Date : 20040428
Dossier : A-338-03
Référence : 2004 CAF 176
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE EVANS
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
DONALD BORDEN
défendeur
Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 28 avril 2004.
Jugement rendu à l'audience à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 28 avril 2004.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE LÉTOURNEAU
Date : 20040428
Dossier : A-338-03
Référence : 2004 CAF 176
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE EVANS
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
DONALD BORDEN
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l'audience à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 28 avril 2004)
[1] À notre avis, la présente demande de révision et d'annulation de la décision rendue par un juge-arbitre en application de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi), devrait être accueillie.
[2] Le juge-arbitre était d'avis que le défendeur n'avait pas quitté volontairement son emploi lorsqu'il fut incarcéré pour une période de deux ans au terme d'une audition sur sentence, alors qu'il ne s'attendait pas à être condamné à une peine d'emprisonnement de cette durée. Le juge-arbitre a accordé un poids considérable au fait que le défendeur croyait qu'il retournerait bientôt au travail, soit beaucoup plus tôt qu'il n'a pu y retourner. Compte tenu de ces deux considérations, il a conclu qu'après sa libération, le défendeur ne devait pas être exclu du bénéfice des prestations au titre des articles 29 et 30 de la Loi.
[3] Le fait que le défendeur croyait qu'il serait incarcéré moins longtemps qu'il ne l'a en fait été était une considération non pertinente pour déterminer s'il avait perdu son emploi du fait de son inconduite ou s'il avait quitté volontairement son emploi sans justification. Comme le juge Marceau, dissident sur un autre point, l'a dit dans l'arrêt Smith c. Procureur général du Canada, A-875-96, 11 septembre 1997, à la page 9 :
En théorie, il ne s'agit pas d'un cas de rejet par l'employeur, ni d'un départ volontaire de l'employé. Ni l'employeur ni l'employé n'avaient le choix. Il s'agit du cas d'un employé qui soudainement ne peut plus exécuter son travail [...]
[...]
Il ne m'est également pas difficile d'adopter la position que le juge-arbitre a prise, à savoir qu'il importe peu que l'employeur ou l'employé ait pris l'initiative de mettre fin à la relation employeur-employé. Il a été mis fin à l'emploi par nécessité, et si un acte répréhensible doit être identifié à titre de cause réelle de cette situation soudaine, c'est l'inconduite, indépendamment d'une justification, et ce, selon l'un ou l'autre volet du paragraphe 28(1) [maintenant le paragraphe 30(1)].
Nous souscrivons à cette affirmation de notre ancien collègue.
[4] Le fait est que l'emploi du défendeur a pris fin lorsqu'il a été incarcéré, parce qu'il ne pouvait plus remplir une condition essentielle de son contrat de travail. Comme la Cour suprême du Canada l'a établi dans l'arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec Inc., 2003 CSC 68, aux paragraphes 32 et 33, lorsqu'un employé qui ne peut travailler parce qu'il est incarcéré est renvoyé, « [l]e congédiement découle [...] de l'indisponibilité de l'employé. Cette indisponibilité est une conséquence inéluctable de la privation de liberté qui est légitimement imposée à l'employé qui a commis un acte prohibé. [...] Tout contrevenant doit subir les conséquences découlant de son emprisonnement, voire la perte de son emploi en cas d'indisponibilité » . En l'espèce, l'employeur a affirmé que le défendeur ne s'était pas présenté au travail et qu'après sa remise en liberté, aucune décision n'avait été prise quant à savoir si on le réengagerait : voir le dossier du demandeur, à la page 39. Il ressort clairement de cette affirmation que l'employeur considérait que le contrat de travail avait pris fin.
[5] La Cour a conclu dans l'arrêt Canada (P.G.) c. Brissette, [1994] 1 C.F. 684, ce qui a ultérieurement été réaffirmé dans l'arrêt La procureure générale du Canada c. Lavallée, 2003 CAF 255, au paragraphe 10, que l'employé qui, par ses propres gestes, fait en sorte qu'il n'est plus en mesure de fournir les services qu'on exige de lui aux termes de son contrat de travail, et qui de ce fait perd son emploi, « ne peut faire assumer par d'autres le risque de son chômage, pas plus que celui qui quitte son emploi volontairement » .
[6] Dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Easson, A-1598-92, 1er février 1994, la Cour a indiqué clairement que les notions de « perte d'emploi pour inconduite » et de « départ volontaire sans justification » ont un lien rationnel entre elles, parce qu'elles visent toutes deux des situations où la perte d'emploi est la conséquence d'un acte délibéré de l'employé. La Cour a ensuite ajouté que c'est également pour des raisons d'ordre pratique qu'un tel lien a été établi entre les deux notions : il y a plusieurs cas dans lesquels, en raison de la preuve contradictoire, il n'apparaît pas clairement, en particulier pour la Commission, si la perte d'emploi est attribuable à la propre inconduite de l'employé ou au fait que ce dernier a décidé de quitter son emploi. En fin de compte, comme la question de droit en litige concerne une exclusion au titre du paragraphe 30(1) de la Loi, la conclusion du conseil arbitral ou du juge-arbitre peut reposer sur l'un ou l'autre des deux motifs d'exclusion dans la mesure où elle s'appuie sur la preuve. Cela ne cause aucun préjudice au demandeur parce qu'il sait qu'on cherche à obtenir une exclusion du bénéfice des prestations et qu'il connaît très bien les faits à l'origine de la demande d'ordonnance d'exclusion.
[7] En conclusion, le juge-arbitre a été indûment influencé par une considération non pertinente, soit le fait que le défendeur croyait qu'il ne serait pas emprisonné ou qu'il serait emprisonné pendant une courte période. Il a mal compris le lien qui existe entre les deux motifs d'exclusion prévus à l'article 30. Il a donc mal interprété les règles de droit applicables et les a mal appliquées aux faits de l'espèce. De plus, il n'a tenu aucun compte de la jurisprudence de notre Cour.
[8] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision du juge-arbitre sera annulée et l'affaire sera renvoyée au juge-arbitre en chef ou à un juge-arbitre désigné par lui pour qu'il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que le défendeur a perdu son emploi en raison de sa propre inconduite.
« Gilles Létourneau »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-338-03
INTITULÉ : LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
c.
DONALD BORDEN
LIEU DE L'AUDIENCE : HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 28 AVRIL 2004
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE EVANS
MOTIFS DU JUGEMENT
DE LA COUR : LE JUGE LÉTOURNEAU
DATE DES MOTIFS : LE 28 AVRIL 2004
COMPARUTIONS :
Sandra Doucette POUR LE DEMANDEUR
Personne n'a comparu POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada POUR LE DEMANDEUR
Halifax (Nouvelle-Écosse)
93, rue Principale POUR LE DÉFENDEUR
Memramcook (Nouveau-Brunswick)