [sic] # série 163782834 8 roues Plaque RN 42276;             
             -      1 tracteur Deutz 1989 # série 2139A avec les bockets [sic];             

[13]      Mme Danielle Janelle est la présidente de 9041. Elle a témoigné que 9041, dont le commerce est l"excavation et la démolition, était propriétaire des biens revendiqués. Au soutien de sa prétention, Mme Janelle a déposé trois factures datées le 14 octobre 1998 attestant la vente de 9024 à 9041 des biens revendiqués. Spécifiquement, les factures démontrent l"achat d"un tracteur Deutz 1989 pour la somme de 1 495,32 $, l"achat d"un tracteur Kubota pour la somme de 2 875,62 $ et finalement, l"achat d"un trailer-dumper pour la somme de 5 751,25 $. Mme Angers a signé les factures au nom de 9024 et Mme Janelle les a signé au nom de 9041. Mme Janelle a témoigné que, le 14 octobre 1998, 9041 a émis trois chèques (0844, 0840 et 0230) au nom de 9024.

[14]      Je note en passant le témoignage de Mme Angers selon lequel elle aurait vendu, le 14 octobre 1998, les biens revendiqués par 9041 à 9024 qui les aurait revendus, tel que relaté, à 9041. Mme Angers a témoigné qu"elle n"avait reçu aucun paiement de 9024.

[15]      Mme Janelle a aussi témoigné relativement à l"endettement de 9024 envers 9041. Cet endettement, selon Mme Janelle, résulte de travaux effectués, soit pour le compte de 9024 et/ou Mme Angers, par 9041 entre le mois de juin et le mois de décembre 1998. L"endettement comprend aussi des sommes d"argent avancées par 9041 à 9024 et/ou à Mme Angers.

[16]      Pour garantir le remboursement de sa dette d"environ 40 000 $, 9024 a hypothéqué en faveur de 9041, par acte daté le 7 décembre 1998, l"universalité de ses créances, présentes et à venir, ainsi que les biens présents et futurs de l"universalité décrite dans le document hypothécaire. Mme Angers et Mme Janelle ont signé le document hypothécaire pour leurs compagnies respectives. Mme Janelle a témoigné qu"au moment de la signature de l"acte hypothécaire, elle avait connaissance de la saisie pratiquée le 23 septembre 1998.

[17]      Il est aussi à noter que le 2 décembre 1998, Mme Angers a vendu à 9041 deux immeubles, à savoir sa résidence principale située au 27, rue Des Nations, à Victoriaville et un bâtiment situé au 241, boulevard L"Abbé Nord, à Victoriaville. Comme prix de vente, 9041 s"est engagé à payer, pour et à l"acquis de la défenderesse, les sommes dues par cette dernière en capital, intérêts et frais à la Caisse Desjardins d"Arthabaska. En date du 2 décembre 1998, le solde dû relativement à l"immeuble situé au 27, rue Des Nations était de 33 180,94 $ et de 40 955,48 $ relativement à l"immeuble situé sur le boulevard L"Abbé Nord.

[18]      Pour compléter le tableau, il est à noter que, le 2 décembre 1998, 9041 a loué à Mme Angers, pour des sommes de 400 $ et de 1 000 $ par mois, les deux immeubles ci-haut mentionnés. Finalement, le 4 décembre 1998, Mme Angers a sous-loué à 9024, l"immeuble situé au 241, boulevard L"Abbé Nord.

[19]      Charlotte Lamoureux-Ruelle, fonctionnaire, agent de recouvrement au sein de Revenu Canada, a témoigné relativement à l"endettement de la défenderesse. Mme Ruelle a témoigné que 9024, incorporé le 11 août 1995, n"avait produit aucune déclaration de revenus depuis sa constitution. La somme de 21 857,33 $ due par la demanderesse concerne les années fiscales 1993, 1995 et 1996 alors que la somme de 5 888,39 $ concerne l"année fiscale 1994.

[20]      Dans son affidavit daté le 3 mars 1999 au soutien de la requête en opposition de 9041, Mme Janelle déclare, comme elle l"a fait devant moi le 18 mars dernier, qu"elle a acheté, pour et au nom de 9041, les biens revendiqués en l"instance, à savoir un tracteur Kubota, un trailer métal dumper et un tracteur Deutz 1989. Les factures datées le 14 octobre 1998, déposées sous la cote 0-1, confirment le témoignage de Mme Janelle.

[21]      Il ne peut y avoir de doute, à mon avis, qu"au moment de la vente des biens revendiqués le 14 octobre 1998, Mme Janelle avait pleine connaissance des difficultés financières de la défenderesse. À cette date, la défenderesse et sa compagnie devait au moins 40 000 $ à 9041. Lorsque Mme Angers et Mme Janelle se sont présentées au bureau des véhicules automobiles pour finaliser la vente des véhicules revendiqués par 9041, Mme Angers a vendu les véhicules à 9024, qui les a dès lors revendu à 9041.

[22]      Les articles 1631 et 1632 du Code civil du Québec sont pertinents et je les reproduis:

             Art. 1631.      Le créancier, s"il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l"acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, notamment l"acte par lequel il se rend ou cherche à se rendre insolvable ou accorde, alors qu"il est insolvable, une préférence à un autre créancier.             
             Art. 1632.      Un contrat à titre onéreux ou un paiement fait en exécution d"un tel contrat est réputé fait avec l"intention de frauder si le cocontractant ou le créancier connaissait l"insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable.             

Dans son traité "Les obligations", l"honorable juge Jean-Louis Beaudoin1, aux pages 375 et 376, s"exprime comme suit concernant la fraude paulienne:

             La majorité de la doctrine et de la jurisprudence requiert donc simplement que le créancier démontre la conscience ou la connaissance chez le débiteur, au moment de la passation de l"acte, des répercussions négatives qu"il peut avoir sur son patrimoine et du préjudice qu"il peut donc causer au créancier.             
             La preuve de la fraude paulienne peut être faite par tous les moyens. Les présomptions de fait, résultant, par exemple, de l"époque et de la nature de la transaction, du lien de parenté entre les parties à l"acte, servent à l"établir.             

[23]      Le 14 octobre 1998, lors de la vente des biens revendiqués, Mme Janelle et 9041 savaient ou devaient savoir que Mme Angers cherchait à se rendre insolvable afin d"éviter les paiements de ses obligations, et plus particulièrement les montants dus à Revenu Canada. Mme Janelle avait connaissance des difficultés financières de Mme Angers et du fait que certains de ses biens étaient sous saisie. Dans les circonstances, à mon avis, la défenderesse n"avait qu"un seul but lorsqu"elle a vendu les biens revendiqués le 14 octobre 1998, soit d"éviter le paiement de ses obligations. Je ne puis que conclure que Mme Janelle et 9041 ont malheureusement tenté d"aider la défenderesse à atteindre son but.

[24]      J"en viens donc à la conclusion que l"opposition de 9041 doit être rejetée avec frais en faveur de la demanderesse.

Toronto, Ontario                      "MARC NADON"
Le 26 mai 1999      JUGE

                                            


                         Section de première instance de

                         la cour fédérale du Canada

     Date: 19990526

     Dossiers: ITA-2027-98

     ITA-10077-98

                         DANS L"AFFAIRE DE la Loi de l"impôt sur le revenu

            

                         et

                         DANS L"AFFAIRE D"une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d"une ou plusieurs des
                         lois suivantes: La Loi de l"impôt sur le revenu, le                          Régime de pensions du Canada, la Loi sur l"assurance-emploi

    

     Partie demanderesse

                         - et -

                         THÉRÈSE ANGERS

     Partie défenderesse-opposante

                         _______________________________________

                             MOTIFS DE L"ORDONNANCE

                         _______________________________________



     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR :              ITA-2027-98

                                 & ITA-10077-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  DANS L"AFFAIRE DE la Loi de l"impôt sur le revenu

                                 et

                                 DANS L"AFFAIRE D"une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d"une ou plusieurs des lois suivantes: La Loi de l"impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi sur l"assurance-emploi

     Partie demanderesse

                                 - et -

                                 THÉRÈSE ANGERS

     Partie défenderesse-opposante
LIEU DE L"AUDIENCE :                      Québec (Québec)
DATE DE L"AUDIENCE :                      le 18 mars 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE M LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS DE L"ORDONNACE :          le 26 mai 1999                 

COMPARUTIONS:

Me Pierre Lamothe                          pour la créanciaire-judiciaire
Me Jean Lassonde                           pour la partie opposante

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Morris Rosenberg                      pour la créanciaire-judiciaire

Sous-procureur général du Canada

Me Jean Lassonde                          pour la partie opposante

83, rue Allie

Victoriaville (Québec)

G6P 8R4         
__________________

1      Les Obligations, Jean-Louis Beaudoin (4e éd., Les Éditions Yvon Blais Inc.), pp. 375-376

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