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Date : 20031020

Dossier : A-244-03

Référence : 2003 CAF 385

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                                                                                                                                       

VICTOR MARIE, chef incontesté, et NORMAN STARR,

membre incontesté du conseil de bande dûment élu, et

JEANNIE MARIE JEWELL, agissant à titre de

gestionnaire intérimaire de la bande

                                                                                                                                                       appelants

et

MELVIN WANDERINGSPIRIT, DELPHINE BEAULIEU,

TONI HERON, RAYMOND BEAVER et SONNY MCDONALD,

en leur qualité de CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION

SALT RIVER no 195, élus le 30 août 2002

                                                                                                                                                           intimés

                                Audience tenue à Edmonton (Alberta), le mercredi 1er octobre 2003.

                                      Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                  LE JUGE SEXTON

                                                                                                                                  LA JUGE SHARLOW


Date : 20031020

Dossier : A-244-03

Référence : 2003 CAF 385

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                                

ENTRE :

VICTOR MARIE, chef incontesté, et NORMAN STARR,

membre incontesté du conseil de bande dûment élu, et

JEANNIE MARIE JEWELL, agissant à titre de

gestionnaire intérimaire de la bande

                                                                                                                                                       appelants

et

MELVIN WANDERINGSPIRIT, DELPHINE BEAULIEU,

TONI HERON, RAYMOND BEAVER et SONNY MCDONALD,

en leur qualité de CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION

SALT RIVER no 195, élus le 30 août 2002

                                                                                                                                                           intimés

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]                 Le 30 août 2002, la Première nation Salt River no 195 a élu Victor Marie comme chef et Norman Starr, Melvin Wanderingspirit, Delphine Beaulieu, Tony Heron, Raymond Beaver et Sonny McDonald comme conseillers.


[2]                 Par un vote tenu à une réunion en date du 3 novembre 2002, les conseillers Wanderingspirit, Beaulieu, Heron, Beaver et McDonald (le « groupe Wanderingspirit » ) ont été destitués de leurs fonctions et Nora Beaver, David Gowans, Connie Benwell, Michel Bjornson, Harvey Lepine et Don Tourangeau (le « groupe Nora Beaver » ) ont été élus à titre de conseillers. Le chef Victor Marie et le conseiller Norman Starr n'ont pas été destitués lors de la réunion du 3 novembre 2002 et ils ont continué à agir en qualité de chef et de conseiller. Aucun avis n'a été donné aux membres de la bande pour les informer que la destitution du groupe Wanderingspirit et l'élection du groupe Nora Beaver allaient faire l'objet d'un vote lors de cette réunion.

[3]                 Le 7 décembre 2002, le groupe Wanderingspirit a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Section de première instance (maintenant la Cour fédérale) relativement à la destitution du groupe Wanderingspirit et à l'élection du groupe Nora Beaver à titre de conseillers.

[4]                 Dans ses motifs de l'ordonnance et ordonnance datés du 29 mai 2003, le juge Rouleau a fait droit à la demande de contrôle judiciaire. Il aconclu que la destitution du groupe Wanderingspirit au cours de la réunion du 3 novembre 2002 était nulle et que l'élection du groupe Nora Beaver à cette même réunion l'était tout autant.

[5]                 Le présent appel vise l'ordonnance rendue le 29 mai 2003 par le juge Rouleau.

[6]                 Les questions soulevées par les appelants sont les suivantes :


1.          La Première nation Salt River suit-elle une coutume électorale bien établie et, en particulier, une coutume exigeant qu'un avis d'élection soit donné?

2.          Le juge Rouleau était-il saisi d'une décision au titre de laquelle il pouvait accorder une réparation?

3.          Le juge Rouleau a-t-il commis une erreur lorsqu'il a condamné le chef Victor Marie et les conseillers Norman Starr et Jeannie Marie Jewell aux dépens?

[7]                 Voici ce qu'a mentionné le juge Rouleau au paragraphe 43 de ses motifs au sujet de la coutume électorale de la Première nation Salt River et de l'exigence relative aux avis d'élection :

En l'espèce, il existe une preuve non équivoque à l'effet que la Première nation Salt River possédait une coutume électorale bien établie. Les pratiques constantes comprenaient des élections à intervalles d'environ deux ans, des avis d'élection, la clôture des mises en candidature avant la tenue des élections, des élections par scrutin secret, un conseil composé d'un chef et de six ou sept conseillers et l'exigence voulant que les membres soient âgés de dix-huit ans afin de pouvoir voter.

[8]             Le paragraphe 43 conclut la partie des motifs du juge Rouleau intitulée « Historique et procédure électorale suivie par la PNSR » . Aux paragraphes 33 à 39, le juge Rouleau explicite les divers aspects de la coutume électorale de la Première nation Salt River en renvoyant de façon détaillée aux éléments de preuve dont il est saisi, et tire notamment des conclusions expresses touchant la planification des élections, la nécessité de donner un avis d'élection, la pratique relative à la clôture des mises en candidature avant la tenue des élections et aux élections par scrutin secret, le nombre de conseillers à élire et les conditions à remplir pour pouvoir voter.


[9]                 Les appelants soutiennent néanmoins qu'il n'y a jamais eu de coutume bien établie exigeant qu'un avis soit donné avant la tenue d'une élection. Ils affirment que la [traduction] « volonté du peuple » doit l'emporter et que, si les membres de la bande présents à la réunion décident de destituer des conseillers et d'en élire d'autres à leur place, ils peuvent procéder ainsi même sans avis préalable.

[10]            Il ressort de la preuve que les appelants ont seulement réussi à trouver un cas où le conseil de bande a, par résolution, prolongé de quelques mois le mandat d'un chef et d'un conseiller, dans le cadre de ce qui paraît être des circonstances particulières.

[11]            Je ne puis conclure que le juge Rouleau a commis une erreur manifeste lorsqu'il a tiré ses conclusions de fait relatives à la coutume électorale de la Première nation Salt River. Il a minutieusement examiné la preuve, et les appelants n'ont pas réussi à établir par renvoi à l'un ou l'autre des éléments de preuve, sauf dans un cas particulier, que les pratiques habituelles explicitées par le juge Rouleau n'étaient pas suivies.

[12]            Selon le juge Rouleau, l'exigence voulant qu'un avis d'élection soit donné faisait partie de ces pratiques habituelles. En réalité, il est difficile d'imaginer comment tenir une élection sans exiger qu'elle fasse l'objet d'un avis. Pour que les membres de la bande aient une occasion suffisante de voter à une élection, il faut bien qu'ils soient informés du moment où elle doit avoir lieu.


[13]            Je ne dis pas que le processus habituellement suivi par la bande ne peut englober le droit de destituer un chef ou des conseillers et de tenir une élection pour les remplacer plus souvent qu'aux intervalles d'environ deux ans qui séparent habituellement chacune des élections. De fait, l'avocat de l'intimé a convenu que le processus habituel pouvait prévoir des modalités touchant la destitution. Cependant, même dans le cas d'une destitution, il est nécessaire de donner un avis aux membres.

[14]            Comme l'a conclu le juge Rouleau, aucun avis n'a été donné en l'espèce du fait qu'un vote de destitution aurait lieu ou qu'un nouveau groupe de conseillers seraient élus pendant la réunion du 3 novembre 2002. Le juge Rouleau a estimé que cette dérogation au processus habituel, et certaines autres, avaient pour effet d'invalider la destitution du groupe Wanderingspirit et son remplacement par le groupe Nora Beaver votés le 3 novembre 2002. Je suis d'accord avec sa conclusion.

[15]            Les appelants font valoir que la « volonté du peuple » doit être respectée et qu'il appartient à ce dernier de choisir son chef et ses conseillers. Évidemment, cela est exact. En revanche, la « volonté du peuple » doit se manifester dans le cadre d'un processus conforme à la coutume électorale de la bande et à la procédure électorale établie. À mon avis, le juge Rouleau fait un résumé succinct de ces exigences au paragraphe 48 de ses motifs :


Non seulement l'élection des défendeurs censément tenue le 3 novembre 2002 n'a pas été menée selon les coutumes électorales de la PNSR, le processus dans son ensemble violait les principes les plus fondamentaux de justice naturelle et d'équité. Il est impératif qu'un avis raisonnable soit donné aux membres d'une Première nation concernant l'élection de ses dirigeants. Lorsqu'aucun avis n'est donné, cela a pour effet de priver de leurs droits de vote les électeurs qui ne sont pas présents à l'endroit et à l'heure fixés pour l'élection. C'est précisément ce qui s'est passé en l'espèce. La volonté des membres de la PNSR est exprimée par leur adhésion, tout au long des années 1990, aux principes d'équité et de démocratie, notamment par la tenue d'élections au moyen d'un scrutin secret après qu'un avis ait été donné à cet effet. Ce qui s'est produit le 3 novembre 2002 est l'expression de la volonté d'un petit groupe de dissidents de la PNSR qui a profité de l'absence de la grande majorité des membres. En tenant une élection sans préavis, ils ont effectivement privé les membres absents de leur droit de vote.

[16]            Pour ces motifs, je rejetterais le premier motif d'appel soulevé par les appelants.

[17]            Quant au deuxième motif, il est vrai que le juge Rouleau n'était saisi d'aucune décision prise par le groupe Nora Beaver, les membres du personnel électoral ou la bande elle-même. Toutefois, dans les présentes circonstances, une telle décision n'était pas nécessaire. En effet, lorsqu'ils ont présenté leur demande de contrôle judiciaire au juge Rouleau, les intimés contestaient le pouvoir qui, selon le groupe Nora Beaver, leur permettait de censément agir à titre de conseillers de la bande à la place du groupe Wanderingspirit. Même si, par leur demande, ils souhaitaient obtenir un jugement déclaratoire et non expressément un bref de quo warranto, les intimés ont, au fond, demandé à la Cour de rendre un jugement déclaratoire équivalant à un bref de prérogative de quo warranto.


[18]            Suivant l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour fédérale a compétence pour décerner un bref de quo warranto ou pour rendre un jugement déclaratoire. Je ne vois pas pourquoi un jugement déclaratoire, lequel s'apparente à un quo warranto, ne peut être rendu. La Cour d'appel fédérale semble approuver ce processus dans l'arrêt Bande indienne de Lake Babine et al. c. Williams et al. (1996), 194 N.R. 44 (C.A.F.), où le juge Robertson s'exprime dans les termes suivants aux paragraphes 3 et 4 :

[3] Il convient de souligner dès le départ que les appelants ne contestent pas la compétence de la Cour en ce qui a trait à l'examen des questions soulevées en l'espèce._Les intimés demandent un jugement déclaratoire et une injonction, ce qui, dans les circonstances, équivaut essentiellement à une demande de bref de quo warranto._Un recours de cette nature permet de contester le droit d'une personne d'exercer une charge donnée [...]

[4] La compétence de la Cour est donc indéniable, le conseil de bande étant « un office fédéral » au sens des articles 2 et 18 de la Loi [...]._Par conséquent, la Cour d'appel fédérale a compétence pour statuer sur la question, mais elle ne peut le faire que dans le contexte d'une demande fondée sur l'article 18, et non dans le cadre d'une action introduite au moyen d'une déclaration.

[19]            Comme la présente affaire a été introduite par le dépôt d'une demande, l'opposition relative à la procédure par voie de déclaration soulevée dans l'arrêt Lake Babine n'est pas pertinente en l'espèce.

[20]            Bien que le contrôle judiciaire concerne généralement une décision prise par un office fédéral, il arrive qu'une réparation soit accordée en l'absence d'une telle décision. La demande de bref de prohibition en est un exemple évident. Le bref de quo warranto ou le jugement déclaratoire qui s'apparente à un quo warranto dans le cas où la contestation vise le droit du titulaire d'une charge publique d'exercer cette charge directement en est un autre. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé en l'espèce. Pour ces raisons, le deuxième motif d'appel doit être rejeté.


[21]            Le troisième motif d'appel intéresse la décision du juge Rouleau d'adjuger les dépens contre les appelants. Les appelants affirment que l'ordonnance en date du 29 mai 2003 du juge Rouleau n'a pas eu d'incidence sur le chef Victor Marie ou le conseiller Norman Starr et qu'ils n'auraient donc pas dû être condamnés aux dépens. Ils ajoutent que, dans ses motifs, le juge Rouleau ne mentionne Jeannie Marie Jewell qu'une seule fois, soit lorsqu'il déclare ne pas avoir compétence pour accorder la réparation demandée à l'égard de celle-ci, c'est-à-dire lui ordonner de ne pas entrer dans les bureaux ou les autres immeubles de la Bande.

[22]            Il va sans dire que l'adjudication des dépens relève du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes et qu'un tribunal d'appel acceptera rarement de modifier une décision de cette nature. Je signale que les intimés ont consenti très tôt dans le cadre du contrôle judiciaire à ne pas contester le fait que Victor Marie et Norman Starr agissent respectivement comme chef et conseiller de la bande. Or, le chef a activement participé au présent litige l'opposant aux intimés. Mme Jewell a elle aussi participé activement à l'instance. La Cour n'est pas justifiée en l'espèce de modifier l'adjudication des dépens effectuée par le juge des requêtes.


[23]            Malgré les éloquentes observations présentées par Mme Jewell pour le compte des appelants, l'appel devrait être rejeté avec dépens.

                                                                              « Marshall Rothstein »                   

                                                                                                             Juge                                 

« Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris aux présents motifs

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         A-244-03

INTITULÉ :                                                        VICTOR MARIE et al.

c.

MELVIN WANDERINGSPIRIT et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           Le 1er octobre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                                       LE JUGE ROTHSTEIN

Y ONT SOUSCRIT :                                                     LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                                                  Le 20 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Jeannie Marie Jewell (appelante)

POUR LES APPELANTS

Christopher Harvey

POUR LES INTIMÉS

Ian Blackstock

POUR LES INTIMÉS

Neil J. Duboff

POUR ROYAL TRUST

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mackenzie Fujisawa

Vancouver (C.-B.)

POUR LES INTIMÉS

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Yellowknife (T.N.-O.)

POUR LES INTIMÉS


Date : 20031020

Dossier : A-244-03

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 OCTOBRE 2003

CORAM :                   LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                                                                                   

VICTOR MARIE, chef incontesté, et NORMAN STARR,

membre incontesté du conseil de bande dûment élu, et

JEANNIE MARIE JEWELL, agissant à titre de

gestionnaire intérimaire de la bande

                                                                                                   appelants

et

MELVIN WANDERINGSPIRIT, DELPHINE BEAULIEU,

TONI HERON, RAYMOND BEAVER et SONNY MCDONALD,

en leur qualité de CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION

SALT RIVER no 195, élus le 30 août 2002

                                                                                                       intimés

                                              JUGEMENT

L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                              « Marshall Rothstein »                   

                                                                                                             Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


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