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Date: 19991223


Dossier: A-333-99

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL



ENTRE:

     ANDRÉ ARTHUR

     Demandeur

ET:

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur








     Audience tenue à Montréal (Québec), le mardi, 23 novembre 1999


     Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le jeudi, 23 décembre 1999





MOTIFS D'ORDONNANCE PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE DÉCARY




Date: 19991223


Dossier: A-333-99

CORAM:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL



ENTRE:

     ANDRÉ ARTHUR

     Demandeur

ET:

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur




     MOTIFS D'ORDONNANCE



LE JUGE LÉTOURNEAU



[1]      Le demandeur est un animateur radiophonique plus particulièrement versé dans l'animation de tribunes téléphoniques portant sur des sujets d'actualité souvent contentieux. Il attaque par voie de contrôle judiciaire une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au motif que cette décision lui porte un préjudice sérieux, qu'elle lui attribue un blâme injustifié qui entache sa réputation, brime sa liberté d'expression et restreint son droit au travail et, finalement qu'elle a été prise en son absence et sans qu'il n'ait eu l'opportunité d'être entendu. Il recherche les conclusions suivantes:

     a)      RESTREINDRE la décision du CRTC 99-93, de façon à ce qu'aucun blâme, reproche, critique, plainte, ou toute autre forme de commentaire négatif à l'encontre du demandeur n'y apparaisse;
     b)      ANNULER la condition de licence quant à la version révisée du Guide déontologique et politique interne de CKVL, tel qu'approuvée par le CRTC;
     c)      DÉCLARER invalides et inopérants les paragraphes 3 b) et c) du Règlement de 1986 sur la radio, DORS/86-982, modifié par DORS/91-586;
     d)      DÉCLARER invalide et inopérant le paragraphe 3(1)g) de la Loi sur la radiodiffusion;
     e)      DÉCLARER invalide et inopérant l'avis public CRTC 1988-213, "Politique en matière de tribunes téléphoniques";
     f)      LE TOUT avec dépens.

[2]      Le défendeur riposte en demandant la radiation de la procédure entreprise par le demandeur. Il allègue, d'une part, que le recours du demandeur est devenu théorique et sans objet puisqu'il ne travaille plus pour le titulaire de la licence, CKVL, à l'égard de qui la décision du CRTC portant renouvellement de la licence a été rendue. D'autre part, il soutient que le demandeur dispose d'un droit d'appel en vertu de l'article 31 de la Loi sur la radiodiffusion (L.C. 1991, c. 11) et, conséquemment, que le contrôle judiciaire fondé sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale n'est pas la procédure appropriée dans les circonstances.

[3]      J'aborderai les deux questions dans l'ordre ci-auparavant mentionné. J'ajoute immédiatement qu'à ce stade préliminaire, nous ne sommes pas saisis du fond du litige, ou si l'on préfère, du mérite de la demande de contrôle judiciaire. J'évoquerai donc un certain nombre de faits allégués par le demandeur qui me paraissent nécessaires pour disposer de la requête en radiation, mais sans adjuger sur leur bien fondé et les conséquences qui en découlent pour la demande de contrôle judiciaire proprement dite.

Le recours du demandeur est-il sans objet?

[4]      Un recours est théorique si la décision du tribunal qui en est saisi n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a ou peut avoir des conséquences sur les droits des parties: Borowski c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 342. Il faut donc un litige ou un différend juridique concret.

[5]      Sur la base de ces principes, il m'apparait évident que le défendeur a raison en ce qui a trait à la deuxième conclusion recherchée par le demandeur. Ce dernier n'est plus à l'emploi de CKVL depuis le 21 octobre 1999 et le Guide déontologique et politique interne de son ancien employeur ne régit plus ses activités d'animateur. Le différend que ce Guide imposé par le CRTC a pu faire naître entre lui et son employeur a donc cessé d'exister. La situation n'est, toutefois, pas aussi évidente en ce qui concerne les autres conclusions recherchées et requiert quelques explications.

[6]      En effet, les alinéas c), d) et e) de la demande visent à obtenir une déclaration d'invalidité de dispositions législatives et réglementaires ainsi que d'une "Politique en matière de tribunes téléphoniques" qui, selon le demandeur, sont contraires à la Charte des droits et libertés de la personne en ce qu'elles briment sa liberté d'expression et, plus particulièrement, sa liberté d'exprimer des opinions politiques qui peuvent déplaire, blesser, heurter ou choquer.

[7]      Les alinéas 3b) et c) du Règlement de 1986 sur la radio, DORS/86-982, adopté par le CRTC et modifié par DORS/91-586, imposent au titulaire d'une licence, et par le fait même à ses employés dont il est responsable (voir l'avis public CRTC 1988-213, Politique en matière de tribunes téléphoniques), une interdiction de diffuser un langage obscène ou blasphématoire ou encore des propos offensants qui risquent d'exposer une personne, ou un groupe de personnes, à la haine ou au mépris.

[8]      L'alinéa 3(1)g) de la Loi sur la radiodiffusion énonce, dans le contexte de la définition de la politique canadienne de radiodiffusion, que la programmation offerte par les entreprises de radiodiffusion devrait être de haute qualité.

[9]      À ce chapitre, la documentation fournie par le demandeur et les plaidoiries de son avocat ne nous éclairent pas beaucoup quant au fondement même de cette demande de déclaration d'invalidité. Je suppose que, pour le demandeur, cette disposition législative crée une norme vague et imprécise et que son application par les instances appropriées non seulement invite à l'arbitraire, mais permet aussi d'exercer une censure sur les propos tenus et donc sur la liberté d'opinion et d'expression.

[10]      Quant à l'avis public CRTC 1988-213, Politique en matière de tribunes téléphoniques, le demandeur soutient que cet avis brime sa liberté d'expression puisqu'il permet au CRTC dans le cadre du processus de renouvellement de la licence d'un titulaire d'imposer d'une manière arbitraire des conditions visant des situations et des individus spécifiques de façon à pouvoir censurer leur propos.

[11]      J'avoue que le lien entre les allégations du demandeur et la conclusion juridique qu'il recherche et qu'elles sont censées appuyer n'est pas toujours d'une grande limpidité. À leur face même, les déclarations d'invalidité que le demandeur désire obtenir par les conclusions c), d) et e) de sa demande de contrôle judiciaire ne me semblent pas liées à la décision CRTC 99-93 du CRTC et, de fait, sont du genre de celles qui peuvent être recherchées en elles-mêmes, c'est-à-dire indépendamment de cette décision. En pareil cas, cependant, je ne crois pas, du moins pour la conclusion d), que celle-ci puisse être obtenue par le biais de la procédure prévue à l'article 28 puisque la demande de contrôle judiciaire prévue à l'alinéa 28 c) doit viser un office fédéral, en l'occurence le CRTC, alors qu'elle vise une loi du Parlement.

[12]      En outre, dans la mesure où ces conclusions peuvent et doivent effectivement être reliées à la décision du CRTC, elles doivent alors se rapporter à l'objet du litige sur lequel porte la décision, soit le renouvellement de la licence de CKVL et l'imposition d'une condition de cette licence. Or, comme le demandeur n'est plus à l'emploi de CKVL et comme il ne demande ni l'annulation de la décision du CRTC ni une nouvelle audition sur la question, je suis d'avis que, dans les circonstances, cette partie de la demande identifiée par les conclusions c), d) et e) est sans objet. De fait, il appert que le seul remède véritable que le demandeur recherche, c'est d'effacer de la décision rendue par le CRTC les propos qu'il juge inéquitables et injustifiés à son endroit du fait qu'ils ont été prononcés en son absence. Ceci m'amène donc à la dernière conclusion recherchée par le demandeur, soit celle de restreindre la décision du CRTC de façon à ce qu'aucun blâme à son endroit n'y apparaisse.

[13]      Sur ce point, le demandeur s'attaque à la décision du CRTC parce que ce dernier n'a pas respecté la règle audi alteram partem. Il reproche au CRTC d'avoir entendu les plaintes d'intervenants à son égard sans qu'il n'ait été invité à les réfuter ou même à comparaître et faire connaître son point de vue à ce sujet. Au paragraphe 46 de son affidavit au soutien de sa demande, le demandeur va plus loin. Il allègue même que son employeur a offert au CRTC la participation de son employé à l'audience publique mais que le CRTC aurait non seulement refusé, mais aurait demandé à l'employeur de s'assurer que son employé ne participerait pas à ladite audience.

[14]      Il fait également référence à l'Avis d'audience publique CRTC 1998-7 émis par le CRTC le 2 octobre 1998, lequel informe son ancien employeur CKVL que le CRTC entend discuter des interventions reçues et des plaintes figurant au dossier de CKVL ainsi que de la possibilité d'imposer, comme condition de licence, le respect par la titulaire de la Politique en matière de tribunes téléphoniques contenue dans l'avis public du CRTC du 23 décembre 1988 (CRTC 1988-213). Or, cet avis d'audience publique, comme le signale le demandeur qui n'a pas nié en avoir pris connaissance, indique que "seules les interventions déjà reçues, acceptées par le Conseil et déposées au dossier public seront considérées". Il allègue qu'au moment où il a pris connaissance de la teneur des audiences publiques pouvant l'affecter, il avait déjà été écarté du processus.

[15]      Pour l'instant, cette preuve n'est pas contredite. Au surplus, le demandeur allègue que la décision 99-93 du CRTC révèle, à sa face même, que le CRTC, tant dans ses motifs que dans ses conclusions, a adjugé sur le bien-fondé des plaintes à son endroit, l'a blâmé sévèrement et que ce blâme lui porte encore préjudice. D'où, dit-il, son intérêt indéniable à contester la décision du CRTC.

[16]      Il ne faut pas oublier que nous sommes saisis d'une requête pour rejeter sommairement une demande de contrôle judiciaire et que le défendeur ne prétend pas que cette demande est frivole et n'a aucune chance de succès. Ce genre de requête est et doit demeurer une procédure très exceptionnelle en matière de contrôle judiciaire: David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, à la page 600 (C.A.F.).

[17]      À ce stade des procédures et sur la base de la preuve qui nous a été fournie, il ne m'est pas possible de conclure que le litige est sans objet eu égard à la conclusion a) et que le demandeur n'a pas l'intérêt requis par l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale pour attaquer cette décision du CRTC. Il me reste donc à déterminer si le recours en contrôle judiciaire est la procédure appropriée.

Le recours du demandeur est-il la procédure appropriée?

[18]      L'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale reconnaît la compétence de la Cour d'appel fédérale pour entendre des demandes de contrôle judiciaire visant le CRTC. Cependant, l'article 18.5 de la même loi écarte la possibilité de recourir à une telle procédure pour contester une décision ou une ordonnance d'un office fédéral lorsque celles-ci sont susceptibles d'appel.

18.5 Dérogation aux art. 18 et 18.1 - Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu'une loi fédérale prévoit expressément qu'il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l'impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d'une décision ou d'une ordonnance d'un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d'un tel appel, faire l'objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d'évocation, d'annulation ni d'aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

18.5 Exception to sections 18 and 18.1 - Notwithstanding sections 18 and 18.1, where provision is expressly made by an Act of Parliament for an appeal as such to the Court, to the Supreme Court of Canada, to the Court Martial Appeal Court, to the Tax Court of Canada, to the Governor in Council or to the Treasury Board from a decision or order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review of to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act.


[19]      Or, l'article 31 de la Loi sur la radiodiffusion, soumet le défendeur, accorde un droit d'appel autant sur une question de compétence que de droit:

31(1) Caractère définitif

31. (1) Sauf exceptions prévues par la présente partie, les décisions et ordonnances du Conseil sont définitives et sans appel.

31(1) Decisions and orders final

31. (1) Except as provided in this Part, every decision and order of the Commission is final and conclusive.

31(2) Cas d'appel: Cour fédérale

(2) Les décisions et ordonnances du Conseil sont susceptibles d'appel, sur une question de droit ou de compétence, devant la Cour d'appel fédérale. L'exercice de cet appel est toutefois subordonnée à l'autorisation de la cour, la demande en ce sens devant être présentée dans le mois qui suit la prise de la décision ou ordonnance attaquée ou dans le délai supplémentaire accordé par la cour dans des circonstances particulières.

31(2) Appeal to Federal Court of Appeal

(2) An appeal lies from a decision or order of the Commission to the Federal Court of Appeal on a question of law or a question of jurisdiction if leave therefor is obtained from that Court on application made within one month after the making of the decision or order sought to be appealed from or within such further time as that Court under special circumstances allows.


[20]      En outre, ce droit d'appel permet de contrôler des questions de fait ou des violations des principes de justice naturelle. Il cite à l'appui les décisions de cette Cour dans Leroux c. Transcanada Pipelines Ltd. (1996) 198 N.R. 316, laquelle a repris le principe énoncé dans Cathay International Television c. Canada (1987) 80 N.R. 117. Je reviendrai plus tard sur ces deux décisions pour en examiner la portée.

[21]      Le défendeur réfère également à la décision de cette Cour dans Canadian Broadcasting League c. CRTC [No. 2], [1980] 1 C.F. 396, où, aux pages 405 et 406, le juge Le Dain conclut que le droit d'appel conféré à l'endroit des décisions du CRTC doit être considéré comme une extension du droit de tout membre du public d'accéder aux audiences du CRTC et d'y présenter des observations. Il y voit là la consécration d'un droit accordé à tout citoyen, même en l'absence d'un intérêt pour agir. Avec respect, je ne crois pas que cette décision ait la portée que lui attribue le défendeur.

[22]      Premièrement, Rogers Telecommunications Ltd., à qui le CRTC avait autorisé le transfert du contrôle effectif de certaines entreprises de radiodiffusion, s'opposait à la demande d'autorisation d'appeler de la Canadian Broadcasting League (CBL) au motif qu'elle n'avait pas d'intérêt pécuniaire ou à titre de propriétaire pour en appeler et qu'il fallait, comme dans l'affaire John Graham Company Ltd. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1976] 2 C.F. 82, qu'elle démontre que la décision lui cause un préjudice parce que ses intérêts étaient lésés ou risquaient de l'être par la décision. Après avoir constaté que la demande dans l'affaire Graham était une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale où il faut que la partie demanderesse établisse qu'elle est directement touchée par la décision, le juge Le Dain s'est tout simplement refusé d'importer et d'appliquer à une demande de permission d'appeler en vertu de la Loi sur la radiodiffusion ce critère d'intérêt plus strict prévu expressément dans la Loi sur la Cour fédérale car la disposition octroyant le droit d'appel ne prévoyait pas une telle restriction et ne contenait aucune définition de l'intérêt requis pour interjeter appel.

[23]      Deuxièmement, la CBL était intervenante devant le CRTC et y avait fait des représentations. Le juge Le Dain conclut de ce fait qu'elle avait un intérêt suffisant pour appeler puisque, selon la Loi sur la radiodiffusion de l'époque, ce qui est encore le cas aujourd'hui, la CBL était une partie aux procédures à cause de la définition même de "partie" qui, en rapport avec une audience du CRTC, désigne le requérant et tout intervenant. L'énoncé sur lequel le défendeur fonde sa prétention et son objection au recours du demandeur est, de toute évidence, un obiter.

[24]      Le demandeur, pour sa part, invoque deux décisions de notre Cour au soutien de sa prétention que son recours en contrôle judiciaire est un recours approprié: Syndicat des travailleurs en télécommunications c. Canada, [1993] 1 C.F. 231 (C.A.F.) et Union of Nova Scotia Indians et al. c. Maritimes and Northeast Pipeline Management Ltd. et al., [1999] A.C.F. no. 242 (C.A.F.).

[25]      Dans l'affaire Syndicat des travailleurs en télécommunications, le demandeur n'était pas reconnu comme une partie aux procédures devant le CRTC et s'était vu refuser la permission d'appeler de la décision du CRTC. Notre Cour a conclu que, dans de telles circonstances, l'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale n'avait pas pour effet de l'empêcher de se pourvoir par voie de contrôle judiciaire. Cette décision a été suivie dans Union of Nova Scotia Indians où notre Cour a accepté l'affirmation non contestée des requérantes qu'elles n'avaient pas de droit d'appel de la décision rendue cette fois par l'Office national de l'énergie parce qu'elles n'étaient pas parties à l'instance devant cet Office. Dans ces circonstances, notre Cour s'est dit d'avis que l'article 18.5 ne faisait pas obstacle à leur demande de contrôle judiciaire.

[26]      Ces deux décisions appuient la proposition qu'une personne directement touchée par une décision d'un office fédéral, rendue aux termes de procédures auxquelles elle n'a pas été partie, et qui, en conséquence, est dépourvue d'un droit d'appel, peut recourir au contrôle judiciaire pour attaquer la légalité de cette décision. Elles ne sont aucunement incompatibles avec les affaires Leroux et Cathay International Television Inc., précitées, qui traitent non pas de l'existence du droit d'appel et de l'intérêt requis pour appeler, mais bien de la portée du droit d'appel d'une personne qui bénéficie d'un tel droit. J'ajouterais cependant, avant de passer à l'analyse de ces deux décisions, qu'une personne qui aurait pu se porter intervenante devant le CRTC mais qui ne l'a pas fait, pourrait fort bien se voir refuser, si elle s'avisait de déposer une demande de contrôle judiciaire, la qualité de personne "directement touchée". L'article 18.5 ne peut avoir pour but de donner une seconde chance à une personne qui ne s'est pas prévalue de la première. Ainsi n'a pas qui veut la qualité de personne "directement touchée"; il suffit, pour s'en convaincre, de lire l'arrêt de cette Cour dans Canadian Motion Picture Distributors Association et al. c. Partners of Viewer's Choice Canada et al., (1996) 199 N.R. 167 (C.A.F.) où il fut décidé que les demandeurs, qui auraient pu participer aux audiences du CRTC mais avaient choisi de ne pas le faire, n'avaient pas l'intérêt requis pour présenter une demande de contrôle judiciaire car ils n'avaient aucun lien contractuel pour la distribution de films avec ceux qui s'étaient vus octroyés une licence par le CRTC.

[27]      Il est clair dans l'affaire Cathay International Television Inc. que cette compagnie, qui s'était vue imposer une condition à la licence, avait été partie aux procédures devant le CRTC et qu'elle possédait un droit d'appel. Il était alors plus simple et définitivement plus pratique d'analyser tous ses griefs via la procédure d'appel que de les morceler dans deux procédures (appel et contrôle judiciaire) pour ensuite réunir les deux procédures et les entendre et les juger de façon sommaire comme le suggérait la requérante en se fondant sur une pratique et une jurisprudence antérieures (voir aux pages 5 et 6 de la décision et l'affaire Aly Abdel Hafez Aly c. Min. de Main-d'oeuvre et Immigration, [1971] C.F. 540 (C.A.F.)).

[28]      Dans l'affaire Leroux, les requérants Leroux et 417 Auto Wreckers Ltd. attaquaient une décision de l'Office national de l'énergie et l'avaient fait à la fois par demande de contrôle judiciaire et par requête en vue d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel. Les motifs allégués par les requérants étaient les mêmes dans les deux procédures. Dans la foulée de l'initiative entreprise pour simplifier la procédure et éviter les dédoublements, la Cour a conclu que le droit d'appel avait une portée suffisamment large pour englober un contrôle des questions de fait ou des violations des principes de justice naturelle qui étaient auparavant l'apanage des procédures en contrôle judiciaire.

[29]      Dans la présente affaire, le demandeur n'était pas partie aux procédures devant le CRTC et n'a pas de droit d'appel de la décision. Vu les affaires Syndicat des travailleurs en télécommunications et Union of Nova Scotia Indians, précitées, il est impossible de dire à ce stade qu'il ne peut recourir à la procédure de contrôle judiciaire pour attaquer la décision du CRTC dans les aspects de cette décision qui le concernent.

[30]      Le demandeur a exprimé sa frustration et un certain ressentiment à l'égard du débat procédural auquel il a été confronté et qui résulte de la priorité accordée à la procédure d'appel en cas d'existence de plus d'un recours. Mais l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale remplit une fonction importante. Il joue un rôle supplétif dans les cas où la personne dont les droits sont affectés est écartée du processus d'appel existant. Il joue aussi un rôle nécessaire lorsque, par exemple, une partie veut, en cours d'instance, empêcher le tribunal de prendre une décision ou d'exercer une compétence qu'il n'a pas. Le demandeur eût-il bénéficié d'un droit d'appel et, en conséquence, exercé par erreur le mauvais recours en faisant une demande de contrôle judiciaire que j'aurais invoqué et appliqué les dispositions curatives de l'article 57 de nos Règles (Règles de la Cour fédérale (1998)), lequel oblige la Cour à ne pas annuler un acte introductif d'instance au seul motif que l'instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance. Le demandeur a été diligent dans l'exercice de son recours et j'aurais transformé sa demande de contrôle judiciaire en une demande d'autorisation d'appeler.

[31]      En conclusion, je serais d'avis de rejeter la requête en radiation présentée par le défendeur et de laisser la demande de contrôle judiciaire suivre son cours normal sur la seule question suivante: y a-t-il eu, en l'espèce, manquement aux principes d'équité procédurale et, si oui, la décision du CRTC doit-elle être modifiée de manière à ce qu'aucun blâme, reproche, critique, plainte, ou toute autre forme de commentaire négatif à l'égard de M. Arthur n'y apparaisse? Seront en conséquence expurgés du dossier déjà déposé par le demandeur tout document, partie de document et allégation de fait ou de droit portant sur toute autre question.

[32]      J'autoriserais le défendeur à déposer ses affidavits dans les trente jours de la présente ordonnance.

[33]      J'accorderais à M. Arthur les dépens sur cette requête, que je traiterais, dans les circonstances et aux seules fins de l'établissement des dépens, comme un appel au sens des articles 16 à 22 du Tarif B.



     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.

"Je suis d'accord,

     Robert Décary j.c.a."

"Je suis d'accord,

     Marc Noël j.c.a."

     LE JUGE NOËL

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