Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




     Date : 19991119

     Dossier : A-527-96


CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ISAAC

         LE JUGE SEXTON


Entre

     BUCK CONSULTANTS LIMITED

     appelante

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE

     intimée




     Audience tenue à Toronto (Ontario)

     le vendredi 19 novembre 1999




     Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario)

     le vendredi 19 novembre 1999




MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

PRONONCÉS PAR :      LE JUGE ISAAC




     Date : 19991119

     Dossier : A-527-96

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ISAAC

         LE JUGE SEXTON


Entre

     BUCK CONSULTANTS LIMITED

     appelante

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE

     intimée



     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (prononcés à l'audience à Toronto (Ontario)

     le vendredi 19 novembre 1999)


Le juge ISAAC


[1]      Il y a en l'espèce appel contre le jugement en date du 3 juin 1996, par lequel un juge de la Cour canadienne de l'impôt a rejeté avec dépens les appels formés par l'appelante contre des nouvelles cotisations d'impôt établies par le ministre du Revenu national (le ministre), en application de la Loi de l'impôt sur le revenu1 (la Loi), pour les années d'imposition 1986, 1987, 1988 et 1989. Les motifs de ce jugement figurent au recueil 96 D.T.C. 1464.

[2]      Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté les appels en question en ces termes :

     L'appel doit échouer puisque l'alinéa 18(1)a) interdit la déduction demandée. L'alinéa 18(1)a) est ainsi libellé :
         18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :
             a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;
     De toute évidence, aucun débours n'a été fait au cours de la période d'occupation exempte de loyer, pas plus que des dépenses locatives n'ont été engagées au cours de la même période. Les modalités du bail sont claires. L'article 4.01a) est ainsi libellé :
         4.01 Le locataire verse au propriétaire, annuellement et chaque année pendant la durée du bail, sans la moindre compensation ni déduction, en monnaie canadienne, les loyers de base suivants :
             a) du 1er septembre 1987 au 31 octobre 1988 - néant;
     Dans l'exposé conjoint des faits, on qualifie à juste titre la dépense déduite de loyer " théorique ". Les dépenses locatives ne sont engagées que lorsque le paiement du loyer est échu. L'alinéa 18(1)a) ne peut être interprété comme une disposition uniquement fondée sur l'objet de la dépense ou du débours, puisqu'on priverait ainsi les mots " fait ou engagé " de tout leur sens.
         Tous les mots d'une loi sont présumés avoir un sens et avoir un rôle précis à jouer dans la réalisation de l'objectif législatif.
     J'ajouterai, pour conclure, que je ne connais aucun texte faisant autorité qui soutienne la proposition selon laquelle les principes commerciaux ordinaires de comptabilité permettent la déduction d'un loyer à payer. Le loyer de bureau ordinaire est à mon avis un exemple typique de dépense courante, c'est-à-dire de dépense qui ne peut être imputée directement à un élément de revenu correspondant et qui est par conséquent déductible lorsque le paiement est échu. En fait, l'appelante demande la déduction, dans le calcul de son revenu de 1988 et de 1989, d'une partie des montants que, si tout se déroule comme prévu, elle sera tenue de payer ultérieurement pour alors tirer un revenu. La déduction demandée ne fournirait pas un portrait juste et fidèle du revenu de l'appelante. Au contraire, elle aurait pour effet de sous-évaluer le revenu pendant la période d'occupation exempte de loyer et de surévaluer celui des années subséquentes.
     À l'audience, les avocats des deux parties ont convenu que le ministre avait à juste titre ajouté au revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1988 un " amortissement non déductible " de 58 680 $.

                                                     [Notes de bas de page occultées]2

[3]      Puisque le loyer théorique pour l'année d'imposition 1988 n'était pas déductible, il n'y avait aucune perte autre qu'en capital à reporter sur les années d'imposition 1986 et 1987. En conséquence, les appels relatifs à ces années ont été aussi rejetés.

[4]      Il échet uniquement d'examiner si le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant que l'appelante ne pouvait déduire les loyers théoriques de 444 288 $ et de 402 375 $ du calcul de son revenu pour les années d'imposition 1988 et 1989 respectivement.

[5]      Nous n'avons pas jugé nécessaire d'entendre l'avocat de l'intimée, après avoir conclu à l'unanimité que cet appel n'est pas fondé.

[6]      Nous voyons que l'alinéa 18(1)a) de la Loi prescrit expressément les conditions dans lesquelles une " débours " ou une " dépense " peut être déduit du calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien.

[7]      Il prévoit que le " débours " ou la " dépense " doit avoir été " fait " ou " engagé " par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. La Loi pose ainsi que " certains types de dépenses ou de recettes soient traités d'une façon précise " notamment la limitation générale formulée à l'al. 18(1)a) "3.

[8]      À l'audience, l'avocat de l'appelante a reconnu que celle-ci ne faisait aucun débours au titre du loyer durant la période d'occupation gratuite du bail. Cependant, puisque l'appelante, qui employait la méthode de comptabilité d'exercice dans son entreprise, avait amorti cette période d'occupation gratuite sur les 15 années de la durée du bail, son avocat soutenait qu'elle avait contracté un engagement dès la signature du bail et était ainsi fondée à déduire le loyer correspondant à la période d'occupation gratuite à titre de dépense engagée durant cette période. Pareille démarche, dit-il, est conforme aux principes comptables généralement reconnus et aux usages du commerce de l'immobilier.

[9]      Bien que l'amortissement du bénéfice sur la durée du bail puisse être acceptable en comptabilité, nous ne pouvons concevoir que ce fait seul puisse produire l'effet juridique voulu dans l'application de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. À ce propos, on peut se référer utilement au passage suivant des motifs du jugement prononcé par Mme le juge McLachlin au nom de la Cour dans Shell Canada Limitée c. La Reine et al.4, au paragraphe 73 :

     73. Premièrement, la façon dont Shell a inscrit le gain de change net dans sa comptabilité générale établie à des fins non fiscales n"est pas déterminante quant à son traitement sur le plan fiscal. Notre Cour a souvent statué que les méthodes comptables n'établissaient pas, en elles-mêmes, de règles de droit en matière d'impôt sur le revenu : Canderel, précité, aux par. 32 à 37, le juge Iacobucci. De toute façon, la comptabilité générale établie à des fins non fiscales reflète généralement la situation financière globale de l'entreprise en entier. Or, le sous-al. 20(1)c)(i) de la Loi s'applique au traitement fiscal d'opérations précises. Il ne devrait donc pas être étonnant qu'une même opération puisse être qualifiée différemment en fonction de fins différentes: voir généralement Friedberg c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 285, à la p. 286, le juge Iacobucci.

                                                     [non souligné dans l'original]

[10]      Contrairement à ce qu'avance l'avocat de l'appelante, nous sommes tous d'avis que la question de savoir si celle-ci avait contracté l'obligation de payer le loyer durant la période d'occupation gratuite a été tranchée au détriment de sa cliente par notre Cour dans Sa Majesté la Reine c. Burnco Industries Ltd.5, où le juge Pratte a prononcé en ces termes les motifs du jugement unanime de la Cour :

     Selon nous, une dépense au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu est une obligation de payer une somme d'argent. On ne peut pas dire qu'un contribuable a engagé une dépense s'il n'est pas tenu de verser une somme d'argent à quelqu'un.

                                                     [non souligné dans l'original]

[11]      La clause 4.01a) du bail, cité supra, indique clairement que l'appelante n'avait nullement l'obligation de payer le loyer durant la période d'occupation gratuite.

[12]      La Cour conclut que le juge de la Cour de l'impôt a judicieusement rejeté l'appel de l'appelante par les motifs pris en l'occurrence. En conséquence, nous nous prononçons pour le rejet de l'appel avec dépens.

     Signé : Julius A. Isaac

     ________________________________

     Juge



Traduction certifiée conforme,



Laurier Parenteau, LL.L.


     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER No :                  A-527-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Buck Consultants Limited

                         c.

                         Sa Majesté la Reine


DATE DE L'AUDIENCE :      Vendredi 19 novembre 1999


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)


MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PRONONCÉS PAR LE JUGE ISAAC


À l'audience à Toronto (Ontario) le vendredi 19 novembre 1999



ONT COMPARU :


M. David Malach                  pour l'appelante

M. David Spiro                      pour l'intimée



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Aird & Berlis                      pour l'appelante

Avocats

BCE Place

Case 754

1800-181 rue Bay

Toronto (Ontario) M5J 2T9

Morris Rosenberg                  pour l'intimée

Sous-procureur général du Canada



     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     Date : 19991119

     Dossier : A-527-96


Entre

     BUCK CONSULTANTS LIMITED

     appelante

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE

     intimée





     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR


__________________

1      L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.).

2      Dossier d'appel, pages 33 et 34.

3      Voir Canderel Limited c. La Reine, 98 D.T.C. 6100, page 6106 (C.S.C.).

4      C.S.C., dossier no 26596, 15 octobre 1999.

5      84 D.T.C. 6348 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.