Date : 20020122
Dossier : A-818-00
Référence neutre : 2002 CAF 31
LE JUGE MALONE
ENTRE :
MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
appelant
et
NORMAN RAFUSE
intimé
Audience tenue à Montréal (Québec), le 22 janvier 2002.
Jugement rendu à l'audience à Montréal (Québec), le 22 janvier 2002.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE EVANS
Date : 20020122
Dossier : A-818-00
Référence neutre : 2002 CAF 31
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE EVANS
ENTRE :
MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
appelant
et
NORMAN RAFUSE
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l'audience à Montréal (Québec),
le 22 janvier 2002.)
A. INTRODUCTION
[1] Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre du Développement des ressources humaines contre l'ordonnance du 5 décembre 2000 par laquelle un juge de la Section de première instance a accueilli une demande de contrôle judiciaire d'une décision où un membre unique de la Commission d'appel des pensions a refusé d'autoriser Norman Rafuse d'interjeter appel contre une décision du tribunal de révision.
[2] La question à trancher dans le présent appel est de savoir si madame le juge a commis une erreur de droit non seulement lorsqu'elle a annulé la décision du tribunal, mais aussi lorsqu'elle a accordé à M. Rafuse l'autorisation d'interjeter appel auprès de la Commission. Sans contester que le membre a commis une erreur en refusant d'accorder l'autorisation d'appel, le ministre prétend qu'en accordant cette autorisation, le juge visait à exercer un pouvoir que la Cour fédérale ne s'est pas vu conférer en matière de demandes de contrôle judiciaire, de sorte qu'en fait, la Cour s'est appropriée de la fonction d'enquête que le législateur a confiée au tribunal.
B. LES FAITS
[3] Par sa décision du 16 avril 1997, le tribunal avait accepté la prétention de M. Rafuse selon laquelle il était invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, de sorte qu'il avait droit à une pension d'invalidité. Toutefois, alors que M. Rafuse soutenait que son invalidité avait commencé en 1991, le tribunal a conclu que celle-ci n'avait pas commencé avant le 31 octobre 1994, soit le jour où le médecin et témoin-expert de M. Rafuse l'a examiné pour la première fois.
[4] Dans le cadre de sa demande d'autorisation d'interjeter appel contre la conclusion du tribunal relativement à la date du début de son invalidité, M. Rafuse a signalé l'existence, dans le dossier, d'éléments de preuve indiquant que 1991 était la date applicable. Il s'agit de l'année où il a arrêté de travailler en raison de sa maladie.
[5] Dans sa décision du 15 juillet 1998 refusant l'autorisation d'appel, le membre de la Commission a dit ce qui suit :
[Traduction] Il n'existe aucun motif d'accorder l'autorisation d'interjeter appel. Des éléments de preuve appuient la conclusion du tribunal en ce qui concerne la date du début de l'invalidité. Il ne sert à rien de prétendre que le tribunal aurait pu choisir une autre date susceptible de s'appuyer sur la preuve. En tirant sa conclusion, il a agi légalement et n'a commis aucune erreur donnant ouverture à révision.
Aucun nouvel élément de preuve de nature à étayer une contestation de la conclusion n'a été présenté dans le cadre de la présente demande d'autorisation malgré une indication contraire.
[6] Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire de cette décision, le juge a conclu que le critère applicable par la Commission en matière de demandes d'autorisation consiste à déterminer s'il y a une cause défendable susceptible de permettre au demandeur d'avoir gain de cause en appel. À l'appui de cette proposition, le juge a invoqué l'arrêt Martin c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (1999), 252 N.R. 141 (C.A.F.).
[7] Suivant la décision Davies c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (1999), 177 F.T.R. 88, le juge a également conclu que la Cour devait appliquer une norme de retenue lorsqu'elle contrôlait les décisions de la Commission en matière de demandes d'autorisation. À la lumière du dossier dont était saisie la Commission, le juge a conclu que le refus d'accorder l'autorisation d'appel était déraisonnable, et, comme la preuve était suffisante pour permettre à M. Rafuse d'avoir gain de cause en appel, elle lui a accordé cette autorisation.
C. ANALYSE
[8] Les avocats conviennent que la Commission n'a pas appliqué le bon critère en se prononçant sur la demande d'autorisation et que la décision ne peut pas être confirmée. Ils conviennent également qu'étant donné que la présente affaire a été soumise au juge par voie de demande de contrôle judiciaire plutôt que par voie d'appel, le juge n'avait pas le pouvoir de substituer son opinion à celle de la Commission quant à l'issue de la demande d'autorisation. Il ne s'agit tout simplement pas d'un pouvoir de réparation que le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, confère à la Cour.
[9] À notre avis, il s'agit d'un énoncé correct de l'état du droit : voir, par exemple, la déclaration particulièrement claire à cet effet que contient la décision Xie c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 75 F.T.R. 125, au paragraphe 17.
[10] L'avocat de l'intimé prétend toutefois que l'ordonnance du juge est justifiable en tant qu'exercice par la Cour du pouvoir, que lui confère l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale, « [d']infirmer [une décision] et [de la] renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées » . Suivant son argument, il y aurait eu lieu que le juge exerce ce pouvoir en l'espèce en prescrivant les modalités de la décision de la Commission compte tenu de son opinion selon laquelle la seule conclusion à laquelle pouvait raisonnablement en arriver la Commission à la lumière de la preuve dont elle était saisie était que M. Rafuse avait satisfait au critère de droit applicable en matière d'autorisations d'appel. Comme il n'y a donc aucune distinction de fond entre, d'une part, l'octroi par le juge de l'autorisation d'appel et, d'autre part, l'annulation du refus et le renvoi à la Commission avec instruction d'accorder l'autorisation, la Cour devrait rejeter le présent appel.
[11] Nous ne sommes malheureusement pas en mesure d'accepter cet argument. D'après notre analyse, la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle s'est demandée s'il existait des éléments de preuve à l'appui de la conclusion du tribunal et lorsqu'elle a refusé d'accorder l'autorisation après avoir considéré qu'aucun nouvel élément de preuve n'était susceptible de permettre la contestation de cette conclusion. Ce faisant, à notre sens, la Commission a appliqué un critère plus exigeant que celui qu'exige le droit et s'est prononcé sur des questions qu'elle devait trancher dans le cadre de l'audition de l'appel au fond.
[12] L'application du bon critère juridique aux faits est en grande partie une question de faits, ce critère consistant à déterminer si M. Rafuse a démontré, à la lumière de la preuve dont était saisie la Commission, qu'il y avait une cause défendable susceptible de donner lieu à une décision favorable en appel. La détermination des questions factuelles relève de la compétence exclusive de la Commission et se situe au coeur de son expertise. La Commission ayant commis une erreur de droit en l'espèce quant au critère applicable aux demandes d'autorisation, il lui reste encore à tirer les conclusions essentiellement factuelles auxquelles il est tenu.
[13] Dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour à l'égard des conclusions de fait d'un tribunal est rigoureusement circonscrit. En l'absence d'erreur de droit entachant le processus d'enquête d'un tribunal fédéral ou de violation de l'obligation d'équité, la Cour peut annuler la décision pour cause d'erreur de faits uniquement si ce tribunal a tiré sa conclusion de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait : Loi sur la Cour fédérale, alinéa 18.1(4)d). Par conséquent, si en raison d'une erreur de droit, un tribunal a omis de tirer une conclusion de faits pertinente, notamment une inférence factuelle, l'affaire devrait normalement lui être renvoyée pour lui permettre de terminer son travail. Nous sommes donc d'avis que le juge aurait commis une erreur de droit si, après avoir annulé la décision de la Commission, elle lui avait renvoyé l'affaire en lui ordonnant d'accorder à M. Rafuse l'autorisation d'interjeter appel.
[14] Bien que la Cour puisse donner des directives quant à la nature de la décision à rendre lorsqu'elle annule la décision d'un tribunal, il s'agit d'un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs : Xie, précité, au paragraphe 18. Ce pouvoir doit rarement être exercé dans les cas où la question en litige est de nature essentiellement factuelle (Ali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 73 (C.F. 1re inst.)), surtout lorsque, comme en l'espèce, le tribunal n'a pas tiré la conclusion pertinente.
[15] Au cours des plaidoiries, l'avocat de M. Rafuse a attiré notre attention sur d'autres jugements récents relatifs au contrôle judiciaire de décisions de la Commission d'appel des pensions en matière de demandes d'autorisation. Toutefois, la Cour n'a, dans aucun de ces jugements, donné des directives du genre de celle que l'avocat voulait que nous donnions en l'espèce.
[16] Nous avons souligné précédemment que nous en étions arrivé à notre décision avec regrets. En effet, dix ans se sont écoulés depuis que M. Rafuse a fait sa demande de pension d'invalidité. Dans la mesure où le processus décisionnel de ce régime administratif a été conçu de manière à donner lieu à des décisions rapides et définitives en matière de droit à la pension, le système semble avoir très mal fonctionné dans la présente affaire.
[17] Nous sommes néanmoins d'avis qu'il est important de respecter la grande autonomie que le législateur a conférée à la Commission sur les questions de faits même si notre décision peut avoir comme effet de causer des délais supplémentaires en donnant à la partie insatisfaite de la décision de la Commission quant à la demande d'autorisation la possibilité de la contester. Nous espérons que, pour minimiser les délais, la Commission traitera dès que possible la demande d'autorisation après que celle-ci lui aura été renvoyée pour réexamen.
D. CONCLUSIONS
[18] Pour les présents motifs, l'appel sera accueilli sans frais. L'ordonnance du juge sera modifiée de manière à éliminer l'autorisation permettant à M. Rafuse d'interjeter appel auprès de la Commission d'appel des pensions. L'affaire sera renvoyée à un autre membre de la Commission d'appel des pensions dûment nommé en vertu du paragraphe 83(2.1) du Régime pour que celui-ci détermine conformément aux présents motifs si M. Rafuse devrait être autorisé
à interjeter appel contre la conclusion du tribunal de révision selon laquelle son invalidité n'a pas commencé avant 1994.
« John M. Evans »
Juge
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : A-818-00
INTITULÉ : Ministre du Développement des ressources humaines
appelant
et
Norman Rafuse
intimé
DATE DE L'AUDIENCE : LE 22 JANVIER 2002.
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE EVANS
EN DATE DU : 22 JANVIER 2002
PRONONCÉS À L'AUDIENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC) LE 22 JANVIER 2002.
ONT COMPARU
M. Stewart Herbert Pour l'appelant
M. Alexander Paradissis Pour l'intimé
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Morris Rosenberg Pour l'appelant
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
M. Alexander Paradissis Pour l'intimé
Montréal (Québec)
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
Date : 20020122
Dossier : A-818-00
ENTRE :
MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
appelant
et
NORMAN RAFUSE
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
Date : 20020122
Dossier : A-818-00
Montréal (Québec), le 22 janvier 2002
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE :
MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
appelant
et
NORMAN RAFUSE
intimé
JUGEMENT
L'appel est accueilli et l'ordonnance de la Section de première instance est modifiée par le remplacement des mots « et le demandeur est autorisé à interjeter appel devant la Commission d'appel des pensions » par la phrase suivante : « L'affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission d'appel des pensions dûment nommé en vertu du paragraphe 83(2.1) du Régime de pensions du Canada pour que celui-ci statue sur l'affaire conformément aux motifs du jugement ci-joint sur la question de savoir si l'intimé devrait être autorisé à interjeter appel contre la décision du tribunal de révision relativement à la conclusion de celui-ci selon laquelle l'invalidité de l'intimé n'a pas commencé avant octobre 1994. »
« A.J. Stone »
Juge
Traduction certifiée conforme
Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.