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Date : 20050120

Dossier : A-176-04

Référence : 2005 CAF 25

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                              BEVERLY BAILEY

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                   intimé

                                    Audience tenue à Toronto (Ontario), le 19 janvier 2005

                                    Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 20 janvier 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                         LE JUGE MALONE


Date : 20050120

Dossier : A-176-04

Référence : 2005 CAF 25

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                              BEVERLY BAILEY

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                   intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance du juge Hershfield (2004 DTC 2322) confirmant la décision du ministre du Revenu national d'inclure la pension alimentaire reçue par l'appelante dans son revenu imposable en vertu de l'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la LIR).


[2]                Il n'est pas nécessaire de répéter les faits qui sont relatés en détail dans la décision faisant l'objet du présent appel. Il suffit de dire que les versements de pension alimentaire en question ont été ordonnés par la Cour supérieure de justice, en conformité avec une offre de règlement qui a été présentée au nom de l'appelante et qui ne tenait pas compte de l'impôt que celle-ci serait tenue de payer.

[3]                L'appelante dit que cette offre de règlement a été présentée par son avocat sans son consentement. Elle avait demandé que les montants [traduction] « soient majorés » afin que l'impôt soit pris en compte. Elle prétend que l'imposition de ces montants a essentiellement pour effet de la priver du soutien que l'ordonnance de la Cour supérieure de justice avait pour objet de lui accorder. Elle prétend en outre qu'interpréter l'alinéa 56(1)b) comme s'il exigeait que les montants soient inclus dans le revenu dans ces circonstances est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte.

[4]                Selon l'appelante, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur, lorsqu'il a rejeté son appel, en privilégiant l'assujettissement à l'impôt des versements de pension alimentaire plutôt que des versements de pension alimentaire nets (paragraphe 1 des motifs).


[5]                Les prétentions de l'appelante soulèvent deux questions :

1.          La Cour de l'impôt a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a décidé que la pension alimentaire reçue par l'appelante devait être incluse dans son revenu même si l'ordonnance de la Cour accordant cette pension alimentaire ne tenait pas compte de l'assujettissement à l'impôt?

2.          Dans la mesure où l'alinéa 56(1)b) exige que la pension alimentaire soit incluse dans le revenu, cela est-il contraire au paragraphe 15(1) de la Charte?

[6]                À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a statué que les montants en cause devaient être inclus dans le revenu de l'appelante. La LIR établit un régime dans le cadre duquel les versements de pension alimentaire au conjoint sont déductibles par la personne qui les fait conformément à l'alinéa 60b) et doivent être inclus dans le revenu de la personne qui les reçoit conformément à l'alinéa 56(1)b). Ces dispositions définissent en termes généraux ce qu'est une pension alimentaire au conjoint, et les versements reçus par l'appelante en l'espèce sont clairement visés par cette définition.

[7]                La Cour suprême du Canada a examiné, dans Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627, la question de savoir si les versements de pension alimentaire pour enfants devraient être inclus dans le revenu lorsque ces versements ne sont pas suffisants pour satisfaire à la répartition pour l'entretien des enfants. Dans cet arrêt, le juge Cory déclare ce qui suit (paragraphe 160) :


Le montant du revenu imposable en vertu des al. 56(1)b) et 60b) est déterminé par le jugement de divorce ou de séparation et, à moins que le régime du droit familial fonctionne mal, le montant de la prestation alimentaire des enfants comprendra les calculs de majoration pour tenir compte de l'impôt que l'ex-conjoint bénéficiaire devra payer sur ce revenu. S'il y a un transfert disproportionné de l'impôt à payer entre les anciens conjoints (comme ce semble être le cas pour Mme Thibaudeau), la responsabilité n'en incombe pas à la Loi de l'impôt sur le revenu, mais au régime du droit de la famille et aux procédures dont résultent les ordonnances alimentaires. Ce régime prévoit des moyens de réexaminer les ordonnances alimentaires qui, par erreur, n'ont pas tenu compte des conséquences fiscales des versements de pension.

[8]                Ce raisonnement s'applique également aux versements de pension alimentaire au conjoint. Le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de décider que la responsabilité concernant les montants manquants aux fins de l'impôt n'incombe pas au régime fiscal. Dans la mesure où l'assujettissement à l'impôt peut faire en sorte que la pension alimentaire est insuffisante pour donner effet aux objectifs pour lesquels elle a été ordonnée, seule la Cour qui a rendu l'ordonnance peut intervenir.

[9]                À cet égard, le dossier révèle qu'en dépit de la prétention de l'appelante la Cour supérieure de justice a statué que celle-ci avait autorisé l'offre de règlement présentée par son avocat et que, en conséquence, elle était liée par cette offre (motifs du jugement de la Cour supérieure de justice du 26 mai 2001, dossier de l'appelante, page 90). C'était à la Cour supérieure de justice de trancher cette question, et le juge de la Cour de l'impôt était tenu d'appliquer l'alinéa 56(1)b) à la pension alimentaire accordée par cette cour à l'appelante.


[10]            En ce qui concerne la deuxième question, je comprends que l'appelante fait valoir que l'alinéa 56(1)b) est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte parce qu'il oblige l'ex-conjoint ayant le revenu le plus bas à se priver de produits de première nécessité afin d'être en mesure de payer l'impôt sur un montant qui a été calculé sans que l'assujettissement à l'impôt soit pris en compte. Selon l'appelante, la pension alimentaire est accordée en raison des besoins fondamentaux et des dépenses quotidiennes de la personne qui la reçoit. En ne tenant pas compte de cela, l'alinéa 56(1)b) n'offre pas à tous la même protection de la loi à tous.

[11]            À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de rejeter cet argument. La Cour suprême du Canada a énoncé, dans Law c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] 1 R.C.S. 497, un critère à trois volets servant à trancher une contestation fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte : la Cour doit d'abord décider si la disposition contestée établit une distinction en raison d'une caractéristique personnelle; elle doit ensuite déterminer si cette distinction est fondée sur l'un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte ou sur un motif analogue; finalement, elle doit décider si ce traitement est discriminatoire et porte atteinte à la dignité de la personne.


[12]            En l'espèce, la disposition contestée n'établit pas une distinction en raison d'une caractéristique personnelle de l'appelante. Comme l'intimé le dit, le niveau de revenu n'est pas considéré comme une caractéristique personnelle. En ce qui concerne le deuxième volet, un motif analogue de discrimination doit être « immuable ou considéré immuable » : Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203. Les tribunaux ont affirmé que le niveau de revenu n'est pas une caractéristique immuable et, par conséquent, n'est pas un motif analogue. Il s'ensuit que le traitement dont l'appelante se plaint ne peut jeter le doute sur la constitutionnalité de l'alinéa 56(1)b).

[13]            Finalement, l'appelante prétend que le sexe a aussi été invoqué comme motif de discrimination et que le juge de la Cour de l'impôt aurait dû traiter de cet argument dans ses motifs.

[14]            Il est difficile de reprocher quoi que ce soit au juge de la Cour de l'impôt à cet égard, car la transcription de l'audience révèle nettement que la demanderesse n'a pas fait valoir cet argument (dossier de l'appelante, transcription, volume 2, pages 181 à 185). De plus, l'appelante ne nous a pas présenté de fondement, factuel ou juridique, sur lequel une contestation fondée sur le sexe pourrait être examinée pour son compte.

[15]            Je rejetterais l'appel, mais sans dépens.

                                                                                      « Marc Noël »                       

                                                                                                     Juge                              

« Je souscris aux présents motifs

Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             A-176-04

INTITULÉ :                                                            BEVERLY BAILEY

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 19 JANVIER 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                           LE 20 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Beverly Bailey                                                   POUR SON PROPRE COMPTE

Arnold H. Bornstein                                                   POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beverly Bailey                                                   POUR SON PROPRE COMPTE

John H. Sims, c.r.                                                      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

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