Date : 20020513
Dossier : A-142-02
Référence neutre : 2002 CAF 191
En présence de Monsieur le jugeIsaac
ENTRE :
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Appelant
et
SOCIETY PROMOTING ENVIRONMENTAL CONSERVATION
en son nom et au nom de ses membres
Intimée
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 22 avril 2002
Ordonnance rendue à Saskatoon (Saskatchewan), le 13 mai 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ISAAC
Date : 20020513
Dossier : A-142-02
Référence neutre : 2002 CAF 191
En présence de Monsieur le juge Isaac
ENTRE :
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Appelant
et
SOCIETY PROMOTING ENVIRONMENTAL CONSERVATION
en son nom et au nom de ses membres
Intimée
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
[1] L'appelant, le procureur général du Canada, présente une requête visant à faire suspendre l'application d'une ordonnance rendue par le juge Campbell de la Section de première instance le 5 mars 2002, en attendant l'audience et la décision de notre Cour, relativement à un appel de ladite ordonnance. Par cette ordonnance, il a cassé, en raison d'un défaut de compétence, la confirmation, par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, d'un avis d'intention d'exproprier faite en application du sous-alinéa 11(1)a)(ii) de la Loi sur l'expropriation, L.R.C. 1985, ch. E-21.
[2] Les faits ne sont pas contestés et, en vue de l'application des présents motifs, je me suis fondé sur les faits énoncés par le juge des requêtes dans ses motifs et provenant des paragraphes 4 à 24 du mémoire des faits et du droit de l'appelant.
[3] Il faut souligner que la province de la Colombie-Britannique, la propriétaire de la propriété en cause, n'a pas comparu ni pris position sur la présente requête.
[4] Le paragraphe 9 des motifs du juge des requêtes précise :
[traduction]
[9] Bien que la province de la Colombie-Britannique, par l'entremise de son Department of Intergovernmental Relations, a fait un effort considérable afin d'encourager l'opposition et l'implication de la population dans les audiences qui ont eu lieu, elle n'est pas partie à la présente demande. Cependant, la province de la Colombie-Britannique a lancé une contestation constitutionnelle de l'expropriation à la Cour suprême de la Colombie-Britannique et, en plus, l'Institut canadien des droits humains, conjointement avec d'autres personnes et organisations, a intenté des actions parallèles à la Cour fédérale contestant la validité de l'expropriation.
[5] Vu la quantité de litiges qui sont survenus depuis que le gouvernement du Canada a donné un avis d'intention d'exproprier, il me semble que l'appelant est prudent en visant à obtenir la réparation que représente la suspension. La question consiste à savoir si l'appelant a droit à la réparation qu'elle réclame.
[6] Les avocats des parties conviennent que la question est régie par le jugement de la Cour suprême du Canada dans RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, dans lequel le juge Sopinka, au nom de la Cour, a pris en considération et appliqué le critère en trois volets établi par cette Cour dans son jugement antérieur dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.
[7] Dans RJR - MacDonald, précité, l'appelant a décrit le critère en trois volets comme suit : Afin de réussir, il faut démontrer :
(i) qu'il existe une question sérieuse à juger;
(ii) qu'un préjudice irréparable sera causé si la suspension n'est pas accordée;
(iii) que la prépondérance des inconvénients, compte tenu de l'intérêt public, favorise le maintien du statu quo jusqu'à ce que la Cour ait réglé les questions juridiques.
[8] Je suis d'accord avec le fait que le critère dans RJR - MacDonald, précité, régit la présente affaire.
[9] Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'intimée a concédé qu'il existait une question sérieuse à juger, m'évitant d'avoir à en dire plus au sujet de la première partie du critère.
[10] Je vais donc examiner la question qui consiste à savoir si l'appelant subirait, à moins que la suspension ne soit accordée, un préjudice irréparable. À cet égard, je trouve intéressant le passage suivant des motifs du juge Sopinka dans RJR - MacDonald, précité, à la page 341 :
À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus de redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire.
[11] Le capitaine de frégate Barry R. Sparkes, commandant du Centre d'expérimentation et d'essais maritimes des Forces canadiennes (CEEMFC) a déclaré ce qui suit dans son affidavit fait le 11 mars 2002 et déposé au soutien de la présente requête :
[traduction]
15. Il y aurait, à mon avis, des conséquences fâcheuses considérables pour les intérêts du gouvernement du Canada et ceux de la population canadienne en général si le Canada n'était plus en mesure de continuer à utiliser le CEEMFC.
16. Le Canada a prévu des essais de torpilles et un entraînement portant sur leur utilisation au CEEMFC cette semaine et la suivante ainsi que de façon périodique. Cet entraînement et ces essais sont pertinents et importants afin d'assurer l'efficacité des torpilles dont le Canada a besoin pour maintenir son niveau de préparation en matière de défense maritime. Le Canada ne possède aucune autre installation équipée d'instruments pour essayer les sonars et les torpilles. Par conséquent, à mon avis, même à court terme, la perte de l'utilisation du CEEMFC pourrait affecter le niveau de préparation de la défense maritime du Canada à l'égard de la guerre anti-sous-marine. La Marine et l'Aviation canadiennes ont besoin d'utiliser une installation d'entraînement et d'essais de façon périodique afin de s'assurer de la précision des torpilles qu'elles emploient.
17. Bien qu'en théorie les essais de torpilles et l'entraînement portant sur leur utilisation puissent être accomplis sur des sites non canadiens, il y aurait des coûts associés à l'utilisation de tels sites alternatifs découlant, entre autres choses, des coûts d'opération plus élevés et des droits d'utilisation de tels sites. Le Canada serait, de plus, susceptible de jouir d'une priorité moindre pour l'accès à ces sites. Les forces de la Marine canadienne devraient probablement utiliser les installations de tests des États-Unis à Hawaï ainsi que d'autres sites des États-Unis afin d'y mener des tirs de torpilles ainsi que d'autres essais avec des navires et des aéronefs; cela occasionnerait probablement un accès limité au champs de tir, des coûts plus élevés et une priorité moindre pour les résultats des tests.
[12] Il n'y a pas eu de contre-interrogatoire concernant cet affidavit, de même qu'aucune contradiction dans les affidavits de M. Ivan Bulic, fait le 8 avril 2002, ou du Dr Michael Wallace, fait le 29 mars 2002, qui ont été déposés par l'intimé. Par conséquent, à mon avis, l'appelant a satisfait à cette partie du critère.
[13] Je vais maintenant traiter de la dernière partie du critère à trois volets - la prépondérance des inconvénients, en tenant compte de tout préjudice présumé à l'intérêt public. À cet égard, le passage suivant du juge Sopinka dans RJR - MacDonald, précité, à la page 346 me semble approprié :
On pourra presque toujours satisfaire au critère [de préjudice à l'intérêt public] en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés. Si l'on satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public.
[14] Je suis bien conscient que la considération de l'intérêt public peut également être influencée par d'autres facteurs ou que les intimés représentent un segment de l'intérêt public. Mais je suis également conscient de l'opinion de Lord Diplock dans l'arrêt American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd. [1975] A.C. 396, à la page 408, selon laquelle [traduction] « il sera plus prudent d'adopter les mesures propres à maintenir le statu quo » .
[15] Malgré le plaidoyer éloquent de M. Gage selon lequel je devrais rejeter la demande ou l'accueillir avec les conditions mentionnées aux paragraphes 77 et 78 de son mémoire des faits et du droit, je propose néanmoins de suivre l'obiter dictum de Lord Diplock et d'accueillir la requête de l'appelant, et de maintenir ainsi le statu quo ante, pour les motifs suivants. Premièrement, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dans son exposé des motifs à la page 361 du dossier de requête de l'appelant, a affirmé que le terrain exproprié était nécessaire pour des considérations de sécurité et de défense essentielles, lesquelles sont de la responsabilité constitutionnelle du Parlement du Canada. Deuxièmement, dans le même document, il a soit nié ou fourni des réponses à certaines des objections qui avaient été soulevées par l'intimée dans les documents qu'il avait déposés au soutien de la position qu'il avait prise concernant la requête. L'exposé des motifs du ministre m'a frappé parce qu'il était autant sérieux que bien construit. Je ne vois donc aucun motif pour lequel je ne devrais pas, en vue de l'application de la présente requête, accepter son contenu à sa face même. Pour les mêmes motifs, j'accepte la lettre de MM. Eggleton et Anderson concernant ce sujet. [Non souligné dans l'original]
[16] En fin de compte, les affidavits du capitaine de frégate Barry Sparkes et de Jean Riopel contiennent des éléments de preuve qui m'ont convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le Canada a besoin du champs de tir pour des raisons de sécurité nationale et pour satisfaire à ses obligations internationales.
CONCLUSION
[17] J'accueillerais la requête avec dépens.
[18] Il y a un autre sujet que j'aimerais aborder avant de me dessaisir du présent dossier. Au cours des plaidoiries, j'ai discuté avec les deux avocats de la possibilité d'une audition anticipée de l'appel en instance, mais je n'ai pas réussi. L'avocat de l'intimée souhaitait que l'appel soit entendu à Vancouver, mais on ne pouvait accueillir cela à ce terme-ci.
[19] Dans le but que le dossier continue à progresser, je rendrai une ordonnance hâtant l'audition de l'appel.
« Julius A. Isaac »
J.C.A.
Saskatoon (Saskatchewan)
Le 13 mai 2002
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-142-02
INTITULÉ : PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Appelant
et
SOCIETY PROMOTING ENVIRONMENTAL CONSERVATION en son nom et au nom de ses membres
Intimée
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE : LE LUNDI 22 AVRIL 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ISAAC
DATE DES MOTIFS : LE LUNDI 13 MAI 2002
COMPARUTIONS : Michael Stephens
John Hunter, c.r.
POUR L'APPELANT
Andrew Gage
David Wright
POUR L'INTIMÉE
AVOCATS AU DOSSIER :
Davis & Company
Barristers & Solicitors
2800 Park Place
666 Burrard Street
Vancouver, BC
V6C 2Z7
POUR L'APPELANT
West Coast Environmental Law Association
1001 - 207 West Hastings Street,
Vancouver, BC
V6B 1H7
POUR L'INTIMÉE
Date : 20020513
Dossier : A-142-02
Saskatoon (Saskatchewan), le lundi 13 mai 2002
En présence de Monsieur le juge Isaac
ENTRE :
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Appelant
et
SOCIETY PROMOTING ENVIRONMENTAL CONSERVATION
en son nom et au nom de ses membres
Intimée
ORDONNANCE
ATTENDU QUE l'appelant a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance suspendant l'application de l'ordonnance du juge Campbell datée du 5 mars 2002, en attendant la décision de la Cour relativement à l'appel de l'appelant concernant ladite ordonnance; attendu l'examen du dossier de requête déposé par l'appelant et l'intimée, les affidavits qu'il contient ainsi que les pièces dont il est question dans lesdits affidavits et attendu l'audition des prétentions des avocats de l'appelant et de l'intimée;
IL EST ORDONNÉ QUE :
1. la requête soit accueillie avec dépens et que l'application de l'ordonnance du juge Campbell datée du 5 mars 2002 soit suspendue, et elle l'est par les présentes, en attendant la décision de la Cour sur le présent appel;
2. l'appelant signifie et dépose son dossier d'appel dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance, sauf prolongation de la période limitée pour ce faire par une ordonnance d'un juge de la Cour;
3. l'appelant signifie et dépose son mémoire des faits et du droit dans les 30 jours du dépôt du dossier d'appel;
4. l'intimée signifie et dépose son mémoire des faits et du droit dans les 30 jours de la date de signification du mémoire de l'appelant;
5. l'appelant signifie et dépose la demande d'audience prescrite par le paragraphe 347(1);
6. l'administrateur judiciaire fasse de son mieux pour fixer l'appel pour audition à une séance de la Cour à Vancouver, au cours de l'automne ou de l'hiver 2002.
« Julius A. Isaac »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.