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Date : 20050411

Dossier : A-191-04

Référence : 2005 CAF 125

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                          LAI CHEONG SING, TSANG MING NA, LAI CHUN CHUN,

                                              LAI CHUN WAI et LAI MING MING

                                                                                                                                            appelants

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                   Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), les 14 et 15 mars 2005.

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 avril 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW


Date : 20050411

Dossier : A-191-04

Référence : 2005 CAF 125

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                          LAI CHEONG SING, TSANG MING NA, LAI CHUN CHUN,

                                              LAI CHUN WAI et LAI MING MING

                                                                                                                                            appelants

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

I. INTRODUCTION


[1]                Il s'agit d'un appel visant la décision rendue par le juge MacKay de la Cour fédérale (le juge saisi de la demande) le 3 février 2004, et publiée sous la référence 2004 CF 179. Le juge saisi de la demande a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants à la suite du rejet de leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Les revendications furent rejetées par la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans une décision en date du 6 mai 2002, publiée au moyen d'un avis de décision en date du 21 juin 2002. La Commission a entendu et rejeté les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi).

[2]                Ayant examiné les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire, le juge saisi de la demande a certifié que l'affaire soulevait quatre questions de portée générale, qui sont soumises à la Cour en vertu de l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la nouvelle Loi), qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002.


[3]                Les trois premières questions ont trait à la conclusion de la Commission relative à l'exclusion, fondée sur la section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, R.T. Can. 1969 No 6 (la Convention). Elles visent les points suivants    : celui de savoir à quelle partie incombe le fardeau de la preuve lorsqu'il y a allégation qu'une déclaration obtenue à l'étranger n'était pas volontaire; quel doit être le contenu de l'avis d'intention d'intervenir présenté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre); quel doit être le contenu minimal d'une décision de la Commission relative à l'exclusion. La dernière question a trait à la conclusion de la Commission relative à la non-inclusion et les critères qui déclenchent une évaluation séparée des assurances données par un État étranger qu'il n'aura pas recours à la torture. Le présent appel abordera ces questions, ainsi que d'autres questions incidentes mises de l'avant par les appelants.

II. CONTEXTE FACTUEL

[4]                Les appelants sont tous des citoyens chinois. En 1999, en conformité avec la Loi sur la procédure criminelle de la Chine, une source non divulguée a avisé les autorités chinoises qu'il y avait des activités de contrebande de grande envergure à Xiamen, une ville portuaire du sud de la Chine. Les autorités chinoises ont mis sur pied une équipe chargée d'enquêter sur cette allégation et auraient découvert un réseau de contrebande d'envergure dirigé par les appelants, M. Lai et Mme Tsang, par l'entremise de leur groupe de sociétés Yuan Hua.

[5]                Une grande partie de l'enquête a été menée au moyen de la détention et de l'interrogatoire des employés des sociétés Yuan Hua ainsi que de divers fonctionnaires, après quoi on a déposé des accusations contre de nombreuses personnes. Plusieurs d'entre elles ont été reconnues coupables et certaines ont été exécutées.


[6]                En Chine, aucune accusation criminelle n'est portée si la personne en cause n'est pas dans le ressort des tribunaux chinois. En l'espèce, aucune accusation n'a été portée en Chine contre M. Lai et Mme Tsang, puisqu'ils ont quitté la Chine avant la fin de l'enquête portant sur les délits présumés. Toutefois, ils sont recherchés pour les délits présumés en vertu de l'équivalent de mandats d'arrestation. En l'espèce, les délits sont perçus par les autorités chinoises comme des activités dans lesquelles les sociétés de M. Lai, le groupe Yuan Hua, étaient impliquées.

[7]                En août 1999, ayant pris connaissance que les autorités chinoises étaient à leur recherche, les appelants adultes (M. Lai et Mme Tsang), accompagnés de leurs trois enfants et d'un secrétaire qui parlait l'anglais, ont fui Hong Kong et sont venus au Canada, à titre de visiteurs. En juin 2000, M. Lai, Mme Tsang et leurs trois enfants ont présenté une revendication du statut de réfugié au Canada.

[8]                La Commission a entendu les revendications du statut de réfugié et a rendu sa décision sous le régime de l'ancienne Loi. Le ministre est intervenu durant l'audience, faisant valoir qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que M. Lai et Mme Tsang avaient commis des crimes graves de droit commun avant d'être admis au Canada, ce qui les excluait du statut de réfugié en vertu de la section 1Fb). Les crimes imputés étaient notamment la corruption, la contrebande, la fraude et l'évasion fiscale. Ainsi, le ministre a avancé qu'il fallait les exclure de notre processus de détermination du statut de réfugié. Ces observations ne visaient pas les enfants : Lai Chun Chun, Lai Chun Wai et Lai Ming Ming.


[9]                La revendication du statut de réfugié de M. Lai repose sur son allégation que le gouvernement chinois le cible à cause de son refus d'impliquer faussement un fonctionnaire du gouvernement central, M. Il Ji Zhou, dans des activités criminelles. Il affirme que, en raison de son refus de collaborer, on le poursuit au moyen d'accusations mensongères de contrebande et de corruption, bien qu'il ait toujours été un homme d'affaires honnête. Il allègue craindre avec raison d'être persécuté pour ses opinions politiques et pour son statut de membre d'un groupe social, celui des hommes d'affaires chinois qui ont réussi; d'après lui, le gouvernement chinois cible souvent ce groupe.

[10]            Mme Tsang serait la victime de persécution en raison de ses opinions politiques et de sa relation avec M. Lai. On allègue que les enfants subiraient de la persécution à titre de membres de la famille Lai. Le fils aîné allègue également qu'il serait persécuté pour ses opinions politiques.

[11]            Les appelants adultes prétendent que, si on les accuse d'infractions criminelles en Chine, ils n'auront pas droit à un procès équitable parce que le système judiciaire est sous le contrôle du gouvernement central et subit d'importantes pressions politiques. Ils allèguent qu'on a déjà décidé de leur culpabilité. Ils font également valoir que les enfants seront persécutés parce qu'ils font partie de la famille Lai.

[12]            La Commission a entendu environ 25 témoins et a tenu des audiences sur une période de 45 jours, produisant 18 volumes de témoignages et 47 autres volumes de pièces déposées en preuve.


[13]            Le ministre a déposé une grande quantité de preuves, principalement obtenues des autorités chinoises. Le témoignage des fonctionnaires chinois, les dossiers d'enquêtes et les dossiers des condamnations d'autres personnes qui se seraient livrées à des activités illégales en Chine et à Hong Kong avec M. Lai et Mme Tsang étaient corroborés en partie par le témoignage et les rapports d'experts. Ces experts ont témoigné au sujet du système juridique chinois, notamment le droit criminel, les poursuites et les sanctions pénales en Chine.

[14]            En sus du témoignage de M. Lai, de son épouse et de l'aîné de leurs enfants, on a présenté au nom des appelants le témoignage d'experts sur le système politique et judiciaire en Chine, ainsi que des renseignements publics au sujet des conditions dans ce pays ayant trait à la torture de prisonniers.

[15]            Dans une décision en date du 6 mai 2002 comptant 294 pages, la Commission a conclu que M. Lai et Mme Tsang étaient [traduction] « uniquement des criminels de droit commun qui cherchent à échapper à la justice en Chine, sans plus » . En particulier, la Commission a conclu que ni M. Lai, ni Mme Tsang n'étaient dignes de foi ou crédibles.


[16]            En fin de compte, la Commission a conclu que les appelants adultes étaient exclus de la définition de réfugié en vertu de la section 1Fb) de la Convention. De plus, le tribunal a conclu qu'ils n'étaient pas inclus dans la définition de réfugié au sens de la Convention selon le paragraphe 2(1) de l'ancienne Loi. D'après le tribunal, la crainte de persécution alléguée n'était ni raisonnable, ni liée aux motifs exposés dans la définition de réfugié au sens de la Convention, puisqu'il n'y avait pas de lien entre la persécution qu'ils disaient craindre et les motifs invoqués pour justifier cette crainte (voir les paragraphes 9 et 10 ci-dessus).

[17]            Pour ce qui est des enfants, la Commission a conclu que leur revendication indirecte, du fait qu'ils font partie de la même famille, ne pouvait être accueillie puisque la revendication des parents ne tombait pas sous le coup de la définition de réfugié au sens de la Convention.

III. NORME DE CONTRÔLE

[18]            Il s'agit d'un appel visant la décision du juge saisi de la demande, chargé d'effectuer un contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Étant donné qu'il s'agit d'un appel visant un tribunal inférieur, et non d'un contrôle judiciaire visant un tribunal administratif, les principes exposés dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 s'appliquent et la norme de contrôle applicable aux pures questions de droit est celle de la décision correcte, tandis que la norme de l'erreur manifeste et dominante s'applique aux conclusions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit.


[19]            La Cour doit également examiner, en se fondant sur la norme de la décision correcte, la norme de contrôle choisie par le juge saisi de la demande, puisqu'il s'agit d'une question de droit (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43). S'il y a eu une erreur dans le choix et l'application de la norme de contrôle, la Cour doit corriger cette erreur, appliquer la norme de contrôle appropriée, et évaluer la décision ou renvoyer l'affaire à la lumière de cette correction (voir Davies c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 41, [2005] A.C.F. no 188 (QL), paragraphe 8; et Wyeth-Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2003), 305 N.R. 317, 2003 CAF 257, paragraphes 8 et 9).

IV. LA FEUILLE DE ROUTE

[20]            Pour faciliter l'analyse, je vais d'abord examiner la conclusion de la Commission relative à l'exclusion, fondée sur la section 1Fb); par la suite, je vais analyser la conclusion relative à la non-inclusion, qui a trait à la définition de réfugié au sens de la Convention. En ce qui concerne l'exclusion, il faut examiner les activités antérieures des appelants, qui peuvent les priver d'une conclusion favorable pour ce qui est de leur inclusion dans la définition de réfugié au sens de la Convention. En ce qui concerne la question de l'inclusion, la définition de réfugié au sens de la Convention est axée sur l'avenir : il s'agit de déterminer si les appelants ont ou non une crainte fondée d'être persécutés pour un des motifs exposés dans la Convention.     

V. ANALYSE

A. La disposition d'exclusion - la section 1Fb) de la Convention

i) But et effet de la section 1Fb) de la Convention

[21]            Il faut amorcer l'analyse avec la définition de réfugié au sens de la Convention exposée au paragraphe 2(1) de l'ancienne Loi, qui renvoie à la Convention et désigne toute personne qui :


a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays

            dont elle a la nationalité et ne     peut ou, ou fait de cette crainte,              ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ...

(i) is outside the country of the    person's nationality and is          unable or, by reason of that fear,           is unwilling to avail himself of the protection of that country, ...

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci ...

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof ...

[22]            Ce paragraphe exclut de la définition de réfugié au sens de la Convention toute personne visée par la section F de l'article premier de la Convention. La partie pertinente de cette section est rédigée comme suit:

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : ...

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that: ...

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

[Non souligné dans l'original.]

(b) he has committed a serious non-political crime outside the        country of refuge prior to his        admission to that country as a      refugee;

[Emphasis Added.]


Bien que la Cour ait relevé divers buts auxquels répond la section 1F, le but premier de celle-ci est d'assurer que les personnes ayant commis des crimes graves de droit commun n'ont pas droit à la protection internationale dans le pays où elles demandent l'asile (voir les motifs du juge Décary dans la décision Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 761, 2003 CAF 178, paragraphes 118 et 119). Si un tribunal conclut que la section s'applique à un revendicateur, l'effet est que le revendicateur sera exclu du processus canadien de détermination du statut de réfugié et, par conséquent, ne pourra obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention.

[23]            Dans une récente décision de la Cour, soit Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 243 D.L.R. (4th) 385, 2004 CAF 250, paragraphe 23, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, Bulletin des procédures de la C.S.C., 2005, p. 444, il a été établi qu'une audience concernant une « exclusion » aux termes de la section 1Fb) n'est pas de la même nature qu'un procès criminel, où le ministre doit prouver la culpabilité ou l'innocence hors de tout doute raisonnable. Il incombe au ministre de démontrer, à la lumière de la preuve présentée à la Commission, qu'il existe « des raisons sérieuses de penser » que M. Lai et Mme Tsang ont commis des crimes graves de droit commun en Chine avant d'arriver au Canada.

[24]            De plus, aux termes du paragraphe 68(3) de l'ancienne Loi, la Commission n'est pas liée par les règles légales ou techniques de la présentation de la preuve. Toutefois, pour recevoir des éléments de preuve et fonder sa décision sur ces éléments, la Commission est tenue en vertu du paragraphe de recevoir et d'examiner les éléments qu'elle juge crédibles et dignes de foi en l'occurrence. Le paragraphe est rédigé comme suit :


(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision.

(3) The Refugee Division is not bound by any legal or technical rules of evidence and, in any proceedings before it, it may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances of the case

Les exigences formulées au paragraphe 68(3) de l'ancienne Loi demeurent fondamentalement inchangées dans la nouvelle Loi, aux alinéas 170g) et h).

[25]            De manière générale, la Commission doit évaluer et apprécier la preuve qu'elle a jugée crédible ou digne de foi en l'occurrence, et décider si on a satisfait ou non au critère minimal des « raisons sérieuses de penser » que les crimes graves de droit commun allégués ont été commis (voir Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298, paragraphes 309 et 311 (C.A.)). La norme de preuve qu'il faut utiliser dans l'application du critère minimal va au delà du simple soupçon mais sans aller jusqu'à la norme de droit civil de la prépondérance de la preuve (voir la décision Zrig au paragraphe 174; et Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, pages 312 à 314 (C.A.)).

ii) Question certifiée no 1(a) - Caractère volontaire des déclarations

[26]            La question certifiée no 1(a) est rédigée comme suit :

[traduction]

Dans une affaire relative à l'exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :


(a)      Si le ministre prend appui sur des déclarations découlant d'interrogatoires que lui fournissent des organismes gouvernementaux étrangers, le ministre est-il tenu de démontrer que ces déclarations ont été faites volontairement, particulièrement s'il y a des preuves qu'une ou plus d'une de ces déclarations ntaient pas tout à fait volontaires, et si les renseignements sur les conditions dans le pays indiquent qu'on a parfois recours à la torture pour obtenir des déclarations de la part des personnes détenues?

[27]       Au début de l'audience de la Commission, le ministre a présenté des preuves documentaires en vue de fournir à la Commission des raisons sérieuses de penser que M. Lai et Mme Tsang avaient commis des crimes graves de droit commun, soit la contrebande, la corruption, la fraude et l'évasion fiscale, à l'extérieur du Canada avant d'être admis au Canada. La preuve présentée par le ministre comprenait des déclarations écrites consignées par les autorités chinoises durant leur enquête criminelle sur le réseau de contrebande Yuan Hua dirigé par M. Lai et Mme Tsang. Le ministre a également présenté une quantité importante de preuve pour démontrer que les déclarations obtenues à l'étranger étaient crédibles ou dignes de foi en l'occurrence.

[28]       L'avocat des appelants s'est opposé à l'admission en preuve de ces déclarations obtenues à l'étranger en faisant valoir qu'elles n'étaient pas volontaires; il a allégué que les autorités les avaient peut-être obtenues en recourant à des moyens irréguliers, tels que la torture. La Commission a accepté provisoirement que l'on renvoie à ces déclarations pendant l'audience et a indiqué qu'elle déciderait de leur admissibilité après avoir entendu l'ensemble de la preuve liée aux revendications. Le ministre fait valoir que les appelants ont ainsi eu l'occasion de démontrer leur allégation que les déclarations obtenues à l'étranger n'étaient pas volontaires.                 


[29]       Parmi les témoins cités par le ministre, il y avait : l'enquêteur principal chargé de l'enquête sur la contrebande de cigarettes; le procureur de la poursuite contre M. Il Ji Zhou (qui a été reconnu coupable d'avoir accepté des paiements illicites de M. Lai); le procureur de la poursuite contre dix-neuf personnes accusées dans l'affaire de la contrebande de cigarettes; l'avocat d'une des personnes accusées dans l'affaire de la contrebande d'essence par le groupe Yuan Hua. La Commission a jugé que tous ces témoins étaient crédibles. Ces témoins ont indiqué que les déclarations qu'ils avaient soit consignées personnellement, soit examinées dans le cadre de leurs rôles respectifs, n'avaient pas été obtenues au moyen de mauvais traitements. Le témoin expert du ministre en matière de droit de procédure chinois, Jerome Cohen, un professeur de droit américain, a également indiqué que si l'on démontre à un tribunal chinois que des déclarations ont été obtenues au moyen de la torture, le tribunal ne peut s'appuyer sur ces déclarations pour décider de la cause.

[30]       Pour appuyer leur allégation que les déclarations n'étaient pas volontaires, les appelants ont présenté des rapports de nature générale sur les conditions dans le pays, faisant état du recours à la torture en Chine. Les appelants ont également appelé Sheng Xue à témoigner; cette dernière, qui a rédigé un livre sur M. Lai en se fondant principalement sur les déclarations que lui a faites ce dernier, a affirmé que deux personnes liées à l'enquête avaient été privées de sommeil. Toutefois, la Commission a conclu que son témoignage était vague et du ouï-dire, si bien qu'elle lui a accordé peu de poids.


[31]       Après la clôture de l'audience, mais avant que la décision ne soit rendue publique, l'avocat des appelants a présenté une demande écrite visant l'admission de la déclaration non signée d'une ancienne employée de Yuan Hua à Xiamen. Cette déclaration non signée a été présentée à la Commission accompagnée de deux affidavits, dont un d'un avocat canadien habitant à Shanghai, alléguant encore une fois que les déclarations obtenues à l'étranger avaient été soutirées au moyen de la torture. En guise de réplique, le ministre a avancé que la déclaration non signée n'était ni crédible ni digne de foi puisque, du fait qu'elle ne portait pas de signature, on ne pouvait s'y fier.

[32]       La Commission a conclu qu'il fallait attribuer très peu de poids à la déclaration non signée. Dans son évaluation de la déclaration et des conditions dans lesquelles elle semble avoir été préparée, la Commission a en fin de compte préféré la preuve présentée par le ministre à celle présentée par les appelants.

[33]       Ayant conclu que les déclarations obtenues à l'étranger par les appelants et par le ministre avaient une valeur probante, la Commission a signalé que la prochaine question à trancher était celle de savoir quel poids il fallait leur attribuer. Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, la Commission a conclu que les appelants n'avaient pas démontré que les déclarations obtenues à l'étranger avaient été soutirées par le recours à des mauvais traitements ou à la torture.


[34]       Les appelants et le ministre ont reconnu qu'il incombe toujours au ministre de démontrer que l'exclusion demandée est fondée. Toutefois, d'après les appelants, ce fardeau de la preuve oblige le ministre à démontrer que les déclarations découlant des interrogatoires à l'étranger ont été obtenues de façon volontaire; d'après eux, en écartant cette obligation, la Commission a commis une erreur de droit.        

[35]       Le juge saisi de la demande a conclu que la Commission était clairement habilitée à formuler des conclusions concernant l'admissibilité de la preuve présentée, y compris les déclarations, et le poids qu'il fallait lui attribuer, et que ces conclusions n'étaient pas manifestement déraisonnables. Il a également conclu que, même s'il incombait au ministre de démontrer que les appelants devaient être exclus, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en n'exigeant pas que le ministre démontre le caractère volontaire des déclarations découlant des interrogatoires en Chine. Il suffisait que la Commission accepte la preuve du ministre concernant le caractère volontaire des déclarations et qu'elle préfère cette preuve à celle présentée par les appelants. Le juge a également signalé que la preuve visant les conditions dans le pays ne portait pas précisément sur les déclarations contestées et, par conséquent, elle ne permettait pas de conclure que les déclarations n'étaient pas volontaires.


[36]       Dans le contexte du droit de l'extradition et du droit pénal, les déclarations signées obtenues à l'étranger conformément au droit procédural du pays ne sont pas inadmissibles du fait que les règles procédurales étrangères diffèrent de celles en vigueur au Canada, dans la mesure où l'admission n'a pas pour effet de rendre le procès inéquitable (voir R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, paragraphe 15). De plus, il y a une règle générale en droit international voulant que les procédures d'application de la loi dans un pays étranger sont régies par les lois et codes de ce pays, si bien que les lois et codes procéduraux canadiens ne s'y appliquent pas (voir R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207, paragraphe 23). Un processus judiciaire étranger n'est pas injuste du simple fait qu'il diffère du processus canadien (voir Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, pages 522 et 523).

[37]       La Commission a deux rôles aux termes du paragraphe 68(3). Premièrement, elle est habilitée à recevoir des éléments de preuve sans être liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Deuxièmement, elle peut fonder sa décision définitive sur la version de la preuve qu'elle juge crédible ou digne de foi dans son ensemble, ayant apprécié à la fois les divers éléments de preuve documentaires et les témoignages oraux qu'elle a admis.


[38]       Pour que la Commission admette des déclarations issues d'interrogatoires à l'étranger obtenues d'organismes gouvernementaux étrangers, le ministre doit seulement présenter une preuve de nature générale concernant le caractère crédible ou digne de foi des déclarations. Pour en arriver à sa décision définitive, la Commission peut également tenir compte d'éléments de preuve particuliers présentés par le ministre ou un revendicateur concernant le caractère volontaire ou non d'une déclaration donnée. La Commission est manifestement habilitée à procéder à une telle appréciation de la preuve. Pour ce qui est du caractère volontaire d'une déclaration particulière, les règles légales ou techniques normalement associées au processus pénal ne s'appliquent tout simplement pas. Tel qu'énoncé dans la décision Xie (voir le paragraphe 23 ci-dessus), une audience concernant une exclusion aux termes de la section 1F n'est pas de la même nature qu'un procès criminel.

      

[39]       En ce qui concerne le présent appel, il était loisible à la Commission de recevoir les témoignages des témoins experts du ministre et des autres témoins de la Chine, de les préférer et de fonder sa décision sur eux. L'idée centrale de leur témoignage était que, même si le système judiciaire chinois comporte des processus et procédures qui diffèrent des processus et procédures canadiens, ce système prend appui sur la nécessité d'une preuve conforme à la vérité.

[40]       De plus, un examen du dossier révèle peu de preuve concernant le caractère non volontaire des déclarations, hormis la déclaration non signée à laquelle, pour des motifs exposés précédemment (voir le paragraphe 33 ci-dessus), la Commission a attribué peu de poids.


[41]       Quoi qu'il en soit, il y avait d'autres éléments de preuve crédibles ou dignes de foi sur lesquels la Commission pouvait s'appuyer. Premièrement, les déclarations contestées comportaient des affirmations qu'elles avaient été faites volontairement. De plus, les témoignages enregistrés sur bande vidéo ou transcrits de plusieurs personnes jugées en Chine indiquent que leurs déclarations ont été obtenues volontairement. Enfin, les témoins de Chine, dont un enquêteur principal, divers procureurs et un spécialiste du droit criminel chinois, ont tous affirmé n'être au fait d'aucun cas dans l'enquête et la poursuite judiciaire à grande échelle des sociétés Yaun Hua où la déclaration n'aurait pas été volontaire.

[42]       D'un autre côté, la preuve de nature très générale présentée par les appelants au sujet de la torture utilisée par les enquêteurs chinois n'était pas spécifique et ne visait certainement pas de manière précise les déclarations présentées par le ministre en l'espèce. Je conviens avec le juge saisi de la demande que la preuve concernant les conditions dans le pays présentée à la Commission n'appuie pas la conclusion que les déclarations contestées, obtenues au moyen des méthodes d'interrogatoire chinoises, n'étaient ni crédibles, ni dignes de foi.

[43]       Sur ce point, la Commission a correctement mis en application le paragraphe 68(3) de l'ancienne Loi, et a admis et apprécié la preuve qu'elle jugeait crédible ou digne de foi en l'occurrence. Étant donné que la Commission a appliqué la norme judiciaire appropriée, il faut faire preuve d'une grande retenue judiciaire à l'égard de ses décisions concernant l'admissibilité de la preuve et le poids à y attribuer, car il s'agit en général de conclusions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit qui relèvent directement de l'expertise de la Commission. Par conséquent, le juge saisi de la demande a eu raison de signaler qu'il pouvait intervenir uniquement s'il était convaincu que les décisions de la Commission étaient manifestement déraisonnables. Ainsi, la Cour n'a aucun motif d'infirmer la conclusion du juge saisi de la demande, soit que l'évaluation par la Commission du caractère volontaire des déclarations contestées et du poids à y attribuer n'étaient pas manifestement déraisonnables.


iii) Question certifiée no 1(b) - Caractère suffisant de l'avis d'intention d'intervenir

[44]       La question certifiée no 1(b) est rédigée comme suit :

[traduction]

Dans une affaire relative à l'exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :

b)         Le ministre est-il tenu de préciser, avant l'audience, les actes criminels allégués imputés au revendicateur, ou suffit-il que la preuve à l'audience subséquente dévoile l'information précise au sujet des actes criminels allégués qu'aurait commis le revendicateur?

[45]       L'argument des appelants est axé sur leur allégation qu'ils n'ont jamais pris connaissance des preuves à réfuter parce que l'avis d'intention d'intervenir du ministre était trop général. Cet avis signalait seulement que le ministre estimait que [traduction] « M. Lai a commis des crimes graves de droit commun, notamment la contrebande, la fraude, l'évasion fiscale et la corruption » .

[46]       Ils allèguent également que cette irrégularité n'avait pas été réparée au moyen d'accusations établies en Chine, puisqu'aucune accusation officielle n'avait été portée contre les appelants adultes. Les seuls documents juridiques chinois visant les appelants étaient des mandats d'arrestation, dans lesquels le champ réservé aux motifs de l'arrestation avait été laissé en blanc.


[47]       Faute d'accusations, les appelants affirment qu'ils avaient droit à un avis précisant les crimes allégués qu'on leur imputait et en raison desquels on voulait les exclure, de façon à ce qu'ils puissent préparer leur cause de manière appropriée. Ils font également valoir que l'avis aurait dû être suffisamment détaillé pour que la personne visée par les allégations soit en mesure de relever l'acte dont il est question. D'après les appelants, l'absence d'un avis approprié constituait un manquement au devoir d'agir équitablement à leur égard.

[48]       En réponse, le ministre affirme que l'avis d'intention d'intervenir est suffisant s'il signale l'alinéa de la section 1F sur lequel se fonde l'avis d'exclusion et s'il comporte un bref exposé des faits et du droit sur lesquels le ministre s'est appuyé pour préparer cet avis (voir Arica c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 182 N.R. 392, paragraphe 9).

[49]       En ce qui concerne l'élément déclencheur de l'application de la clause d'exclusion aux termes de l'ancienne Loi (y compris les exigences liées à l'avis), le cadre d'analyse général était exposé à l'article 9 des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45 (les anciennes Règles). En vertu du paragraphe 9(1) des anciennes Règles, le ministre était tenu de préciser les éléments des sections E ou F mis en cause par la revendication et d'exposer brièvement le droit et les faits sur lesquels il prévoyait s'appuyer. Sous le régime de la nouvelle Loi, qui est entrée en vigueur le 28 juillet 2002, le paragraphe 25(3) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les nouvelles Règles) est maintenant le paragraphe équivalent. Il exige que le ministre énonce dans l'avis les faits et les règles de droit sur lesquels il s'appuie s'il croit que la section E ou F de l'article premier s'applique à la demande d'asile.


[50]       Le juge saisi de la demande a conclu que, pour ce qui est de l'avis d'intention du ministre, le critère essentiel était l'identification de l'alinéa de la section 1F sur lequel s'appuie l'intervention. Il a également conclu que les appelants adultes avaient été avisés qu'on les considérait exclus en raison de crimes graves de droit commun, soit la contrebande, la fraude, l'évasion fiscale et la corruption, et que leur exclusion était fondée sur l'information divulguée dans leurs Formulaires de renseignements personnels. Enfin, il a signalé que les exigences régissant une intervention dans une affaire d'exclusion n'équivalent pas aux exigences de communication dans le cadre d'une poursuite au criminel, parce que les buts de ces deux processus et des mesures législatives connexes sont très différents. En l'espèce, il a conclu que l'avis d'intention d'intervenir présenté par le ministre répondait aux exigences de la Loi.

[51]       La question du caractère suffisant de l'avis du ministre est une question d'équité procédurale, à laquelle il faut appliquer la norme de contrôle de la décision correcte (voir S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphe 100). Je suis tout à fait convaincu que l'avis présenté par le ministre respectait les exigences exposées dans les anciennes Règles et que le ministre n'est pas tenu de préciser les actes criminels imputés au revendicateur.

[52]       Le ministre n'est pas tenu de fournir des précisions selon la norme qui serait de mise, par exemple, s'il s'agissait d'une mise en accusation au criminel. Toutefois, le ministre est tenu de présenter à l'audience des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui ont trait aux questions soulevées par le motif d'exclusion, soit l'existence de raisons sérieuses de penser que le revendicateur avait commis des crimes graves de droit commun à l'extérieur du Canada avant son arrivée au pays.


[53]       Enfin, un mot s'impose au sujet de la nouvelle Loi et des nouvelles Règles. Le ministre est maintenant tenu de transmettre un avis au revendicateur avant la tenue de l'audience conformément à l'article 25 des nouvelles Règles. Le ministre doit également respecter l'article 29 de ces Règles, qui précise que les revendicateurs doivent recevoir les documents sur lesquels le ministre prévoit s'appuyer au plus tard 20 jours avant l'audience.

iv) Question certifiée no 1(c) - Précisions requises dans l'exposé des motifs de la Commission

[54]       La question certifiée no 1(c) est rédigée comme suit :

[traduction]

Dans une affaire relative à l'exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :

c)         La Section du statut de réfugié est-elle tenue dnoncer, dans l'exposé de sa décision, des précisions sur les actes criminels commis par le revendicateur?

[55]       Les appelants font valoir que la Commission n'a présenté aucune conclusion suffisamment précise pour satisfaire aux exigences de la section 1Fb), puisque la Commission n'a formulé aucune conclusion impliquant l'un ou l'autre des appelants adultes dans un acte précis de contrebande ou de corruption. Essentiellement, ils allèguent que la Commission a commis une erreur de droit en concluant qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que les appelants adultes étaient impliqués dans un réseau de contrebande sans présenter de conclusion concernant un acte précis de contrebande ou de corruption.


[56]       Un des buts de la section 1Fb) est de protéger l'intégrité du système de détermination du statut de réfugié en excluant les auteurs de crimes graves de droit commun en raison de leurs activités criminelles dans un État étranger (voir Zrig, paragraphes 118 et 119). Le processus d'audience en vertu de la section 1Fb) vise à exclure un revendicateur s'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il a commis un crime grave de droit commun. Par conséquent, le ministre n'est pas tenu de prouver une infraction criminelle particulière hors de tout doute raisonnable. Ainsi, la Commission n'est pas tenue d'exposer de manière détaillée les éléments du crime commis et de présenter des conclusions sur ces éléments. La Cour s'est récemment prononcée sur cette question dans la décision Zrig, le juge Nadon ayant énoncé au paragraphe 94 :

Afin d'exclure les personnes qui sont visées par les sections Fa) et Fb) de l'article premier, il sera nécessaire de démontrer qu'il existe des « raisons sérieuses de penser » que des crimes graves identifiés ont été commis, mais sans qu'il ne soit nécessaire d'en imputer un spécifiquement au revendicateur.

[57]       Il convient aussi de signaler que cette position concorde avec la jurisprudence internationale relative à cette même question. En particulier, dans Ovcharuk c. Minister of Immigration and Multicultural Affairs (1998), 158 A.L.R. 289, à la page 301, le juge Branson de la Federal Court of Australia a conclu :

[traduction]

[...] la formulation de la section 1Fb) suggère qu'il ne faut pas l'interpréter comme une exigence que chaque élément d'une infraction identifiée doit être identifié et précisé pour que l'on puisse s'appuyer sur la section.


[58]       D'après le juge saisi de la demande, la conclusion de la Commission respectait la Loi et la section 1Fb) même si elle ne donnait pas de précisions, dans l'exposé de ses motifs, sur les activités criminelles. Par conséquent, le juge saisi de la demande a conclu qu'il fallait répondre à la question certifiée no 1c) par la négative.

[59]       D'après mon analyse, il s'agit d'une question d'équité procédurale à laquelle il faut appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. À la lumière de la jurisprudence établie (voir les paragraphes 56 et 57 ci-dessus), la Commission n'est pas tenue d'exposer, dans sa décision, des précisions au sujet des actes criminels commis par les appelants. Ainsi, la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en concluant qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que les appelants adultes étaient impliqués dans des activités alléguées, sans présenter de conclusion concernant des actes précis. De son côté, le juge saisi de la demande n'a pas commis d'erreur en concluant que les motifs de la Commission respectaient les exigences de la section 1Fb).

v) Questions incidentes ayant trait à l'exclusion - Crime grave de droit commun

[60]       Avant de mettre un terme à l'analyse de la conclusion relative à l'exclusion, il serait approprié d'aborder une question incidente soulevée par les appelants adultes, à savoir si les crimes allégués qu'on leur impute sont graves et qu'ils sont des crimes politiques.


[61]       Pour qu'un revendicateur soit exclu du système de détermination du statut de réfugié en raison de l'application de la section 1Fb), il faut que la Commission ait conclu qu'il y a des raisons sérieuses de penser que le revendicateur a commis un crime grave de droit commun. Devant la Commission, les appelants adultes ont nié avoir commis quelque crime que ce soit et ont déclaré leur innocence relativement aux allégations de corruption et de contrebande. Ils ont fait valoir que les crimes allégués étaient de nature politique, dans la mesure où ils avaient une crainte fondée que les autorités politiques utilisaient le système judiciaire pour les persécuter. Pour ce qui est de la gravité du crime, les appelants ont prétendu que la Commission a commis un erreur de droit en tenant compte du droit criminel canadien dans son examen des allégations de corruption, au lieu du droit criminel chinois.

[62]       Pour déterminer si un crime est de nature politique aux fins de la section 1Fb), il faut se reporter à la motivation du contrevenant au moment où le crime a été commis. La juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 88 de ses motifs dans la décision Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 C.F. 559 (la Cour n'a pas infirmé cet élément de la décision), souscrit à l'exposé des juges majoritaires de la Chambre des lords dans l'affaire T. c. Secretary of State for the Home Department, [1996] 2 All E.R. 865, page 899 :

[traduction]

Un crime est de nature politique pour l'application de la section 1Fb) de la Convention de 1951 si, et seulement si :

(1) il est commis dans un but politique, c'est-à-dire avec comme objet de renverser ou de changer la gouvernement d'un État ou de l'induire à modifier sa politique;

(2) il y a un lien suffisamment étroit et direct entre le crime et le but politique invoqué.


[63]       Essentiellement, un crime est politique ou non au moment où il est commis, et son caractère ne peut dépendre des conséquences que le contrevenant pourrait subir par la suite s'il revenait au pays où le crime a été commis (voir lord Mustill dans la décision T. c. Secretary of State for the Home Department, page 882). Dans la décision Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1995] 1 C.F. 508, page 517 (C.A.), le juge Hugessen a signalé que la Loi sur l'extradition en vigueur à l'époque (L.R.C. 1985, ch. E-23, art. 21) établissait une distinction entre un crime politique et les motifs politiques de la poursuite. Toutefois, il a conclu que, dans le contexte du statut de réfugié, la définition d'un réfugié au sens de la Convention exposée à la section 1Fb) ne porte que sur le crime. Par conséquent, aux fins d'une conclusion relative à l'exclusion fondée sur la section 1Fb), lorsqu'un crime n'est pas accompagné d'un motif politique déclaré ou identifiable, il s'agit en fait d'un crime de droit commun.

[64]       À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que ce sont les motifs des revendicateurs au moment de la perpétration du crime allégué qui comptent. En l'espèce, la Commission a conclu qu'il n'y avait pas de lien entre les crimes allégués et un objectif politique. L'objectif des appelants adultes était plutôt le bénéfice personnel, si bien qu'on ne peut caractériser les crimes de crimes politiques.

[65]       Les appelants adultes allèguent également que le droit criminel examiné aux fins de la clause d'exclusion doit être le droit criminel d'un pays autre que le pays d'accueil (c'est-à-dire de la Chine). Contrairement au droit canadien, aux termes duquel il n'est pas nécessaire qu'un accusé ait obtenu un avantage d'un agent responsable pour commettre une infraction de corruption, dans le droit chinois il faut qu'un agent confère un avantage illégitime pour qu'il y ait corruption. Les appelants font valoir qu'aucun avantage de ce genre n'a été démontré, si bien qu'il ne peut y avoir eu de crime grave.


[66]       Bien que les appelants aient longuement présenté des arguments concernant les accusations de corruption, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur cette question en l'espèce. En effet, il n'y a pas eu d'argumentation visant à contester la conclusion de la Commission que la contrebande alléguée constituait en l'occurrence un crime grave de droit commun, compte tenu de l'ampleur du réseau et de la longue période pendant laquelle les activités du réseau se sont poursuivies. Par conséquent, même si on mettait de côté les allégations de corruption, à mon avis, les appelants adultes peuvent tout de même être exclus de la définition de réfugié au sens de la Convention en raison des allégations de contrebande portées contre eux.

[67]       À la lumière de la preuve crédible et digne de foi présentée, la Commission a conclu qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que M. Lai et Mme Tsang ont commis un crime grave de droit commun, soit la contrebande.

[68]       Le juge saisi de la demande a appliqué la norme de contrôle du caractère raisonnable pour examiner l'application par la Commission de la section 1Fb) aux faits qui avaient été présentés à cette dernière. À mon avis, il a eu raison de procéder ainsi. La conclusion concernant la perpétration d'un crime grave de droit commun porte sur une question mixte de fait et de droit, comportant des éléments importants qui sont des conclusions de fait. La Commission possède une certaine expérience dans l'examen de telles questions, particulièrement pour ce qui est de décider si un crime allégué est ou non un crime politique en l'occurrence.


[69]       En ce qui a trait aux questions mixtes de fait et de droit, la Cour doit examiner la décision du juge saisi de la demande en se basant sur la norme de l'erreur manifeste et dominante. D'après mon examen des motifs exposés par le juge saisi de la demande, ce dernier n'a pas commis d'erreur manifeste ou dominante lorsqu'il a conclu que la conclusion de la Commission concernant le caractère grave et non politique des crimes allégués était raisonnable.

B. Inclusion - La demande des appelants relative à l'inclusion

i) Obligation d'examiner la demande relative à l'inclusion

[70]       Ayant conclu que le juge saisi de la demande n'a pas commis d'erreur en décidant que les conclusions de la Commission sur la question de l'exclusion étaient raisonnables, les appelants adultes sont exclus de la définition de réfugié au sens de la Convention. La récente décision de la Cour dans l'affaire Xie a établi que, une fois exclus aux termes de la section 1Fb), les revendicateurs n'ont pas droit à ce que leurs demandes relative à l'inclusion soient examinées. Toutefois, les faits de la présente affaire diffèrent de ceux de l'affaire Xie puisque, dans le présent appel, les actions des enfants ne mettent pas en cause la section 1Fb) et qu'il faut rendre une décision sur leurs demandes dérivées. Ainsi, il était approprié que la Commission effectue une analyse de la demande relative à l'inclusion des cinq appelants afin de déterminer si les demandes dérivées des enfants pouvaient être accueillies.

ii) Définition de réfugié au sens de la Convention


[71]       S'agissant d'une demande relative à l'inclusion, il incombe aux appelants de démontrer qu'ils craignent avec raison d'être persécutés et que leur crainte est fondée sur un des motifs énoncés dans la Convention (le lien). M. Lai et Mme Tsang ont tous les deux prétendu que la persécution qu'ils craignent est la peine capitale en Chine et que, de plus, ils craignent d'être torturés s'ils devaient être emprisonnés.

[72]       Le ministre a produit des preuves afin de démontrer que la crainte exprimée par les appelants adultes n'était pas fondée, notamment une note diplomatique de l'État chinois à l'État canadien assurant ce dernier que ni l'un ni l'autre des appelants adultes ne serait soumis à la peine capitale ou à la torture.

[73]       La Commission a alors examiné toute la preuve concernant l'allégation de torture et a conclu que la note diplomatique était crédible ou digne de foi et constituait la preuve la plus probante pour ce qui est de la possibilité que les appelants adultes soient exécutés ou subissent de mauvais traitements une fois en détention si on les renvoyait en Chine. La Commission était convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que M. Lai et Mme Tsang ne seraient pas soumis à la peine capitale ou à la torture si on les renvoyait en Chine et s'ils étaient reconnus coupables de crimes commis avant leur rapatriement.


[74]       À la lumière de l'ensemble de la preuve qui lui avait été présentée, la Commission a conclu que la crainte des appelants d'être persécutés du fait qu'ils subiraient la peine capitale ou la torture en Chine n'était pas fondée. La Commission a pleinement reconnu et décidé, en se reportant à la décision de la Cour Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, aux pages 683 et 684 (C.A.), que la norme applicable pour la décision définitive est celle de la sérieuse possibilité ou de la possibilité raisonnable de persécution. La Commission a appliqué cette norme pour en arriver à sa décision définitive concernant l'inclusion et a conclu qu'il y a avait tout au plus une simple possibilité que les appelants adultes, s'ils étaient emprisonnés en Chine, subiraient de mauvais traitements que l'on pourrait qualifier de persécution.

[75]       Tenant compte de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Commission a également conclu qu'il n'y avait pas de lien entre les craintes exprimées par M. Lai et Mme Tsang et les motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. La Commission a conclu qu'ils étaient des criminels de droit commun qui cherchaient à échapper à la justice, sans plus. Par conséquent, à mon avis, quelle que soit la conclusion de la Commission concernant leur crainte fondée de persécution, M. Lai et Mme Tsang ne pourraient être inclus dans la définition de réfugié au sens de la Convention à moins qu'ils ne démontrent un lien avec un des motifs énoncés dans la Convention.

[76]       Le juge saisi de la demande a conclu qu'il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la note diplomatique était crédible ou digne de foi, à la lumière de sa connaissance de l'ensemble de la preuve. Il a également examiné l'application par la Commission de la norme de la possibilité raisonnable à l'affirmation des appelants qu'ils craignaient d'être persécutés et à la conclusion de la Commission que leur affirmation ne satisfaisait pas à la norme.


[77]       Le juge saisi de la demande a conclu que les questions générales liées à l'inclusion étaient des questions mixtes de fait et de droit et il a appliqué la norme du caractère raisonnable aux conclusions de la Commission. Les appelants ne contestent pas cette conclusion et j'estime que le juge saisi de la demande a eu raison de procéder ainsi.

iii) Question incidente no 1 concernant l'inclusion - Opinions politiques

[78]       Avant de mettre un terme à l'analyse de la question de l'inclusion, il faut aborder plusieurs questions incidentes soulevées par les appelants. La première a trait aux opinions politiques.

[79]       Les appelants affirment que le motif des opinions politiques énoncé dans la définition de réfugié au sens de la Convention ne se limite pas aux opinions politiques réelles ou perçues du revendicateur. Ils font valoir que lorsque l'État manipule pour des raisons politiques une poursuite potentielle, alors la personne visée par une telle poursuite peut être un réfugié du fait de ses opinions politiques. Essentiellement, les appelants disent craindre avec raison d'être persécutés parce qu'ils croient que le processus pénal en Chine a été et continuera d'être manipulé à des fins politiques contre eux et que, par conséquent, ces actes et opinions de l'État chinois tombent sous le coup du motif des opinions politiques énoncé dans la définition de réfugié au sens de la Convention.


[80]       Le ministre fait valoir que le motif des opinions politiques dans la définition de réfugié au sens de la Convention doit renvoyer aux opinions politiques réelles du revendicateur ou attribuées à ce dernier, et non aux opinions du présumé persécuteur. Pour appuyer cette position, le ministre se reporte à la formulation de la définition de réfugié au sens de la Convention, au contexte dans lequel on lit les mots « opinions politiques » et à l'interprétation judiciaire de ces mots par la Cour suprême du Canada et la Cour (voir Ward, page 747, et Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540, page 550 (C.A.)).

[81]       La Commission a conclu que les autorités chinoises n'étaient pas à la recherche des appelants adultes en raison de leurs opinions politiques réelles ou perçues, et que l'État chinois ne semble pas croire qu'ils ont pris part à des activités politiques ou qu'ils avaient des opinions politiques différentes de celles de l'État. La Commission a également conclu que des opinions politiques n'étaient pas la motivation principale des autorités chinoises.

[82]       En fin de compte, le juge saisi de la demande a appuyé la conclusion de la Commission relative à l'inclusion, soit que les appelants ne pouvaient craindre d'être persécutés du fait de leurs opinions politiques puisqu'il n'y avait aucune preuve que les crimes allégués dans la présente affaire étaient de nature politique.


[83]       De plus, je doute sérieusement que le motif des opinions politiques énoncé dans la définition de réfugié au sens de la Convention puisse être interprété de manière à inclure les opinions politiques du persécuteur à l'égard du revendicateur, comme l'allèguent les appelants, puisque les motifs de la Convention - la race, la religion, la nationalité et l'appartenance à un groupe social - renvoient à des caractéristiques du revendicateur. Les mots clés de la définition de réfugié au sens de la Convention sont que la personne doit craindre avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques (voir Zolfagharkhani, page 550). Bien qu'il faille examiner la situation du point de vue du persécuteur, ce sont les opinions politiques du revendicateur, ou les opinions politiques attribuées au revendicateur par son État, qui doivent être à l'origine de la persécution (voir Ward, page 747).

[84]       À mon avis, la Commission a correctement appliqué la jurisprudence ayant trait aux opinions politiques et à la définition de réfugié au sens de la Convention. De plus, la Commission a tiré une conclusion de fait, soit que les actions des autorités chinoises n'étaient pas motivées principalement par des opinions politiques. Par conséquent, le juge saisi de la demande n'a pas commis d'erreur manifeste ou dominante en concluant que la conclusion de la Commission que les appelants n'ont pas établi de lien entre une crainte fondée et le motif des opinions politiques énoncé dans la Convention était raisonnable.

iv) Question incidente no 2 concernant l'inclusion - Appartenance à un groupe social        

[85]       M. Lai affirme également craindre avec raison d'être persécuté du fait qu'il fait partie d'un groupe social, celui des hommes d'affaires chinois bien connus qui ont réussi. Il prétend qu'il n'est pas nécessaire que tous les membres d'un groupe soient visés pour qu'il existe une crainte fondée d'être persécuté du fait de l'appartenance à ce groupe; il suffit que certain d'entre eux soient visés.


[86]       M. Lai allègue également que la Commission n'a pas tenu compte des témoignages d'experts d'importance cruciale suggérant que tous les hommes d'affaires chinois bien connus et prospères comme M. Lai étaient ciblés. Un des témoins experts appelés par les appelants était R.L., qui a témoigné pendant une journée au sujet des zones grises économiques que l'on trouve un peu partout en Chine, y compris à Xiamen. Dans le cadre de ce stratagème, des administrations locales attiraient des entreprises et des investissements en prélevant des taxes inférieures aux taux fixés par le gouvernement central à Beijing. Souvent, ces taxes moins élevées n'étaient pas remises au gouvernement central, ce qui a entraîné des mesures de répression visant à la fois les importateurs locaux et les autorités locales.

[87]       En guise d'explication de certaines des difficultés de M. Lai avec l'État chinois, R.L. a indiqué que M. Lai n'était qu'un parmi de nombreux importateurs locaux coincés dans la lutte pour le pouvoir et l'argent entre Xiamen et Beijing.

[88]       Dans son examen de la preuve présentée, la Commission ne renvoie pas au rapport ou au témoignage de R.L. D'après les appelants, que cette preuve cruciale sur la question du lien ait été écartée, négligée ou oubliée par la Commission, il était injuste de ne pas tenir compte du témoignage pertinent d'un témoin expert.


[89]       Le juge saisi de la demande n'a pas abordé de manière spécifique l'omission de cet élément de preuve, mais il a signalé dans ses motifs que les appelants contestent bon nombre des conclusions sous-jacentes de la Commission, y compris l'admissibilité et le poids de la preuve, ainsi que de nombreux autres facteurs sur lesquels se fondaient les conclusions définitives de la Commission.

[90]       Selon mon analyse, le fait que l'exposé des motifs de la Commission ne renvoyait pas à toute la preuve présentée par les témoins des appelants ne signifie pas que la Commission n'a pas tenu compte de cette preuve avant de tirer ses conclusions. Faute de preuve du contraire, on présume que la Commission a apprécié et examiné la preuve présentée par R.L. (Voir Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)). Étant donné que les conclusions de la Commission prenaient appui sur la preuve, il n'y a aucune raison de croire que les témoins des appelants ont été écartés, négligés ou oubliés.

v) Question certifiée no 2 - Assurances diplomatiques

[91]       La question certifiée no 2 est rédigée comme suit :

Est-ce que l'arrêt de la Cour suprême Suresh c. M.C.I., [2002] 1 R.C.S. 3, exigeant une évaluation distincte des assurances fournies par un État étranger qui promet de ne pas torturer les ressortissants renvoyés, s'applique dans les situations où il y a certaines preuves d'un recours général à la torture au sein de ltat étranger, ou seulement dans les situations où il y a des preuves raisonnables indiquant qu'on a recours àla torture dans des causes similaires?

[92]       Dans l'affaire Suresh, un réfugié au sens de la Convention était visé par un avis de danger du ministre, si bien qu'il devait être renvoyé à son pays de nationalité où, d'après ses affirmations, il serait torturé. Toutefois, notre affaire ne concerne pas une décision du ministre qui pourrait entraîner un renvoi, mais une décision relative à l'inclusion rendue par la Commission chargée de déterminer si les appelants sont ou non des réfugiés au sens de la Convention.


[93]       Pour ce qui est d'évaluer si la crainte d'un revendicateur est fondée, la décision Suresh renferme des indications utiles au sujet des cas où les assurances d'un État étranger entrent en jeu et les questions dont il faut tenir compte dans l'évaluation de ces assurances. Toutefois, dans le présent appel, la Commission a correctement conclu qu'il n'y avait pas de lien entre les craintes exprimées par M. Lai et Mme Tsang et la définition de réfugié au sens de la Convention. Puisqu'il est obligatoire d'établir ce lien pour être inclus dans la définition, et que le lien n'a pas été établi dans la présente affaire, quelle que soit la réponse à la question certifiée no 2, elle ne peut être déterminante en l'espèce.

[94]       Selon mon analyse, le tribunal devrait refuser de répondre à cette question puisque toute réponse n'aurait aucune incidence pratique sur la question de l'inclusion. Évidemment, la présente procédure ne constitue pas la fin du processus de contrôle pour les appelants. La prochaine procédure est l' « évaluation du risque avant le renvoi » aux termes de l'article 112 de la nouvelle Loi, où l'on pourra examiner de manière approfondie la question de la torture et des assurances diplomatiques, ainsi que toute nouvelle preuve pertinente que l'on pourrait produire. Il convient également de signaler que les appelants peuvent présenter au ministre une demande en vue de demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire, en vertu des principes exposés au paragraphe 25(1) de la nouvelle Loi. La décision de la Commission visée dans le présent appel n'entrave aucunement le ministre lorsqu'il examine une demande visée à l'article 112 ou fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.


VI. RÉPONSES AUX QUESTIONS CERTIFIÉES

[95]       En résumé, voici mes réponses aux questions certifiées.

Question certifiée no 1(a)

[traduction]

Dans une affaire relative à l'exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :

(a)      Si le ministre prend appui sur des déclarations découlant d'interrogatoires que lui fournissent des organismes gouvernementaux étrangers, le ministre est-il tenu de démontrer que ces déclarations ont été faites volontairement, particulièrement s'il y a des preuves qu'une ou plus d'une de ces déclarations ntaient pas tout à fait volontaires, et si les renseignements sur les conditions dans le pays indiquent qu'on a parfois recours à la torture pour obtenir des déclarations de la part des personnes détenues?

Réponse

Non. Il incombe au ministre de présenter des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi à la lumière desquels la Commission peut déterminer s'il faut exclure un revendicateur de la définition de réfugié au sens de la Convention. La Commission n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision. Les déclarations obtenues au moyen de la torture ou de tout traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant ne sont ni crédibles ni dignes de foi.

En l'espèce, le ministre a produit des preuves indiquant que les déclarations obtenues à ltranger étaient crédibles ou dignes de foi, y compris des preuves que les déclarations ont été faites volontairement et conformément aux exigences procédurales du droit chinois. On a également présenté à la Commission des preuves de nature générale sur les conditions dans le pays, faisant valoir qu'on y a recours à la torture et que les autorités ne sont pas toujours en mesure de contrôler ce recours à la torture; la Commissiona aussi entendu des déclarations vagues constituant du ouï-dire. À la lumière de l'ensemble de la preuve présentée, et faute de preuve précise indiquant que les déclarations obtenues à ltranger par le ministre étaient le fruit de la torture, la Commission était autorisée à admettre ces déclarations et àconclure qu'elles avaient été faites volontairement.

Question certifiée no 1(b)

[traduction]

Dans une affaire relative à l'exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :


b)         Le ministre est-il tenu de préciser, avant l'audience, les actes criminels allégués imputés au revendicateur, ou suffit-il que la preuve à l'audience subséquente dévoile l'information précise au sujet des actes criminels allégués qu'aurait commis le revendicateur?

Réponse

Non. Le ministre n'est pas tenu de préciser, avant l'audience, les actes criminels allégués imputés au revendicateur. En vertu de l'article 9 des anciennes Règles, le ministre est tenu de préciser les éléments de la section 1F mis en cause par la revendication et d'exposer brièvement le droit et les faits sur lesquels il prévoit s'appuyer. Le ministre n'est pas tenu de fournir des précisions selon la norme qui serait de mise, par exemple, s'il s'agissait d'une mise en accusation au criminel. En l'espèce, l'avis renfermait suffisamment d'information pour satisfaire aux exigences réglementaires.

Le ministre est tenu de présenter à l'audience des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui ont trait aux questions soulevées par le motif d'exclusion, soit l'existence de raisons sérieuses de penser que le revendicateur avait commis des crimes graves de droit commun à l'extérieur du Canada avant son arrivée au pays.

Aux termes de la nouvelle Loi, le ministre est maintenant tenu de transmettre un avis au revendicateur avant la tenue de l'audience conformément à l'article 25 des nouvelles Règles. Il doit également respecter l'article 29 de ces Règles, qui précise que le revendicateur doit recevoir les documents sur lesquels le ministre prévoit s'appuyer au plus tard 20 jours avant l'audience.

Question certifiée no 1(c)

[traduction]

Dans une affaire relative à l'exclusion en vertu de la section 1Fb) de la Convention :

c)         La Section du statut de réfugiéest-elle tenue dnoncer, dans l'exposé de sa décision, des précisions sur les actes criminels commis par le revendicateur?

Réponse

Non. La Commission n'est pas tenue d'énoncer, dans l'exposé de sa décision, des précisions sur les actes criminels commis par le revendicateur.

Question certifiée no 2


Est-ce que l'arrêt de la Cour suprême Suresh c. M.C.I., [2002] 1 R.C.S. 3, exigeant une évaluation distincte des assurances fournies par un État étranger qui promet de ne pas torturer les ressortissants renvoyés, s'applique dans les situations où il y a certaines preuves d'un recours général à la torture au sein de ltat étranger, ou seulement dans les situations où il y a des preuves raisonnables indiquant qu'on a recours à la torture dans des causes similaires?

Réponse

Le tribunal refuse de répondre à cette question à la lumière de l'analyse exposée précédemment dans les présents motifs.

VII. CONCLUSION

[96]       Je suis d'avis de rejeter l'appel.

                                                                                       « B. Malone »              

                                                                                                     Juge                   

« Je souscris aux présents motifs

J. Richard, juge en chef »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

APPEL D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 19 MARS 2004, DOSSIER DE LA COUR NO IMM-3194-02

DOSSIER :                                                                                       A-191-04

INTITULÉ :                                                                                        LAI CHEONG SING ET AL. c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LES 14 ET 15 MARS 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                LE JUGE EN CHEF RICHARD

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                               LE 11 AVRIL 2005

COMPARUTIONS

David Matas                                                                                          POUR LES APPELANTS

Esta Resnick                                                                                         POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

David Matas                                                                                          POUR LES APPELANTS

Avocat

John Sims                                                                                  POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada


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