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     Dossier: A-930-96

CORAM:              LE JUGE DENAULT

                 LE JUGE DÉCARY

                 LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:             

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

     ET:

     ISABELLE ROULEAU

     Intimée

     Dossier: A-932-96

ENTRE:             

     ISABELLE ROULEAU

     Requérante

     ET:

     LA COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'ASSURANCE DU CANADA

     Intimée

     ET:

     LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Mis-en-cause

     Audience tenue à Montréal, le mercredi, 29 octobre 1997

     Jugement prononcé à Montréal, le vendredi, 31 octobre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE DÉCARY

     Dossier: A-930-96

CORAM:              LE JUGE DENAULT

                 LE JUGE DÉCARY

                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                    

ENTRE:             

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

     ET:

     ISABELLE ROULEAU

     Intimée

     Dossier: A-932-96

ENTRE:             

     ISABELLE ROULEAU

     Requérante

     ET:

     LA COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'ASSURANCE DU CANADA

     Intimée

     ET:

     LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Mis-en-cause

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal,

     le vendredi, 31 octobre 1997)

LE JUGE DÉCARY

[1]      La décision rendue par le juge-arbitre dans le CUB 35509 a donné lieu à deux demandes de contrôle judiciaire.

[2]      La première demande, présentée par la Commission dans le dossier A-930-96, attaque la conclusion du juge-arbitre à l'effet que la notification de la décision relative au trop-payé était nulle et de nul effet du fait que la Commission n'aurait pas satisfait à l'exigence de "signification" du montant du trop-payé prévue au paragraphe 43(1) de la Loi sur l'assurance-chômage (la Loi). Ce paragraphe se lit ainsi:

         43.(1) Nonobstant l'article 86 mais sous réserve du paragraphe (6), la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou payable, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire.                 

[3]      La seconde demande, présentée par la prestataire dans le dossier A-932-96, reproche essentiellement au juge-arbitre d'avoir erré dans son appréciation de l'état de chômage de la prestataire eu égard à l'article 43 du Règlement sur l'assurance-chômage (le Règlement). Les paragraphes 1 et 2 de cet article se lisent comme suit:

     43.      (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), lorsque le prestataire                 
         a)      est un travailleur indépendant ou exploite une entreprise soit à son compte, soit à titre d'associé ou de cointéressé, ou                 
         b)      exerce un emploi autre que celui qui est mentionné à l'alinéa a) et détermine lui-même ses propres heures de travail,                     

         il est censé travailler une semaine entière.

         (2) Lorsque le prestataire exerce un emploi mentionné au paragraphe (1), mais qu'il y consacre si peu de temps qu'il ne saurait normalement compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance, il n'est pas censé, à l'égard de cet emploi, travailler une semaine entière.                     

    

[4]      Les présents motifs traiteront des deux demandes et seront versés à l'appui de la décision rendue à l'égard de chacune d'elles dans les dossiers A-930-96 et A-932-96.

Le dossier A-930-96

[5]      La demande de contrôle judiciaire portant le no A-930-96 doit être accueillie. Le juge-arbitre, en effet, s'est méprise au départ en imposant à la Commission l'obligation de "signifier" à la prestataire le montant de la somme calculée. C'est une "notification" qu'exige l'article 43 de la Loi et cette Cour a rappelé récemment, dans les affaires Brien et Rajotte1, que cette notification n'était assujettie à aucune exigence formelle précise.

[6]      Le juge-arbitre s'est ensuite méprise en concluant qu'il n'y avait pas eu, en l'espèce, notification. Rappelons les faits, brièvement. La Commission informait la prestataire, le 20 septembre 1993, qu'elle lui avait versé depuis le 1er décembre 1992 des prestations auxquelles elle n'avait pas droit; elle l'avisait du même coup qu'il y avait en conséquence "un trop-payé" et qu'elle serait "informée du montant dû". Le 7 octobre 1993, la prestataire, qui ignorait alors, semble-t-il, le montant du trop-payé, déposait un avis d'appel au conseil arbitral à l'encontre de la "décision" du 20 septembre 1993. Le 13 octobre 1993, un relevé informatique interne de la Commission indiquait le montant du trop-payé; il n'appert pas, cependant, que ce relevé ait indiqué qu'il y avait eu notification à la prestataire de ce montant. Le 18 octobre 1993, la Commission, dans ses observations écrites au conseil arbitral, précisait le montant du trop-payé.

[7]      Les arrêts Brien et Rajotte ont clairement établi qu'il n'y a, au sens de l'article 43 de la Loi, qu'une seule "décision", laquelle peut toutefois être prise en plusieurs étapes. Ce n'est qu'une fois chacune des étapes franchies, dont celles du calcul et de la notification au prestataire du montant du trop-payé (la notification de ce montant suppose évidemment que le calcul a été fait) qu'il y a "décision", et c'est cette "décision" seule qui est susceptible d'appel en vertu du paragraphe 43(2). Il n'y a et ne peut y avoir qu'un seul appel à l'encontre de cette décision et le délai d'appel de trente jours imparti par le paragraphe 79(1) de la Loi ne court qu'à compter du moment où toutes les étapes du processus définies au paragraphe 43(1) sont complétées. Il serait d'ailleurs inacceptable de laisser courir un délai d'appel contre un prestataire alors qu'une donnée aussi essentielle que le montant en jeu est manquante.

[8]      Le procureur de la prestataire suggère qu'il y aurait possibilité de deux ou plusieurs appels au fur et à mesure que sont franchies les étapes et qu'un avis d'appel déposé avant que toutes les étapes soient franchies permettrait au prestataire d'alléguer vice fatal de procédure et d'empêcher la Commission de compléter le processus. Cette suggestion dépasse à notre avis tout entendement.

[9]      Lorsqu'un avis d'appel est déposé, comme en l'espèce, avant que ne soit complété le processus, cet avis est prématuré et rien n'empêche la Commission de compléter le processus. Elle peut à la rigueur le compléter, comme la Cour l'a décidé dans Gagnon (supra, note 1), par une notification du montant du trop-payé contenue dans les observations écrites remises par la Commission au conseil arbitral. Ce n'est pas, bien sûr, la façon la plus heureuse de procéder, mais la lenteur de la Commission à franchir toutes les étapes et la précipitation d'un prestataire à déposer un avis d'appel ne laissaient guère d'autre choix en l'espèce. Le procureur de la prestataire nous a informés, à l'audience, que la Commission s'était rendue aux exhortations de la Cour dans Brien et Rajotte et complétait désormais le processus de calcul et de notification du montant du trop-payé en un temps record. Il semble donc que des débats de la nature de celui qui est l'objet de cette demande de contrôle judiciaire aient vécu leur dernière heure et c'est tant mieux.

[10]      En l'espèce, donc, l'avis d'appel déposé par la prestataire le 7 octobre 1993 était prématuré; le montant du trop-payé n'ayant pas encore été notifié à la prestataire, il n'y avait pas encore de "décision" susceptible d'appel au sens de l'article 43 de la Loi. Il serait cependant injuste de faire reproche à la prestataire d'avoir cru, à tort, qu'il y avait "décision"; l'état de la jurisprudence et la pratique de la Commission et des procureurs laissaient en effet croire à cette époque que la lettre du 20 septembre 1993 constituait la "décision" susceptible d'appel. Aussi sommes-nous d'avis que l'avis d'appel doit être réputé avoir été déposé le 18 octobre 1993, soit au moment où la prestataire était notifiée du montant du trop-payé par le biais des observations écrites de la Commission.

[11]      Ce report de date de l'avis d'appel n'a aucune conséquence en l'espèce, puisque la période de trente-six mois qui peut faire l'objet d'un nouvel examen en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi n'était pas écoulée le 18 octobre 1993 relativement aux prestations en cause. Il est certain que si des prestations avaient été payées à la prestataire avant le 18 octobre 1990 (le début de la période de trente-six mois prévue audit paragraphe), la Commission n'aurait pu exercer, à leur égard, le pouvoir de nouvel examen que lui confère ce paragraphe.

[12]      Le juge-arbitre a donc erré en jugeant que la décision de la Commission n'avait pas été notifiée en temps utile.

[13]      Qui plus est, le juge-arbitre n'aurait pas dû accepter que soit plaidé devant elle, pour la première fois, l'argument d'absence de notification de la somme calculée. Cet argument aurait dû être invoqué par la prestataire devant le conseil arbitral, ce qui aurait permis à ce dernier, s'il le jugeait à propos, d'autoriser la Commission à s'expliquer à cet égard et à faire la preuve s'il en était de la notification en question2. Il va de soi que semblable argument a désormais peu de chance d'être soulevé, puisqu'un prestataire devrait, à l'avenir, attendre que toutes les étapes du processus soient franchies avant de déposer son avis d'appel.

Le dossier A-932-96

[14]      La demande de contrôle judiciaire dans le dossier A-932-96 ne peut, par contre, qu'être rejetée pour les raisons que voici.

[15]      Le procureur de la prestataire soutient que la Commission ne pouvait exercer à l'égard des décisions qu'elle avait prises de payer des prestations à sa cliente, le pouvoir de modification que confère l'article 86 de la Loi puisque les conditions d'application de cet article n'étaient pas rencontrées. Or, ce n'est pas en vertu de l'article 86 de la Loi que la Commission a rendu sa décision en l'espèce, mais en vertu de l'article 43, lequel lui permet de procéder rétroactivement à un nouvel examen des demandes de prestations3.

[16]      Le procureur soutient aussi que la Commission, lorsqu'elle se penche sur l'admissibilité d'un prestataire aux prestations, doit tenir compte de la décision que rend le ministre du Revenu national relativement à l'assurabilité d'un prestataire. Cette prétention a été définitivement écartée par le récent arrêt de cette Cour dans Procureur Général du Canada c. D'Astoli (A-999-96, 24 octobre 1997, C.A.F., inédit).

[17]      Le procureur soutient enfin que la prestataire consacrait si peu de temps à son entreprise qu'elle bénéficiait de la présomption établie au paragraphe 43(2) du Règlement. Pour retenir cette prétention, il faudrait remettre en question la conclusion de fait à laquelle en est arrivé sur ce point le conseil arbitral, ce que nous ne serions pas justifiés de faire en l'espèce.

[18]      La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée dans le dossier A-932-96. Elle sera accueillie dans le dossier A-930-96 et en conséquence, la décision du juge-arbitre sera annulée et le dossier sera retourné au juge-arbitre en chef ou au juge-arbitre qu'il désignera, pour nouvelle détermination qui tienne pour acquis que la décision du conseil arbitral était bien fondée.

     Robert Décary

     j.c.a.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     A-930-96

ENTRE:

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

     ET

     ISABELLE ROULEAU

     Intimée

     A-932-96

ENTRE:

     ISABELLE ROULEAU

     Requérante

     ET

     LA COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'ASSURANCE DU CANADA

     Intimée

     ET

     LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Mis-en-cause

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      A-930-96

INTITULÉ DE LA CAUSE:          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Requérant

                         ET:
                         ISABELLE ROULEAU

     Intimée

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      A-932-96

INTITULÉ DE LA CAUSE:          ISABELLE ROULEAU

     Requérante

                         ET:
                         LA COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'ASSURANCE DU CANADA

     Intimée

                         ET:
                         LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Mis-en-cause

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDITION:              le 29 octobre 1997



     - 2 -

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES DENAULT, DÉCARY ET LÉTOURNEAU)

LUS À L'AUDIENCE PAR:          l'Honorable juge Décary

     En date du:                  31 octobre 1997

COMPARUTIONS:                     

     Me Carole Bureau

     Me Paul Deschênes              pour la partie requérante

     Me Jean-Guy Ouellet          pour la partie intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     George Thomson

     Sous-procureur général

     du Canada

     Ottawa, Ontario              pour la partie requérante

     Campeau, Ouellet, Nadon,

     Barabé & Associés

     Montréal, Québec              pour la partie intimée

__________________

1      Brien c. C.E.I.C. (A-425-96, 23 avril 1997, C.A.F., inédit); Rajotte c. C.E.I.C. (A-426-96, 23 avril 1997, C.A.F., inédit); ces deux arrêts ont été suivis et appliqués par cette Cour dans Procureur Général du Canada c. Gagnon (A-676-96, 28 mai 1997, C.A.F., inédit) et dans Procureur Général du Canada c. Perrier (A-984-96, 9 juin 1997, C.A.F., inédit)

2      Procureur Général du Canada c. Girard, (A-6-97, 18 septembre 1997, C.A.F., inédit); Procureur Général du Canada c. D'Astoli, (A-1000-96, 24 octobre 1997, C.A.F., inédit)

3      Brière c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1989] 3 C.F. 88 (C.A.F.)

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