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Date : 19991116


Dossier : A-689-95

CORAM :      LE JUGE DÉCARY
         LE JUGE ROBERTSON
         LE JUGE NOËL

ENTRE :


     SA MAJESTÉ LA REINE

     appelante

     - et -

     PINOT HOLDINGS LTD.

     (ANCIENNEMENT CAPOZZI ENTERPRISES LTD.)

     intimée


     JUGEMENT


     L'appel est accueilli avec dépens devant la présente Cour et devant le tribunal inférieur, la décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt est rejeté.

                                     " Robert Décary "

    

                                         JUGE


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.






Date : 19991116


Dossier : A-689-95

CORAM :      LE JUGE DÉCARY
         LE JUGE ROBERTSON
         LE JUGE NOËL

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE

     appelante

     - et -

     PINOT HOLDINGS LTD.

     (ANCIENNEMENT CAPOZZI ENTERPRISES LTD.)

     intimée


     Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 29 octobre 1999

     Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 16 novembre 1999


MOTIFS DU JUGEMENT PAR :      LE JUGE NOËL

SOUSCRIVENT À CES MOTIFS :      LE JUGE DÉCARY

     LE JUGE ROBERTSON






Date : 19991116


Dossier : A-689-95


CORAM :      LE JUGE DÉCARY
         LE JUGE ROBERTSON
         LE JUGE NOËL

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE

     appelante

     - et -

     PINOT HOLDINGS LTD.

     (ANCIENNEMENT CAPOZZI ENTERPRISES LTD.)

     intimée


     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE NOËL


[1]      Il s'agit d'un appel formé par Sa Majesté contre une décision de la Cour canadienne de l'impôt accueillant en partie l'appel de l'intimée concernant une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national pour l'année d'imposition 19871.

[2]      La seule question dont était saisie la Cour de l'impôt était de savoir si l'intimée, en cédant des biens à une société de personnes (les biens Capri) et en effectuant les choix appropriés, avait droit au report d'impôt prévu par le paragraphe 97(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). Pour ce qui a trait aux montants choisis, aucun impôt ni aucune récupération n'était exigible par suite de cette cession dans la mesure où l'intimée n'avait reçu aucune contrepartie au-delà "d'une participation dans la société de personnes ".

[3]      Dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1987, l'intimée, s'appuyant sur le paragraphe 97(2), a estimé qu'elle n'avait pas d'impôt ou de récupération à payer. Le ministre n'a pas été du même avis et a établi une nouvelle cotisation au motif que l'intimée avait reçu une contrepartie de 13,5M $ au-delà de sa participation dans la société de personnes. En appel, la Cour de l'impôt a statué que l'intimée avait reçu une contrepartie en argent de 6,75M $ plutôt que de 13,5M $ et a donc accueilli l'appel à hauteur de 50 %.

Faits

[4]      Dans ses motifs, le juge de la Cour de l'impôt a énoncé les faits pertinents de la façon suivante :

     1.      L'appelante, Pinot Holdings Ltd., anciennement Capozzi Enterprises Ltd., est une compagnie qui a été constituée en vertu des lois de la Colombie-Britannique.
     2.      L'appelante était propriétaire de certains biens immeubles, dont un hôtel et un centre commercial, tous situés à Kelowna, en Colombie-Britannique (les " biens Capri ").
     3.      L'appelante était endettée envers la Banque de Montréal en vertu de trois hypothèques sur les biens Capri totalisant 13 500 000 $, était en défaut à cet égard et avait désespérément besoin d'un nouveau financement.
     4.      Le 8 novembre 1986, l'appelante et Mannai Investment Corporation Ltd. ont signé une lettre d'intention en vue de la constitution d'une société de personnes entre deux nouvelles corporations qu'elles devaient créer et en vue de la cession des biens Capri, par l'appelante à la société, pour 13 500 000 $.
     5.      La lettre d'intention établissait également que la nouvelle corporation créée par Mannai Investment Corporation Ltd. devait prêter à la société de personnes 5 000 000 $ sans intérêt, et que la société de personnes emprunterait 10 000 000 $ à un établissement financier, ce prêt de 10 000 000 $ devant être garanti par une hypothèque sur les biens Capri. La lettre d'intention prévoyait en outre que les 15 000 000 $ seraient utilisés comme suit : la société de personnes achèterait les biens Capri à l'appelante pour 13 500 000 $ et affecterait les 1 500 000 $ restants à la rénovation des bien Capri.
     6.      Avant le 30 janvier 1987, une compagnie appelée 312894 B.C. Ltd. (la " 312894 ") a été constituée et a acquis toutes les actions de l'appelante, et Mannai Investment Corporation Ltd. a constitué une compagnie appelée Mannai Properties Inc. (" Mannai ").
     7.      Le 30 janvier 1987, Mannai, l'appelante et la 312894 ont conclu un contrat de société en vertu des lois de la Colombie-Britannique en vue de détenir et d'exploiter les biens Capri.
     8.      Le 30 janvier 1987, la société de personnes a conclu une convention d'achat-vente afin d'acheter les biens Capri à l'appelante pour 13 500 000 $, la date de clôture étant le 25 février 1987.
     9.      En vertu de cette convention d'achat-vente, la société de personnes a convenu de payer le prix d'achat de 13 500 000 $ au cabinet d'avocats Salloum Doak, en fiducie, somme devant être versée à la Banque de Montréal, soit le créancier de l'appelante avant la création de la société de personnes, lorsque le titre libre sur les biens Capri serait enregistré au nom de la société de personnes.
     10.      Le 30 janvier 1987, la société de personnes a conclu une convention de prêt avec Mannai pour emprunter 5 000 000 $, qui devait être versée (sic) à la société à une date mutuellement convenue entre elle et Mannai.
     11.      Le 10 février 1987, la société de personnes a conclu une convention avec la Banque HongKong du Canada pour emprunter 10 000 000 $, garantie, entre autres, par une hypothèque sur les biens Capri.
     12.      Le 26 févier 1987, l'hypothèque de la Banque HongKong du Canada a été enregistrée sur les biens Capri, et le produit de ce prêt, avec les 3 500 000 $ du prêt de Mannai, soit un total de 13 500 000 $, a été avancé à Salloum Doak en fiducie conformément à la convention d'achat-vente.
     13.      Le 27 février 1987, Salloum Doak a versé les 13 500 000 $ à la Banque de Montréal en paiement intégral des hypothèques que celle-ci détenait alors sur les biens Capri.
     14.      L'appelante et les autres membres de la société de personnes ont fait conjointement un choix selon le formulaire T-2059, conformément au paragraphe 97(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), à l'égard de la cession des biens Capri à la société de personnes. Les montants choisis pour chaque bien amortissable équivalaient à la fraction non amortie du coût en capital du bien pour l'appelante, et le montant choisi pour chaque bien en immobilisation non amortissable équivalait au prix de base rajusté du bien pour l'appelante. Conformément à la convention de prêt conclue avec Mannai (paragraphe 10 ci-dessus), le 25 février 1987 ou vers cette date, Mannai a prêté 5 000 000 $ à la société de personnes, dont 3 500 000 $ ont été avancés comme il est dit au paragraphe 12.
     15.      Conformément au contrat de société, les participations des associés dans la société étaient les suivantes : l'appelante, 5 p. 100 ; la corporation mère de l'appelante, soit 312894, 45 p. 100 ; Mannai, 50 p. 100.
     16.      Le ministre a établi un avis de nouvelle cotisation en date du 29 août 1991 pour l'année d'imposition de l'appelante se terminant le 31 décembre 1987, soit 1 374 221,20 $ d'impôt fédéral, 329 428,11 $ de pénalité pour production tardive, 563 592,25 $ d'impôt provincial et de pénalité et 1 271 315,73 $ d'arriérés d'intérêts. Le ministre a accru le revenu de l'appelante pour 1987 en incluant 3 716 895 $ pour la récupération de la déduction pour amortissement et en augmentant le gain en capital imposable de l'appelante de 977 435 $, dans les deux cas relativement à la cession, par l'appelante à la société de personnes, des biens Capri. Dans la nouvelle cotisation, le ministre n'a pas tenu compte des montants choisis sur le formulaire T-2059 produit au nom des membres de la société de personnes au titre de la cession des biens Capri, se basant plutôt sur le fait que l'appelante avait eu un produit de disposition des biens Capri de 13 500 000 $ au total.2 (non souligné dans l'original)

Dispositions législatives

[5]      La règle fondamentale énoncée dans la Loi est la suivante : les biens cédés à une société de personnes par un membre de celle-ci sont réputés avoir été acquis par la société de personnes à un prix égal à leur juste valeur marchande et l'associé est réputé en avoir disposé et en avoir tiré un profit égal à cette juste valeur marchande :

97(1) Where at any time after 1971 a partnership has acquired property from a taxpayer who was, immediately after that time, a member of the partnership, the partnership shall be deemed to have acquired the property at an amount equal to its fair market value at that time and the taxpayer shall be deemed to have disposed of the property for proceeds equal to that fair market value.

97(1) Lorsque, à une date quelconque après 1971, une société a acquis des biens d'un contribuable qui, immédiatement après cette date, faisait partie de la société, cette dernière est réputée les avoir acquis à un prix égal à leur juste valeur marchande à cette date et le contribuable est réputé en avoir disposé et en avoir tiré un produit égal à cette juste valeur marchande.

[6]      Toutefois, la Loi prévoit que les biens peuvent également être cédés à une société de personnes en ayant recours aux dispositions de " report d'impôt " dont il est question à l'article 85 de la Loi :

97(2) Notwithstanding any other provision of this Act, ... where at any time after November 12, 1981 a taxpayer has disposed of any capital property ... to a partnership that immediately after that time was a Canadian partnership of which the taxpayer was a member, if the taxpayer and all the other members of the partnership have jointly so elected in prescribed form and within the time referred to in subsection 96(4), the following rule apply:

     (a) the provision of paragraphs 85(1)(a) to (f) apply to the disposition as if
     (i) the reference therein to "corporation's cost" were read as a reference to "partnership's cost",
     (ii) the references therein to "other than any shares of the capital stock of the corporation or a right to receive any such share" and to "other than shares of the capital stocks of the corporation or a right to receive any such shares" were read as references to "other than an interest in the partnership",
     (iii) the references therein to "shareholder of the corporation" were read as references to "member of the partnership",
     (iv) the references therein to "the corporation" were read as references to "all the other members of the partnership", and
     (v) the references therein to "to the corporation" were read as references "to the partnership";"

97(2) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, [...] lorsque, à une date quelconque après le 12 novembre 191, un contribuable a disposé d'un de ses biens en immobilisation [...] en faveur d'une société qui, immédiatement après cette date, était une société canadienne dont le contribuable était membre, et que le contribuable et tous les autres membres de la société ont fait conjointement un choix à cet égard selon le formulaire prescrit et dans le délai mentionné au paragraphe 96(4), les règles suivantes s'appliquent :

     a) les alinéas 85(1)a) à f) s'appliquent à la disposition comme si un renvoi à
     (i) " pour la corporation " était interprété comme étant un renvoi à " pour la société ",
     (ii) " autre que toutes actions du capital-actions de la corporation ou un droit d'en recevoir " était interprété comme étant un renvoi à " autre qu'une participation dans la société ",
     (iii) " actionnaire de la corporation " était interprété comme étant un renvoi à " membre de la société ",
     (iv) " la corporation " était interprétée comme étant un renvoi à " tous les autres membres de la société ", et
     (v) " à la corporation " était interprété comme étant un renvoi à " à la société ";

[7]      Une fois que les adaptations nécessaires sont faites, les alinéas pertinents du paragraphe 85(1) disposent en effet de la façon suivante :



(a) the amount that the taxpayer and all the other members of the partnership have agreed on in their election in respect of the property shall be deemed to be the taxpayer's proceeds of disposition of the property and the partnership's cost of the property;

(b) subject to (c), where the amount that the taxpayer and the other members of the partnership have agreed on in their election in respect of the property is less than the fair market value, at the time of the disposition, of the consideration therefor (other than an interest in the partnership) received by the taxpayer, the amount so agreed on shall, irrespective of the amount actually so agreed on by them, be deemed to be an amount equal to that fair market value; ...

a) la somme convenue sur laquelle le contribuable et tous les autres membres de la société ont fait conjointement un choix à cet égard est réputée être, pour le contribuable, le produit de disposition et, pour la société, le coût du bien ;

b) sous réserve de l'alinéa c), lorsque la somme convenue entre le contribuable et tous les autres membres de la société, dans leur option, relativement au bien, est inférieure à la juste valeur marchande, à la date de la date de la disposition, de la contrepartie de la disposition (autre qu'une participation dans la société), reçue par le contribuable la somme ainsi convenue est, quel qu'en soit le montant effectivement convenu entre eux, réputée être une somme égale à cette juste valeur marchande; [...]

Décision de la Cour de l'impôt

[8]      Le juge de la Cour de l'impôt a refusé de ne pas tenir compte de la convention d'achat-vente en vertu de laquelle les biens Capri ont été cédés à la société de personnes. L'intimée avait instamment demandé au juge de la Cour de l'impôt d'ignorer cette convention alléguant qu'elle avait été imposée aux parties par la Banque HongKong du Canada. Voici ce que le juge de la Cour de l'impôt déclare à ce sujet :

     Certes, intituler un document " Convention d'achat-vente " ne qualifie pas nécessairement un tel document, mais je constate qu'un autre document intitulé " Convention relative aux frais ", apparemment signé le 30 janvier 1987 et seulement par la société de personnes et Mannai, renferme un " attendu " qui se lit comme suit :
         [TRADUCTION]
         les parties aux présentes ont conclu un contrat de société le 30 janvier 1987, soit la date de prise d'effet de la société, qui pourra de temps à autre être différée jusqu'à ce que l'achat des actions de la société soit enregistré.
     Encore une fois, j'estime qu'en soi ces conventions ne règlent pas la question, mais on ne peut totalement éviter d'en tenir compte en cherchant à déterminer l'essence de l'opération.3 (non souligné dans l'original)

[9]      Le juge de la Cour de l'impôt a ensuite analysé l'opération en la replaçant dans son contexte. Il déclare ceci :

     Selon moi, il faut examiner le tableau dans son ensemble, c'est-à-dire la situation existant avant et après la conclusion du contrat de société et l'avance de fonds. Avant le contrat de société et les nouveaux prêts de Mannai et de la Banque HongKong du Canada, soit des prêts consentis à la société de personnes, l'appelante était la seule débitrice de la Banque de Montréal, pour un montant de 13 500 000 $, et la seule propriétaire des biens Capri. Après le contrat de société et les nouveaux prêts et l'avance de fonds à la Banque de Montréal, l'appelante n'était plus endettée envers cette banque et n'était plus la seule propriétaire des biens Capri ; par l'intermédiaire de la société de personnes, l'appelante et sa corporation mère détenaient ensemble 50 p. 100 des biens Capri, et Mannai, 50 p. 100 également. À mon avis, cela diffère notablement d'un refinancement, dans lequel un établissement financier prend la place d'un autre.4 (non souligné dans l'original)

[10]      Il poursuit ensuite pour conclure que l'intimée avait effectivement reçu, en plus d'une participation dans la société de personnes, 6 750 000 $, plutôt que 13 500 000 $ :

     En raison de ce qui précède, je conclus que, pour la cession des biens Capri à la société de personnes, l'appelante a bien reçu quelque chose de plus qu'une simple participation dans la société de personnes. En effet, celle-ci a avancé un montant de 13 500 000 $ à l'appelante, que cette dernière a utilisé pour payer sa dette envers la Banque de Montréal. Donc, à mon avis, le paragraphe 97(1) est applicable et le paragraphe 97(2) ne l'est pas, car l'appelante a reçu davantage qu'une participation dans la société de personnes, ce qui fait qu'on ne peut se prévaloir des dispositions de roulement des alinéas 85(1)a) à f). Selon moi, toutefois, comme l'appelante et sa corporation mère étaient responsables dans une proportion de 50 p. 100 au titre des nouveaux prêts, il y a eu un refinancement dans cette mesure. Donc, ce que l'appelante a reçu en contrepartie de la cession des biens Capri, en plus d'une participation dans la société de personnes, c'était 50 p. 100 de 13 500 000 $, soit 6 750 000 $, et c'est ce dernier montant, plutôt que le montant de 13 500 000 $ utilisé par le ministre, qui représente le produit de la disposition des biens Capri.5 (non souligné dans l'original)

[11]      Le juge de la Cour de l'impôt a donc ordonné au ministre d'établir une nouvelle cotisation en conséquence, d'où le présent appel.


Concession préliminaire

[12]      L'appelante et l'intimée conviennent toutes deux que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en statuant que le paragraphe 97(1) était la disposition applicable. L'intimée et ses associés ont fait le choix prévu au paragraphe 97(2), et c'est donc cette disposition qui régit l'opération. En vertu du paragraphe 97(2), le coût des biens cédés à la société de personnes et le produit versé au cédant sont réputés être un montant égal à la somme convenue. Cette présomption s'applique à moins que le cédant reçoive une contrepartie ayant une juste valeur marchande plus élevée que la somme convenue, auquel cas le coût pour la société de personnes et le produit versé au cédant sont réputés être une somme égale à la valeur de la contrepartie que le cédant a réellement reçue. La question dans le présent appel porte donc sur le montant de la contrepartie touchée par l'intimée au moment de la cession des biens Capri à la société de personnes.

Position des parties

[13]      L'appelante fait valoir que, d'après la preuve et, en fait, conformément aux propres conclusions de la Cour de l'impôt, l'intimée a reçu 13 500 000 $ au moment de la cession des biens Capri à la société de personnes. Selon l'appelante, il n'était pas loisible au juge de la Cour de l'impôt de réduire cette contrepartie parce qu'une partie de celle-ci pouvait être considérée comme ayant été reçue par l'intimée dans le cadre d'une opération de refinancement.

[14]      L'intimée soutient pour sa part que la conclusion du juge de la Cour de l'impôt selon laquelle il y a eu un refinancement de 50 % des biens Capri et que, par suite de ce refinancement, la contrepartie payée à l'intimée en vertu de la convention d'achat-vente a été de 6 750 000 $ plutôt que de 13 500 000 $ est une conclusion mixte de fait et de droit qui ne devrait pas être infirmée à la légère6. L'intimée prétend que le refinancement n'a pas été partiel, mais complet et que, d'après une analyse appropriée, le juge de la Cour de l'impôt n'aurait dû tenir aucun compte de la convention d'achat-vente, et elle affirme qu'elle n'a reçu aucune contrepartie autre que la participation dans la société de personnes7.

Analyse et décision

[15]      Il ne fait aucun doute que le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de statuer que l'opération a eu lieu dans le cadre d'une opération de refinancement. Il ne fait pas de doute non plus, toutefois, que dans le cadre de cette opération, la totalité de la participation de l'intimée dans les biens Capri a été cédée à la société de personnes en vertu des conditions de la convention d'achat-vente. Le juge de la Cour de l'impôt a reconnu ces faits, mais il a réduit la contrepartie versée en vertu de la convention de 50 % parce que, d'après son interprétation de la question, l'intimée demeurait responsable de 50 % des nouveaux prêts. La question essentielle dans le présent appel est de décider si la contrepartie payée en vertu de la convention d'achat-vente peut être réduite pour les fins du paragraphe 97(2) en s'appuyant sur le raisonnement du juge de la Cour de l'impôt.

[16]      Le juge de la Cour de l'impôt a expressément exclu l'application du paragraphe 97(2) et a réglé l'affaire en s'appuyant sur le paragraphe 97(1). Pour ce qui a trait aux prescriptions du paragraphe 97(1), il semble que le juge ait été d'avis que seule la moitié de la valeur des biens Capri pouvait être considérée comme ayant été reçue par l'intimée, de la société de personnes (et selon toute présomption payée par elle), parce que l'intimée a conservé une participation de 50 % dans les biens Capri grâce à sa participation dans la société de personnes (et à celle de sa société mère) et qu'elle est demeurée responsable de la moitié des prêts.

[17]      Je n'ai pas besoin de me prononcer sur la justesse de cette opinion, bien qu'elle semble ignorer l'existence distincte de la société de personnes pour les fins du calcul du revenu et en particulier pour les fins de l'alinéa 96(1)c) qui exige que le revenu imposable soit calculé en tenant ce qui suit pour acquis :

(c) each partnership activity (including the ownership of property) were carried on by the partnership as a separtate person, and a computation were made of the amount of

     (i) each taxable capital gain and allowable capital loss of the partnership from the disposition of property, and
     (ii) each income and loss of the partnership from each other source or from sources in a particular place,

for each taxation year of the partnership;

c) chaque activité de la société (y compris une activité relative à la propriété de biens) était exercée par celle-ci en tant que personne distincte, et comme si était établi le montant

     (i) de chaque gain en capital imposable et de chaque perte en capital déductible de la société, découlant de la disposition de biens, et
     (ii) de chaque revenu et perte de la société afférents à chacune des autres sources ou à des sources situées dans un endroit donné,

pour chaque année d'imposition de la société ;

     (non souligné dans l'original)


[18]      Il est incontestable en l'espèce que l'intention des associés était de céder à la société de personnes la totalité des biens Capri :

         [TRADUCTION]
         Il appartient aux associés de déterminer, en en convenant entre eux-mêmes, ce qui sera la propriété de la société (et le montant de leur intérêt à titre de bénéficiaire entre eux) et ce qui sera la propriété distincte de l'un ou plusieurs d'entre eux [...]8 (non souligné dans l'original)

[19]      Étant donné que la totalité des biens Capri a été cédée à la société de personnes9, il s'ensuit à mon avis que la totalité de la valeur de ces biens doit également être considérée comme ayant été payée par la société de personnes et reçue par l'intimée pour les fins du paragraphe 97(1). Il en est ainsi même si, selon l'opinion du juge de la Cour de l'impôt sur ce point, l'intimée a conservé une participation de 50 % dans ces biens et est demeurée responsable du remboursement de 50 % des nouveaux prêts.

[20]      Même si le juge de la Cour de l'impôt a tranché l'affaire en s'appuyant sur le paragraphe 97(1), on peut constater d'après ses motifs qu'il aurait conclu que la moitié (50 %) seulement de la somme versée par la société de personnes pour les biens Capri pouvait être considérée comme une " contrepartie " en vertu du paragraphe 97(2) s'il avait examiné cette disposition.

[21]      Je souligne que la décision du juge de la Cour de l'impôt n'est pas fondée sur l'existence d'un trompe-l'oeil ou sur une conclusion que les associés ont d'une façon ou d'une autre camouflé la véritable nature de l'opération. Il déclare dans son résumé des faits pertinents que l'intimée a cédé la totalité de sa participation dans les biens Capri à la société de personnes et qu'elle a reçu en retour 13 500 000 $10. Le juge de la Cour de l'impôt a également conclu que ce montant, dès qu'il a été payé, a été remis à la Banque de Montréal afin de rembourser les hypothèques en souffrance de l'intimée et de libérer le titre des biens Capri devant être enregistrés au nom de la société de personnes11. Il ne fait donc aucun doute, d'après les propres conclusions du juge de la Cour de l'impôt, que le montant de 13 500 000 $ a été versé à l'intimée par la société de personnes à titre de paiement pour les biens Capri et que l'opération était authentique à tous égards.

[22]      Néanmoins, le juge de la Cour de l'impôt a jugé approprié d'ignorer la moitié de la contrepartie en estimant qu'au bout du compte les biens Capri avaient été refinancés jusqu'à hauteur de 50 %. À cet égard, l'intimée prétend que le juge de la Cour de l'impôt avait le droit d'aller au-delà des apparences de la société de personnes et soutient en fait qu'une partie de la contrepartie qu'elle a reçue a conservé son caractère de produit d'un prêt12. À l'appui de sa prétention, l'intimée rappelle à la Cour qu'une société de personnes n'a pas d'existence distincte en droit et que, par conséquent, un prêt à la société de personnes peut être considéré comme un prêt aux associés13.

[23]      Il ne fait aucun doute que cela est exact d'après la common law et les lois provinciales qui régissent de façon générale les sociétés de personnes, mais la suggestion selon laquelle, pour les fins fiscales, les montants déboursés par une société de personnes à même les fonds empruntés pour l'exécution d'une obligation qui incombe à l'un de ses associés conservent leur caractère de produit d'un prêt est, à mon avis, totalement sans fondement. Bien qu'en droit une société de personnes ne soit pas une entité distincte, l'alinéa 96(1)c), auquel j'ai fait allusion ci-dessus, exige que la société de personnes calcule son revenu comme si elle était une personne morale distincte. Il s'ensuit nécessairement que le caractère juridique des montants payés par une société de personnes à un associé est fonction de l'obligation qui est exécutée, abstraction faite de la façon dont le paiement est financé14. Cela est vrai de tout paiement ayant trait au calcul des sommes visées par l'alinéa 96(1)c)15.

[24]      À mon avis, il n'était pas loisible au juge de la Cour de l'impôt en l'espèce d'aller au-delà de l'opération telle qu'elle a été comprise par l'intimée et ses associés et de la modifier à la lumière de sa perception de la réalité économique de l'opération16. Quand les parties à un contrat en viennent à une entente et qu'il n'y a pas de doute que celle-ci reflète exactement leur volonté, il n'y a pas de fondement qui permette de ne pas tenir compte de cette entente. Tout comme le juge de la Cour de l'impôt ne pouvait pas ignorer la convention d'achat-vente parce qu'elle reflétait ce qui c'était réellement passé entre les parties, il ne lui était pas loisible de modifier la contrepartie convenue et versée en vertu de cette convention en s'appuyant sur sa perception de la " réalité " de l'opération. À cet égard, les propos tenus par lord Wright dans le cadre de son analyse de la relation contractuelle qui liait le duc de Westminster à ses domestiques demeurent tout à fait justes sur le plan du droit :

         [TRADUCTION]
         Et ce que l'effet juridique des relations entre les parties contractantes doit déterminer, pour les fins fiscales, c'est la nature des paiements effectivement versés [...] Et une fois qu'il est admis que l'acte est un document authentique, à mon avis, il n'y a pas lieu d'utiliser l'expression " en substance ". Ou, plus exactement, c'est la nature véritable de l'obligation légale et rien d'autre qui est " la substance ".17


[25]      Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel avec dépens devant la présente Cour et devant le tribunal inférieur, d'infirmer la décision du juge de la Cour de l'impôt et de rejeter l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt.

                                             " Marc Noël "

    

                                                 JUGE

" Je souscris à ces motifs,

     Robert Décary, juge "

" Je souscris à ces motifs,

     Joseph T. Robertson, juge "




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

DIVISION D'APPEL


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                      A-689-95


INTITULÉ DE LA CAUSE :              Sa Majesté la Reine c. Pinot Holdings Ltd.
                                 et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 29 octobre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : (les juges Décary, Robertson et Noël)


DATE :                          le 16 novembre 1999



ONT COMPARU :

Brent Paris

Elizabeth Junkin                                  POUR L'APPELANTE

Rosemarie Wertschek                              POUR L'INTIMÉE


PROCUREURS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Morris Rosenberg                                  POUR L'APPELANTE

Sous-procureur général du Canada

McCarthy Tétrault                                  POUR L'INTIMÉE

Vancouver (C.-B.)

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1      La décision est maintenant publiée à 96 D.T.C. 1277.

2      Ibid., page 1278.

3          Précité, note 1, page 1281.

4      Ibid., page 1282.

5      Ibid.

6      Les arrêts Succession Stein et al. c. Le navire " Kathy K " et al., [1976] 2 R.C.S. 802, et Joseph R. Dundas c. La Reine, [1995] 1 C.T.C. 184 (C.A.F.) sont cités à cet égard.

7      Cette affirmation a été faite par l'intimée qui s'appuie sur le fait qu'en vertu de la convention de prêt elle était solidairement responsable des nouveaux prêts et, par conséquent, qu'elle demeurait tenue au remboursement de la totalité de la dette refinancée et non pas seulement de la moitié, comme le juge de première instance semble l'avoir présumé dans son raisonnement. (Voir les paragraphes 26 à 39 du mémoire des faits et du droit de l'intimée.) Pour sa part, l'appelante signale que le juge de la Cour de l'impôt, en statuant qu'il y avait eu refinancement à hauteur de 50 %, n'a pas tenu compte de l'existence distincte de l'intimée et de la société mère et que, s'il avait effectué une analyse appropriée, il aurait dû statuer qu'il y avait eu un refinancement de 5 %. (Voir les paragraphes 48 à 51 du mémoire des faits et du droit de l'appelante.)

8      Lindley on the Law of Partnership, 15e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1984), page 496.

9      Le juge de la Cour de l'impôt en a conclu ainsi dans son résumé des faits pertinents. Voir le point 9 cité au paragraphe 4 des présents motifs.

10      Voir les points 8 et 9 du résumé des faits pertinents du juge de la Cour de l'impôt cités au paragraphe 4 des présents motifs.

11      Voir les paragraphes 9, 12 et 13 du résumé des faits pertinents du juge de la Cour de l'impôt cités au paragraphe 4 des présents motifs.

12      Il est bien établi que le décaissement de fonds par le prêteur à l'emprunteur ne peut constituer une " contrepartie " pour les fins fiscales. Voir par exemple Dunkelman c. M.R.N. , 59 D.T.C. 1242, Kenneth B.S. Robertson Ltd. c. M.R.N., 2 D.T.C. 655, Dominion Taxi Cab Association c. M.R.N., 54 D.T.C. 1020, M.R.N. c. Atlantic Engine Rebuilders Limited, 67 D.T.C. 5155 et La Reine c. Imperial General Properties, 85 D.T.C., 5045.

13      Norco Development Ltd. c. La Reine, 85 D.T.C. 5213 et Wildenburg Holdings Limited c. Ministre du Revenu, 98 D.T.C. 6462 sont cités à l'appui de cette proposition.

14      Il suffit de penser aux loyers payés par une société de personnes à même les fonds empruntés à l'un des associés pour les locaux occupés par la société. Il est incontestable que, pour les fins fiscales, ces paiements conservent leur caractère de " loyer ", bien qu'ils soient financés par des emprunts.

15      Cela comprendrait le calcul des gains en capital, des pertes en capital, des pertes autres qu'en capital, de même que de la récupération d'un excédent d'amortissement sur un bien amortissable qui font partie intégrante du calcul du revenu.

16      Voir la décision récente de la Cour suprême du Canada dans Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] A.C.F. 30, et en particulier les paragraphes 38 à 42.

17      Inland Revenue Commissioners v. Westminster (Duke), [1935] A.C. 1, pages 30 et 31.

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