Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20050609

Dossier : A-476-04

Référence : 2005 CAF 217

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                                  APOTEX INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                      BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC. et

                                           BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

                                                                                                                                              intimées

                                      Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 avril 2005.

                                     Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 9 juin 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW


Date : 20050609

Dossier : A-476-04

Référence : 2005 CAF 217

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                                  APOTEX INC.

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                      BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC. et

                                           BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

                                                                                                                                              intimées

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON


[1]                Il s'agit de l'appel interjeté d'une décision du juge von Finckenstein de la Cour fédérale, 2004 CF 1220, en date du 7 septembre 2004, rejetant le recours de l'appelante contre une décision de la protonotaire Tabib. Dans sa décision en date du 24 juin 2004, la protonotaire avait enjoint à l'appelante de répondre aux questions qui lui étaient posées, en interrogatoire préalable, par les intimées Bristol-Myers Squibb Canada Inc. et Bristol-Myers Squibb Co. (collectivement dénommées BMS).

Contexte de l'affaire

[2]                Le 26 mars 2002, l'appelante a déposé en Cour fédérale, à l'encontre de BMS, une déclaration réclamant des dommages-intérêts ou une comptabilisation des profits. Elle faisait valoir à l'appui de sa demande que, ayant le 18 novembre 1999, dans le cadre du dossier T-2020-99, déposé au titre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) une demande d'interdiction la visant, BMS ne s'était pas désistée en temps utile de cette demande. Je précise que BMS s'est désistée de sa demande d'interdiction le 23 février 2001.

[3]                L'appelante réclame également des dommages-intérêts de Sa Majesté la Reine, invoquant pour cela le manque de diligence du ministre de la Santé (le ministre) dans le traitement de sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour l'Apo-Pravastatin, médicament fabriqué par l'appelante.

[4]                La demande d'interdiction déposée par BMS faisait suite à la réception par celle-ci, en octobre 1999, d'avis d'allégation transmis par l'appelante concernant certains brevets appartenant à BMS, en l'occurrence le brevet 1,150,170 (le brevet 170) et le brevet 1,323,836 (le brevet 836).


[5]                Avant de transmettre ces avis d'allégation, l'appelante avait soutenu qu'aux termes du Règlement, elle n'était aucunement tenue de les expédier étant donné que sa PADN concernant l'Apo-Provastatin, soumise au ministre le 23 décembre 1998, n'effectuait aucune comparaison avec les brevets de BMS.

[6]                Ce n'était pas l'avis du ministre, qui considérait qu'aux termes du Règlement l'appelante était effectivement tenue de signifier à BMS des avis d'allégation concernant les brevets 170 et 836. Le ministre a en outre fait savoir à l'appelante qu'il ne donnerait aucune suite à sa PADN tant qu'elle n'aurait pas signifier des avis d'allégation à BMS. Ce n'est finalement qu'en octobre 2000 que le ministre a entamé l'examen de la PADN de l'appelante. Cet examen s'est terminé le 21 février 2001, le ministre délivrant à l'appelante un avis de conformité le 27 février 2001. C'est en raison de ce retard que l'appelante réclame de Sa Majesté la Reine des dommages-intérêts.

[7]                À la suite de l'engagement, par l'appelante, d'une action contre les intimées en mars 2002, des interrogatoires préalables ont eu lieu en 2003, au cours desquels l'appelante a refusé de répondre à certaines questions qui lui étaient posées par BMS, invoquant leur non-pertinence. BMS a alors présenté une requête en vue de contraindre l'appelante à répondre aux dites questions.


[8]                Le 24 juin 2003, la protonotaire Tabib lui a enjoint de répondre à certaines des questions. L'appelante a fait appel de cette décision et, le 7 septembre 2004, le juge von Finckenstein rejetait l'appel ainsi interjeté, estimant que les questions en cause étaient effectivement pertinentes et que la protonotaire n'avait commis aucune erreur susceptible de révision.

[9]                L'appelante sollicite, par le présent appel, une ordonnance infirmant la décision du juge von Finckenstein, et rejetant la demande de BMS visant à l'obliger à répondre aux questions en cause.

[10]            Les parties ont commodément classé les questions en litige en trois groupes, à savoir :

1.         Les questions concernant les demandes déposées par l'appelante en vue de l'inscription sur les listes provinciales de médicaments;

2.         Les questions touchant le point de savoir si pour la fabrication de son médicament Apo-Pravastatin, l'appelante emploie un procédé contrefaisant le brevet 170.

3.         Les questions mettant en cause le comportement de l'appelante dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire qu'elle a déposée à l'encontre du ministre en invoquant le refus par celui-ci de donner suite à la PADN visant son médicament, l'Apo-Pravastatin.


[11]            Avant de nous pencher sur les questions en litige, quelques mots concernant la norme de contrôle que le juge des requêtes était tenu d'appliquer lors de son examen de la décision de la protonotaire Tabib. Au paragraphe 9 de la décision Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 28 C.P.R. (4th) 491, la Cour explique en ces termes la norme qui s'applique en la matière :

[9] Il est bien établi que dans le cas où un juge des requêtes est saisi d'un appel formé à l'encontre du protonotaire, pour autant que l'appel ne porte pas sur des questions déterminantes pour l'issue de la cause, le juge siégeant en révision ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire à la place de celui du protonotaire que s'il conclut que la décision discrétionnaire du protonotaire « était fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits... » . (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 au paragraphe 95 C.A.F.) En l'espèce, la question soulevée devant la Cour est de savoir si la décision du protonotaire était fondée sur un mauvais principe. Le cas échéant, le juge des requêtes aurait dû l'infirmer et exercer son propre pouvoir discrétionnaire.

[12]            Dans l'arrêt Merck and Co., Inc. c. Apotex Inc. (C.A.), [2004] 2 C.F. 459, le juge Décary, se prononçant au nom d'une Cour unanime sur ce point précis, a reformulé le critère exposé par le juge MacGuigan dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), [1993] 2 C.F. 425, afin de dissiper le malentendu auquel avait d'après lui donné lieu la formulation retenue par le juge MacGuigan. Ainsi, au paragraphe 19 de ses motifs, le juge Décary écrit ceci :

[19]       Afin d'éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu'il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l'occasion pour renverser l'ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d'abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l'issue de l'affaire. Ce n'est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J'énoncerais le critère comme suit :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)               l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,


b)               l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[13]            Au paragraphe 20 de ses motifs, le juge Décary se réfère brièvement au critère qu'il nous faut appliquer dans le cadre de cet examen de la décision du juge von Finckenstein :

[20]         En ce qui concerne le critère que la Cour doit appliquer à l'égard d'une décision d'un juge, la Cour suprême du Canada a statué, dans l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Ligne N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18, que la Cour d'appel fédérale ne peut modifier la décision d'un juge de première instance que si celui-ci « n'avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l'existence d'un tel motif, si la décision du juge [...] était mal fondée ou manifestement erronée » .

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[14]            Ni l'une ni l'autre des parties n'ayant fait valoir que les questions soulevées par Apotex dans le cadre de sa requête devant la protonotaire revêtait, pour l'issue de la cause, une importance déterminante, le juge des requêtes ne pouvait intervenir que si l'ordonnance de la protonotaire était manifestement erronée.

[15]            Madame la protonotaire était appelée à trancher une question de pertinence et je précise qu'à l'étape de la communication préalable, la norme applicable en la matière a été formulée par la Cour dans son arrêt Everest & Jennings Canadian Ltd. c. Invacare Corp., [1984] 1 C.F. 856, où, à la page 2 de l'arrêt, au nom de la Cour, le juge Urie s'est prononcé en ces termes :

[...] Le critère de pertinence a été défini dans Boxer and Boxer Holdings Ltd. v. Reesor et al. (1983), 43 B.C.L.R. 352 (S.C.C.-B.), où le juge en chef McEachern de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a tiré la conclusion suivante en page 359 :


Il me semble qutant donné le droit d'accès indéniable des demandeurs aux documents qui pourraient leur inspirer des recherches, lesquelles pourraient, directement ou indirectement, favoriser leur cause ou anéantir celle de la partie défenderesse, en particulier sur la question cruciale de l'interprétation respective de l'accord, il faut faire droit à une partie de leur requête.

[16]               Récemment, dans l'arrêt SmithKline Beecham Animal Health Inc. c. Canada, [2002] A.C.F. no 837, 2002 CAF 229, nous avons affirmé à nouveau ce critère. Ainsi, aux paragraphes 24 et 25 de ses motifs, Madame la juge Sharlow, se prononçant au nom de la Cour, s'est exprimée en ces termes :

[24]             La portée et l'application des règles précitées dépendent du sens de ces mots : « qui portent sur toute question en litige entre les parties à l'appel » et « aux questions légitimes qui se rapportent à une question en litige » . Dans Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Company (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.), à propos du sens des mots [traduction] « un document qui a trait à tout point litigieux de l'action » , à la page 63, le lord juge Brett dit ceci :

À mon avis, un document a trait aux points litigieux de l'action non seulement lorsqu'il constitue une preuve à l'égard de ces points litigieux mais également lorsqu'on peut raisonnablement supposer qu'il contient des renseignements pouvant -- et non devant -- soit directement soit indirectement, permettre à la partie qui exige l'affidavit ou bien de plaider sa propre cause ou bien de nuire à celle de son adversaire. J'ai dit « soit directement soit indirectement » parce que, à mon avis, un document peut, à proprement parler, contenir des renseignements pouvant permettre à la partie qui exige l'affidavit soit de plaider sa propre cause soit de nuire à celle de son adversaire s'il s'agit d'un document susceptible de la lancer dans une enquête et d'entraîner l'une ou l'autre de ces conséquences [...]

[25]             Notre Cour a expressément souscrit au critère du « lancement d'une enquête » pour la communication préalable de documents : Everest & Jennings Canadian Ltd. c. Invacare Corp., [1984] 1 C.F. 856, 55 N.R. 73, 79 C.P.R. (2d) 138 (C.A.F.), qui faisait sien le critère de Boxer c. Reesor (1983), 43 B.C.L.R. 352, 35 C.P.C. 68 (C.S.C.-B.). Voir aussi Ikea Ltd. c. Idea Design Ltd., [1987] 3 C.F. 317, 13 F.T.R. 306, 16 C.P.R. (3d) 65 (C.F. 1re inst.) et Oro Del Norte, S.A. c. La Reine (1990), 35 F.T.R. 107, [1990] 2 C.T.C. 67, 90 D.T.C. 6373 (C.F. 1re inst.).

[17]            Gardant cela à l'esprit, passons à la décision rendue par le juge des requêtes, ainsi qu'aux motifs invoqués par l'appelante pour demander que cette décision soit infirmée.


[18]            Commençons par le premier groupe de questions, c'est-à-dire celles qui ont trait à la demande déposée par l'appelante en vue de l'inscription de l'Apo-Pravastatin sur les listes provinciales. Le juge des requêtes a conclu à la pertinence de ces questions et n'a par conséquent relevé aucune erreur dans la décision de la protonotaire. Selon lui, en prenant un engagement à l'égard des listes provinciales, l'avocat de l'appelante avait implicitement reconnu la pertinence des questions en cause.

[19]               L'engagement au vu duquel le juge a tranché se trouve aux pages 23 à 25 de la transcription du témoignage du Dr Bernard Sherman (dossier d'appel, vol. II, pages 280 à 282), qui témoignait pour l'appelante. Voici le passage en question :

[traduction]

M. CREBER : Je voudrais savoir comment le gouvernement de l'Ontario a pu conclure au caractère interchangeable des deux médicaments. Pourriez-vous nous donner, à cette question, une réponse plus étoffée.

M. RADOMSKI : Je ne comprends pas vraiment votre question. Vous demandez-nous de nous mettre à la place des autorités ontariennes, et de dire comment celles-ci sont parvenues à décider que le médicament d'Apotex était interchangeable?

M. CREBER : Revenons un petit peu en arrière.

Q. Vous savez que votre compagnie est tenue de demander au gouvernement de l'Ontario l'inscription sur une liste?

R. Oui.

Q. Il existe donc un document au moyen duquel cette demande a été présentée.?

R. Oui.

Q. Puis-je voir le document en question?

M. RADOMSKI : Quelle est la pertinence de ce document?


M. CREBER: Je suppose, qu'il est, dans ce document, fait allusion aux études de biodisponibilité comparatives transmises par le gouvernement fédéral.

M. RADOMSKI : Voici ce que je suis disposé à faire.

LE TÉMOIN : Mais cela se serait produit longtemps après les événements qui nous concernent.

M. RADOMSKI : Je le reconnais, mais je voudrais examiner la demande déposée auprès des autorités provinciales à la lumière de la question telle que vous l'avez formulée et, si ce document contient effectivement des éléments pertinents, nous le verserons au dossier.

                                                                                                                 ...ENGAGEMENT

M. CREBER : Je voudrais également, dans le cadre de cette demande, obtenir les listes établies par les autres provinces et territoires ainsi que par les organismes privés.

M. RADOMSKI : Vous exigez beaucoup. Le Dr Sherman a rappelé que la demande adressée aux autorités provinciales est postérieure à celle qui avait été soumise aux autorités fédérales, ainsi qu'à la délivrance, par celles-ci, de l'avis de conformité. Cette question n'a rien à voir avec les provinces; elle ne concernant que l'application du règlement fédéral.

Je me reporterai à la demande présentée à l'Ontario et si j'y note l'existence d'éléments pertinents, nous produirons le document. Mais il n'y a rien à verser au dossier si ce document ne contient rien de pertinent en l'espèce. Si la demande adressée à l'Ontario ne possède aucun élément pertinent, j'envisagerai éventuellement d'examiner les demandes adressées aux autorités des autres provinces.

[20]            Si je comprends bien la teneur de cet engagement, l'avocat de l'appelante a convenu de produire les demandes déposées par l'appelante auprès des autorités de l'Ontario, d'autres provinces et de territoires ainsi qu'auprès d'organismes privés, mais seulement dans la mesure où ces demandes contiennent « des éléments pertinents » , c'est-à-dire qu'elles se réfèrent aux études de biodiponibilité comparatives transmises par le gouvernement fédéral. Je ne vois donc pas comment cet engagement pourrait être interprété comme une reconnaissance implicite, par l'appelante, que les demandes qu'elle a déposées en vue de faire inscrire son médicament sur les listes provinciales auraient un rapport avec les questions qui l'opposent à BMS.


[21]            J'estime par conséquent que c'est nettement à tort que le juge a conclu que l'appelante avait reconnu la pertinence des documents en question. On ne peut guère nier que le débat qui oppose les parties porte sur le dépôt auprès du ministre de la PADN de l'appelante et, plus précisément, sur la question de savoir si cette PADN déposée par l'appelante renvoie aux brevets de BMS. Cela ressort très clairement des actes de procédure et notamment du paragraphe 25 de la déclaration de l'appelante, des paragraphes 10 et 14 de la défense de BMS Canada ainsi que des paragraphes 12 à 16 de la défense de BMS US.

[22]            Je rappelle qu'aucun de ces actes de procédure ne met en cause les demandes déposées par l'appelante auprès des autorités provinciales.

[23]            Soutenant que c'est à bon droit que le juge a conclu comme il l'a fait sur ce point, BMS fait valoir que les questions étaient en l'occurrence pertinentes, non seulement au vu des actes de procédure mais en raison du comportement qui a été celui de l'appelante et de la compensation qu'elle sollicite en l'espèce.

[24]            En ce qui concerne les actes de procédure, BMS affirme que si ses brevets sont mentionnés dans les listes provinciales, les questions qu'elle adresse à l'appelante sont manifestement pertinentes. Je ne suis pas de cet avis. D'abord, les listes provinciales ne sont pas évoquées dans les actes de procédure, et, deuxièmement, comme je viens de le dire, le litige qui oppose les parties a trait à la PADN que l'appelante a déposée auprès du ministre.


[25]            En ce qui concerne le comportement de l'appelante, et la réparation qu'elle sollicite, BMS fait notamment valoir que si les ventes d'un produit générique dépendent en grande partie de son inscription sur les listes provinciales, les dates de ces inscriptions revêtent une importance essentielle lorsqu'il s'agit d'évaluer le préjudice subi par l'appelante. Si, sans pour cela me prononcer sur la question, je retiens à titre d'hypothèse que les dates des inscriptions provinciales sont effectivement pertinentes en l'espèce, je ne vois cependant pas comment on pourrait en conclure à la pertinence, en soi, des demandes d'inscription déposées auprès des autorités provinciales.

[26]            Je considère donc que c'est à tort que le juge a conclu à la pertinence des questions du premier groupe. J'estime, en effet, que ces questions étaient manifestement dénuées de pertinence en l'espèce et que le juge aurait dû par conséquent modifier la décision rendue par la protonotaire. L'appelante n'aura donc pas à répondre à ces questions.

[27]            Passons maintenant au deuxième groupe de questions qui portent sur le point de savoir si le procédé employé par l'appelante dans la fabrication de l'Apo-Pravastatin contrefait le brevet 170 de BMS.


[28]            Après s'être reporté au paragraphe 21 de la déclaration de l'appelante, où celle-ci affirme que le procédé par lequel elle fabrique son médicament ne contrefait aucun brevet, ainsi qu'aux paragraphes 17 et 18 des défenses respectives des intimées BMS, où celles-ci rejettent les allégations de l'appelante, le juge a conclu à la pertinence des questions puisqu'elles visent des faits litigieux.

[29]            Si, comme le soutient l'appelante, les questions en cause, bien qu'elles aient été soulevées dans les actes de procédure, sont sans pertinence en l'espèce étant donné que le brevet 170 a expiré en juillet 2000, et que la seule période qui oppose l'appelante et BMS soit celle qui va du 21 au 27 février 2001, l'allégation dont il est fait état au paragraphe 21 de la déclaration aurait dû, comme le juge l'a décidé, être retirée.

[30]            Avant de conclure sur ce point, je tiens à rappeler qu'à l'alinéa 2a) ainsi qu'au paragraphe 44 de sa déclaration, l'appelante réclame de BMS des dommages-intérêts en raison de la demande d'interdiction déposée par celle-ci, et qu'au paragraphe 10 de sa réplique à la défense de BMS, l'appelante soutient que BMS n'aurait jamais dû engager cette procédure d'interdiction. Étant donné ces allégations, on comprend parfaitement bien comment BMS souhaiterait obtenir des précisions quant au procédé employé par l'appelante pour fabriquer l'Apo-Pravastatin.

[31]            Je considère par conséquent qu'en ce qui concerne ce groupe-ci de questions, le juge des requêtes n'a commis aucune erreur susceptible de révision.


[32]            Passons maintenant au dernier groupe de questions, c'est-à-dire à celles qui concernent le refus, de la part de l'appelante, de répondre aux questions concernant la demande de contrôle judiciaire engagée par elle en raison du refus, par le ministre, de donner suite à sa PADN. L'appelante a notamment refusé de produire l'affidavit de son président, le Dr Bernard Sherman, déposé à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, estimant que la demande et l'affidavit l'accompagnant n'étaient d'aucune pertinence pour ce qui est de son action contre BMS.

[33]               Aux paragraphes 27 et 28 de ses motifs, le juge des requêtes avait conclu, en les termes qui suivent, à la pertinence des documents en cause :

[27]         Je trouve difficile d'accepter cet argument. Apotex a produit la demande en mandamus (sur laquelle elle a l'intention de se fonder dans un but quelconque) qui renvoie à cet affidavit. Elle est donc tenue de produire l'affidavit mentionné. Il est possible qu'il ne soit d'aucune utilité pour BMS Canada et BMS US comme le prétend Apotex. Il est cependant impossible de décider de la pertinence de ce document sans l'avoir examiné. À ce stade-ci, seule Apotex connaît son contenu et sait s'il est pertinent.

[28]         Cela peut être ou ne pas être pertinent pour apprécier, par exemple, la conduite d'Apotex. Le présent litige est fondé sur l'article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Dans une telle procédure, la conduite de la première ou de la deuxième personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande est pertinente quant à la détermination du montant des dommages-intérêts. L'affidavit en question peut ou peut ne pas clarifier la conduite d'Apotex. Tant qu'elle ne retire pas le document, Apotex doit produire les documents auxquels il renvoie.

[34]            Selon l'appelante, sa demande de contrôle judiciaire, déposée à l'encontre du ministre le 25 novembre 1999 dans le cadre du dossier T-2074-99 et dont elle s'est finalement désistée, n'est pas en cause ici dans le litige qui l'oppose à BMS. D'après l'appelante, c'est à tort que le juge a conclu à la pertinence du fait que l'avis de demande figurait dans son affidavit de documents déposé en vertu de la règle 223 des Règles de la Cour fédérale (1998).


[35]            Mais l'appelante affirme qu'elle était tenue de faire figurer l'avis de demande dans son affidavit de documents car les règles 222 et 223 exigent d'une partie qu'elle fasse état de tous les documents pertinents, qu'elle entende ou non les invoquer. Étant donné que la pertinence de l'avis de demande ne fait aucun doute quant aux questions qui opposent l'appelante et Sa Majesté la Reine, l'appelante affirme n'avoir pu faire autrement que de l'inclure dans son affidavit de documents.

[36]               L'appelante est donc en désaccord avec le juge des requêtes lorsque celui-ci conclut qu'en mentionnant l'avis de demande dans son affidavit de documents, elle avait sans doute l'intention d'invoquer cet avis « dans un but quelconque » . D'après moi, cette conclusion constitue, de la part du juge des requêtes, une erreur manifeste. Il ressort en effet clairement du paragraphe 222(2) des Règles que tous les documents pertinents quant aux questions qui opposent les parties doivent figurer dans l'affidavit de documents, que la partie qui dépose ces affidavits entende ou non les invoquer. Voici le texte du paragraphe 222(2) :

222. (2) Pour l'application des règles 223 à 232 et 295, un document d'une partie est pertinent si la partie entend l'invoquer ou si le document est susceptible d'être préjudiciable à sa cause ou d'appuyer la cause d'une autre partie.

222. (2) For the purposes of rules 223 to 232 and 295, a document of a party is relevant if the party intends to rely on it or if the document tends to adversely affect the party's case or to support another party's case.                                                 

[37]            Il ne fait aucun doute que la demande de contrôle judiciaire déposée par l'appelante dans le cadre du dossier T-2074-99, et les questions soulevées dans cette demande se rapportent aux questions opposant l'appelante à Sa Majesté la Reine. Il s'agit de décider si en l'espèce la demande de contrôle judiciaire déposée par l'appelante, et donc l'affidavit du Dr Sherman, se rapporte aux questions opposant l'appelante à BMS.


[38]            Plaidant en faveur de la conclusion à laquelle le juge est parvenu sur ce point, BMS rappelle que le juge avait considéré que l'affidavit du Dr Sherman était susceptible d'éclairer les comportements de l'appelante et que c'est pour cela qu'il avait jugé le document pertinent. BMS affirme par ailleurs qu'il n'appartient pas à l'appelante de formuler des allégations de caractère général à l'encontre de toutes les intimées, puis de tenter de circonscrire le débat en faisant valoir que certaines de ces allégations n'ont rien à voir avec la réclamation qu'elle formule à l'encontre de BMS.

[39]            Je me suis penché attentivement sur la déclaration de l'appelante ainsi que sur sa réplique à la défense déposée par BMS et je considère que, compte tenu des allégations figurant dans les arguments avancés par l'appelante à l'encontre de BMS, celle-ci est en droit d'interroger l'appelante au sujet de sa demande de contrôle judiciaire, et donc au sujet de l'affidavit du Dr Sherman.

[40]            Étant donné que l'appelante formule à l'encontre de BMS des allégations très précises concernant sa décision d'engager une procédure d'interdiction, et qu'elle fait état du préjudice que lui aurait fait subir l'engagement de ces procédures, j'estime que BMS devrait être autorisée à interroger l'appelante au sujet de tous les faits, y compris des faits ayant trait à son comportement, susceptibles de se rapporter aux dommages-intérêts réclamés. La question de savoir pourquoi l'appelante a tardé à lui transmettre son avis de conformité me semble à cet égard revêtir de la pertinence aux yeux de BMS.


[41]            Je ne peux donc pas conclure que le juge, en refusant de revenir sur la décision de la protonotaire, a commis une erreur appelant la révision.

[42]            Pour ces motifs, j'accueillerais en partie l'appel interjeté par l'appelante, infirmant la décision de la Cour fédérale pour ce qui est des questions appartenant au premier groupe, rejetant par conséquent la requête de BMS en vue d'obtenir des réponses aux questions de ce groupe. Compte tenu des circonstances, il n'y aura pas d'adjudication des dépens.

     « M. Nadon »

                                                                                                     Juge                              

« Je souscris à ces motifs,

Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris à ces motifs,

K. Sharlow, juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                            COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-476-04

INTITULÉ :                                                   APOTEX INC.

c.

SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE JEUDI 28 AVRIL 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                  LE 9 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Julie Rosenthal                                       POUR L'APPELANTE

Patrick Smith                                                     POUR L'INTIMÉE (BRISTOL-MYERS SQUIBB)

Marc Richard                                                    POUR L'INTIMÉE (BRISTOL-MYERS SQUIBB)

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

GOODMANS LLP                                          POUR L'APPELANTE

Avocats

Toronto (Ontario)

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.                        POUR L'INTIMÉE (BRISTOL-MYERS SQUIBB)

Avocats

Ottawa (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR L'INTIMÉE (SA MAJESTÉ LA REINE)

Sous-procureur général du Canada



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