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Date: 19971223


Dossier: A-504-94

CORAM:      LE JUGE DENAULT

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     LOUIS BELLIARD,

     APPELANT (requérant);

ET:

     LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC,

     dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations

     établies par lui en vertu de la Loi sur la taxe d'accise

     et

     Dans l'affaire de la loi sur la taxe d'accise,

     INTIMÉ;

     ET:

     COLIN, PARÉ & ASSOCIÉS, HUISSIERS,

     MIS EN CAUSE;

     Audience tenue à Québec (Québec) le lundi 8 décembre 1997

     Jugement prononcé à Ottawa (Ontario) le mardi 23 décembre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE DENAULT

     LE JUGE DESJARDINS


Date: 19971223


Dossier: A-504-94

CORAM:      LE JUGE DENAULT

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     LOUIS BELLIARD,

     APPELANT (requérant);

ET:

     LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC,

     dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations

     établies par lui en vertu de la Loi sur la taxe d'accise

     et

     Dans l'affaire de la loi sur la taxe d'accise,

     INTIMÉ;

     ET:

     COLIN, PARÉ & ASSOCIÉS, HUISSIERS,

     MIS EN CAUSE;



     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

Faits et procédure

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision rendue le 21 septembre 1994 par un juge de la section de première instance. À cette date, le juge de première instance rejetait, avec dépens, la requête de l'appelant par laquelle il s'opposait à la saisie des biens suivants lui appartenant:

-      un véhicule automobile de marque Saturn SL2 de couleur bleue, 4 portes, immatriculé TFF-787 et portant le numéro de série IG8ZJ5573PZ108720;
-      un fax de marque Brothers, modèle Fax-150;
-      un bureau en bois avec tiroir;
-      une chaise sur roulettes;
-      deux classeurs en métal gris 4 tiroirs;
-      une table d'ordinateur en bois en forme de "L"; et
-      un ordinateur de marque AST avec clavier, unité de traitement et écran de marque Mitsubishi et ses accessoires.

[2]      Cette saisie fut exécutée le 27 juillet 1994 au bénéfice du sous-ministre du Revenu du Québec. Subséquemment, à cause de l'article 130 de la Loi sur le Barreau, le saisissant a donné une main levée de la saisie en ce qui a trait aux deux classeurs en métal gris comprenant quatre tiroirs. Les faits qui ont donné naissance au présent litige peuvent se résumer ainsi.

[3]      L'appelant est avocat au Québec depuis 1982. Il a pratiqué le droit successivement à Sept-Iles, Chicoutimi et Québec. Au moment de la saisie pour des montants dûs en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, l'appelant exerçait sa profession à Québec.

[4]      Les biens faisant l'objet du litige, sauf le véhicule automobile, furent saisis à la résidence de l'appelant. Ce dernier prétend qu'il exerçait 30% de son activité professionnelle à domicile et que le 70% restant consistait alors en des mandats en droit criminel qui lui étaient confiés par Me Martin Tremblay. Il reconnait avoir eu à l'époque accès aux services de soutien de l'étude légale de Me Tremblay, sise sur le chemin St-Louis, à Québec.

[5]      Devant nous, l'appelant a soutenu que les biens en litige jouissaient d'un privilège d'insaisissabilité fondé sur l'article 552 du Code de procédure civile et, pour certains de ces biens, à la fois sur cet article 552 et sur l'article 130 de la Loi sur le Barreau. Il convient de reproduire les deux dispositions législatives pertinentes:

         Code de procédure civile         
     552.      Il doit être laissé au débiteur la faculté de choisir parmi ses biens et de soustraire à la saisie:         
         3.      Les instruments de travail nécessaires à l'exercice personnel de son activité professionnelle.         
         Loi sur le Barreau         
     130.      Outre les exemptions décrétées par le Code de procédure civile et sous réserve des dispositions du paragraphe 2 de l'article 76, les dossiers de l'avocat, ses livres de comptabilité, classeurs, livres de droit et autres documents d'ordre professionnel sont insaisissables.         

[6]      J'ajouterai que l'exception de l'article 76(2) à laquelle le texte de l'article 130 de la Loi sur le Barreau renvoie n'a pas d'application au présent litige.

La saisie de l'ameublement de bureau, de l'ordinateur et du fax

a)      Le droit applicable et le fardeau de preuve

[7]      L'article 2644 du nouveau Code civil réitère le principe de l'ancien Code contenu à l'article 1981 selon lequel le patrimoine d'un débiteur constitue le gage commun d'un créancier:

     Art. 2644.      Les biens d'un débiteur sont affectés à l'exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers.         

Il s'agit là du principe général applicable en matière d'exécution des obligations. Toute dérogation à ce principe, notamment celle conférant un privilège d'insaisissabilité, devient une exception qui doit alors s'interpréter strictement et restrictivement.

[8]      Dans ce contexte, quatre constats s'imposent d'emblée à la lecture même des dispositions de l'article 552(3).

[9]      Premièrement, le privilège d'insaisissabilité du paragraphe 3 de l'article 552 se limite aux instruments de travail d'un débiteur. Deuxièmement, il doit s'agir d'instruments qui sont nécessaires à l'exercice de l'activité professionnelle. Comme c'était le cas d'ailleurs dans la version précédente de l'article 552, le législateur a clairement opté pour un test de nécessité plutôt qu'un critère d'utilité ou de simple convenance. Il s'agit là déjà d'une indication que ce dernier a voulu maintenir le caractère très restrictif de cette exception pour protéger les droits d'un créancier, mais tout en évitant que les mesures d'exécution n'entraînent l'indigence du débiteur.

[10]      Troisièmement, le législateur, en faisant référence à l'exercice d'une activité professionnelle, a voulu exclure du bénéfice du privilège les instruments qui sont nécessaires à l'exercice d'une activité commerciale. Autrement, le libellé du texte eut référé à l'exercice d'une activité commerciale plutôt que professionnelle si le législateur eut voulu accorder le bénéfice du privilège aux commerçants ou encore aux deux sortes d'activités si l'intention était d'étendre la protection aux deux catégories d'activités1.

[11]      Quatrièmement, le nouveau texte du paragraphe 3 de l'article 552, adopté suite à l'entrée en vigueur du nouveau Code civil, réfère à l'exercice "personnel" d'une activité professionnelle. La même exception formulée dans à peu près les mêmes termes se retrouve d'ailleurs à l'article 2648 du nouveau Code civil:

     Art. 2648.      Peuvent être soustraits à la saisie, dans les limites fixées par le Code de procédure civile, les meubles du débiteur qui garnissent sa résidence principale, servent à l'usage du ménage et sont nécessaires à la vie de celui-ci, sauf si ces meubles sont saisis pour les sommes dues sur le prix.         
     Peuvent l'être aussi, dans les limites ainsi fixées, les instruments de travail nécessaires à l'exercice personnel d'une activité professionnelle, sauf si ces meubles sont saisis par un créancier détenant une hypothèque sur ceux-ci. (Je souligne.)         

[12]      Pour mieux saisir la raison de l'insertion du mot "personnel" aux articles 2648 du Code civil et 552 du Code de procédure civile, il convient de rappeler que l'article 1525 du nouveau Code civil donne une définition fort englobante du concept "d'exploitation d'entreprise", laquelle inclut la prestation de services dans une activité économique organisée, de nature commerciale ou non:

     Art. 1525.      La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas; elle n'existe que lorsqu'elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi.         
     Elle est au contraire, présumée entre les débiteurs d'une obligation contractée pour le service ou l'exploitation d'une entreprise.         
     Constitue l'exploitation d'une entreprise l'exercice, par une ou plusieurs personnes, d'une activité économique organisée, qu'elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services. (Je souligne.)         

[13]      L'exercice de la profession d'avocat peut donc constituer, au terme de cette définition, l'exploitation d'une entreprise. Toutefois, l'ajout du mot "personnel" tant à l'exception de l'article 2648 du nouveau Code civil qu'à celle de l'article 552 du Code de procédure civile a pour but de limiter en pareils cas les biens insaisissables à ceux dont un individu a besoin pour exercer personnellement son activité professionnelle en dehors de toute notion d'exploitation d'une entreprise. C'est d'ailleurs la justification fournie par le Ministre de la Justice dans ses commentaires explicatifs de l'article 2648 introduit dans le nouveau Code civil:

     Commentaire         
     Cet article, qui reprend la substance de l'article 552 C.P.C., énonce une exception d'ordre public au principe que les biens d'un débiteur constituent le gage commun de ses créanciers, en permettant de soustraire d'une saisie des biens par ailleurs saisissables, mais qui présentent un caractère essentiel pour assurer les besoins du débiteur. L'importance de cette exception en regard des principes posés aux articles précédents impose qu'elle soit énoncée dans le nouveau Code civil; les limites dans lesquelles il est permis au débiteur de soustraire certains biens à la saisie demeurent fixées par le Code de procédure civile.         
     . . .         
     Quant au second alinéa, il permet de soustraire à la saisie les instruments de travail nécessaires à l'exercice personnel d'une activité professionnelle, c'est-à-dire les instruments qui permettent à une personne d'exercer sa profession en dehors de toute notion d'exploitation d'entreprise. Ainsi, une personne pourrait soustraire à la saisie ses livres, ses outils ou les autres objets qui lui permettent d'exercer son art, son métier ou sa profession, mais non l'ameublement de son bureau, ou les appareils ou machines qui transforment l'exercice de l'activité en l'exploitation d'une entreprise. Ces instruments de travail ne peuvent toutefois être soustraits à la saisie du créancier détenant une hypothèque sur ces biens2. (Je souligne.)         

[14]      Cette restriction au privilège d'insaisissabilité des biens d'un débiteur se comprend puisqu'il existe une solidarité présumée pour les débiteurs d'une obligation contractée pour le service ou l'exploitation d'une entreprise. L'exclusion des biens qui servent à l'exploitation d'une entreprise n'est donc que le corollaire logique et nécessaire de ce principe de solidarité de façon à permettre, à l'égard de tous les débiteurs, l'exécution sur ces biens qui participent de l'exploitation de l'entreprise, mais à l'exclusion de ceux qui sont nécessaires à un débiteur pour l'exercice personnel de sa profession. C'est pourquoi la référence dans le commentaire du Ministre au fait que l'ameublement de bureau fait partie des biens saisissables s'entend, à mon avis, de tous ces autres meubles qui ne sont pas des instruments de travail nécessaires à l'exercice personnel de l'activité professionnelle et qui, comme les commentaires le disent, transforment l'exercice personnel de l'activité en l'exploitation d'une entreprise.

[15]      L'article 2644 du Code civil établit en outre, à l'égard d'un débiteur, une présomption de saisissabilité de ses biens. Il lui appartient alors de renverser cette présomption et d'établir, selon la balance des probabilités, l'existence de chacun des éléments de l'exception, à savoir qu'il exerce une activité professionnelle, que les biens saisis dont il revendique la main levée sont, en vertu de l'article 552(3) du Code de procédure civile, des instruments de travail, que ces instruments de travail lui sont nécessaires à l'exercice de son activité professionnelle, et enfin que l'exercice de cette activité est personnel en ce sens qu'elle se rapporte à lui et ne constitue pas l'exploitation d'une entreprise.

[16]      Une décision quant à l'insaisissabilité de biens n'en est pas une qui peut se prendre dans un vacuum ou dans l'abstrait. Au contraire, les critères mêmes d'application de l'exception font référence à des notions variables qui se cristallisent et se précisent en fonction de la nature et de l'intensité de l'activité professionnelle exercée, de la nature, de la qualité et de la quantité des instruments de travail en litige ainsi qu'en fonction des circonstances de temps, de lieu, de manière, de cause et de condition qui caractérisent l'activité du débiteur. Le tribunal doit aussi, à mon avis, s'assurer d'une manière globale que la revendication du débiteur quant à la nature, la quantité, et la qualité des instruments de travail est raisonnable et qu'il existe une adéquation raisonnable entre la quantité d'instruments réclamés et les besoins engendrés par l'exercice de l'activité professionnelle. Par exemple, il peut s'avérer déraisonnable de revendiquer l'insaisissabilité de trois tables antiques de travail d'une grande valeur alors qu'une seule autre table se retrouvant parmi les biens saisis pourrait permettre de satisfaire les besoins du débiteur.

[17]      La détermination de l'insaisissabilité doit donc se faire en tenant compte de tous ces éléments, à partir de la preuve soumise par le débiteur qui, je le répète, a le fardeau d'établir qu'il a droit au bénéfice du privilège d'insaisissabilité qu'il invoque.

[18]      Ainsi, dans la mesure où la preuve en est faite, les articles 2648 du nouveau Code civil et 552(3) du Code de procédure civile, à mon avis, permettent de soustraire du gage commun des créanciers un bureau, une chaise et des classeurs dont l'avocat a besoin pour l'exercice personnel de sa profession3.

[19]      À mon avis, peut faire également partie de cette catégorie un ordinateur. Utilisé dans sa fonction la plus élémentaire et la plus restreinte, soit en tant qu'appareil de traitement de texte, l'ordinateur est, de nos jours, à l'exercice de la profession ce qu'était jadis, avec ses multiples inconvénients, la machine à écrire. Aucun professionnel en exercice ne voudrait revenir au cauchemar des procédures dactylographiées avec copies au carbone. Malgré tout, si l'appareil ne remplissait que ce rôle, il faudrait probablement en conclure qu'il s'agit d'un instrument de travail fort utile, souhaitable et désirable, mais pas nécessairement indispensable.

[20]      Mais l'ordinateur sert aussi à beaucoup d'autres fins nécessaires à l'exercice personnel de la profession d'avocats.

[21]      Tout d'abord, il fait office de bibliothèque virtuelle en permettant la consultation de banques de données informatisées ou de disquettes sur lesquelles sont emmagasinées des informations qui n'étaient autrefois accessibles que sur support papier. Il arrive fréquemment que de jeunes avocats qui débutent dans la pratique du droit se servent de l'ordinateur comme instrument de recherche juridique à défaut de posséder une bibliothèque de style traditionnel. En outre, l'appareil sert également à la consultation de dossiers informatisés. Par exemple, des amendements récents au Code de procédure pénale du Québec ont introduit le constat d'infraction électronique, la preuve par support électronique et le jugement sur support électronique rendant ainsi nécessaire pour le juge et les parties le recours à l'ordinateur4.

[22]      Il est aussi de notoriété publique que l'ordinateur est devenu un outil de gestion de l'activité professionnelle d'un avocat ainsi qu'un instrument d'archivage électronique. Il n'est pas rare que des informations comptables, des dossiers de clients avec renseignements personnels, l'agenda, des éléments de facturation, la gestion du temps dans les dossiers, des modèles de contrats ou de règlements et des modèles de procédures d'usage courant y soient consignés, le rendant alors dans ces cas insaisissables aussi en vertu de l'article 130 de la Loi sur le Barreau.

[23]      Dans la mesure où la preuve établit qu'un ordinateur sert d'instrument de recherche ou d'outil de gestion ou encore qu'il est utilisé pour consulter des dossiers informatisés, l'appareil doit, à mon avis, être distrait d'une saisie en autant, il va sans dire, que les autres conditions de l'article 552(3) sont respectées.

[24]      Ceci dit, il en va autrement, toutefois, d'un fax qui, à mon avis, entre dans la catégorie des instruments de travail utilitaires mais non nécessaires à l'exercice personnel de la profession d'avocats. D'ailleurs, en l'espèce, l'appelant a admis devant le juge de première instance qu'il pouvait travailler sans ce dernier5. L'appareil, destiné à faciliter les communications écrites entre les avocats eux-mêmes ainsi qu'avec leurs clients, est aussi souvent utilisé comme mode de signification des procédures. Il est indubitable que, pour un avocat en exercice, l'appareil correspond à un besoin pratique et concret et qu'il s'avère d'une aide précieuse, mais le service qu'il rend peut être obtenu par d'autres moyens existants de communication ou de signification. Le désir pour un avocat de vouloir privilégier cet instrument de communication à d'autres n'en fait pas pour autant un instrument nécessaire à l'exercice de sa profession.

b)      La preuve

[25]      La preuve devant le juge de la section de première instance consiste dans le témoignage de l'appelant soumis au contre-interrogatoire du procureur de l'intimée.

[26]      En ce qui a trait à l'ordinateur, la preuve de l'appelant n'est pas contredite. L'appareil est utilisé à des fins comptables, opérationnelles et de gestion. Il contient des dossiers de clients, des renseignements à caractère nominatif et personnel, des renseignements de nature juridique et des modèles de procédure6. Je suis satisfait qu'il s'agit d'un instrument de travail nécessaire pour l'appelant qui est aussi insaisissable, dans le cas présent, en vertu de l'article 130 de la Loi sur le Barreau.

[27]      Le juge de la section de première instance a conclu que, pour l'exercice de sa profession, l'appelant avait accès au bureau de Me Tremblay et bénéficiait des services de soutien de cette firme légale. Il s'est aussi dit étonné, à juste titre, que l'appelant ne sache pas si son titre d'avocat était inscrit dans le bottin téléphonique et comment son nom était indiqué dans l'annuaire judiciaire des avocats d'autant plus que, pour l'année en litige, il ressort de l'inscription faite à l'annuaire qu'il pratique au sein de l'étude de Me Tremblay:

     BELLIARD, Louis (82)              (418) 687-3733

     922 chemin St-Louis              fax: 682-3072

     SILLERY

     G1S 1C6

     (MARTIN TREMBLAY & ASSOCIÉS)

     [8.0]                              7

[28]      Au surplus, le certificat de saisie à l'égard des biens de l'appelant énonce qu'il pratique le droit au 922, chemin St-Louis, à Sillery, soit à l'adresse de l'étude légale de Me Martin Tremblay, ce que l'appelant n'a pas contesté8.

[29]      La conclusion de fait à laquelle en est venu le juge de la section de première instance était amplement supportée par la preuve9 et c'est, à mon avis, à bon droit qu'il en a déduit que ce matériel de bureau saisi, i.e., le bureau en bois avec tiroir, la chaise sur roulettes et le fax, n'était pas des instruments nécessaires à l'appelant pour l'exercice personnel de sa profession. En ce qui concerne la table d'ordinateur en bois en forme de "L", aucune preuve de sa nécessité n'a été faite devant le tribunal et elle demeure donc, en conséquence, saisissable.

La saisie de l'automobile

[30]      La preuve déposée devant le juge de première instance et acceptée par ce dernier établit que l'appelant parcourt en moyenne 1000 kilomètres par semaine pour assurer la représentation de clients dans différentes villes et districts judiciaires. De tels déplacements s'expliquent, selon l'appelant, par sa pratique de droit criminel qui lui impose de nombreux déplacements à toute heure aux centres de détention, aux pénitenciers et à divers palais de justice où doivent comparaître ses clients suite à leur arrestation ou à leur mise en accusation. Il soutient évidemment que l'automobile constitue pour lui un instrument de travail nécessaire à l'exercice personnel de sa profession et est, en conséquence, insaisissable.

[31]      L'intimé adopte une position contraire et fonde celle-ci sur une jurisprudence récente des tribunaux québécois qu'il convient d'examiner.

[32]      Il ne fait pas de doute que l'automobile constitue pour un débiteur un instrument de travail nécessaire à l'exercice personnel de sa profession lorsqu'il tire son revenu de l'usage de son automobile. Ainsi, dans l'arrêt Sous-ministre du revenu du Québec c. Morissette10, l'automobile d'un chauffeur de taxi fut-elle à bon droit déclarée insaisissable puisqu'elle était son instrument de travail et sa source de revenus.

[33]      Toutefois, la registraire de la Cour supérieure en matière de faillite a refusé de déclarer insaisissable l'automobile d'une débitrice qui, en tant que médecin généraliste sur un large territoire, devait faire des visites à domicile et livrer des prélèvements dans les laboratoires et hôpitaux. Elle a conclu qu'un véhicule demeure saisissable même si, presqu'indispensable pour un débiteur, il ne sert pas à lui procurer un revenu, mais plutôt à lui en faciliter la perception11.

[34]      Quelques mois auparavant, le registraire de la Cour supérieure du district de Rimouski en matière de faillite avait également refusé d'accorder le privilège d'insaisissabilité à un médecin gynécologue qui déclarait avoir besoin de son automobile pour les situations d'urgence provoquées par certains accouchements ou certaines interventions chirurgicales. Au surplus, la preuve établissait que ce médecin devait régulièrement desservir d'autres hôpitaux de la région afin de compenser l'absence de médecins spécialistes en région. Il en est venu à la conclusion que le véhicule du débiteur ne servait qu'à lui faciliter l'exercice de son travail et qu'il ne lui était pas nécessaire pour gagner sa vie12.

[35]      Dans Raymond Bissonnette Inc. c. Martel13, la Cour du Québec, chambre civile, a rejeté la demande d'un entrepreneur en construction qui s'objectait à la saisie de son camion. Selon le tribunal, le requérant exerçait une activité économique d'une manière organisée et le camion constituait l'un des éléments de l'organisation de l'activité économique. En conséquence, il servait à l'exploitation de l'entreprise et ne pouvait donc être considéré comme nécessaire à l'exercice personnel de son activité professionnelle.

[36]      Sur la base d'un raisonnement similaire, le registraire de la Cour supérieure du district de Hull en matière de faillite a refusé de donner main levée de la saisie de l'automobile d'un courtier en assurances exerçant à son compte depuis 25 ans. Le registraire y a vu là l'exploitation d'une entreprise, à savoir l'exercice d'une activité économique organisée, à caractère commercial14.

[37]      Enfin, dans le Sous-ministre du revenu du Québec c. Bergeron15, la Cour supérieure a validé la saisie de la cantine mobile d'un homme d'affaires au motif que l'exception de l'article 552(3) ne s'appliquait pas à l'exercice d'une activité de nature commerciale.

[38]      L'analyse de ces décisions révèle une interprétation et une application strictes de l'exception prévue à l'article 552(3). Tantôt le véhicule saisi a été déclaré saisissable parce qu'il ne s'agissait pas d'un instrument de travail, tantôt parce qu'il n'était pas nécessaire à l'exercice personnel de la profession, tantôt parce qu'il servait à l'exploitation d'une entreprise et tantôt parce qu'il servait à l'exercice d'une activité de nature commerciale exclue du champ d'application de l'article 552(3).

[39]      Il ne fait pas de doute que l'appelant dans le présent litige se livre à l'exercice personnel d'une activité professionnelle. La question qu'il convient alors de déterminer en rapport avec la saisie de son automobile est double: s'agit-il d'un instrument de travail et dans l'affirmative, cet instrument de travail lui est-il nécessaire à l'exercice personnel de sa fonction? Une réponse négative à l'une ou l'autre de ces deux questions entraîne une perte du privilège d'insaisissabilité conféré par l'article 552(3).

[40]      L'appelant reproche au juge de première instance d'avoir erré en droit dans son analyse de cette question lorsqu'il a conclu que les biens saisis, dont l'automobile, ne sont pas des "instruments spécialement destinés à l'usage par un professionnel dans l'exercice de sa profession, tels les livres de droit d'un avocat ou d'un notaire, la trousse d'un médecin ou les outils d'un homme de métier16.

[41]      L'appelant soutient que la question de l'insaisissabilité d'un instrument de travail doit s'apprécier non pas objectivement en fonction de normes abstraites ou de besoins typiques de la profession en général, mais plutôt subjectivement en fonction des besoins particuliers du débiteur saisi puisque la disposition législative réfère à un instrument de travail nécessaire à un débiteur pour l'exercice personnel de son activité professionnelle. Selon cette interprétation, l'usage d'une automobile qui, pour un avocat, pourrait n'être qu'un moyen de transport du domicile au lieu de travail sera pour un autre un instrument de travail nécessaire à l'exercice de ses fonctions. Chaque cas devient donc un cas d'espèce qui doit s'apprécier en fonctions des besoins d'un débiteur et des caractéristiques des fonctions exercées par ce débiteur.

[42]      Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer auparavant, l'insertion du mot "personnel" avait pour but de limiter la portée de l'insaisissabilité aux biens qui ne participent pas de l'exploitation d'une entreprise. Ceci dit, l'appelant a en partie raison lorsqu'il soutient que l'article 552(3) réfère à l'activité professionnelle du débiteur et que la définition de ce que constitue un instrument de travail ainsi que son caractère de nécessité doivent s'apprécier subjectivement, c'est-à-dire en fonction des besoins de ce débiteur. Mais, tel que je l'ai mentionné auparavant, les critères de l'exception doivent aussi s'évaluer par référence à un ensemble de circonstances ainsi qu'en fonction du caractère raisonnable de la revendication du débiteur.

[43]      En somme, je suis d'avis que la détermination de la question doit se faire en tenant compte des circonstances et en fonction des besoins du débiteur saisi et non en fonction de ceux d'un avocat-type exerçant la profession d'avocat, si tant est qu'on puisse s'entendre sur les caractéristiques et les besoins de ce dernier.

[44]      La fonction de criminaliste qu'exerce l'appelant à 70% de son temps et sur laquelle il fonde son objection à la saisie de l'automobile requiert essentiellement de ce dernier qu'il représente son client devant les tribunaux aux diverses étapes de la procédure, qu'il plaide en fait et en droit, qu'il fasse des représentations sur la culpabilité ou l'innocence de son client et, le cas échéant, qu'il présente ses observations sur la sentence, qu'il porte la décision et la sentence en appel et fournisse l'argumentation nécessaire au succès de son appel. À mon avis, aucune de ces tâches qui forment l'essence de l'activité professionnelle de l'appelant n'exige pour leur réalisation ou leur exécution un instrument de travail de la nature d'une automobile.

[45]      L'appelant soumet, cependant, que la nécessité naît du besoin de se déplacer pour rencontrer les clients et les représenter aux endroits où se déroulent leurs procès. Avec respect, je crois qu'il est plus exact de parler dans ce cas de convenance pour décrire le moyen revendiqué par l'appelant pour satisfaire ses besoins de déplacement. Certes, il est utile, plus fonctionnel, plus pratique et moins incommodant de disposer en pareilles circonstances d'une automobile personnelle pour se déplacer, mais c'est confondre l'utilitarisme avec l'indispensable que d'affirmer que l'automobile est un instrument de travail nécessaire à l'exercice de telles fonctions. À preuve, l'avocat qui perd son permis de conduire pour un an ne cesse pas de pratiquer et ne perd pas son revenu même s'il lui en résulte des inconvénients majeurs.

[46]      Je ne crois pas que le critère de nécessité retenu par le législateur dans l'article 552(3) implique qu'un débiteur puisse et ait le droit d'effectuer ses déplacements avec sa propre automobile, au détriment de ses créanciers, lorsqu'il existe d'autres moyens, telle la location, l'utilisation des transports en commun et les taxis, de parvenir aux mêmes fins sans porter préjudice à ces derniers.

[47]      À mon avis, le juge de première instance n'a commis aucune erreur en concluant que l'automobile de l'appelant n'était pas un bien insaisissable selon les dispositions de l'article 552(3) du Code de procédure civile.

[48]      Pour ces motifs, je rejeterais l'appel, sauf en ce qui a trait à l'ordinateur qui doit être distrait de la saisie et remis à l'appelant. Étant donné le succès mitigé de l'appel, je n'accorderais aucun dépens.

     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.

"J'y souscris.

     Pierre Denault j.c.a."

"J'y souscris.

     A. Desjardins j.c.a."

__________________

1      Voir Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bergeron, [1994] R.J.Q. 2552 où le juge Banford de la Cour supérieure en vint à la conclusion que l'article 552, paragraphe 3, ne couvre pas les activités d'un commerçant comme telles. Voir aussi Charles Belleau, Précis de procédure civile du Québec, Éd. Yvon Blais, 1993, p. 103.

2      Commentaires du ministre de la Justice, Tome II, Les Publications du Québec, 1993, p. 1657.

3      Voir Batrawi c. Imprimerie A.D.V. Inc., [1983] R.D.J. 477 où la Cour d'appel du Québec a jugé semblables biens nécessaires au maintien d'une étude légale convenable.

4      Loi modifiant le Code de procédure pénale et d'autres dispositions législatives, L.Q. 1995, c. 51, art. 6, 11, 18, 29 et 46.

5      Transcription p. 14.

6      Transcription p. 6, 12, 13 et 24.

7      52 e Annuaire téléphonique judiciaire du Québec, édition août 1994, Wilson et Lafleur Ltée, Montréal, p. 37.

8      Transcription pp. 33-34.

9      Transcription pp. 14, 17-18 ainsi que 27 à 29.

10      J.E. 95-1925 (C.S.).

11      Languedoc et Fortin et Associés Syndics et Cie d'immeuble Bona Ltée, C.S. Montréal no. 500-11-001069-950, 23 juillet 1996.

12      Blair et Mallette, Benoit et Cie Ltée, C.S. Rimouski, no. 100-11-000178-96-7, 1 mai 1996.

13      J.E. 96-1331. Voir aussi Gagnon c. St-Pierre, [1995] R.J.Q. 1729 (C.S.) où la Cour supérieure a, pour les mêmes raisons, maintenu la saisie pratiquée sur l'automobile d'un marchand au détail et en gros de produits. Pour le tribunal, la source de revenus du débiteur était le débit et le produit de ses ventes et non l'utilisation de son automobile.

14      Landry et Ginsberg, Gingras et Ass. Inc., C.S. Hull, no. 550-11-000625-948, 19 décembre 1994.

15      [1994] R.J.Q. 2552.

16      Voir Dossier d'appel, à la p. 20.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR: A-504-94

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA DIVISION DE PREMIÈRE INSTANCE RENDU LE 21

SEPTEMBRE 1994. NO. DU DOSSIER: GST-737-93.

INTITULÉ DE LA CAUSE:

Louis Belliard c. Le Sous­

Ministre du Revenu du

Québec et al.

LIEU DE L'AUDITION:

Québec (Québec)

DATE DE L'AUDITION:

le 8 décembre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:

le juge Létourneau

Y ONT SOUSCRIT:

le juge Denault

le juge Desjardins

EN DATE DU:

23 décembre 1997

COMPARUTIONS:

Me Louis Belliard

pour la partie appelante

Me François Marcoux

pour la partie intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Louis Belliard, Avocat

Aubert Gallion, Québec

pour la partie appelante

Veillette & Associés

Sainte-Foy, Québec

pour la partie intimée

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