Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : A-183-99

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 21 DÉCEMBRE 2000

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                      MIDLAND HUTTERIAN BRETHREN

                                                                                                                                appelante

                                                                       et

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                    intimée

                                                             JUGEMENT

L'appel est accueilli et l'affaire est renvoyée à la Cour canadienne de l'impôt pour nouvel examen, fondé sur le fait que la Midland Hutterian Brethren a droit à un crédit de taxe sur les intrants à l'égard de l'achat du tissu utilisé pour faire les vêtements de travail, en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi sur la taxe d'accise. L'appelante a droit à ses dépens dans toutes les cours.

                                                                                                                                 A. Linden           

                                                                                                                                      J.C.A.                 

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                                               

Date : 20001221

Dossier : A-183-99

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                      MIDLAND HUTTERIAN BRETHREN

                                                                                                                                appelante

                                                                       et

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                    intimée

Audience tenue à Calgary (Alberta), le vendredi 13 octobre 2000

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 21 décembre 2000

MOTIFS DE JUGEMENT :                                                                     LE JUGE MALONE

Y A SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE LINDEN

                                                                                                                                               

MOTIFS DE DISSIDENCE :                                                                      LE JUGE EVANS


Date : 20001221

Dossier : A-183-99

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS      

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                      MIDLAND HUTTERIAN BRETHREN

                                                                                                                                appelante

                                                                       et

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                    intimée

                                                  MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE MALONE


[1]          Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé d'accepter la réclamation de l'appelante visant à obtenir un crédit de taxe sur les intrants (CTI) à l'égard du prix d'achat d'un tissu utilisé pour fabriquer des vêtements de travail à l'usage de ses membres dans le cadre de son exploitation agricole. La présente demande sollicite le contrôle judiciaire d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt, en date du 26 février 1999, qui rejetait l'appel logé par l'appelante à l'encontre de la cotisation faite par le ministre en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, partie IX (la Loi)[1].

[2]          En vertu du régime établi par la Loi, un inscrit comme l'appelante, qui se livre à une activité commerciale ne produisant pas de fournitures exonérées, peut se voir rembourser, en vertu du régime des CTI, la taxe sur les produits et services (TPS) payée sur les produits et services qu'elle a acquis « pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales[2] » . Il n'est pas contesté que l'appelante exerce une activité commerciale, savoir l'exploitation d'une entreprise agricole, et qu'elle produit des fournitures non exonérées. Le litige porte sur la question de savoir si le tissu est utilisé dans le cadre de ses activités commerciales. La question à déterminer est celle du caractère indirect. Quelle doit être la proximité entre la dépense et la production d'une fourniture pour qu'on puisse réclamer un CTI?

Les faits

[3]          La Midland Hutterian Brethren (la colonie ou l'inscrit) est une colonie communautaire de la Hutterian Brethren Church. Elle a le statut d'une société de l'Alberta, constituée en personne morale le 6 janvier 1978 en vertu de la Companies Act (Alberta)[3]. Les membres de la colonie fournissent leur travail sans compensation monétaire. En échange, les membres de la colonie et leurs familles se voient fournir le logement, l'éducation, la nourriture et les vêtements par la colonie[4].


[4]          La colonie exploite une entreprise agricole en activité. En vertu de sa constitution, ses membres ont droit à du tissu pour fabriquer deux types de vêtement, l'un qui est porté à l'église et l'autre au travail. Les membres de l'inscrit utilisent 75 p. 100 de ce tissu dans leur travail agricole[5]. Le tissu en question est épais et il est acheté spécialement pour être transformé en vêtements de travail.

[5]          Les membres de la colonie n'ont que deux sortes des vêtements : les vêtements d'église et les vêtements de travail. Les vêtements d'église ne sont jamais utilisés pour le travail et, inversement, les vêtements de travail ne sont jamais portés à l'église. On ne fabrique aucun vêtement pour la vente[6].

[6]          En calculant la TPS à payer pour la période en cause, la colonie a réclamé un CTI pour 50 p. 100 de la TPS payée sur le tissu pour le travail.

[7]          Un des témoins de la Couronne a admis que certains vêtements, comme les bottes et les gants de travail, achetés par des agriculteurs inscrits pour être utilisés par leurs employés dans le cadre de leurs activités commerciales, peuvent faire l'objet d'une réclamation de CTI[7]. Toutefois, comme l'objectif principal de l'achat du tissu de travail était de vêtir les membres de la colonie, le témoin a conclu qu'il visait un usage personnel, nonobstant le fait qu'on l'utilisait aussi dans l'exploitation agricole[8]. Par conséquent, le ministre a refusé d'accorder un CTI pour le tissu de travail.


Le cadre législatif

[8]          Le régime de la TPS est prévu au projet de loi C-62, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1991[9]. On trouve le mécanisme prévoyant le CTI à l'article 169. Dans sa rédaction originale, le paragraphe 169(1) prévoyait un CTI équivalent à la totalité de la TPS versée sur les achats (intrants) réalisés pour utilisation exclusive dans le cadre d'activités commerciales. Le paragraphe 169(2) prévoyait une formule visant à déterminer quelle proportion de la TPS versée sur les biens (intrants), acquis pour utilisation partielle dans le cadre d'activités commerciales, pouvait faire l'objet d'un CTI.

[9]          Le projet de loi C-112 est venu modifier l'article 169. Il a reçu la sanction royale le 10 juin 1993[10]. Les dispositions pertinentes de ce projet de loi venaient fondre les paragraphes 169(1) et 169(2) du projet d'origine en une seule disposition, savoir le paragraphe 169(1). Cette modification était réputée être entrée en vigueur à la date où la sanction a été accordée à la législation portant sur la TPS, ce qui fait que la version originale est réputée n'avoir jamais existé ou avoir eu un quelconque effet juridique. La modification, et la suppression du mot « exclusive » dans le préambule du paragraphe 169(1) d'origine, ne sont pas venus apporter un changement de fond au droit de réclamer les CTI.


[10]     Le facteur « B » de la formule mathématique prévue au paragraphe 169(1) modifié est la composante qui établit quels sont les CTI qu'on peut réclamer sur les biens (intrants) acquis pour utilisation dans des activités commerciales, et ce dans la plupart des cas. Si le bien (intrant) a été acquis pour utilisation exclusive dans le cadre des activités commerciales, le facteur « B » de la formule prévue au paragraphe 169(1) est 100 p. 100. Si le bien (intrant) n'a été acquis que pour une utilisation partielle dans le cadre d'activités commerciales, c'est le pourcentage correspondant qui est utilisé dans le calcul du droit au CTI.

[11]     Afin de faciliter le calcul prévu au sous-alinéa 169(1)(B)c), le paragraphe 141(2) prévoit que si l'utilisation du bien se fait « presqu'en totalité » dans le cadre des activités commerciales, l'utilisation est réputée se faire à 100 p. 100 dans ce cadre. La Cour est informée qu'aux fins administratives, l'Agence des douanes et du revenu du Canada interprète l'expression « presqu'en totalité » comme voulant dire 90 p. 100 ou plus. De la même façon, si l'utilisation prévue se fait « presqu'en totalité » (90 p. 100 ou plus) à des fins non commerciales, en vertu du paragraphe 141(4) elle est réputée être nulle et aucun CTI ne sera accordé à l'inscrit. Si l'utilisation dans le cadre des activités commerciales se situe entre 10 et 90 p. 100, alors c'est ce chiffre qui devient le facteur B aux fins du calcul prévu au sous-alinéa 169(1)(B)c).

[12]     Sur la base de cette analyse, le fait qu'une partie du tissu de travail en cause puisse être utilisée à une fin autre qu'aux activités commerciales ne vient pas nécessairement exclure toute possibilité de réclamer un CTI. Toutefois, en vertu du sous-alinéa 169(1)(B)c), il faut déterminer quel est le pourcentage d'utilisation du bien acquis qui se situe dans le cadre de l'activité commerciale.


[13]     L'appel de l'inscrit devant la Cour canadienne de l'impôt, comme devant nous, porte sur la question de savoir si le tissu pouvait être décrit comme ayant été acquis par la colonie pour une utilisation au moins partielle dans le cadre de son exploitation agricole, étant donné que ce tissu avait été acquis notamment pour fabriquer des vêtements de travail pour les personnes qui font les travaux physiques requis dans l'entreprise commerciale.

[14]     Le point de vue de l'inscrit est que comme le juge de la CCI a conclu que le tissu servait à la fabrication des vêtements portés pour le travail, il a commis une erreur en arrivant à la conclusion que ce tissu n'avait pas été acquis dans le cadre de ses activités commerciales au sens du paragraphe 169(1)[11]. L'argument avancé veut que la conclusion du juge de la Cour de l'impôt au sujet de l' « utilisation » du tissu vient confirmer que celui-ci a bien été acquis pour utilisation dans le cadre de l'exploitation agricole de la colonie et donc qu'il donne le droit à un CTI, du moins dans la mesure où il est utilisé au travail.

Analyse


[15]     On a présenté peu de preuves au procès quant à l'utilisation non commerciale incidente, puisque ce n'est pas sur cette base que le ministre a refusé le CTI réclamé par l'inscrit sur le tissu de travail. Le fondement du rejet de la réclamation était que le tissu de travail n'avait pas été acquis pour utilisation dans le cadre de l'activité commerciale, mais principalement pour un usage personnel[12]. Toutefois, la preuve démontre que ce fondement utilisé par le ministre pour ne pas accorder un CTI a été rejeté implicitement par le juge de la Cour de l'impôt, lorsqu'il a conclu qu'en fait le tissu de travail était utilisé, du moins en partie, pour fabriquer des vêtements de travail utilisés dans le cadre de l'exploitation agricole.

[16]     Le ministre a soutenu que toute utilisation personnelle d'un vêtement fait que le tissu de travail n'est pas éligible pour un CTI, en application du raisonnement adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Symes c. La Reine[13]. En droit de l'impôt sur le revenu, la question de l'utilisation personnelle se pose généralement lorsqu'il s'agit de déterminer si un travailleur indépendant (ce qui exclut une société) peut déduire une dépense en vertu de l'article 18, ou si un employé a reçu un avantage imposable en vertu de l'article 6. Aucune de ces questions n'est pertinente en l'instance. On ne peut non plus procéder par analogie avec les principes de la responsabilité du fait d'autrui en droit de la responsabilité civile délictuelle, ou avec les concepts de droit de la personne, puisqu'ils utilisent une terminologie très différente dans des contextes très différents.


[17]     De toute façon, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas parlé d'une utilisation personnelle du tissu de travail. Le fait que la colonie, qui est une société constituée en personne morale en Alberta, ne réclame qu'un CTI de 50 p. 100 (chiffre qui n'a pas été contesté), me porte à conclure que la question d'une utilisation personnelle est réglée dans le cadre de la partie qui ne fait pas l'objet d'une réclamation de CTI. En conséquence, il n'est pas nécessaire que j'aborde la question de savoir dans quelle mesure le tissu de travail aurait été utilisé à des activités non commerciales.

[18]     Dans ses motifs de jugement, le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le tissu a été utilisé pour fabriquer des vêtements que les membres de la colonie portent au travail dans l'exploitation agricole. Toutefois, il a conclu qu'il n'était pas utilisé par les membres de l'inscrit dans la réalisation d'une fourniture taxable, puisque ses activités commerciales se rapportaient à l'agriculture et ne comprenaient pas la fabrication de vêtements[14]. En arrivant à cette conclusion, il s'est appuyé sur l'analyse suivante du juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada :[15]

La TPS est conçue comme une taxe à la consommation. À cette fin, la Loi sur la TPS vise trois catégories de produits et services. Une taxe de sept pour cent s'applique à la vente des fournitures taxables. Dans la mesure où l'acheteur d'une fourniture taxable utilise ce bien ou ce service dans la production d'autres fournitures taxables, il a le droit de recevoir un "crédit de taxe sur les intrants" et peut recouvrer du gouvernement la taxe qu'il a payée. » [c'est moi qui souligne]

[19]     Toutefois, cette citation ne nous permet pas de trancher la question en litige ici. Selon moi, cette citation ne vient pas restreindre le type biens utilisés dans la production de fournitures taxables qui donnent droit au CTI[16]. Ce texte ne fait qu'énoncer la distinction entre les producteurs de fournitures non exonérées, qui peuvent réclamer un CTI pour les biens qu'ils achètent, et les producteurs de fournitures exonérées, qui ne le peuvent pas.


[20]     Par conséquent, la phrase « dans la production » , qui a servi à trancher l'affaire à la Cour de l'impôt, ne fait que présenter l'idée que l'on trouve au paragraphe 169(1) voulant que les biens acquis dans le cadre d'activités commerciales donnent droit à un CTI. Par conséquent, ces mots n'introduisent pas de distinction entre les biens acquis et utilisés directement dans la production et ceux qui sont acquis et utilisés pour faciliter la production, ou dans une des étapes de la production.

[21]     Il est clair que si le tissu acheté avait servi à faire des vêtements destinés à la vente, comme l'a suggéré le juge de la Cour de l'impôt, le droit au CTI serait établi. De la même façon, si les vêtements de travail étaient achetés déjà fabriqués pour une utilisation dans l'entreprise agricole, il y aurait un droit au CTI, du moins dans la mesure où ils seraient utilisés dans le cadre d'une activité commerciale (comme un uniforme dans d'autres activités commerciales). Mais le CTI n'est pas restreint aux tissus ou autres produits bruts incorporés dans des biens fabriqués pour la vente au détail. Il n'est pas non plus restreint à l'équipement utilisé dans la production de biens pour la vente.

[22]            Selon moi, il n'y a aucune ambiguïté dans la formulation du paragraphe 169(1) de la Loi. Je considère que mon point de vue est appuyé par le fait que d'autres formations de notre Cour ont déjà, en deux fois, traité de ce paragraphe et qu'elles n'ont pas soulevé l'existence d'une ambiguïté ou le besoin de faire un examen approfondi de l'objectif visé par le régime des CTI[17].


[23]     Selon la terminologie non équivoque du paragraphe 169(1), la colonie a droit à un CTI pour le tissu de travail en cause ici. Notre Cour a déjà interprété ces mots et conclu que lorsqu'un inscrit paie la TPS par rapport à ses activités commerciales, il a droit à un CTI. Comme l'explique le juge Stone, J.C.A., dans l'arrêt Metropolitan Toronto Hockey League[18] :

L'économie de la Loi permet à une entreprise de demander le remboursement de la taxe qu'elle a payée sur l'achat de biens ou de services liés à la vente de ses fournitures imposables ou de réclamer un crédit d'impôt à cet égard. De cette manière, la taxe est finalement payée uniquement par l'acheteur non commercial ultime de la fourniture imposable. [c'est moi qui souligne]

[24]     Lorsque le juge Stone a utilisé les mots « liés à » pour expliquer le texte de la loi, il voulait indiquer que les fournitures doivent contribuer à la production d'articles ou à la fourniture de services qui sont imposables. Quelque chose comme une cigarette, consommée au moment où on se livre à l'activité commerciale, ne pourrait être considérée liée à l'activité commerciale, puisqu'elle ne contribue pas à l'activité commerciale qui en fin de compte produira des fournitures imposables.

[25]     Rien dans la rédaction du paragraphe 169(1) ne vient indiquer que l'utilisation en cause doit être exclusivement commerciale, non plus que faire une distinction entre les biens achetés pour utilisation directe et ceux qui sont achetés et modifiés avant d'être utilisés dans les activités commerciales. Une fois qu'un article est jugé avoir été acquis et utilisé dans le cadre des activités commerciales d'un inscrit à la TPS, et que cet article contribue directement ou indirectement à la production d'articles ou à la fourniture de services imposables, il y a alors un droit au CTI en vertu de la formule énoncée au paragraphe 169(1). Tout abus peut être circonscrit en exigeant une preuve de l'utilisation prévue et en ajustant le pourcentage du CTI accordé par le ministre.


[26]     En l'instance, la preuve est claire. Le tissu de travail est fourni par la colonie à ses membres parce qu'il est solide et durable. L'aspect durable du tissu de travail fait faire des économies à la colonie à long terme, en comparaison avec d'autres tissus. De cette façon, il contribuait non seulement aux activités commerciales de la colonie mais aussi à son bilan[19]. Étant donné qu'un témoin de la Couronne a admis que le ministre accorde des CTI pour certains articles, comme les gants et les bottes de travail, acquis par d'autres agriculteurs inscrits pour utilisation par leurs employés, je suis d'avis que le lien avec le tissu de travail en cause ici n'est pas trop indirect[20].

[27]     Avec égards, je suis d'avis que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en interprétant les termes « consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales » . J'accueillerais l'appel et renverrais la question à la Cour canadienne de l'impôt pour nouvel examen. Ce nouvel examen doit être fondé sur le fait que la colonie a droit à un crédit de taxe sur les intrants en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi. L'appelante a droit à ses dépens dans toutes les cours.

                                                                                            B. Malone           

                                                                                                  J.C.A.              

Je souscris à ces motifs

A.M. Linden,

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20001221

Dossier : A-183-99

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE EVANS

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                    MIDLAND HUTTERIAN BRETHREN

                                                                                            appelante

                                                     et

                                SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                intimée

                                MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A. INTRODUCTION

[1]          La présente demande de contrôle judiciaire porte sur ce qui semble être une simple question d'interprétation de la loi. Le tissu acheté par la colonie huttérite appelante dans le but de fabriquer des vêtements portés par ses membres lorsqu'ils travaillent dans l'entreprise agricole de la colonie a-t-il été « acquis ... pour ... utilisation ... dans le cadre de ses activités commerciales » ? Si c'est le cas, l'appelante a droit au crédit de taxe sur les intrants sur la TPS qu'elle a payée à l'achat du tissu.


[28]     Selon mes collègues, la colonie a droit à un CTI dans la mesure où le tissu a été acquis pour utilisation « par rapport à » ou pour « contribuer à » ses activités commerciales. Ils constatent que comme le tissu en question est épais et durable, il est bien adapté à la fabrication des vêtements que les membres portent lorsqu'ils travaillent à l'exploitation agricole de la colonie. Par conséquent, comme les activités commerciales de la colonie sont plus profitables du fait que les vêtements des membres n'ont pas à être remplacés aussi souvent que s'ils étaient fabriqués d'un tissu plus léger, ils arrivent à la conclusion que le tissu peut être considéré à bon droit comme ayant été acquis pour utilisation « dans le cadre de ses activités commerciales » .

[29]     De plus, mes collègues déclarent aussi que le sens de la phrase « dans le cadre de ses activités commerciales » , que l'on trouve dans la loi, est sans équivoque. Ils en concluent donc qu'il est inapproprié pour la Cour de tenir compte de considérations de politique fiscale lorsqu'ils doivent déterminer la proximité du lien entre les biens pour lesquels on réclame le CTI et les activités commerciales d'un inscrit lorsque, par exemple, les biens en cause répondent aussi à des besoins personnels.

[30]     J'admets que pour que les biens soient acquis pour utilisation « dans le cadre des activités commerciales » , il doit y avoir un lien fonctionnel entre les besoins de l'entreprise et les biens. Il ne suffit pas que les membres de la colonie aient porté les vêtements fabriqués du tissu en cause alors qu'ils se livraient à l'activité commerciale.


[31]     Je suis aussi d'accord pour dire que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que le tissu n'était pas éligible pour un CTI du fait que l'activité commerciale de la colonie n'était pas la fabrication de vêtements. Ce point de vue présume que les biens doivent contribuer directement à la production des fournitures imposables de l'inscrit. Je ne trouve rien dans la formulation de la loi, non plus que dans sa justification, qui nous amènerait à restreindre de cette façon la portée de l'alinéa 169(1)c).

[32]     En toute déférence, je ne peux toutefois me ranger à l'avis de mes collègues que les mots « dans le cadre de ses activités commerciales » sont clairs et sans équivoque. Selon moi, la phrase en cause est suffisamment large sur le plan linguistique pour que son analyse démontre qu'elle ne règle pas la question du lien qui doit exister avec l'activité commerciale afin de justifier le CTI. Par conséquent, lorsque la Cour doit décider si les biens en cause ici sont utilisés « dans le cadre de ses activités commerciales » , elle doit tenir compte des objectifs qui sous-tendent l'économie de la loi, surtout lorsque l'interprétation des termes en litige peut vraisemblablement avoir des ramifications qui vont beaucoup plus loin que les faits d'une affaire donnée.


[33]     Après avoir examiné tous les facteurs pertinents, j'arrive à la conclusion que l'interprétation que mes collègues donnent aux termes en cause permet de réclamer un CTI pour une dépense dont le lien avec la production de fournitures taxables est trop ténu. De plus, cette interprétation ne tient pas suffisamment compte de considérations importantes d'équité en matière fiscale. Selon moi, la colonie ne peut réclamer un CTI pour l'achat du tissu, ce dernier ayant été acquis en vue d'une utilisation qui répond aux besoins personnels des membres d'être habillés décemment et chaudement, ainsi que dans le cadre de son obligation de fournir à ses membres et à leurs familles les objets de première nécessité, dont les vêtements. Par conséquent, même s'il a servi à faire des vêtements de travail, le lien fonctionnel du tissu avec les activités commerciales de la colonie n'était pas assez étroit pour que l'appelante puisse faire absorber par les contribuables en général la TPS qu'elle avait payée pour les vêtements de ses membres qu'ils ne portaient pas à l'église.

B.     LE CONTEXTE

[34]     Les faits pertinents en l'instance ont été correctement exposés par le juge Malone, J.C.A., et il n'est pas nécessaire de les reprendre en détail ici. Toutefois, je veux insister sur les points suivants.


[35]     Premièrement, à part du fait que le tissu était plus épais et donc plus durable que celui utilisé pour fabriquer les vêtements d'église des membres, rien dans la preuve n'indique que les vêtements fabriqués avec ce tissu avaient des propriétés qui les rendaient particulièrement adaptés au travail agricole. Par exemple, ils ne protégeaient pas les gens qui les portaient des risques inhérents au travail agricole, non plus qu'ils leur permettaient de se décharger, dans le cadre de leurs activités commerciales, de tâches qui auraient été impossibles, sinon plus difficiles, s'ils avaient été habillés de vêtements d'extérieur ordinaires. Il n'y a pas non plus de preuve que le tissu était plus dispendieux parce qu'il devait être transformé en vêtements que les membres porteraient dans leur travail agricole.

[36]            Deuxièmement, dans la mesure où la conception des vêtements permettait aussi de faire savoir que les personnes qui les portaient étaient des huttérites, le lien était avec la colonie en tant que communauté religieuse et non avec ses activités commerciales. Par conséquent, on ne peut comparer les vêtements des membres avec les uniformes que portent certains employés pour faire connaître le commerce de leur employeur, non plus qu'avec les toges ou autres vêtements particuliers que les membres du barreau doivent porter lorsqu'ils se présentent à la cour.

[37]     Troisièmement, bien que le dossier ne soit pas absolument clair, je déduis du fait que le CTI réclamé ne porte que sur 50 p. 100 de la TPS payée sur le tissu, que les membres portaient leurs vêtements de travail à des occasions où ils ne faisaient pas de travail agricole ou allaient à l'église, notamment lorsqu'ils prenaient leurs repas ou s'occupaient de l'entretien de leur ménage. La réclamation n'est pas diminuée puisque les membres obtenaient un avantage personnel de ces vêtements, même s'ils les portaient pour le travail agricole.


[38]     Quatrièmement, la colonie n'est pas constituée en personne morale dans le seul but de conduire une exploitation agricole ou une autre activité commerciale. En fait, l'entente d'association porte que, parmi le premier des objectifs de la société, elle est

[traduction]

créée dans le but de promouvoir la religion chrétienne et ses enseignements et de se livrer à ses pratiques, tout en faisant partie ou étant liés à cette religion ou à ses enseignements..

Comme le juge Malone, J.C.A., l'a clairement établi, la Midland Hutterian Brethren est une communauté religieuse dont les membres cèdent leurs droits de propriété. En contrepartie, la colonie s'engage à fournir à ses membres et à leurs familles les objets de première nécessité, dont la nourriture, l'hébergement, l'éducation et les vêtements.

C.        ANALYSE

a) L'expression « dans le cadre » est-elle claire et sans équivoque?

[39]            Bien sûr, j'admets que si une expression ou une phrase dans une loi d'imposition peut être décrite comme ayant un sens « clair et sans équivoque » lorsque qu'on la situe dans le contexte de la loi en entier, il n'y a pas d'interprétation à lui donner par les tribunaux. Dans de telles circonstances, il n'est pas nécessaire et il serait même peu approprié que la Cour se lance dans une recherche de l'objectif qui sous-tend l'économie de la loi afin d'éclairer encore plus le sens de la disposition en cause. Si c'est là un résumé aussi raisonnablement correct que possible qu'on peut donner en deux phrases de l'abondante jurisprudence de la Cour suprême du Canada, je tiens à faire deux observations.


[40]     Premièrement, la lecture d'expressions ou de phrases « dans leur contexte » ne peut sûrement être limitée à leur aspect strictement textuel, à l'exclusion de la politique législative qui sous-tend l'économie du texte de loi. Deuxièmement, l'aspect subtil et imprécis de la langue est tel que, selon moi, l'existence d'un « sens ordinaire ou sans équivoque » d'une disposition législative est probablement l'exception plutôt que la règle, du moins lorsque son interprétation est suffisamment litigieuse pour qu'elle se rende jusqu'à notre Cour.

[41]     Avant d'examiner le contexte législatif spécifique de la phrase « dans le cadre de ses activités commerciales » , qui est la phrase pertinente en l'instance, je veux examiner comment on l'utilise dans le langage courant et dans d'autres contextes juridiques, afin de déterminer si elle a un sens suffisamment clair pour exclure un examen plus approfondi du contexte dans lequel elle est utilisée à l'alinéa 169(1)c) de la Loi sur la taxe d'accise.

(i) le sens 'ordinaire de l'expression « in the course of »

[42]     Les dictionnaires nous indiquent toute une gamme de sens qui s'attachent à un mot ou à une phrase dans l'usage ordinaire. Par exemple, The New Shorter Oxford English Dictionary semble donner un sens purement temporel à la phrase :

in the course of : [traduction] dans le cadre, lorsqu'on procède; lors du progrès ou durant...

toutefois, l'Oxford English Dictionary (Second Edition), l'ouvrage principal, nous présente un sens plus large pour l'expression

in the course of : [traduction] dans le cadre : dans la réalisation de, lors de...

[43]     La version française de la loi utilise la phrase « dans le cadre de ses activités commerciales » , ce qui semble ne pas la restreindre à un cadre ou à un contexte strictement temporel. Le mot « pendant » aurait mieux rendu le sens du mot anglais « while » . Le Grand Robert de la Langue Française explique la phrase « dans le cadre » en disant qu'elle veut dire « les limites prévues, imposés par » et il renvoie au mot « compétence » .

[44]     Je conclus de ce bref examen que dans l'usage ordinaire des langues anglaises et françaises, les expressions « in the course of » et « dans le cadre de » ne sont pas d'une précision telle que le sens de la phrase « dans le cadre de ses activités commerciales » serait suffisamment clair et sans équivoque qu'il n'y aurait pas lieu de procéder à une interprétation fondée sur le contexte législatif particulier où elle apparaît.

(ii) autres sens 'juridiques' de l'expression « in the course of / dans le cadre de »


[45]     Une phrase qui a une variété de sens dans le discours ordinaire peut néanmoins n'avoir qu'un seul sens juridique. Par conséquent, s'il était clair au vu d'autres contextes juridiques que l'expression « dans le cadre de » a un sens technique uniforme, alors je devrais peut-être admettre que son sens à l'alinéa 169(1)c) est clair et sans équivoque, comme mes collègues l'affirment, et qu'il n'est donc pas nécessaire d'essayer de l'interpréter en examinant la politique qui sous-tend l'économie du régime de la TPS. À cette fin, j'ai examiné deux exemples de l'utilisation de cette phrase dans d'autres dispositions législatives.

[46]     Premièrement, en common law un « maître » est responsable des délits commis par ses « serviteurs » , lorsqu'ils sont commis « dans le cadre de leur emploi » . Il est clair qu'un employeur ne sera pas tenu responsable du fait d'autrui simplement parce que le délit a été commis par l'employé [traduction] « alors qu'il était considéré au travail aux fins d'être payé » : John G. Fleming, The Law of Torts, 9th edition (North Ryde, N.S.W. : LBC Information Services, 1998), à la page 421. L'auteur ajoute que cette expression [traduction] « n'a pas acquis un haut degré de précision » , bien qu'il est important de noter qu'à défaut d'être réellement autorisé, le délit doit pouvoir être décrit comme correspondant à un mode non autorisé de s'acquitter d'une tâche autorisée.

[47]     En fait, la multiplicité des facteurs examinés par les tribunaux et l'importance des faits particuliers dans la détermination du résultat font qu'il y a une composante de fait significative lorsqu'on doit répondre à la question de savoir si un employé agissait « dans le cadre de » son emploi lorsqu'il a commis le délit : voir Lewis N. Klar, Tort Law (Toronto : Thomson Professional Publishing of Canada, 1991), aux pages 418 et 419.     


[48]     Deuxièmement, on trouve la même phrase dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, où l'alinéa 7b) indique que, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de défavoriser un individu « en cours d'emploi » constitue un acte discriminatoire. Dans Cluff c. Canada (Ministère de l'Agriculture), [1994] 2 C.F. 176, à la p. 187 (C.F. 1re Inst.), on a conclu que lorsqu'il s'agissait de déterminer si un employé agissait « dans le cadre de » son emploi aux fins de cette disposition, il était pertinent d'examiner si elle poursuivait des activités qui étaient liées à son emploi, par rapport à celles qui étaient de nature personnelle.

[49]     Encore une fois, il me semble évident à partir de ces deux seuls exemples qu'il n'y a pas de sens juridique précis de la phrase « dans le cadre de son emploi » . Par conséquent, lorsqu'on l'utilise à l'alinéa 169(1)c) de la Loi sur la taxe d'accise, la même phrase n'a pas le sens clair et sans équivoque qu'aurait une expression juridique consacrée.

(iii) conclusion


[50]            Ce que je veux démontrer ici ne consiste pas à dire que les dictionnaires ou les autres contextes juridiques nous donnent le sens à accorder à l'expression « dans le cadre de ses activités commerciales » , que l'on trouve à l'alinéa 169(1)c) de la Loi sur la taxe d'accise. Je veux simplement dire qu'au vu de l'absence d'un sens précis de cette expression dans la langue ordinaire et de son utilisation dans des règles juridiques aussi variées que celles qui régissent la responsabilité du fait d'autrui et celles qui fixent la portée de la protection contre les actes discriminatoires dans l'emploi, l'assertion de mes collègues que le sens de cette expression dans l'alinéa 169(1)c) est tellement clair qu'on peut le trouver sans examiner le contexte général de la législation n'est tout simplement pas plausible.

b) Les besoins « personnels » et les besoins de l'activité commerciale

(i) introduction         

[51]     Selon moi, des biens utilisés par une personne dans le contexte de ses activités commerciales ne donneront généralement pas droit à un CTI si l'inscrit les aurait achetés, ou aurait acheté des biens semblables, pour répondre aux besoins de la vie courante. On peut démontrer la vérité de cette assertion en l'instance, étant donné que le tissu a servi à faire les « vêtements de travail » portés par les membres et leurs familles (y compris les enfants et les personnes âgées), même lorsqu'ils ne se livraient pas aux activités commerciales de l'exploitation agricole. J'ai aussi fait remarquer plus tôt que les vêtements avaient un autre objectif, savoir de faire reconnaître les gens qui les portaient comme membres de la grande communauté religieuse huttérite.

[52]     De plus, le tissu était fourni par la colonie dans le cadre de son obligation de fournir les vêtements aux membres et à leurs familles. Étant donné que les objectifs de la colonie ne se limitent pas à ses activités commerciales, on ne peut dire que le tissu a nécessairement été acheté dans le cadre de ses activités commerciales, en ce sens qu'il devait avoir contribué à ces activités ou avoir un lien avec elles.


[53]     Dans de telles circonstances, le lien fonctionnel entre l'achat du tissu et l'activité commerciale doit être plus étroit que celui qui ressort des faits en l'instance, savoir que les membres portaient les vêtements lors de leur travail agricole et que la nature du tissu faisait qu'il était économique de l'utiliser pour fabriquer des vêtements de travail.

(ii) les besoins personnels et la Loi de l'impôt sur le revenu

[54]     Il est bien connu que le droit de l'impôt sur le revenu en matière de déduction de dépenses à même les profits fait une distinction entre les dépenses acceptables parce qu'engagées dans le but de faire un profit et celles qui sont de nature « personnelle » qui ne sont pas déductibles. Dans l'arrêt Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la p. 738, le juge Iacobucci fait l'observation suivante :

                                                     

...à l'intérieur d'un régime fiscal orienté, au moins en partie, vers le maintien d'une équité verticale et horizontale ...on cherche à empêcher les déductions correspondant à des dépenses de consommation personnelle. Dans la mesure où un contribuable peut exercer un choix quant à son style de vie et conserver la même capacité de tirer un revenu ou de faire produire un revenu, on a tendance à considérer ces choix comme des décisions de consommation personnelle, et les dépenses qui en résultent, comme des dépenses personnelles.


[55]     La Loi de l'impôt sur le revenu, à l'alinéa 18(1)h), interdit spécifiquement la déduction « des frais personnels ou de subsistance du contribuable » dans le calcul de son revenu d'entreprise. On a souvent dit que cette disposition a été rédigée par excès de précaution, étant donné que les principes généraux de comptabilité qu'on utilise pour établir le « profit » aux fins fiscales ne tiennent pas compte des dépenses personnelles dans le calcul du profit net : voir Peter W. Hogg, Joanne E. Magee and Ted Cook, Principles of Canadian Income Tax Law, 3rd edition (Toronto : Carswell, 1999), aux pages 239 à 241.

[56]     Nonobstant ceci, ainsi que d'autres différences entre l'article 18 de la Loi de l'impôt sur le revenu et le paragraphe 169(1) de la Loi sur la taxe d'accise, il y a des ressemblances lorsqu'il s'agit des préoccupations de politique qui font que la jurisprudence relative à la Loi de l'impôt sur le revenu est pertinente lorsqu'il s'agit d'interpréter et d'appliquer la législation sur la TPS.

[57]     La politique qui sous-tend la Loi de l'impôt sur le revenu vise à éviter l'iniquité que constituerait le fait d'autoriser un contribuable à déduire une dépense relative aux nécessités de la vie quotidienne, ou pour toute autre fin personnelle, alors que d'autres contribuables qui ne sont pas en affaires ne peuvent déduire de telles dépenses en déterminant leur assujettissement à l'impôt sur le revenu. On pourrait dire la même chose si les inscrits à la TPS qui ont des activités commerciales pouvaient obtenir un CTI relativement à la TPS qu'ils ont payée sur des biens acquis dans le cadre de leurs besoins personnels ou de leurs dépenses courantes, plutôt que pour les besoins de l'activité commerciale.


[58]     L'objectif du CTI est d'éviter que les entreprises soient soumises à une double imposition, ainsi que de donner effet au principe qui veut que la TPS est une taxe à la consommation dont le fardeau est imposé à l'utilisateur en bout de ligne et non à la personne qui fournit les biens ou les services à la consommation. Le CTI n'a pas pour but de permettre aux gens qui ont des activités commerciales de demander aux contribuables en général de subventionner leurs dépenses personnelles ou courantes ou, ce qui est le cas en l'instance, d'aider la colonie à défrayer le coût de satisfaire à son obligation de fournir les vêtements aux membres de la communauté et à leurs familles, qu'ils soient engagés dans les activités commerciales de la colonie ou non.

[59]     Je note en passant qu'en calculant leur revenu pour une année d'imposition donnée, les organismes communautaires qui exploitent une entreprise ayant notamment pour objet de veiller à l'entretien de leurs membres ne peuvent opérer aucune déduction au titre des avantages de toute sorte versés à leurs membres (Loi de l'impôt sur le revenu, sous-alinéa 143(1)k)(i)), y compris probablement les coûts relatifs à l'achat du tissu acheté par l'appelante pour fabriquer des vêtements que ses membres portent lorsqu'ils travaillent à l'entreprise agricole de la colonie.

[60]     Ceci m'indique qu'en examinant les autres avantages fiscaux réclamés par la colonie, comme le CTI sur le tissu fourni aux membres pour la fabrication de leurs vêtements de travail, la Cour doit tenir compte des obligations de la colonie envers ses membres qui sont liés à sa nature religieuse, communautaire et essentiellement non commerciale.


[61]            Par conséquent, même si je ne suis pas nécessairement en désaccord avec le résultat auquel on est arrivé dans les faits, je ne peux accepter la déclaration que l'on trouve dans Hleck, Kanuka, Thuringer c. La Reine (1994), 94 DTC 1698, à la p. 1702 (C.C.I.), voulant que, contrairement à la situation qu'on trouve dans le droit de l'impôt sur le revenu, le fait qu'un article puisse accorder un avantage personnel n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de savoir s'il a été acquis pour utilisation dans le cadre d'activités commerciales afin de déterminer s'il est éligible au CTI. Selon moi, il sera difficile d'établir qu'un bien acheté par un inscrit à la TPS a un lien fonctionnel assez étroit avec la production de fournitures imposables pour qu'il donne ouverture à un CTI si l'on peut déterminer qu'on l'aurait probablement acheté de toute façon, ou qu'on aurait acheté quelque chose de semblable à un prix similaire, afin de répondre à un besoin personnel de l'inscrit.

(iii) les implications de la décision majoritaire


[62]     Si l'interprétation que mes collègues donnent à la phrase « dans le cadre de ses activités commerciales » était correcte, cela ouvrirait une brèche tellement grande dans la législation sur la TPS qu'une mesure législative correctrice deviendrait inévitable. Bien sûr, l'interprétation d'une loi n'est pas nécessairement absolument viciée du fait qu'elle mène à des conséquences qui n'étaient pas prévues, ou même désirées au moment de son adoption, ou du fait qu'elle donnera lieu à des anomalies et à des injustices. Toutefois, c'est à bon droit que les tribunaux doivent tenir compte des conséquences pratiques lorsqu'ils procèdent à leur interprétation et, à défaut d'autres considérations plus fondamentales, qu'ils privilégient une interprétation qui n'est pas susceptible d'exiger qu'on soumette la législation à une chirurgie correctrice.

[63]     Par conséquent, je n'interprète pas les motifs de la majorité comme se limitant aux inscrits, qu'ils soient constitués en personne morale ou non, qui fournissent des biens à d'autres personnes impliquées dans les activités commerciales de l'inscrit. Cette question est traitée dans la Loi sur la taxe d'accise, à l'alinéa 170(1)b), une disposition qui ne s'applique peut-être pas aux faits en l'instance étant donné qu'il n'est pas clair que lorsqu'ils travaillent dans le cadre de l'exploitation agricole, les membres seraient des cadres ou des salariés de la colonie.

[64]     Par conséquent, comme l'a admis l'avocat du contribuable, si la colonie a droit à un CTI pour le tissu qui sert à fabriquer des vêtements que les membres portent lorsqu'ils travaillent à l'exploitation agricole, il s'ensuit qu'un particulier inscrit devrait pouvoir réclamer un CTI pour tout bien qu'il a acheté pour utilisation dans son activité commerciale, à condition seulement que ce bien soit adapté à l'objectif et qu'on puisse dire d'une certaine façon qu'il contribue au profit de l'activité commerciale.


[65]     Par conséquent, ce que l'on dit au sujet des vêtements de travail des huttérites devrait s'appliquer aussi aux tenues de ville portées par les inscrits à la TPS lorsqu'ils rencontrent leurs clients, ou lorsqu'ils pratiquent leur profession ou vaquent à leurs affaires. Selon la majorité, il suffirait qu'un contribuable cherchant à obtenir un CTI pour la TPS payée sur ses tenues démontre, par exemple, que comme ses clients auront vraisemblablement plus confiance en lui s'il porte des tenues de ville et que la rentabilité de sa pratique ou de son entreprise en sera accrue, il s'ensuit que ses vêtements ont été acquis pour utilisation dans le cadre de ses activités commerciales.

[66]     Il n'est peut-être pas totalement farfelu de penser que le port d'une tenue de ville peut contribuer au bilan d'un inscrit. Toutefois, comme l'inscrit devrait s'habiller de toute façon et qu'on porte des tenues de ville couramment à d'autres fins, le lien entre les biens et l'activité commerciale sera généralement perçu comme étant trop ténu pour que l'inscrit puisse réclamer un CTI, ce qui constituerait un avantage fiscal que la plupart des contribuables ne peuvent obtenir.

D.       CONCLUSIONS

[67]     Bien sûr, il ne sera pas toujours facile de tirer la ligne entre un bien consommé dans le cadre de l'activité commerciale qui donne droit à un CTI, d'une part, et un bien qui ne donne pas ce droit, d'autre part, parce qu'il répond à un besoin personnel de l'inscrit et qu'il n'a qu'un lien ténu avec ses activités commerciales.


[68]     Lorsqu'il s'agira de déterminer si un bien a été acquis pour utilisation « dans le cadre de ses activités commerciales » , il faudra souvent examiner tout le contexte et pondérer les divers facteurs qui indiquent jusqu'à quel point le bien est intégré de façon fonctionnelle dans l'activité commerciale. Dans la mesure où cet exercice implique des conclusions de fait, la Cour devrait hésiter à intervenir en l'absence d'une erreur « manifeste et dominante » de la part du juge de la Cour de l'impôt.

[69]     Bien que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas examiné cette question en l'instance, du fait qu'il considérait les CTI comme ne s'appliquant qu'aux biens directement utilisés dans la production des fournitures taxables de la colonie, il y a néanmoins une preuve suffisante au dossier pour que je puisse conclure que le juge n'a pas commis d'erreur en rejetant l'appel.

[70]     Pour ces motifs, j'aurais rejeté la demande de contrôle judiciaire.

                                                                                                                          John M. Evans              

                                                                                                                                      J.C.A.                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              A-183-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Midland Hutterian Brethren

et

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 13 octobre 2000

MOTIFS DE JUGEMENT : le juge Malone

Y A SOUSCRIT :                                le juge Linden

MOTIFS DE DISSIDENCE :            le juge Evans

EN DATE DU :                                   21 décembre 2000

ONT COMPARU

M. H. George McKenzie, c.r.                POUR L'APPELANTE

M. Louis A.T. Williams              POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Felesky, Flynn                           POUR L'APPELANTE

Calgary (Alberta)

Morris A. Rosenberg                             POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada


[1]. L.R.C. (1985), ch. E-15, tel que modifié.

[2]. The pertinent portions of subsection     Les passages pertinents du

169(1) read as follows:          paragraphe 169(1) se lisent comme suit :

... where property ... is supplied to ... a person and ... tax in respect of the supply ... becomes payable ... the input tax credit ... is the amount determined by the formula

... le crédit de taxe sur les intrants d'une personne, ... relativement à un bien ... qui lui est fourni, correspond au résultat du calcul suivant si, ... la taxe relative ... à la fourniture devient payable

A x B

A x B

where A is the ... tax in respect of the supply and B is ... the extent (expressed as a percentage) to which the person acquired ... the property ... for consumption, use or supply in the course of commercial activities of the person.

où A représente la taxe relative ... à la fourniture ...; B représente: ... le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ... le bien ... pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

[emphasis added]

[Non souligné dans l'original]

The term "commercial activity" is defined in subsection 123(1) to mean:

L'expression « activité commerciale » est définie au paragraphe 123(1) comme suit :

... a business carried on ... except to the extent to which the business involves the making of exempt supplies...

... l'exploitation d'une entreprise ... sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées ...

[3]. R.S.A. 1980, ch. C-20.

[4]. Dossier de la demanderesse, p. 59 à 91.

[5]. Dossier de l'intimée, p. 23, 24, 27 et 28.

[6]. Dossier de l'intimée, p. 23, 24, 27 et 28.

[7]. Dossier de la demanderesse, p. 120 et 121.

[8]. Dossier de requête de l'intimée, p. 67.

[9]. L.C. 1990, ch. 45.

[10]. L.C. 1993, ch. 27.

[11]. Prétentions de la demanderesse au sujet du paragraphe 169(1), à la p. 3.

[12]. Précité, note 8.

[13]. [1993] 4 R.C.S. 695, à la p. 737.

[14]. Dossier de l'intimée, p. 144.

[15]. Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445, à la p. 456.

[16]. En poussant l'examen un peu plus loin, on trouve la phrase suivante tout de suite après le passage précité : « Le secteur MUSH a le droit de réclamer des crédits de taxe sur les intrants dans la mesure où ses achats sont utilisés pour produire des fournitures taxables » . Le secteur MUSH renvoie aux municipalités, aux universités, aux écoles et aux hôpitaux.

[17]. 2955-4201 Québec Inc. c. Canada, [1997] J.C.F. no 1536; 398722 Alberta Ltd. c. Canada, [2000] J.C.F. no 644.

[18]. Metropolitan Toronto Hockey League c. Canada, [1995] J.C.F. no 944, à la note 1.

[19]. Transcription de l'audience devant la Cour canadienne de l'impôt, aux p. 23 à 26.

20. Précité, à la note 7.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.