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Date : 20010705

Dossier : A-127-00

Référence neutre : 2001 CAF 217

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE EVANS

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                           FEDERATED CO-OPERATIVES LIMITED

                                                                                                                                                       appelante

                                                                              - et -

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

Audience tenue à Calgary (Alberta) le vendredi 8 juin 2001

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le jeudi 5 juillet 2001

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                                        LE JUGE EVANS


                                                                                                                                           Date : 20010705

                                                                                                                                       Dossier : A-127-00

                                                                                                            Référence neutre : 2001 CAF 217

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE EVANS

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                           FEDERATED CO-OPERATIVES LIMITED

                                                                                                                                                       appelante

                                                                              - et -

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SHARLOW


[1]         L'appelante Federated Co-operatives Limited était propriétaire d'acceptations bancaires ayant respectivement une valeur de 244 156 063 $ à la fin de 1992, de 285 358 284 $ à la fin de 1993 et de 282 538 905 $ à la fin de 1994. Lors de la production de ses déclarations de revenus pour les années en question, l'appelante a inclus la valeur de ces sommes dans sa « déduction pour placements » , laquelle est définie au paragraphe 181.2(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.). Sa Majesté a refusé la déduction de ces montants en tant que déduction pour placements, ce qui a eu pour effet d'augmenter de 488 312 $ en 1992, de 570 717 $ en 1993 et de 565 078 $ en 1994 l'impôt exigible de l'appelante en vertu de la partie I.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'appelante a été déboutée de l'appel qu'elle a interjeté devant la Cour canadienne de l'impôt (Federated Co-operatives Ltd. c. Canada, [2000] 2 C.T.C. 2382, 2000 D.T.C. 1946, [2000] A.C.I. no 93 (QL) (C.C.I.)). L'appelante cherche maintenant à faire infirmer cette décision.

[2]         Le paragraphe 181.2(4) se trouve à la partie I.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui frappe d'un impôt le « capital imposable » de certaines sociétés. Voici les dispositions de la partie I.3 qui nous intéressent en l'espèce :


181.2(1) Le capital imposable utilisé au Canada, pour une année d'imposition, d'une société, sauf une institution financière ou une société qui tout au long de l'année n'a pas résidé au Canada, correspond à la proportion prescrite du capital imposable de la société pour l'année.

181.2(1) The taxable capital employed in Canada of a corporation for a taxation year (other than a financial institution or a corporation that was throughout the year not resident in Canada) is the prescribed proportion of the corporation's taxable capital for the year.

(2) Le capital imposable d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition est égal à l'excédent éventuel de son capital pour l'année sur sa déduction pour placements pour l'année.

(2) The taxable capital of a corporation (other than a financial institution) for a taxation year is the amount, if any, by which its capital for the year exceeds its investment allowance for the year.

(3) Le capital d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition correspond à l'excédent éventuel du total des éléments suivants :

(3) The capital of a corporation (other than a financial institution) for a taxation year is the amount, if any, by which the total of

a)    le capital-actions de la société (ou, si elle est constituée sans capital-actions, l'apport de ses membres), ses bénéfices non répartis, son surplus d'apport et tout autre surplus à la fin de l'année;

(a)    the amount of its capital stock (or, in the case of a corporation incorporated without share capital, the amount of its members' contributions), retained earnings, contributed surplus and any other surpluses at the end of the year,



b)    ses réserves pour l'année, sauf dans la mesure où elles sont déduites dans le calcul de son revenu pour l'année en vertu de la partie I;

(b)    the amount of its reserves for the year, except to the extent that they were deducted in computing its income for the year under Part I, c)    les prêts et les avances qui lui ont été consentis à la fin de l'année;

(c)    the amount of all loans and advances to the corporation at the end of the year,

d)    ses dettes à la fin de l'année sous forme d'obligations, d'hypothèques, d'effets, d'acceptations bancaires ou de titres semblables;

(d)    the amount of all indebtedness of the corporation at the end of the year represented by bonds, debentures, notes, mortgages, bankers' acceptances or similar obligations,

e)    les dividendes qu'elle a déclarés mais n'a pas versés avant la fin de l'année;

(e)    the amount of any dividends declared but not paid by the corporation before the end of the year,

f)    toutes ses autres dettes, sauf celles afférentes à un bail, à la fin de l'année qui sont impayées depuis plus de 365 jours avant la fin de l'année;

(f)    the amount of all other indebtedness (other than any indebtedness in respect of a lease) of the corporation at the end of the year that has been outstanding for more than 365 days before the end of the year, and

g)    dans le cas où elle est un associé d'une société de personnes à la fin de l'année [...].

(g)    where the corporation was a member of a partnership at the end of the year [...].

(4) La déduction pour placements d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition correspond au total des montants dont chacun représente la valeur comptable à la fin de l'année d'un élément d'actif de la société qui est, selon le cas_ :

(4) The investment allowance of a corporation (other than a financial institution) for a taxation year is the total of all amounts each of which is the carrying value at the end of the year of an asset of the corporation that is

a)    une action d'une autre société;

(a)    a share of another corporation,

b)    un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière;

(b)    a loan or advance to another corporation (other than a financial institution),

c)    une obligation, un effet, une hypothèque ou un titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière;

(c)    a bond, debenture, note, mortgage or similar obligation of another corporation (other than a financial institution),

d)    une dette du passif à long terme d'une institution financière [...]

(d)    long-term debt of a financial institution [...]


Dans son ouvrage Crawford and Falconbridge, Banking and Bills of Exchange, 8e éd. (Toronto, Canada Law Book, 1986) John Delatre Falconbridge décrit de la façon suivante les acceptations bancaires, à la page 878 :


[traduction] Une acceptation bancaire est une lettre de change qu'un client tire sur une banque, qui est payable à une date ultérieure déterminée et qui est acceptée par la banque. On donne à cet effet le nom d'acceptation bancaire pour le distinguer d'une acceptation commerciale, qui est normalement acceptée par le client et qui représente une obligation découlant d'un contrat commercial. Il est reconnu par les tribunaux depuis plus d'un siècle que l'acceptation par les banques des traites que leurs clients tirent sur elles fait partie des activités bancaires. Habituellement, le client tire une acceptation bancaire payable à son ordre et la reçoit de la banque après que celle-ci l'a acceptée. Le client endosse ensuite l'acceptation soit de manière « générale » , ce qui la rend donc payable au porteur, soit de manière « spéciale » , ce qui la rend payable à un courtier désigné. Dans l'un ou l'autre cas, l'acceptation sera normalement vendue à un investisseur sur le marché monétaire.

Les droits et obligations juridiques que comportent les lettres de change et les acceptations sont précisés dans la Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985), ch. B-4, dont voici les dispositions pertinentes :


16(1) La lettre de change est un écrit signé de sa main par lequel une personne ordonne à une autre de payer, sans condition, une somme d'argent précise, sur demande ou à une échéance déterminée ou susceptible de l'être, soit à une troisième personne désignée -- ou à son ordre --, soit au porteur.

16(1) A bill of exchange is an unconditional order in writing, addressed by one person to another, signed by the person giving it, requiring the person to whom it is addressed to pay, on demand or at a fixed or determinable future time, a sum certain in money to or to the order of a specified person or to bearer.

                                                   [...]

                                                   [...]

34(1) L'acceptation d'une lettre est l'engagement pris par le tiré d'exécuter l'ordre du tireur.

34(1) The acceptance of a bill is the signification by the drawee of his assent to the order of the drawer.

                                                   [...]

                                                   [...]           

127. L'accepteur d'une lettre s'engage à la payer suivant les termes de l'acceptation.

127. The acceptor of a bill by accepting it engages that he will pay it according to the tenor of his acceptance.

128. L'accepteur d'une lettre ne peut opposer au détenteur régulier ce qui suit_ :

128. The acceptor of a bill by accepting it is precluded from denying to a holder in due course

a)            l'existence du tireur, l'authenticité de sa signature, sa capacité et son autorité de tirer la lettre;

(a)           the existence of the drawer, the genuineness of his signature and his capacity and authority to draw the bill;

b)            dans le cas d'une lettre payable à l'ordre du tireur, la capacité de celui-ci, à ce moment-là, d'endosser, sauf l'authenticité ou la validité de son endossement;

(b)           in the case of a bill payable to drawer's order, the then capacity of the drawer to endorse, but not the genuineness or validity of his endorsement; or


c)           dans le cas d'une lettre payable à l'ordre d'un tiers, l'existence du preneur et sa capacité, à ce moment-là, d'endosser, sauf l'authenticité ou la validité de son endossement.

(c)           in the case of a bill payable to the order of a third person, the existence of the payee and his then capacity to endorse, but not the genuineness or validity of his endorsement.

129. La personne qui tire une lettre, ce faisant_ :

129. The drawer of a bill by drawing it

a)            promet que, sur présentation en bonne et due forme, elle sera acceptée et payée à sa valeur, et s'engage, en cas de refus, à indemniser le détenteur ou tout endosseur forcé de l'acquitter, si les formalités obligatoires à la suite d'un refus ont été dûment remplies;

(a)           engages that on due presentment it shall be accepted and paid according to its tenor, and that if it is dishonoured he will compensate the holder or any endorser who is compelled to pay it, if the requisite proceedings on dishonour are duly taken; and

b)            ne peut opposer au détenteur régulier l'existence du preneur et sa capacité, à ce moment-là, d'endosser.

(b)           is precluded from denying to a holder in due course the existence of the payee and his then capacity to endorse.


[3]         De façon générale, le capital et les dettes d'une société entrent dans le calcul de son capital imposable. Cette assiette fiscale est réduite par le biais du mécanisme de la « déduction pour placements » , qui représente certains placements faits dans d'autres sociétés. Un des aspects essentiels de la thèse de l'appelante est sa prémisse suivant laquelle la « déduction pour placements » a pour objet de s'assurer qu'aucun montant n'est inclus dans le capital imposable de deux sociétés en même temps. L'appelante soutient qu'il faut interpréter la partie I.3 de manière à éviter toute double imposition.

[4]         Je suis d'accord avec l'appelante pour dire que la définition de la « déduction pour placements » doit, dans la mesure du possible, être interprétée de manière à lui permettre de produire l'effet recherché par le législateur. Je conviens également que la définition de « capital imposable » et celle de l'expression « déduction pour investissements » offrent des ressemblances qui permettraient d'inférer que le législateur fédéral a, par principe, tenté d'éviter d'imposer le même capital deux fois.


[5]         La définition de l'expression « capital imposable » ne correspond toutefois pas en tous points à celle de « déduction pour placements » . Même lorsque les dispositions de ces deux définitions se ressemblent, les montants visés par chacune des définitions ne sont pas nécessairement identiques. Par exemple, l'obligation imposée à un débiteur en vertu d'un titre de créance déterminé est susceptible de dépasser la valeur comptable d'un placement par emprunt acquis au rabais.

[6]         Il faut en outre reconnaître que, lorsqu'il y a lieu de prendre en considération des questions de principe pour faciliter l'interprétation d'une loi, il faut tenir compte de toutes les questions de principe pertinentes. Il semble ressortir de la partie 1.3 dans son ensemble que l'évitement de ce que l'appelant appelle la double imposition n'est pas la seule considération de principe qui est susceptible d'avoir une incidence sur les questions en litige en l'espèce.

[7]         La définition de « capital imposable » à l'alinéa 181.2(3)d) englobe les « dettes à la fin de l'année sous forme d'obligations, d'hypothèques, d'effets, d'acceptations bancaires ou de titres semblables » . L'expression « acceptations bancaires » a été ajoutée aux termes du paragraphe 106(1), L.C. 1994, ch. 7, annexe VIII, et s'applique aux années d'imposition se terminant après le 20 décembre 1991.


[8]         Dans ce qu'on pourrait considérer comme la disposition correspondante régissant les déductions pour placements, l'alinéa 181.2(4)c), les mots employés sont « une obligation, un effet, une hypothèque ou un titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière » . Cette disposition n'a jamais été modifiée.

[9]         La lecture de ces deux dispositions permet de savoir comment le législateur fédéral a estimé que les acceptations bancaires devaient être traitées pour l'application de la partie I.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu et de constater que, pour les années visées par le présent appel, les dettes correspondant à l'acceptation bancaire doivent être incluses dans le capital imposable du tireur ou de l'émetteur. Cependant, le coût de l'acceptation bancaire assumé par le détenteur n'est pas expressément inclus dans sa déduction pour placements. Si l'on présume que cet état de fait s'explique par une distinction délibérée faite par le législateur, l'économie de la partie I.3 permet de trouver une explication possible.


[10]       La définition de la « déduction pour placements » comporte trois dispositions, les alinéas 181.2(4)b), c) et d), qui parlent de placements dans d'autres sociétés sous forme de créances. Deux de ces dispositions, les alinéas 181.2(4)b) et c), excluent les dettes des institutions financières. La troisième englobe les dettes des institutions financières, mais uniquement celles d'une durée d'au moins cinq ans (voir la définition de « passif à long terme » au paragraphe 181(1)). Normalement, une acceptation bancaire a une durée maximale d'un an. Qu'une acceptation bancaire constitue ou non une dette du tireur ou de l'émetteur -- question sur laquelle nous reviendrons plus loin --, on pourrait la considérer en principe comme une dette de la banque qui l'accepte. Si l'objectif du législateur est d'exclure les dettes bancaires à court terme de la déduction pour placements, une interprétation des alinéas 181.2(4)b) et c) qui exclut les acceptations bancaires de la définition de « déduction pour placements » serait compatible avec cet objectif.

[11]       C'est en gardant ces considérations présentes à l'esprit que j'aborde le problème d'interprétation législative que soulève la présente affaire.

[12]       Les faits ne sont pas contestés. La façon dont l'appelante a acquis les acceptations bancaires et les raisons qui l'ont motivée à le faire sont bien expliquées dans la décision du juge de la Cour de l'impôt et je n'ai pas l'intention de les répéter. Il suffit en l'espèce de dire que l'appelante a acquis les acceptations bancaires en tant que placements à court terme sur la foi du crédit de la banque qui les a acceptées, sans égard à la solvabilité ou à l'identité du tireur ou de l'émetteur. Les acquisitions ont été réalisées par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs courtiers, qui ont reçu le prix d'achat de l'appelante et qui l'ont versé aux émetteurs, après déduction de certains frais.

[13]       Le montant que l'appelante payait pour les acceptations bancaires était toujours inférieur à leur valeur nominale. La différence, abstraction faite des frais bancaires et des frais de courtage, représentait le profit prévu de l'appelante et le coût de financement prévu de l'émetteur.


[14]       À la date prévue de présentation et de paiement des acceptations bancaires, l'appelante s'est tournée uniquement vers la banque pour obtenir le paiement de la valeur nominale. La contribuable n'était pas au courant des arrangements pris par la banque et l'émetteur. On présume que l'émetteur serait tenu de rembourser à la banque les sommes payées sur présentation des acceptations bancaires.

[15]       L'appelante soutient que le coût de l'acceptation bancaire que supporte le détenteur devrait être inclus dans la « déduction pour placements » du détenteur, soit en vertu de l'alinéa 181.2(4)b), en tant que « prêt ou avance consenti à une autre société, sauf une institution financière » , soit en vertu de l'alinéa 181.2(4)c), en tant que « obligation, [...] effet, [...] hypothèque ou [...] titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière » .

[16]       Il découle de l'exclusion des institutions financières de ces deux dispositions que l'appelante doit plaider que le débiteur d'une acceptation bancaire est le tireur ou l'émetteur et non la banque qui l'accepte. Il est acquis aux débats que les émetteurs des acceptations bancaires acquises par l'appelante sont des sociétés qui n'étaient pas des institutions financières.


[17]       La première question à se poser est celle de savoir si une acceptation bancaire est un prêt ou une avance consenti par le détenteur ou l'émetteur. L'appelante concède, à juste titre selon moi, qu'une acceptation bancaire n'est pas un prêt consenti à l'émetteur, mais elle soutient que le mot « avance » a un sens plus large que le mot « prêt » et que ce sens est assez large pour englober les acceptations bancaires.

[18]       Je suis d'accord pour dire que le mot « avance » a un sens plus large que le mot « prêt » . Une avance peut englober, par exemple, un paiement effectué en contrepartie de l'engagement du bénéficiaire de fournir des biens ou des services à une date ultérieure (voir, par exemple, les arrêts Oerlikon Aérospatiale Inc. c. La Reine, (1999), 243 N.R. 1, [1998] 4 C.T.C. 2821, 99 D.T.C. 5318, [1999] A.C.F. no 496 (QL) (C.A.F.) et TransCanada Pipelines v. Ontario (Minister of Revenue), (1992) 62 O.A.C. 105, [1993] 1 C.T.C. 277, [1992] O.J. No. 2592 (QL) (C.A. Ont). Voici à ce propos les commentaires que le juge de la Cour de l'impôt a formulés au sujet de ces arrêts dans la présente affaire (au paragraphe 22) :

Une « avance » [...] est un montant payé avant l'exécution d'une obligation pour laquelle il doit être payé ou un montant payé avant l'exécution d'une obligation réciproque qui en découle.


[19]       Il n'existe toutefois selon moi aucune analogie entre la présente espèce et les affaires Oerlikon Aérospatiale et TransCanada Pipeline. Je suis d'accord avec le juge de la Cour de l'impôt pour dire qu'une acceptation bancaire n'est pas une « avance » consentie à l'émetteur au sens que les tribunaux ont donné au mot « avance » dans ces décisions. Pour chaque acceptation bancaire acquise par l'appelante, de l'argent a été transmis de l'appelante à l'émetteur par l'intermédiaire du courtier. Toutefois, l'émetteur n'était pas tenu de rembourser la même somme d'argent à l'appelante ou de fournir des biens ou des services. La seule obligation de payer à laquelle l'émetteur était tenu envers l'appelante était l'obligation conditionnelle que la Loi sur les lettres de change lui imposait, c'est-à-dire l'obligation de payer la valeur nominale de l'acceptation bancaire en cas de défaut de payer de la banque qui avait accepté l'acceptation bancaire.

[20]       L'appelante cite également la définition suivante du mot « avance » que l'on trouve dans le Black's Law Dictionary, 6e éd., (St. Paul, West Publishing Co., 1990), et en particulier les mots soulignés :

[traduction] Pousser, porter en avant sur le plan spatial ou temporel. Payer de l'argent ou fournir une autre contrepartie avant l'échéance. Fournir quelque chose avant d'en recevoir l'équivalent. Fournir des capitaux pour faciliter la réalisation d'une entreprise projetée dans l'espoir d'en tirer un avantage. Accorder par anticipation. Fournir à crédit ou avant que des marchandises ne soient livrées ou des travaux exécutés. Payer une partie d'une action ou d'un fonds. Payer de l'argent par anticipation. Fournir de l'argent à une fin déterminée convenue par les parties en contrepartie du paiement d'une somme d'argent équivalente; fournir de l'argent ou des biens à autrui dans l'espoir d'être remboursé.

[21]       À mon avis, cette définition ne donne pas au mot « avance » une portée plus large que celle que les tribunaux lui ont reconnue dans les arrêts Oerlikon Aérospatiale et TransCanada Pipelines.

[22]       L'appelante a également cité l'arrêt Air Canada v. Minister of Finance for British Columbia, [1981] 2 W.W.R. 97 (C.A.C.-B.). Il s'agissait d'un appel interjeté en vertu d'une loi de la Colombie-Britannique, la Corporation Capital Tax Act, R.S.B.C. 1979, ch. 69, qui frappait d'un impôt le « capital versé imposable » de certaines sociétés. La question en litige dans cette affaire était celle de savoir si les sommes payées pour certains effets bancaires détenus par Air


Canada constituaient des [traduction] « prêts et des avances » consentis à la banques qui seraient déductibles lors du calcul de son capital versé imposable, ou d'[traduction] « argent en dépôt chez une société qui exerce les activités d'une caisse d'épargne » , qui ne serait pas déductible. Air Canada détenait quatre types d'effets bancaires : des certificats de dépôt, des billet de dépôt au porteur à terme, des opérations de dépôt croisé et des acceptations bancaires.

[23]       Le juge Carrothers, qui s'exprimait au nom de la Cour, a fait remarquer que les dépôts bancaires et les quatre types d'effets bancaires étaient semblables, étant donné qu'ils représentaient tous des dettes de la banque. Les dépôts bancaires comportent cependant certaines caractéristiques essentielles que ne possèdent pas les effets bancaires. Un dépôt bancaire représente de l'argent dont le déposant peut se servir en tout temps comme contrepartie, soit au moyen d'un retrait d'espèces, soit par le truchement d'un ordre de paiement, tel un chèque. De plus, la dette d'une banque représentée par un dépôt bancaire n'est en règle générale pas constatée par un seul titre de créance, mais seulement par des récépissés de dépôt et des écritures bancaires. En revanche, chacun des quatre types d'effets bancaires en cause constitue un écrit constatant une dette de la banque qui était payable au détenteur à une date précise. Le juge Carrothers a conclu comme suit à la page 102 :

[traduction] De toute évidence, l'effet bancaire en question possède davantage des caractéristiques et des attributs d'un « placement » et d'un « prêt [ou d'une] avance consenti à d'autres sociétés » que ceux d' « argent en dépôt » . Bien que le libellé choisi comporte incontestablement un certain degré d'imprécision, le poids de la preuve me convainc que cette énigme devrait être résolue en faveur du contribuable. En conséquence, j'estime que tous ces types d'effets bancaires ne sont pas de l' « argent en dépôt » , mais des « prêts et des avances » qui ne doivent pas être exclus de la déduction pour placements.


[24]       Ainsi, pour l'application de la loi à l'examen dans l'affaire Air Canada, les dettes correspondant aux effets bancaires ont été considérées comme étant davantage des prêts ou des avances consentis à la banque que de l'argent en dépôt. Si cet arrêt est considéré comme un précédent qui appuie la proposition qu'une acceptation bancaire représente une avance consentie par le détenteur à la banque qui accepte, il n'aide pas la cause de l'appelante, parce que les avances consenties à une banque sont expressément exclues de la définition de la « déduction pour placements » . Cet arrêt ne constitue pas un précédent qui appuie la proposition qu'une acceptation bancaire représente une avance consentie par le détenteur à l'émetteur.

[25]       En résumé, je suis d'accord avec le juge de la Cour de l'impôt pour dire qu'une acceptation bancaire n'est pas une avance consentie à l'émetteur par le détenteur et que le détenteur d'une acceptation bancaire ne peut inclure la valeur comptable de celle-ci dans sa déduction pour placements en vertu de l'alinéa 181.2(4)b).

[26]       La question suivante est celle de savoir si une acceptation bancaire est « une obligation, un effet, une hypothèque ou un titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière » ) au sens de l'alinéa 181.2(4)c). L'appelante soutient qu'une acceptation bancaire est soit un effet de l'émetteur, soit une obligation de l'émetteur qui est semblable à une obligation, un effet ou une hypothèque. Pour les motifs qui suivent, je ne puis retenir cet argument.


[27]       La thèse de l'appelante repose sur le fait qu'elle considère l'acceptation bancaire comme une dette de l'émetteur qui est garantie par la banque qui accepte. Cette conception est erronée. En règle générale, l'obligation du garant est une obligation subsidiaire, en ce sens que le garant n'est tenu de payer la dette qu'en cas de défaillance du débiteur. Par contraste, la banque qui accepte une lettre de change en est la débitrice principale. L'obligation de paiement subsidiaire repose sur l'émetteur et elle est conditionnelle au défaut de la banque.

[28]       Je suis d'accord avec le juge de la Cour de l'impôt pour dire qu'une acceptation bancaire n'est pas un billet de l'émetteur. Un billet est une promesse écrite par laquelle le souscripteur s'engage à payer une somme d'argent déterminée. Une acceptation bancaire est une lettre de change qui consiste en un ordre donné par l'émetteur à sa banque de payer une certaine somme d'argent et en l'acceptation par la banque de l'obligation légale de payer cette somme d'argent lorsque la lettre de change est présentée au paiement. Si l'on fait abstraction pour le moment de la distinction entre une promesse de payer et un ordre de payer, on pourrait dire que l'obligation de payer de l'émetteur d'une lettre de change qui n'est pas acceptée par la banque offre une certaine ressemblance avec l'obligation de payer du souscripteur d'un effet. Toutefois, l'acceptation de la lettre de change par la banque modifie considérablement l'obligation de payer de l'émetteur. Une fois qu'une lettre de change est acceptée par la banque, seule celle-ci a l'obligation principale de payer le détenteur. L'obligation de l'émetteur de payer le détenteur est simplement une obligation subsidiaire qui n'entre en jeu qu'en cas de défaut de payer de la banque.


[29]       Le même raisonnement m'amène à conclure qu'une acceptation bancaire n'est pas un engagement de l'émetteur qui est assimilable à une obligation, un effet ou une hypothèque. Il s'agit dans tous ces cas d'un écrit qui constate la dette contractée par le souscripteur sous forme de promesse de payer. Le souscripteur est le débiteur principal de cette obligation. Le souscripteur d'une lettre de change qui a été acceptée par la banque n'est tenu qu'à titre subsidiaire de payer le détenteur.

[30]       L'appelante cite l'arrêt Recalma c. Canada, (1998), 232 N.R. 7, [1998] 2 C.T.C 403, 98 D.T.C. 6238, 158 D.L.R. (4th) 59, [1998] 3 C.N.L.R. 279, [1998] A.C.F. no 433 (QL) (C.A.F.), une décision prononcée à l'audience dans laquelle notre Cour a défini l'acceptation bancaire comme « un billet à court terme émis par un tiers qui demande à la banque sur laquelle le billet est tiré d'en garantir le remboursement » . La question en litige dans l'affaire Recalma était celle de savoir si un certain revenu de placements constituait un bien situé dans une réserve au sens de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. Il n'était pas nécessaire dans cette affaire de décider si une acceptation bancaire constitue ou non un « billet » pour le souscripteur, et, à mon sens, la Cour n'a pas abordé cette question dans sa décision. Je suis d'accord avec le juge de la Cour de l'impôt pour dire que, dans l'arrêt Recalma, la Cour n'avait employé le mot « billet » qu'à titre indicatif. De toute façon, le terme employé est inexact. L'erreur est toutefois mineure et ne remet pas en cause le bien-fondé de la décision.


[31]       L'appelante se fonde également sur la version française de l'alinéa 181.2(4)c) pour affirmer que les mots employés dans le texte français ont un sens beaucoup plus large que ceux que l'on trouve dans la version anglaise. Je reproduis les deux versions par souci de commodité :


c)    une obligation, un effet, une hypothèque ou un titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière;

(c)    a bond, debenture, note, mortgage or similar obligation of another corporation (other than a financial institution),


[32]       L'appelante soutient en particulier que le mot français « obligation » a un sens plus large que le mot anglais « debt » et qu'il pourrait désigner l'obligation de l'émetteur d'une acceptation bancaire de rembourser la banque, et que le mot français « effet » a un sens plus large que le mot anglais « note » et qu'on pourrait l'interpréter comme englobant tout titre ou lettre de change. Les mots français « obligation » et « effet » sont des termes génériques qui, dans certains contextes, peuvent recevoir un sens plus large que les mots anglais « debt » et « note » . Leur sens plus courant est cependant plus étroit. À mon avis, lorsqu'on les interprète dans le contexte du paragraphe 181.2(4), les mots français « obligation » et « effet » sont employés dans un sens qui en fait des synonymes des mots anglais « debt » et « note » .


[33]       Par ces motifs, je suis d'avis de rejeter le présent appel avec dépens.

      « K. Sharlow »

Juge

« Je suis du même avis. »

Le juge Robert Décary

« Je suis du même avis. »

Le juge John M. Evans

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20010705

Dossier : A-127-00

OTTAWA (Ontario), le jeudi 5 juillet 2001.

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE EVANS

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                           FEDERATED CO-OPERATIVES LIMITED

                                                                                                                                                       appelante

                                                                              - et -

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

                                                                        JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

« Robert Décary »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  A-127-00

INTITULÉ DE LA CAUSE : FEDERATED CO-OPERATIVES LIMITED

et

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                   CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 8 JUIN 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :              LE JUGE DÉCARY

LE JUGE EVANS

DATE DES MOTIFS :                        LE 5 JUILLET 2001

ONT COMPARU:

H. George McKenzie                                                                     POUR L'APPELANTE

Rhonda Nahorniak                                                                         POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Felesky Flynn LLP                                                                         POUR L'APPELANTE

Calgary (Alberta)

Morris Rosenberg                                                                           POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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