Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20010704

Dossier : A-333-99

Référence neutre : 2001 CAF 223

CORAM :         LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                                              ANDRÉ ARTHUR

                                                                                                                                           demandeur

ET:

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                            DEMANDE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 28(1)c)

                                              DE LA LOI SUR LA COUR FÉDÉRALE

                               Audience tenue à Montréal (Québec) le vendredi, 22 juin 2001

                                Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le mercredi, 4 juillet 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:                                                         LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT:                                                                                         LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                                LE JUGE NOËL


Date : 20010704

Dossier : A-333-99

Référence neutre : 2001 CAF 223

CORAM :         LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                                              ANDRÉ ARTHUR

                                                                                                                                           demandeur

ET:

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                            DEMANDE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 28(1)c)

                                              DE LA LOI SUR LA COUR FÉDÉRALE

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU


Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Le demandeur qui est un animateur radiophonique versé dans l'animation de tribunes téléphoniques recherche, par le biais de cette procédure, un certain nombre de conclusions relatives à une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Cette décision fut rendue le 29 avril 1999 et porte le numéro (CRTC 99-93).

Par décision de cette Cour rendue le 23 décembre 1999 suite à une demande en radiation de la procédure entreprise, [1999] A.C.F. No.1917 (QL), (1999), 254 N.R. 136, permission d'en appeler à la Cour suprême du Canada refusée le 14 septembre 2000, (2000) C.S.C.R. No.85 (QL), toutes les conclusions recherchées par le demandeur ont été rejetées, à l'exception de la conclusion suivante:

Restreindre la décision du CRTC 99-93, de façon à ce qu'aucun blâme, reproche, critique, plainte, ou toute autre forme de commentaire négatif à l'encontre du demandeur n'y apparaisse.

Plus précisément, cette Cour autorisait la demande de contrôle judiciaire du demandeur à suivre son cours normal sur la seule question suivante:

Y a-t-il eu, en l'espèce, manquement aux principes d'équité procédurale et, si oui, la décision du CRTC doit-elle être modifiée de manière à ce qu'aucun blâme, reproche, critique, plainte, ou toute autre forme de commentaire négatif à l'égard de M. Arthur n'y apparaisse?


La question en litige dans la présente affaire requiert deux analyses successives. Premièrement, il convient de se demander si le CRTC a formulé un blâme, un reproche, une critique ou des commentaires négatifs à l'endroit du demandeur. Une réponse négative à cette interrogation clôt le dossier. Par contre, une réponse affirmative conduit inéluctablement à la deuxième analyse visant à déterminer si la décision qui porte un tel blâme a été prise au terme d'un processus qui respecte les règles d'équité procédurale.

Avant d'aborder la prétention du demandeur et afin de bien camper la problématique, je me dois de faire deux remarques: l'une relative à la portée des principes d'équité procédurale, l'autre, à la compétence du CRTC.

La portée des principes d'équité procédurale

Il est bien connu que la nature et la portée de l'obligation pour un organisme administratif d'agir équitablement varie "en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles l'organisme administratif est confronté ainsi que de la nature des litiges qu'il est appelé à trancher: Therrien (Re), 2001 C.S.C. 35, No. 27004, 7 juin 2001, par. 82. Il est aussi maintenant établi que l'obligation d'agir équitablement comporte essentiellement deux volets: le droit d'être entendu et le droit à une audition impartiale: ibidem.


À l'audience, le procureur du demandeur a prétendu que le CRTC avait agi avec un parti pris à l'encontre de son client. À juste titre, la procureure du défendeur s'est dite surprise de cette allégation et s'est objectée à ce motif de révision puisqu'il n'apparaissait aucunement au Mémoire des faits et du droit du demandeur, ce dernier s'y étant vertement plaint de ne pas avoir été entendu.

Le procureur du demandeur me semble avoir confondu la règle audi alteram partem et le droit de son client à une audition par un tribunal impartial. Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l'encontre d'un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l'intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier. C'est pourquoi ces preuves sont admissibles en dérogation au principe qu'une demande de contrôle judiciaire doit porter sur le dossier tel que constitué devant le tribunal.


Dans la présente affaire, le procureur du demandeur a tenté en vain de soutenir l'allégation de son client en nous référant à certaines pièces documentaires apparaissant au dossier. Je dis en vain car ces pièces n'ont pas la valeur probante que le demandeur voudrait leur voir attribuée. L'interprétation qu'il en fait est indûment subjective et, à la lecture objective qu'il faut en faire, ne trouve pas de fondement dans le contenu même de ces pièces.

La compétence du CRTC

Le procureur du demandeur a également prétendu que, sous le couvert d'une procédure de renouvellement de licence d'un titulaire, le CRTC avait, en fait, engagé des procédures contre le demandeur lui-même. Dans une certaine mesure, cette prétention a aussi servi à soutenir l'allégation de partialité faite à l'endroit du CRTC.

Il est important de rappeler que la compétence du CRTC ne s'exerce pas à l'égard d'animateurs tel le demandeur, mais s'exerce plutôt à l'endroit des radio-diffuseurs, c'est-à-dire les titulaires de licence. C'est ce qui ressort des paragraphes 4(2) et (3) de la Loi sur la radiodiffusion (Loi), L.C. 1991, ch. 11:


4. (2) La présente loi s'applique aux entreprises de radiodiffusion exploitées -- même en partie -- au Canada ou à bord:

a) d'un navire, bâtiment ou aéronef soit immatriculé ou bénéficiant d'un permis délivré

[...]

(3)    La présente loi s'applique aux entreprises de radiodiffusion exploitées ou non dans un but lucratif ou dans le cours d'une autre activité.



4. (2) This Act applies in respect of broadcasting undertakings carried on in whole or in part within Canada or on board

(a) any ship, vessel or aircraft that is

(i) registered or licensed under an Act of

[...]

(3) For greater certainty, this Act applies in respect of broadcasting undertakings whether or not they are carried on for profit or as part of, or in connexion with, any other undertaking or activity.



On peut constater également à la lecture de l'alinéa 3(1)h) que les titulaires de licences assument la responsabilité de leurs émissions et doivent donc voir à ce que leurs employés respectent la Loi et les règlements et que, dans le cadre du renouvellement de leur licence, ils sont redevables au CRTC de leur comportement et de ceux de leurs employés:


3. (1)

[...]

h) les titulaires de licences d'exploitation d'entreprises de radiodiffusion assument la responsabilité de leurs émissions;


3. (1)

[...]

(h) all persons who are licensed to carry on broadcasting undertakings have a responsibility for the programs they broadcast;



Il s'ensuit donc que les plaintes portées en l'espèce, que le CRTC a analysées et sur lesquelles je reviendrai plus loin, sont des plaintes faites contre le titulaire de la licence en raison du comportement de ses employés et non contre le demandeur lui-même. À cet égard, le procureur du demandeur invoque l'article 11 des Règles de procédure du CRTC, (C.R.C., ch. 375) et soumet que le demandeur aurait dû recevoir un avis personnel l'informant qu'une audience publique serait tenue:


11. Lorsque le Comité de direction juge qu'il serait dans l'intérêt public de tenir une audience publique au sujet d'une plainte ou de représentations faites en vertu de l'article 9, le secrétaire doit informer la personne qui a fait la plainte ou les représentations ainsi que la personne contre qui la plainte est portée ou à qui s'adressent les représentations, de la date et du lieu de l'audience.


11. Where the Executive Committee is satisfied that it would be in the public interest to hold a public hearing in connexion with a complaint or representation made pursuant to section 9, the Secretary shall notify the person who made the complaint or representation and the person against whom it is made of the date and place of the hearing.


Il soutient que l'article 11 doit être interprété libéralement et largement de façon à couvrir le demandeur contre qui, je le rappelle, la plainte n'est pas portée.

Avec respect, je ne crois pas que l'on puisse donner à cette disposition la portée que le procureur du demandeur revendique. Admettre la prétention de ce dernier, ce serait premièrement aller à l'encontre du texte de la disposition qui stipule que l'avis doit être donné à la personne contre qui la plainte est portée, en l'occurrence le titulaire de la licence. Ce serait aussi passer outre aux paragraphes 4(2) et (3) de la Loi et conférer au CRTC une compétence sur le demandeur que le législateur ne lui a pas octroyée. Si un avis devait être donné au demandeur, c'est en vertu des règles de justice naturelle et non en vertu de l'article 11 qu'une telle obligation eût existé. On verra plus loin qu'un tel avis n'était pas requis.


En somme, je suis satisfait que la procédure en l'espèce était une procédure de renouvellement de la licence du titulaire où ce dernier a été appelé à rendre compte de l'exploitation de sa licence, y compris de sa propre conduite ainsi que celle de son personnel pendant la période précédant l'expiration de cette licence. Il ne s'agissait pas d'une audition publique sur une ou des plaintes contre le titulaire de la licence au sens de l'article 11 et encore moins d'une audition publique sur une plainte contre le demandeur. Ceci m'amène maintenant à la question en litige.

Le CRTC a-t-il porté un blâme à l'endroit du demandeur?

Sur le premier volet de la question en litige, le procureur du demandeur soutient que le CRTC a, dans 10 des 22 paragraphes de sa décision, effectivement blâmé le demandeur pour des propos qu'il aurait tenus sur les ondes. Je reproduis le paragraphe 7 du mémoire des faits et du droit du demandeur:

7.              En outre, dans la décision 99-93, le CRTC réfère au demandeur dans 10 des 22 paragraphes et le blâme sévèrement pour des propos prétendument « grossiers » , « insultants » , « blessants » , « offensants » , « diffamatoires » , « discriminatoires » , « proches du mépris » , « inacceptables » et « graves » , blâmes qui portent directement atteinte aux droits du demandeur.


Avec respect, je crois que le procureur du demandeur fait une lecture erronée de la décision du CRTC et, d'une part, confond les énoncés de faits de ce dernier avec ses conclusions. Cette lecture erronée l'amène également, d'autre part, à ignorer que les conclusions prises par le CRTC ne sont pas à l'endroit du demandeur, mais plutôt à l'endroit du titulaire même de la licence, laquelle, je l'ai déjà dit, faisait l'objet d'un renouvellement. Je reproduis les paragraphes 2 à 15 de la décision qui contiennent les propos du CRTC auxquels le procureur du demandeur s'attaque:

Les plaintes

2.              Le Conseil a décidé de s'attarder à huit des plaintes qu'il a reçues au sujet des propos tenus sur les ondes de CKVL au cours de l'émission de tribune téléphonique, animée par André Arthur, notamment:

·                deux plaintes déposées au nom du Groupe Jean Coutu inc., une entreprise familiale bien connue, spécialisée dans la distribution et la vente au détail de produits pharmaceutiques, para-pharmaceutiques et autres. Le Groupe Jean Coutu inc. est intervenu au sujet de ces plaintes au cours de l'audience.

·                un certain nombre de plaintes déposées par Mme Louise Cadieux;

·                cinq plaintes déposées par Mme Maria Marra, au nom de « les amis du général de Gaulle » , une section de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, par M. Charles Durand du même organisme, et MM. Jean-Louis Tremblay, Mario Cusson et Gilles Rhéaume.

3.              Le Groupe Jean Coutu inc. et les membres de la famille Coutu ont souligné, dans leur intervention, l'acharnement de l'animateur André Arthur à les discréditer sur les ondes de CKVL, par l'emploi d'insinuations, de propos diffamatoires, blessants, offensants, qui remettent en cause leur honnêteté et leur intégrité et portent atteinte à leur réputation.

4.              Quant aux plaintes de Mme Cadieux, elles portent notamment sur les termes, discriminatoires et proches du mépris, employés par M. Arthur à l'endroit des personnes handicapées. Mme Cadieux s'indigne en outre du fait que l'animateur ait porté atteinte à sa vie privée puisqu'il a donné à plusieurs reprises ses nom, adresse et numéro de téléphone sur les ondes de CKVL.


5.              Dans sa lettre de réponse à Mme Cadieux, la titulaire s'excuse des propos utilisés par l'animateur et précise qu'ils ne reflètent aucunement l'opinion de la direction de CKVL. Elle a avisé M. Arthur d'utiliser un langage plus respectueux et plus conforme aux normes souhaitables en radiodiffusion.

6.              Les cinq autres plaintes portent essentiellement sur les propos grossiers et insultants de l'animateur au sujet du général de Gaulle, de la France et des Français.

7.              Le Conseil a donné à la titulaire, au cours de l'audience, tout le loisir possible de faire valoir son point de vue et de justifier les propos en question à la lumière, entre autres, et du Guide déontologique proposé par CKVL en matière d'émissions d'information et de tribunes téléphoniques, et des exigences de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), du Règlement de 1986 sur la radio (le Règlement).

8.              En vertu de l'article 3(1)g) de la Loi, la programmation offerte par les entreprises de radiodiffusion devrait être de haute qualité. L'article 3b) du Règlement interdit au titulaire de diffuser des propos offensants qui, pris dans leur contexte, risquent d'exposer une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge ou la déficience physique ou mentale.

Discussion

9.              De l'avis du Conseil, la titulaire a banalisé l'importance des propos de l'animateur en invoquant le caractère polémique des émissions et le contexte dans lequel ils ont été prononcés, le recours à la caricature verbale et l'interprétation des termes employés. De plus, Métromédia a démontré une certaine réticence à instaurer des mécanismes de contrôle pour assurer la haute qualité de l'émission de M. Arthur. Enfin, la titulaire a fait valoir que CKVL n'a auparavant jamais fait l'objet d'une plainte.

10.            Le Conseil est en désaccord avec cette prise de position de la titulaire. À la suite d'une argumentation soutenue, la titulaire a convenu que les propos de l'animateur ne répondaient pas aux normes de qualité établies par la Loi, ni aux lignes directrices du Guide déontologique qu'elle proposait en ce qui a trait au respect des personnes et de la vie privée. Elle a en outre admis que les propos de M. Arthur, relatifs aux personnes handicapées, contrevenaient aux dispositions du Règlement.

11.            Par ailleurs à l'audience, le Conseil a relevé l'absence, dans le Guide déontologique proposé par Métromédia, de dispositions relatives au droit de réplique. Il a invité la titulaire à établir des dispositions qui garantiraient à l'auditeur, qui se sent lésé, un droit de réplique réel où l'équilibre des opinions serait assuré.

12.            Métromédia a convenu de réviser le Guide déontologique proposé afin d'en combler les lacunes. Ces lacunes avaient aussi trait à l'absence de dispositions relatives aux insultes et aux propos grossiers et vulgaires. Après examen, le Conseil a accepté la version révisée du Guide déontologique de CKVL.

13.            En réponse à la préoccupation du Conseil selon laquelle la titulaire ne répond pas toujours aux plaintes qu'elle reçoit ou met trop de temps à le faire, elle s'est engagée à répondre aux plaintes dans un délai de trois semaines. Le Conseil s'attend que la titulaire respecte cet engagement.

Conclusion du Conseil


14.            Le Conseil déplore la banalisation que semble faire la titulaire des propos utilisés par son animateur, propos jugés inacceptables dans le passé dans le cadre d'autres instances. Il déplore aussi la tolérance de la titulaire face à une programmation de qualité inférieure à celle à laquelle on s'attendrait. Le Conseil rappelle à la titulaire qu'elle est tenue de s'assurer que ses animateurs respectent les dispositions de la Loi et du Règlement en tout temps.

15.            Compte tenu de la gravité des propos tenus par M. Arthur, le Conseil a décidé d'obliger la titulaire à respecter, par condition de licence, la version révisée de son Guide déontologique. On retrouve cette condition plus loin dans la présente décision.

Tel qu'il appert de la décision, le CRTC ne fait, aux paragraphes 2 à 6, que relater le fait qu'il a reçu des plaintes concernant le demandeur et énoncer succinctement la nature et le contenu de ces plaintes. Il ne s'agit pas de blâmes que le CRTC porte à l'endroit du demandeur. Ces paragraphes, tel qu'il appert du volume V du Dossier du défendeur, aux pages 982, 984, 987, 1005, 1028, 1034, 1037, 1044 et 1057, reprennent en substance les allégations des plaignants et des plaignantes.

Les paragraphes 7 et 8 peuvent difficilement être interprétés comme un blâme ou une critique du demandeur. Le paragraphe 7 s'adresse au titulaire de la licence et énonce tout simplement un fait. Quant au paragraphe 8, il réitère les exigences de la Loi sur la radiodiffusion et du Règlement de 1986 sur la radio.


Les paragraphes 9 à 13 font globalement état des discussions qui ont eu lieu entre le CRTC et le titulaire de la licence. Plus particulièrement, le paragraphe 9, s'il constitue un reproche, en est un à l'égard du titulaire de la licence. Le paragraphe 10 décrit une admission faite par le titulaire de la licence et ne saurait constituer une conclusion de blâme prise par le CRTC à l'égard du demandeur. Le procureur du demandeur a prétendu que cette admission avait été extorquée par le CRTC par voie de contrainte, mais, au delà de sa perception et de ses impressions partagées par son client, il n'a soumis aucune preuve au soutien de sa prétention. Les paragraphes 11 à 13 ne visent pas le demandeur, mais bel et bien le titulaire de la licence, soit au plan des lacunes apparentes au Guide déontologique proposé par le titulaire, soit au niveau des retards de ce dernier à répondre aux plaintes qu'il reçoit.

Ceci nous amène maintenant aux conclusions du CRTC que l'on retrouve aux paragraphes 14 et 15 de la décision.

Le paragraphe 14 de la décision accomplit trois choses qui ne visent que le titulaire de la licence. Premièrement, le CRTC rappelle au titulaire d'une licence qu'il a le devoir de s'assurer que son personnel respecte les prescriptions législatives. Deuxièmement, il reproche au titulaire de la licence de ne pas prendre au sérieux les propos qui ont été tenus par le demandeur. Enfin, il reproche au titulaire de la licence de se complaire dans une programmation de qualité inférieure. Rien dans ce paragraphe ne saurait être interprété comme portant un blâme ou constituant un reproche au demandeur.


Il ne reste alors que le quinzième paragraphe sur lequel le demandeur fonde ses prétentions. Que dit ce paragraphe? On y voit que le CRTC impose une condition de licence à son titulaire « compte tenu de la gravité des propos tenus par M. Arthur » . Le texte anglais parle de « seriousness of the comments made by the host » .

Il ne fait pas de doute que le CRTC réfère aux propos tenus par le demandeur, lesquels ont généré contre le titulaire de la licence les plaintes qu'il a examinées dans le cadre du renouvellement de la licence de ce dernier. Quels sont donc ces propos auxquels le CRTC réfère?

Sans les reprendre tous, on peut voir au Dossier du défendeur, aux pages que j'ai déjà mentionnées en y ajoutant une référence aux pages 1268-69, qu'on reproche au demandeur, par exemple:

a)             d'avoir qualifié les véhicules des personnes handicapées de "légumes mobiles";

a)              d'avoir traité le Général de Gaulle de « vieux tabarnak » , de « charogne » et d' « enfant de chienne » ;

b)              d'avoir incité les citoyens à déposer des sacs d'ordures et des excréments de chiens sur le site de la statue qu'on s'apprêtait à dévoiler de l'ancien Président de la France;

c)              d'avoir dit que la France est un pays de cul et que les Français sont des sales;

d)              d'avoir traité le président des Pharmacies Jean Coutu d'assassin et d'enfoiré avec une tête de crétin et d'avoir référé à sa famille comme étant une famille d'abrutis;


e)              et enfin d'avoir tenu des propos qui portaient atteinte à la crédibilité, à l'honnêteté ainsi qu'à la réputation personnelle et professionnelle du Groupe Jean Coutu et de ses dirigeants.

Les plaignants ont qualifié de graves ou sérieux les propos tenus sur les ondes par le demandeur. Le CRTC semble avoir fait sien ce qualificatif. Mais ce faisant, il ne s'agit pas là, à mon avis, d'un blâme porté à l'endroit du demandeur.


De fait, il est inévitable que, dans le contexte du renouvellement d'une licence d'un titulaire, le CRTC soit sensible aux plaintes du public et à la réaction du titulaire de la licence à l'égard de ces plaintes qui allèguent un abus de droit. Le CRTC ne jouerait pas son rôle et abdiquerait ses responsabilités s'il était indifférent à l'intérêt public ou aux allégations qu'un titulaire de licence compromet, par ses faits et gestes, sa passivité ou sa tolérance excessives, l'intérêt public. Dans ce contexte du renouvellement d'une licence dans le meilleur intérêt public, il doit pouvoir faire état des abus dont se plaint le public et vérifier si le titulaire de la licence s'est conformé à la Loi, au Règlement, à ses conditions de licence ou aux engagements spécifiques qu'il a pu prendre. Dans un tel contexte, il est bien sûr qu'une personne, dont le comportement est la source de plaintes du public, peut se sentir opprimée, voire blâmée, par la simple narration des faits dont le public se plaint. Mais, à mon avis, il faut bien se garder de confondre soit un relevé des faits, soit leur appréciation, leur qualification ou le constat de gravité qui peut être fait de ces faits, et une conclusion défavorable tirée de ces faits équivalant à un blâme, une réprimande ou un reproche adressé à leur auteur.

Il est indéniable en l'espèce que, dans le cadre du renouvellement de la licence du titulaire, le CRTC a relaté les faits qui sont sources de plaintes du public. Tout au plus, si on attribue au CRTC et non aux plaignants le qualificatif que les propos tenus par le demandeur sont graves, et je suis disposé à lui assigner une telle attribution, tout au plus peut-on conclure qu'il a fait une appréciation ou une qualification des faits. Mais on ne peut conclure de cette appréciation ou de cette qualification des faits qu'il a tiré une conclusion de blâme à l'égard du demandeur qui en est l'auteur. Dire qu'un propos est sérieux ou grave veut dire qu'il s'agit d'un propos qui mérite qu'on s'y arrête. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il est justifié ou injustifié, excusable ou inexcusable, et encore moins que l'on blâme la personne qui l'a tenu.


J'ai pu constater à la lecture de l'intervention écrite du Groupe Jean Coutu que celle-ci était véhémente et traduisait la colère et la frustration du plaignant à l'égard du demandeur et de la façon dont il animait ses émissions de tribunes téléphoniques. Je suis toutefois satisfait, après avoir analysé les transcriptions des interventions faites à l'audience et les motifs de la décision, que le CRTC s'est bien gardé d'endosser les propos du Groupe Jean Coutu et s'est confiné au seul examen des deux plaintes déposées par cet intervenant dans la perspective du renouvellement de la licence auquel cet intervenant s'opposait. Je suis satisfait que le processus suivi par le CRTC n'a pas été entaché et vicié par l'intervention écrite déposée par l'intervenant: compte tenu des autres plaintes portées contre le titulaire de la licence pour ses émissions de tribunes téléphoniques, le CRTC en serait venu à la même conclusion et à la même décision à l'égard de ce dernier, et ce pour les mêmes raisons quand bien même l'intervention du Groupe Jean Coutu n'aurait pas été faite et déposée.

Cette analyse détaillée de la décision du CRTC ainsi que de la preuve me convainc qu'aucun blâme n'a été porté par le Conseil à l'endroit du demandeur. Il ne serait donc pas nécessaire de passer à la deuxième analyse qui aurait servi à déterminer si ce blâme était l'aboutissement d'un processus respectant les règles d'équité procédurale. Mais la question du manquement aux principes d'équité procédurale a été abondamment plaidée par les parties et avec une telle conviction par le demandeur que je crois qu'il serait utile que j'en dispose.


Le demandeur a-t-il été victime d'un manquement aux principes d'équité procédurale?

La réponse à cette question, en application des critères dégagés dans l'affaire Therrien, précitée, est un non sans équivoque. L'audience tenue par le CRTC portait sur le renouvellement de la licence du titulaire et non sur le demandeur. Le titulaire a été dûment convoqué à l'audience. Il a été informé des plaintes du public contre lui. Il a également été avisé dans l'avis d'audience 1998-7 que les plaintes portées contre la station CKVL seraient discutées lors de l'audience des interventions reçues. Il a fourni par écrit préalablement à l'audience, et oralement à l'audience même, les explications qu'il jugeait appropriées. Il a pu étaler les mesures qu'il entendait prendre pour produire une programmation de haute qualité qui respecte la Loi et les règlements.


Le demandeur n'était pas partie à ces procédures. Le CRTC n'avait pas d'avis de convocation à lui faire parvenir, sauf en vertu des règles de justice naturelle s'il entendait le blâmer pour son comportement. Je suis d'accord avec la procureure du défendeur que, dans les circonstances, le demandeur n'avait aucune attente légitime d'être convoqué à ces audiences. Le demandeur pouvait, toutefois, présenter une demande d'intervention en vertu de l'article 13 de la Loi pour appuyer le renouvellement de la licence du titulaire qui l'embauchait. Il ne l'a pas fait. Il fournit deux motifs justifiant son inaction.

Premièrement, il ignorait que l'audience sur le renouvellement de la licence aborderait la question des plaintes du public. Implicite dans cette approche est le fait qu'il serait intervenu pour justifier ses propos et revendiquer son droit à la liberté d'expression. Je note en passant que le CRTC n'est pas insensible au droit d'un citoyen à la liberté d'expression. Dans une lettre adressée à un plaignant le 26 août 1997 l'informant qu'il n'entendait pas donner suite à sa plainte après les explications reçues des parties impliquées, le CRTC rappelle à ce dernier qu'il prend en compte la Charte canadienne des droits et libertés, particulièrement la liberté d'expression et qu'en cas de doute, il tranche en faveur de la notion fondamentale de liberté d'expression: voir le Dossier du défendeur, volume V, page 1125. D'ailleurs, dans deux décisions préalables, 96-730 et 98-126, le CRTC a réitéré l'importance capitale de la liberté d'expression et le principe que celle-ci ne devrait faire l'objet de limites que dans les cas d'excès flagrant: voir la transcription des audiences, Dossier du défendeur, volume V, pages 1230-32.


Deuxièmement, il affirme qu'au moment où il a pris connaissance de l'avis du 2 octobre 1998, ce dernier indiquait que la possibilité de faire une demande d'intervention était forclose puisque seules les interventions déjà reçues, acceptées par le CRTC et déposées au dossier public seraient considérées: voir le Dossier du demandeur, volume II, page 345. Cet avis public indiquait pour la première fois que le CRTC désirait, lors de l'audience, discuter des plaintes reçues à l'endroit du titulaire de la licence. Le premier avis du 10 mai 1998 (CRTC 1998-51) ne faisait état à l'égard du titulaire que de son défaut présumé de se conformer à la réglementation concernant la diffusion de la musique vocale de langue française: voir Dossier du défendeur, volume I, page 33.


Je ne crois pas que le demandeur ait été pris au dépourvu par l'avis du 2 octobre 1998 et par surprise quant aux plaintes portées. Le 28 août 1998, le CRTC publia un deuxième avis (CRTC 98-393) dans lequel il informait le public que la licence du titulaire avait été renouvelée pour un an aux conditions et modalités qui la gouvernaient, mais que cette décision ne réglait « en aucune façon la demande de renouvellement de licence, ni les questions pertinentes dont le Conseil est actuellement saisi relativement à cette demande » . L'avis indiquait l'intention du CRTC de tenir compte de ces questions dans l'examen de la demande de renouvellement. Il y avait là, à mon avis, une indication claire que la problématique du renouvellement de la licence ne se limitait pas à la simple question de la diffusion de la musique vocale de langue française évoquée dans l'avis du 10 mai 1998.

En outre, les événements entourant les diverses plaintes sont survenus lors d'émissions diffusées les 16, 21 et 22 juillet 1997, le 6 août 1997, les 15 et 28 avril 1998 et le 17 septembre 1998: Dossier du défendeur, volume V, pages 982, 1005, 1015, 1024, 1026, 1034 et 1044. Le titulaire de la licence, par l'entremise de ses avocats, a répondu au questionnement du CRTC. Il n'est pas raisonnable de penser, ne serait-ce qu'un seul instant, que le demandeur ignorait que des citoyens s'étaient offusqués des propos tenus aux dites émissions. D'ailleurs, le 4 novembre 1998, Mme Cadieux informait le demandeur, par mise en demeure, qu'elle s'était plainte le 8 octobre au CRTC pour son émission du 17 septembre. Il est aussi inconcevable de penser que le titulaire de la licence et employeur du demandeur ait pu répondre au CRTC sans en souffler mot au demandeur et l'aviser que son animation des tribunes téléphoniques était dans la ligne de mire du CRTC.


Par ailleurs, le demandeur est un professionnel de la communication. Il connaît bien les rouages et le fonctionnement du CRTC avec lequel il a eu plusieurs démêlés: voir la transcription de l'audience, Dossier du défendeur, volume V, aux pages 1246, 1248 et 1266 où un membre du Conseil mentionne ce fait. Il ne pouvait pas ne pas savoir que le CRTC, suite à la demande de renouvellement de la licence, se pencherait sur les nombreuses plaintes du public à l'endroit de son employeur pour ses émissions et les latitudes prises à l'égard de la Loi et des règlements.

Je suis disposé à reconnaître que les intérêts d'un employeur et d'un employé ne sont pas identiques du seul fait qu'ils ne sont pas opposés: Canadian Transit Co. c. Canada, [1989] 3 C.F. 611, pages 623-624 par le juge MacGuigan (C.F.A.). Mais encore faut-il que l'employé se manifeste en temps opportun pour les revendiquer. Ici, le demandeur n'a jamais demandé à être entendu comme il le pouvait en vertu de l'article 13 de la Loi. Il a préféré plutôt s'opposer à une demande d'intervention d'un groupe qui cherchait à obtenir le non-renouvellement de la licence de son employeur. En l'absence d'une procédure débouchant à son endroit sur une violation des règles de justice naturelle, c'est à lui qu'incombait l'obligation, s'il voulait être entendu, de faire une demande d'intervention en justifiant, au besoin, son retard à se manifester.

Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.


                                                                                                                               "Gilles Létourneau"               

                                                                                                                                                     j.c.a.

"Je suis d'accord

Robert Décary j.c.a."

"Je suis d'accord

Marc Noël j.c.a."

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