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Date: 19990112


Dossier: A-597-97

Coram:      LE JUGE PRATTE

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY

Entre :

     BANQUE ROYALE DU CANADA

     Partie appelante

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     -et-

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL (Revenu Canada)

     Partie intimée

     -et-

     GROUPE L.M.B. EXPERTS CONSEILS (1992) INC.

     -et-

     REMILLARD MOQUIN NADEAU INC.

     Mis en cause en première instance

     Audience tenue à Québec (Québec) le mercredi, 16 décembre 1998.

     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le mardi, 12 janvier 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE PRATTE

     LE JUGE DESJARDINS


Date: 19990112


Dossier: A-597-97

Coram:      LE JUGE PRATTE

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY

Entre :

     BANQUE ROYALE DU CANADA

     Partie appelante

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     -et-

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL (Revenu Canada)

     Partie intimée

     -et-

     GROUPE L.M.B. EXPERTS CONSEILS (1992) INC.

     -et-

     REMILLARD MOQUIN NADEAU INC.

     Mis en cause en première instance

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]      Dans cet appel d'une décision rendue par la Section de première instance1, il s'agit principalement de décider si deux demandes péremptoires de paiement signifiées à des tiers par Revenu Canada en vertu du paragraphe 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu ("la Loi") ont priorité sur les droits de la Banque appelante, créancière garantie. Celle-ci prétend, en effet, qu'en raison de divers arrangements conclus avec le débiteur fiscal, avec le syndic à la faillite de ce dernier et avec une société s'étant portée acquéreur des comptes recevables du débiteur fiscal avant sa faillite, les créances en cause avaient changé de main et ne se trouvaient plus dans le patrimoine du débiteur fiscal.

[2]      Les circonstances de cette affaire, simplifiées à outrance pour fins de compréhension, sont les suivantes.

[3]      L'Hôtel-Dieu de Roberval et la Ville de Mascouche (ci-après "les débiteurs") doivent, respectivement, des sommes de $44,009.98 et $50,503.03 au Groupe LMB Experts Conseils Inc. (ci-après "le Groupe" ou "le débiteur fiscal"). Le Groupe doit, de son côté, une somme de quelque $390,000.00 à Revenu Canada.

[4]      Le 6 juin 1992, le Groupe vend ses actifs à la société Le Groupe LMB Experts Conseils (1992) Inc. (ci-après "LMB (1992)" ou "l'acheteur"). C'est le contrat D-4. Ce même jour, par convention distincte, le Groupe cède ses comptes recevables ou en confie la gestion pour fins de perception (là est le débat) à LMB (1992). C'est le contrat D-5, auquel la Banque appelante intervient.

[5]      Le 8 juin 1992, le Groupe dépose une cession de biens en vertu de la Loi sur la faillite. Un syndic à la faillite est nommé. Ce même jour, le syndic présente à la Cour supérieure siégeant en faillite une "Requête pour permission de vendre des actifs avant la première assemblée" fondée sur l'article 19 de la Loi sur la faillite. Toujours le 8 juin 1992, la requête est accueillie par le Registraire.

[6]      Le 9 juin 1992, le syndic et LMB (1992) concluent l'entente autorisée par le Registraire relativement à la vente des actifs et à la cession (ou à la gestion) des comptes recevables. C'est le contrat D-11.

[7]      Le 29 septembre 1992, Revenu Canada signifie des demandes péremptoires de paiement à l'Hôtel-Dieu de Roberval et à la Ville de Mascouche. Ces deux débiteurs payent les sommes réclamées les 18 décembre 1992 et 26 novembre 1992 respectivement.

[8]      Le 10 décembre 1993, la Banque appelante dépose en Cour fédérale une "action en jugement déclaratoire et en condamnation de deniers" dans laquelle elle recherche une déclaration à l'effet que les sommes perçues par Revenu Canada l'avaient été illégalement et une ordonnance enjoignant Sa Majesté la Reine et le Ministre du revenu national de lui remettre ces sommes. L'à-propos de cette procédure inusitée n'a pas été remis en question par les défendeurs.

[9]      Le 16 juin 1997, le juge Denault a conclu que les conventions susdites constituaient en réalité, non pas une cession de créances à titre absolu, mais un contrat de gestion de comptes à recevoir:

              En résumé, il ressort de l'analyse de la convention dite de vente de comptes recevables (D-5) intervenue le 6 juin 1992, à l'origine de la convention entre le syndic et LMB (1992) (D-11) après l'approbation du registraire de faillite, et de la façon dont on l'a qualifiée, bref des circonstances entourant cette convention, qu'il ne s'agissait pas d'une vente de comptes recevables, à titre absolu, mais bien d'un contrat de gestion de comptes à recevoir. Il n'y a donc pas eu dépossession du patrimoine de Groupe LMB, qui est demeuré un débiteur fiscal au sens de la Loi.         
              [Supra, note 1 à la p. 225]         

[10]      Les parties s'entendent pour dire que s'il s'agit d'une cession de créances à titre absolu, le paragraphe 224(1.2) de la Loi ne trouve pas application, les créances en litige à l'endroit de l'Hôtel-Dieu de Roberval et de la Ville de Mascouche se retrouvant, non plus dans le patrimoine du "débiteur fiscal", le Groupe, mais dans celui de l'acheteur des créances, LMB (1992).

[11]      La conclusion à laquelle en est arrivé le juge Denault est, à mon avis, la bonne.

[12]      L'appelante a beau soutenir que les termes des contrats D-5 et D-11 étaient clairs et exprimaient l'intention commune des parties de conclure une convention de vente de comptes recevables, tel n'est pas le cas. S'il est exact que la nature d'un contrat est déterminée par son contenu et non par la qualification juridique que lui ont donnée les parties et que le juge a eu tort de s'appuyer sur les mots utilisés par des tiers ("contrat de gestion de comptes à recevoir") pour qualifier ainsi le contrat, il n'en reste pas moins que la seule raison qu'invoque l'appelante pour affirmer que l'intention commune des parties est claire est le fait que les parties ont elles-mêmes qualifié leur convention de "vente de comptes recevables". Or, dès lors qu'on fait abstraction de cette qualification qui, je l'ai dit, n'est pas déterminante, il devient évident que les contrats n'ont pas la clarté que leur prête l'appelante.

[13]      Ainsi, par exemple, le fait que le prix de la prétendue cession s'exprime en termes de "valeur de réalisation" " ce qui suppose qu'il n'y aura pas de prix, donc pas de vente, s'il n'y a pas de perception " , le fait que le prix soit un pourcentage du montant perçu, le fait que le soi-disant acheteur des créances s'engage à remettre au vendeur les créances non perçues dans les six mois de la date du contrat, pour la somme de un dollar et autres considérations et le fait que le soi-disant acheteur fasse assumer par la Banque, créancière du vendeur, tous les frais juridiques associés au recouvrement des créances portent à conclure que cette prétendue cession est bien davantage conclue dans l'intérêt du vendeur ou du syndic ou de la Banque que dans l'intérêt de l'acheteur. Lorsqu'on examine le contrat en fonction non pas des mots qu'il utilise mais des effets qu'il produit, lesquels trahissent autant qu'ils traduisent l'intention réelle des parties, on ne peut que conclure qu'il s'agit d'un contrat de gestion de comptes recevables.

[14]      Cette conclusion suffit à disposer de l'appel.

[15]      Les intimés, dans leur défense, ont soulevé deux moyens additionnels, au cas d'échec de leur moyen principal.

[16]      Le premier vise le défaut de signification de la cession de créances, le second, le fait que la Banque plaide essentiellement au nom d'autrui.

[17]      En ce qui a trait à la signification, les intimés ont plaidé, et le juge de première instance leur a donné raison sur ce point, que la cession ne leur était pas opposable parce qu'elle ne leur avait pas été signifiée. C'est là une interprétation erronée de l'article 1571 du Code civil du Bas-Canada. Ce que cet article exige, c'est la signification au débiteur, pas aux tiers. Cela dit, la Banque n'ayant ni allégué dans sa déclaration ni prouvé qu'il y avait eu signification aux débiteurs ou acceptation par ces derniers de la cession au sens de l'article 1571, son action, pour ce seul motif, aurait pu échouer, l'article en question stipulant que l'acheteur d'une créance n'a pas, dans ces circonstances, "de possession utile à l'encontre des tiers".

[18]      En ce qui a trait à l'argument relatif à la plaidoirie au nom d'autrui, cet argument ne semble pas avoir été débattu en première instance et il ne l'a pas été devant nous. Il est difficile de voir comment la Banque appelante aurait pu le contrer. En effet, s'il s'agit d'une cession de créances dûment signifiée aux deux débiteurs, ces derniers avaient payé Revenu Canada par erreur et la Banque en réalité poursuivait Revenu Canada au nom d'autrui en répétition d'indu.

[19]      L'appel devrait en conséquence être rejeté avec dépens.

     "Robert Décary"

     j.c.a.

"Je suis d'accord.

     Louis Pratte, j.c.a."

"J'y souscris.

     Alice Desjardins, j.c.a."

__________________

1      Banque Royale du Canada v. Canada (1997), 133 F.T.R. 217.

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