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Date : 20040216

Dossier : A-698-02

Référence : 2004 CAF 69

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                 ADM AGRI-INDUSTRIES LTÉE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                      SYNDICAT NATIONAL DES EMPLOYÉS DE

                                   LES MOULINS MAPLE LEAF (DE L'EST) (CSN)

                                                                                                                                           défendeur

                                     Audience tenue à Montréal (Québec) le 3 février 2004.

                                     Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 16 février 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                              LE JUGE NADON

Y A SOUSCRIT :                                                                                                       LE JUGE NOËL


Date : 20040216

Dossier : A-698-02

Référence : 2004 CAF 69

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                 ADM AGRI-INDUSTRIES LTÉE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                      SYNDICAT NATIONAL DES EMPLOYÉS DE

                                   LES MOULINS MAPLE LEAF (DE L'EST) (CSN)

                                                                                                                                           défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NADON


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision du Conseil canadien des relations industrielles (le « Conseil » ) datée le 2 décembre 2002. Le Conseil, siégeant en réexamen en vertu de l'article 18 du Code canadien du travail, L.R. 1985, ch. L-2 (le « Code » ), modifiait une décision rendue le 15 novembre 2001 par Me Michele A. Pineau, Vice-présidente, siégeant seule. La conclusion du Conseil, telle qu'elle appert au paragraphe 65 de sa décision, se lit comme suit :

65.           Pour tous ces motifs, le présent banc de révision conclut que la décision du banc initial doit être modifiée, à la lumière des principes de stabilité et de promotion des libres négociations collectives qui caractérisent le mandat du Conseil. Le présent banc modifie donc la décision rendue par le banc initial et remplace l'avis déclaratoire qu'elle contenait par le suivant :

La convention collective entre les parties est expirée depuis le 31 janvier 1997. Par contre, les termes et conditions de cette convention collective doivent continuer de s'appliquer jusqu'à ce que l'une ou l'autre des parties ait exercé son droit de grève ou de lock-out et ce, en raison de l'existence de la clause 34.01. Par conséquent, à partir du 3 avril 1999, tant que l'un de ces droit n'était pas exercé, l'employeur ne pouvait être autorisé, sans l'accord du syndicat, à modifier unilatéralement les conditions d'emploi.

[2]                Le demandeur (l' « employeur » ) nous demande d'annuler la décision du Conseil pour deux motifs : le premier, parce que le Conseil a excédé sa compétence, et le deuxième, de façon subsidiaire, parce que sa décision est manifestement déraisonnable.

Faits

[3]                Les faits pertinents sont les suivants. Le 28 février 1997, l'employeur acquérait une entreprise antérieurement exploitée par les Moulins Maple Leaf Ltée, dont la convention collective avec ses employés s'est terminée le 31 janvier 1997. La clause 34.01 de la convention, qui stipule les conditions de sa prorogation transitoire, prévoit ce qui suit :

34.01 La présente convention entre en vigueur à la date de sa signature et se terminera le 31 janvier 1997. Après cette date, la convention collective continuera de s'appliquer jusqu'à ce que l'une ou l'autre des parties ait exercé le droit de grève ou lock-out, selon le cas. [Le souligné est le nôtre]


[4]                Le 10 juin 1997, l'employeur envoyait au défendeur (le « syndicat » ) un avis de négociation. Suite à des négociations difficiles et infructueuses tenues entre le 22 juillet 1997 et 26 mai 1998, l'employeur faisait parvenir au ministre du Travail (le « ministre » ) un avis de différend, en conformité avec l'article 71 du Code, et le ministre nommait dès lors un conciliateur.

[5]                Le 14 octobre 1998, suite à des séances de conciliation tenues entre les mois d'août et d'octobre 1998, l'employeur déposait une proposition finale sous forme de nouvelle convention collective.

[6]                Le 3 mars 1999, le syndicat rejetait l'offre de l'employeur et, le 26 mars 1999, le Service fédéral de médiation et de conciliation informait les parties de sa décision de ne pas nommer un commissaire-conciliateur et d'établir une commission de conciliation.

[7]                Le 3 avril 1999, se disant d'avis que les conditions prévues à l'alinéa 50b) et au paragraphe 89(1) du Code étaient remplies et, par conséquent, que le gel statutaire des conditions de travail étaient terminées, l'employeur avisait le syndicat de son intention de modifier unilatéralement les conditions d'emploi.

[8]                À compter de cette date, le syndicat déposait environ 600 griefs réclamant l'application des conditions de la convention collective.


[9]                Le 30 mars 2000, suite à la mise à pied de 14 employés par l'employeur, le syndicat déposait 14 griefs, au motif que ces mises à pied avaient été effectuées en violation de la clause 34.01 de la convention collective. Ces griefs furent renvoyés à l'arbitrage.

[10]            Devant l'arbitre Pierre Dufresne, mandaté par le ministre pour entendre ces griefs, l'employeur soulevait une objection préliminaire contestant sa compétence à entendre les griefs. Selon l'employeur, puisque son droit de décréter un lock-out était acquis en raison de l'application des alinéas 50b) et 89(1)a) à d) du Code, il pouvait modifier unilatéralement les taux de salaire et les autres conditions d'emploi.

[11]            Le 5 juin 2001, l'arbitre concluait qu'il avait compétence pour entendre les griefs vu qu'en vertu de l'article 34.01 de la convention collective, les parties avaient convenu de prolonger les conditions de travail prévues par la convention collective jusqu'à ce que l'une ou l'autre exerce son droit de grève ou de lock-out.

[12]            Le 4 juillet 2001, l'employeur déposait une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre devant la Cour supérieure du Québec qui, le 9 octobre 2001, rejetait cette demande.

[13]            Le 12 décembre 2001, la Cour d'appel du Québec rejetait la requête de l'employeur pour autorisation d'appel du jugement de la Cour supérieure.


[14]            Parallèlement aux procédures déposées devant la Cour supérieure du Québec, l'employeur déposait, le 21 février 2001, une demande d'avis déclaratoire au Conseil en vertu des articles 15.1 et 65 du Code, concernant l'existence d'une convention collective et, le cas échéant, de son droit de modifier les conditions de travail, tel que prévu à l'alinéa 50b) du Code.

[15]            Le 15 novembre 2001, le Conseil, sous la plume de Me Pineau, Vice-présidente, concluait que les effets de la convention collective liant les parties avait pris fin le 3 avril 1999. Par conséquent, selon Me Pineau, l'employeur était en droit de modifier les conditions de travail à compter de cette date.

[16]            Le 6 décembre 2001, le syndicat demandait au Conseil de réexaminer la décision rendue par Me Pineau et, le 11 décembre 2001, le syndicat déposait devant cette Cour une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Me Pineau.

[17]            Le 28 octobre 2002, le Conseil informait les parties qu'il avait l'intention de réexaminer la décision de Me Pineau.

[18]            Le 29 octobre 2002, le syndicat informait le Conseil qu'il souhaitait se désister de sa demande de réexamen. Le 8 novembre 2002, le Conseil informait les parties qu'il ne pouvait accepter le désistement.


[19]            Le 2 décembre 2002, le Conseil décidait que Me Pineau, en concluant comme elle l'avait fait, avait erré dans son interprétation du Code. Spécifiquement, le Conseil concluait que l'application de la clause 34.01 de la convention collective n'enfreignait nullement le Code.

[20]            L'employeur s'attaque alors à cette seconde décision du Conseil par une demande de contrôle judiciaire. Deux demandes se retrouvent devant cette Cour et elles sont réunies pour fins d'audition. À l'audience, le syndicat s'est désisté de celle qu'il avait déposée à l'encontre de la décision de Me Pineau rendue le 15 novembre 2001.

Législation

[21]            Les dispositions suivantes du Code sont pertinentes :



18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

[...]

50. Une fois l'avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s'appliquent :

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l'agent négociateur et l'employeur doivent :

(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;

b) tant que les conditions des alinéas 89(1)a) à d) n'ont pas été remplies, l'employeur ne peut modifier ni les taux des salaires ni les autres conditions d'emploi, ni les droits ou avantages des employés de l'unité de négociation ou de l'agent négociateur, sans le consentement de ce dernier.[...]

89. (1) Il est interdit à l'employeur de déclarer ou de provoquer un lock-out et au syndicat de déclarer ou d'autoriser une grève si les conditions suivantes ne sont pas remplies :

a) l'un ou l'autre a adressé un avis de négociation collective en application de la présente partie;

b) les deux :

(i) soit n'ont pas négocié collectivement dans le délai spécifié à l'alinéa 50a),

(ii) soit ont négocié collectivement conformément à l'article 50, sans parvenir à conclure ou réviser la convention collective;

c) le ministre a:

(i) soit reçu l'avis mentionné à l'article 71 et l'informant que les parties n'ont pas réussi à conclure ou à réviser la convention collective,

(ii) soit pris l'une des mesures prévues par le paragraphe 72(2);

d) vingt et un jours se sont écoulés depuis la date à laquelle le ministre, selon le cas :

(i) a notifié aux termes du paragraphe 72(1) son intention de ne pas nommer de conciliateur ou de commissaire-conciliateur, ni de constituer de commission de conciliation,

(ii) a notifié aux parties le fait que le conciliateur nommé aux termes du paragraphe 72(1) lui a fait rapport des résultats de son intervention,

(iii) a mis à la disposition des parties, conformément à l'alinéa 77a), une copie du rapport qui lui a été émis,

(iv) est réputé avoir été informé par le conciliateur des résultats de son intervention, en application du paragraphe 75(2), ou avoir reçu le rapport, en application du paragraphe 75(3);

[...]

18. The Board may review, rescind, amend, alter or vary any order or decision made by it, and may rehear any application before making an order in respect of the application.

[...]

50. Where notice to bargain collectively has been given under this Part,

(a) the bargaining agent and the employer, without delay, but in any case within twenty days after the notice was given unless the parties otherwise agree, shall

(I) meet and commence, or cause authorised representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith and

(ii) make every reasonable effort to enter into a collective agreement; and

(b) the employer shall not alter the rates of pay or any other term or conditions of employment or any right or privilege of the employees in the bargaining unit, or any right or privilege of the bargaining agent, until the requirements of paragraphs 89(1)(a) to (d) have been met, unless the bargaining agent consents to the alteration of such a term or condition or such a right or privilege.

[...]

89. (1) No employer shall declare or cause a lockout and no trade union shall declare or authorize a strike unless

(a) the employer or trade union has given notice to bargain collectively under this Part;

(i) have failed to bargain collectively within the period specified in paragraph 50(a), or

(ii) have bargained collectively in accordance with section 50 but have failed to enter into or revise a collective agreement;

(c) the Minister has

(I) received a notice, given under section 71 by either party to the dispute, informing the Minister of the failure of the parties to enter into or review a collective agreement, or

(ii) taken action under subsection 72(2);

(d) twenty-one days have elapsed after the date on which the Minister

(I) notified the parties of the intention not to appoint a conciliation officer or conciliation commissioner, or to establish a conciliation board under subsection 72(1),

(ii) notified the parties that a conciliation officer appointed under subsection 72(1) has reported,

(iii) released a copy of the report to the parties to the dispute pursuant to paragraph 77(a), or

(iv) is deemed to have been reported to pursuant to subsection 75(2) or to have received the report pursuant to subsection 75(3);

[...]


Questions en litige


[22]            La demande de contrôle judiciaire soulève deux questions. La première concerne la compétence du Conseil de réexaminer la décision rendue le 15 novembre 2001 par Me Pineau. La deuxième question, qui est soulevée de façon subsidiaire, nous invite à décider si la décision du Conseil est manifestement déraisonnable.

La compétence du Conseil

[23]            L'employeur soutient que le Conseil a excédé sa compétence de deux manières : en acceptant d'entendre une demande de réexamen dont s'était désisté le Syndicat, et en réexaminant une décision en l'absence des circonstances prescrites par règlement.

A. Réexamen après désistement

[24]            La prétention de l'employeur selon laquelle le Conseil aurait réexaminé sa décision de son propre chef n'est pas exacte.

[25]            Le Syndicat a déposé sa demande de réexamen le 6 décembre 2001, à l'intérieur du délai prescrit par l'article 45 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001-520 (le Règlement). Ce document prenait la forme d'un mémoire long d'une quinzaine de pages (dossier de l'employeur, vol. 1, p. 34).

[26]            L'employeur a déposé une réponse de quatre pages le 20 décembre 2001 (ibid., p. 68).

[27]            Le Syndicat déposait une réplique longue de quelque sept pages le 15 janvier 2002 (ibid., p. 74).


[28]            Un représentant du Conseil informait les parties, le 16 janvier 2002, que le dossier était référé au Conseil pour considération (ibid., p. 82).

[29]            Le 28 février 2002, le Conseil informait les parties de la composition du banc mandaté pour statuer sur la demande de réexamen. Il refusait à cette occasion la demande que lui faisait l'employeur d'ordonner à l'arbitre Dufresne de suspendre l'arbitrage. Nous notons ce passage : « Tandis que la demande de réexamen est à l'étude, le Conseil prend acte de la demande adressée par l'employeur en vue de faire suspendre les procédures d'arbitrage et [...] tient à se pencher dès maintenant sur cette question particulière » (ibid., p. 87).

[30]            Le 6 mars 2002, l'arbitre remettait sine die la tenue de l'audition des griefs, « étant donné l'existence de la demande de révision devant le Conseil et devant la Cour d'appel fédérale » (ibid., p. 95).

[31]            Le 8 mai 2002, le Syndicat demandait au Conseil de surseoir à son enquête sur la demande de réexamen jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale ait disposé de la demande de révision judiciaire (ibid., p. 96). Cette demande semble être demeurée sans réponse.

[32]            Le 28 octobre 2002, le Conseil invitait les parties à lui faire parvenir toute soumission additionnelle au plus tard le 12 novembre 2002 (ibid., p. 99).


[33]            Le 29 octobre 2002, le Syndicat informait le Conseil qu'il se désistait de sa demande de révision (ibid., p. 121).

[34]            Le 8 novembre 2002, le Conseil refusait de donner suite à ce qu'il qualifiait de « demande de désistement » (ibid., p. 100).

[35]            Le 2 décembre 2002, le Conseil, après réexamen, renversait sa décision antérieure.

[36]            Il ressort de cet exposé des faits que le Conseil avait été, dès le départ, valablement saisi d'une demande de réexamen et qu'il est demeuré valablement saisi de la demande puisque, conformément à sa pratique, il a refusé le désistement qu'avait proposé le Syndicat. Il est en effet acquis que le Conseil ne donne pas effet, d'office, à un désistement et qu'il se réserve la discrétion de le refuser (voir Re Société Radio-Canada, [2002] D.C.C.R.I. no. 32, para. 6). Comme la décision par laquelle le Conseil refusait le désistement n'a pas fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, il s'ensuit qu'on doit tenir pour acquis qu'il n'y a pas eu désistement et que le Conseil était encore dûment saisi de la demande de réexamen.

[37]            Quoi qu'il en soit, la prétention de l'employeur n'est pas non plus fondée en droit car, quand bien même le Conseil eût procédé de son propre chef à un réexamen, il aurait agi à l'intérieur de sa compétence.


[38]            L'article 18 du Code canadien du travail permet au Conseil de « réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances [...] » . Cette Cour a déjà décidé que cet article conférait au Conseil le pouvoir de réexaminer une décision de son propre chef (voir Syndicat canadien des communications de l'énergie et du papier c. Canada (Conseil canadien des relations du travail) (1994), 174 N.R. 57 (C.A.F.)..

[39]            Cette jurisprudence, nous dit le procureur de l'employeur, ne devrait plus être suivie en raison de l'adoption de l'article 44 du Règlement de 2001, lequel n'était pas en vigueur au moment où cette jurisprudence a été établie. L'article 44 se lit comme suit :

    Partie 7 - Demandes de réexamen

44.          Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l'article 18 du Code comprennent les suivantes :

a) la survenance de faits nouveaux qui, s'ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l'ordonnance faisant l'objet d'un réexamen, l'auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

b) la présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil;

c) le non-respect par le Conseil d'un principe de justice naturelle;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l'article 3.

Part 7 - Applications for Reconsideration

44. The circumstances under which an application shall be made to the Board exercising its power of reconsideration under section 18 of the Code include the following:

(a) the existence of facts that were not brought to the attention of the Board, that, had they been known before the Board rendered the decision or order under reconsideration, would likely have caused the Board to arrive at a different conclusion;

(b) any error of law or policy that casts serious doubt on the interpretation of the Code by the Board;

(c) a failure of the Board to respect a principle of natural justice; and

(d) a decision made by a Registrar under section 3.


[40]            Nous ne pouvons partager ce point de vue. Nous ne croyons pas que le Conseil ait pu, par règlement, écarter un pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît le Code. Par ailleurs, le fait que le Conseil ait jugé opportun d'identifier par règlement certaines circonstances donnant ouverture à une demande de réexamen par une partie, ne permet pas de supposer qu'il ait, ce faisant, restreint les circonstances dans lesquelles il pouvait réexaminer lui-même, de son propre chef, ses décisions.

B. Absence des circonstances prescrites par règlement

[41]            L'exercice du pouvoir du Conseil de réexaminer une décision ne saurait être remis en question par cette Cour que dans des circonstances exceptionnelles. D'une part, en effet, s'agit-il d'un pouvoir discrétionnaire dans l'exercice duquel les tribunaux sont réticents à intervenir; d'autre part, s'agit-il de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par un office protégé par une des clauses privatives (l'article 22 du Code) qui ait la plus large portée qui soit. Ainsi, pour reprendre les mots du juge Marceau dans Québec-Téléphone c. Syndicat des agents de maîtrise de Québec-Téléphone (1997), 221 N.R. 312 (C.A.F.),

S'il est un domaine où la discrétion du Conseil doit rester imperméable aux interventions de cette Cour, c'est bien celui-là.

                                                                                                                                  [para. 8]


[42]            Il faut aussi noter que l'énumération de circonstances que fait l'article 44 n'est pas exhaustive : les mots « comprennent » , « include » ne laissent aucun doute à cet égard. Cette énumération codifie, en quelque sorte, la pratique généralement suivie par le Conseil, mais ni le nombre ni la description des circonstances ne sont coulées dans le béton. Le Conseil s'est manifestement réservé une latitude considérable.

[43]            Les « circonstances » décrites à l'article 44 du Règlement de 2001 sur lesquelles le Conseil dit s'appuyer en l'espèce sont celles décrites au paragraphe b), à savoir :

b) la présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil;

(b) any error of law or policy that casts serious doubt on the interpretation of the Code by the Board;

[44]            Une analyse intéressante de la pratique du Conseil à cet égard, telle qu'elle existait en 1979, se retrouve dans la décision rendue par une formation de dix membres du Conseil dans Syndicat des travailleurs en télécommunications et British Columbia Telephone Company (1979), 38 di 124. Une mise à jour en a été faite dans Société Radio-Canada et Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio (1991), 86 di 92, puis dans Société Radio-Canada (Re), [2002] D.C.C.R.I. no. 43. Nous notons, dans cette dernière décision, le passage suivant à la page 10 :

À l'égard de la présence d'erreurs de droit ou de principe, le fait d'être en désaccord avec le Conseil sur l'interprétation qu'il a donnée du droit ou de certains principes ne suffit pas pour justifier un réexamen [...]. Il faut en effet démontrer la présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil.


[45]            Ce critère, nous semble-t-il, est suffisamment vaste pour autoriser le Conseil à réexaminer une question, comme en l'espèce, qui est à sa face même une question de droit, de principe et de politique d'une portée considérable. Nous ne disons pas que le Conseil ne peut réexaminer que dans semblables cas; nous disons que la nature de la question est telle, ici, qu'il y avait indiscutablement matière à réexamen, et ce d'autant plus qu'il y avait une contradiction à résoudre entre une décision d'un membre du Conseil et une décision d'un arbitre entérinée par un juge de la Cour supérieure du Québec. Le Conseil, qui est en quelque sorte le maître à penser quand il y va de l'interprétation du Code canadien du travail, ne saurait être blâmé d'avoir cherché à trancher le débat.

Le caractère manifestemment déraisonnable de la décision du Conseil

[46]            L'employeur soumet que la décision initiale du Conseil rendue par Me Pineau qui, s'appuyant sur les décisions Bradburn c. Wentworth Arms Hotel Ltd. et al., [1979] 1 R.C.S. 846, et CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, de la Cour suprême du Canada, et sur Air Canada (national) (1988), 72 di 169, concluait que les effets de la convention collective ne pouvaient se prolonger au delà de la période statutaire prévue à l'alinéa 50b) du Code, est bien fondée. Par conséquent, selon l'employeur, la décision du Conseil modifiant la décision initiale est manifestement déraisonnable.

[47]            Pour les motifs qui suivent, nous sommes d'avis que cette prétention de l'employeur est sans mérite.


[48]            Le Conseil avait à déterminer si à compter du 3 avril 1999, les termes et conditions de la convention collective, échue le 31 janvier 1997, s'appliquaient. Plus spécifiquement, le Conseil avait à décider si la clause 34.01 de la convention collective, qui proroge les conditions d'emploi au delà de la période statutaire prévue à l'alinéa 50b) du Code, contrevenait aux dispositions du Code.

[49]            L'alinéa 50b) du Code prévoit qu'un employeur ne peut modifier les conditions d'emploi de ses employés que dans la mesure où les conditions prévues aux alinéas 89(1)a) à d) du Code sont rencontrées, à savoir qu'un avis de négociation a été donné, que les parties ont négocié conformément à l'article 50 sans parvenir à conclure ou réviser leur convention collective, que le ministre a reçu un avis en conformité avec l'article 71, et que le ministre a notifié les parties de son intention de ne pas nommer de conciliateur. Ces conditions étant remplies, l'employeur peut dès lors modifier unilatéralement les conditions d'emploi.

[50]            En l'instance, les conditions prévues aux alinéas 89(1)a) à d) ont toutes été remplies.

[51]            Par ailleurs, la clause 34.01 de la convention collective prévoit expressément que la convention collective continuera de s'appliquer jusqu'au moment où soit l'employeur ou le syndicat aura exercé son droit de grève ou de lock-out, selon le cas. En l'instance, ni l'employeur ni le syndicat n'ont exercé leur droit de grève ou de lock-out.

[52]            Il s'agissait donc pour le Conseil de déterminer si, comme le prétend l'employeur, la clause 34.01 est dérogatoire du Code. Au soutien de sa prétention, l'employeur invoque, inter alia, la clause 33.01 de la convention collective, qui prévoit ce qui suit :


33.01 Advenant que tout article ou paragraphe enfreindrait une loi fédérale, le langage utilisé dans les présentes sera réputé modifié pour être en conformité avec les lois existantes.

Nonobstant la pratique antérieure, le langage utilisé dans la présente convention prévaudra dans la détermination de l'intention réelle des parties.

[53]            Tel que nous l'indiquions plus tôt, Me Pineau, siégeant seule, a conclu en faveur de l'employeur. Au paragraphe 23 des motifs de sa décision, Me Pineau énonçait la question à laquelle elle devait répondre dans les termes suivants :

23.           Plus précisément donc, la question en litige est à savoir comment interpréter la clause que les parties ont de plein gré prévue dans leur convention tout en respectant les dispositions du Code.

[54]            Après un examen minutieux de la jurisprudence, notamment les décisions Bradburn, Paccar et Air Canada, précitées, Me Pineau concluait que les termes et conditions de la convention collective échue le 31 janvier 1997 avaient cessé de s'appliquer le 3 avril 1999, soit la date où les conditions prévues aux alinéas 89(1)a) à d) étaient remplies. Au paragraphe 36 de ses motifs, Me Pineau justifie sa conclusion dans les termes suivants :

[36]         C'est donc à la lumière de cet enseignement que la clause 34.01 doit être interprétée dans le sens qui lui donne un effet. En autant que les parties choisissent de librement renouveler la convention, cette clause permet de mettre en application les conditions de travail énoncées jusqu'à la signature d'une nouvelle convention. Toutefois, dans la mesure où l'une ou l'autre des parties donne un avis de négociation visant à modifier la convention collective, cette clause devient périmée, car elle ne peut avoir l'effet de proroger à perpétuité une convention collective qui échoit à la date prévue. Tout au plus, cette clause peut raisonnablement être considérée comme étant une clause transitoire, visant à maintenir le statu quo pendant les négociations en vue des procédures de conciliation.


[55]            Le 2 décembre 2002, le Conseil, siégeant en révision, modifiait la décision de Me Pineau. Au paragraphes 40 de ses motifs, le Conseil déclarait que la clause 34.01 était une disposition transitoire, dont le but était de maintenir les conditions d'emploi pendant le processus de négociation collective. Selon le Conseil, la question à déterminer était celle à savoir si les parties pouvaient, en raison de la clause 34.01, prolonger les conditions d'emploi au delà de la période statutaire prévue à l'alinéa 50b) du Code.

[56]            En répondant à cette question, le Conseil se disait d'avis que malgré le silence du Code quant à la possibilité pour les parties de négocier des clauses transitoires ayant pour but de prolonger les effets de leur convention collective, de telles clauses étaient valides et devaient être interprétées de façon à leur conférer l'application souhaitée par les parties, pour autant qu'elles ne contreviennent pas aux dispositions du Code. Selon le Conseil, rien dans le Code n'empêchait les parties de convenir, d'un commun accord, d'étendre une protection minimale imposée par le Code, et notamment de prolonger la période de gel des conditions d'emploi imposée par le Code, dans la mesure où cela ne remettait pas en cause la possibilité d'exercer d'autres droits reconnus par le Code, comme la grève ou le lock-out (paragraphe 44 des motifs).

[57]            Le Conseil se disait aussi d'avis que la clause 34.01 de la convention collective visait à faire le lien entre le moment où le droit de grève ou de lock-out était acquis par les parties, et le moment où ce droit était effectivement exercé. Le Conseil était d'avis que la clause ne remettait nullement ces droits en question et par conséquent, n'était pas contraire aux dispositions de l'alinéa 50b) du Code (paragraphe 47 des motifs).


[58]            Selon le Conseil, les décisions de la Cour suprême dans Bradburn et Paccar, précitées, qu'invoquait Me Pineau au soutien de sa conclusion, ne soutenaient nullement la position de l'employeur. À son avis, Bradburn était facilement distinguable en raison du libellé de la clause transitoire, qui pouvait être interprétée comme permettant le renouvellement à perpétuité de la convention collective, éliminant par ce fait la possibilité pour les parties de recourir à la grève ou au lock-out.

[59]            Quant à Paccar, le Conseil, au paragraphe 55 de ses motifs, distinguait cet arrêt de la façon suivante :

55.           Le présent banc est d'avis que l'arrêt CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., précité, se distingue de l'affaire en l'espèce et donc ne peut trouver application. Malgré que la convention collective dans cette affaire incluait également une clause transitoire, la mise au point de cet arrêt portait sur le pouvoir de l'employeur de modifier les conditions d'emploi après l'expiration de la convention et après que l'employeur ait donné avis au syndicat de son intention de cesser les négociations conformément à la clause transitoire conclue entre les parties. D'importance dans cet arrêt était le faut qu'au temps pertinent, le Labour Relations Code de la Colombie-Britannique ne prévoyait pas spécifiquement une période de gel des conditions d'emploi après l'expiration d'une convention collective. L'analyse n'inclut donc pas une interprétation des effets de la clause transitoire mais adresse plutôt ce qui devait prendre place à la suite de la période de gel créée par la clause transitoire même.

[60]            Concernant la décision Air Canada, précitée, le Conseil était d'avis que certains passages de cette décision soutenaient la conclusion à laquelle il devait en arriver. Selon le Conseil, le libellé de la clause transitoire dans Air Canada, contrairement à la clause 34.01 de la convention collective en l'espèce, n'avait pas pour effet de proroger la période d'application des conditions d'emploi au delà de la période de gel statutaire prévue par le Code.


[61]            Selon le Conseil, les objectifs et l'esprit du Code devaient prévaloir, notamment en ce qui avait trait aux principes de la libre négociation. Par conséquent, il ne pouvait retenir l'interprétation proposée par l'employeur et acceptée par Me Pineau, ce qui, selon lui, aurait pour effet de limiter, inter alia, le droit des parties de négocier leurs conditions d'emploi et, à l'occasion, de bonifier la protection minimale imposée par le Code.

[62]            Le Conseil concluait donc que la clause 34.01 de la convention collective était valide puisqu'elle ne limitait nullement l'exercice du droit de grève ou de lock-out.

Norme de contrôle de la décision du Conseil

[63]            Il ne peut faire de doute que la norme applicable en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. Le Code ne prévoit pas de droit d'appel des décisions du Conseil, la revue de ses décisions se fait sous forme de contrôle judiciaire devant cette Cour, et le Code contient une clause privative en son article 22, qui a été caractérisé par la Cour suprême comme étant une clause forte, large, ou encore complète( Voir par exemple Royal Oak Mines Inc. c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 369 au para. 35; Canadian Broadcasting Corp. c. Canada, [1995] 1 R.C.S. 157, au para. 31; International Longshoremen's and Warehouse Union, Ship and Dock Foremen, Local 514 c. Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 R.C.S 432, aux paras. 24 et 42.) Récemment, dans VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, [2001] 4 C.F. 139, au paragraphe 29, notre Cour caractérisait ainsi l'effet de l'article 22 :


[29]         La présence d'une clause privative « intégrale » , « celle qui déclare que les décisions du tribunal administratif sont définitives et péremptoires, qu'elles ne peuvent pas faire l'objet d'un appel et que toute forme de contrôle judiciaire est exclue dans leur cas » , donne une bonne indication à la Cour qu'elle devrait faire montre de retenue à l'endroit d'une décision du tribunal. Les décisions du Conseil canadien des relations industrielles sont protégées par la même clause privative « claire et formelle » qui protégeait les décisions de l'organisme qui l'a précédé. L'article 22 est une clause privative intégrale qui a pour effet de protéger les décisions du CCRI du contrôle judiciaire, sauf en cas de fraude, d'erreur de compétence ou de manquement aux règles de justice naturelle". [Le soulign est le nôtre. Les références ont été omises.]

[64]            En outre, dans Association des Pilotes Air Canada c. Association des Pilotes de lignes aériennes, 2003 FCA 160, au paragraphe 23, notre Cour a reconnu que l'expertise du Conseil était un facteur qui inclinait à la déférence envers ses décisions. Plus précisément, la question qui se posait dans Air Canada consistait à déterminer la norme de contrôle de la décision du Conseil de réviser une décision antérieure. Notre Cour, sous la plume du juge Malone, concluait que la norme applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable. Aux paragraphes 27 et 28, le juge Malone s'exprimait comme suit:

[27]         Le Règlement sur le CCRI prévoit que le Conseil peut réexaminer ses propres ordonnances en présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code. En l'espèce, le Conseil devrait décider si l'ordonnance du 2 mai 2001 qui confirmait la décision de l'arbitre Mitchnick remettait sérieusement en question l'interprétation du Code, en ce qui a trait aux principes applicables à l'intégration d'unités de négociation et au traitement de droits existants issus d'une convention collective. Étant donné les compétences spécialisées du CCRI dans le domaine, j'estime qu'il s'agit là de question que le législateur comptait laisser de son ressort plutôt que de les confier aux tribunaux.

[28]         À mon avis, tous les facteurs susmentionnés conduisent à conclure que la norme de contrôle applicable à la décision du CCRI est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[65]            Il est aussi important de se rappeler les propos qu'exprimait le juge La Forest dans Paccar, précité, aux pages 1003, 1004 et 1005 :


Lorsque, comme en l'espèce, un tribunal administratif est protégé par une clause privative, notre Cour a déclaré qu'elle n'examinera la décision du tribunal que si celui-ci a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s'il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa fonction; voir Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227. Le tribunal a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu'il n'agisse pas de façon "déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire" (p. 237). Le critère de contrôle constitue un "test sévère": voir Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, à la p. 493. Cette portée restreinte du contrôle oblige les cours de justice à adopter une attitude de retenue à l'égard des décisions du tribunal administratif. La retenue judiciaire est plus qu'une fiction invoquée par les cours de justice lorsque celles-ci sont d'accord avec les décisions du tribunal. Un simple désaccord avec le résultat atteint par le tribunal administratif ne suffit pas à rendre ce résultat "manifestement déraisonnable". Les cours de justice doivent prendre soin de vérifier si la décision du tribunal a un fondement rationnel plutôt que de se demander si elles sont d'accord avec celle-ci. L'accent devrait être mis non pas sur le résultat auquel est arrivé le tribunal, mais plutôt sur la façon dont le tribunal est arrivé à ce résultat. Les clauses privatives comme celles contenues aux art. 31 à 34 du Code constituent des exercices permis du pouvoir du législateur et, dans la mesure où elles restreignent la portée du contrôle judiciaire dans le cadre des pouvoirs constitutionnels, la Cour devrait respecter cette restriction et s'en remettre à la décision de la Commission. [Le souligné est le nôtre]

[...]

J'estime qu'il n'est pas nécessaire de déterminer de façon concluante si la décision de la Commission est "juste" en ce sens que c'est la décision à laquelle je serais parvenu si la cause avait été entendue quant au fond par notre Cour. Il suffit de dire que le résultat auquel la Commission est arrivée n'est pas manifestement déraisonnable. En fait, j'irais jusqu'à dire que le résultat atteint par la Commission est aussi raisonnable que l'autre solution. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin.

La décision du Conseil est-elle manifestement déraisonnable?

[66]            L'employeur soumet que la décision du Conseil est manifestement déraisonnable en ce qu'elle n'est nullement conciliable avec les dispositions du Code. Quels sont les motifs à l'appui de cette prétention?


[67]            Selon l'employeur, le Code prévoit expressément le déroulement des activités lors de l'expiration d'une convention collective. En premier lieu, il impose aux parties l'obligation de négocier de bonne foi. En deuxième lieu, lorsque les parties ne peuvent s'entendre, le Code leur impose la conciliation. En troisième lieu, face à l'insuccès de la conciliation, le Code reconnaît aux parties les droits de grève et de lock-out.

[68]            Pendant la troisième phase, que l'employeur caractérise comme un état de « guerre économique » , les parties sont libres d'utiliser tous les moyens dont ils disposent pour exercer de la pression sur l'autre partie.

[69]            Pour faciliter la négociation et la conciliation, le Code impose un gel statutaire des conditions d'emploi, gel qui demeure en vigueur jusqu'à ce que les parties se retrouvent dans la troisième phase. À compter de ce moment, l'employeur peut, de façon unilatérale, modifier les conditions d'emploi. Au paragraphe 47 de son mémoire, l'employeur fait l'affirmation suivante :

47.           Le législateur fédéral a donc instauré un système exhaustif de négociations. La fin de la période du gel statutaire des conditions de travail s'inscrit dans ce système, tout comme le droit de l'employeur de modifier les conditions de travail et ce, avant que le droit de grève ou de lock-out ne soit exercé. Exiger que la grève ou le lock-out soit déclaré serait ajouter une condition supplémentaire aux alinéas a) à d) de l'article 89 (Re Bell Canada Ltd. et Communications Union Canada, p. 125, conf. 97 D.L.R. (3d) 132, 17 L.A.C. (2d) 119);

[70]            L'employeur soumet donc qu'une convention collective ne peut, par conséquent, contredire les dispositions du Code, dont l'alinéa 50b), puisque ces dispositions sont d'ordre public. Ce qui mène l'employeur à conclure que l'application de la clause 34.01 de la convention collective contrevient nécessairement à une disposition d'ordre public, puisqu'elle a pour effet de prolonger la période de gel au delà du gel statutaire prévu à l'alinéa 50b).


[71]            Subsidiairement, l'employeur prétend qu'en raison de la clause 33.01 de la convention collective, les parties ont clairement indiqué leur intention de se conformer au Code et, par conséquent, de s'en tenir au gel statutaire prévu à l'alinéa 50b). Puisque la clause 34.01 de la convention collective n'écarte pas expressément le gel statutaire, elle n'a pas l'effet voulu par le syndicat.

[72]            En dernier lieu, l'employeur soumet que Me Pineau, contrairement au Conseil siégeant en révision, a correctement appliqué les arrêts Bradburn, Paccar et Air Canada, précités. Au paragraphe 57 de son mémoire, l'employeur conclut comme suit :

57.           L'interprétation du Conseil dans sa décision initiale rendue dans l'affaire ADM Agri-Industries Ltd., précitée, respecte la lettre et l'esprit du Code. À l'inverse, la décision rendue par le banc de révision du Conseil et qui renverse cette décision initiale est manifestement déraisonnable, n'étant aucunement conciliable avec le Code.

[73]            À notre avis, les prétentions de l'employeur sont mal fondées. L'employeur n'a mis de l'avant aucun motif qui saurait nous convaincre que la décision du Conseil est manifestement déraisonnable.


[74]            Ce que l'employeur nous propose, en réalité, est une interprétation différente de celle à laquelle le Conseil en est arrivé. Comme le souligne le juge La Forest dans Paccar, précité, à la page 1003, un tribunal administratif a le droit de faire des erreurs de droit, « pourvu qu'il n'agisse pas de façon « déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire » . »

[75]            À notre avis, il ne peut faire de doute, en l'instance, que la décision du Conseil s'appuie de façon rationnelle sur la législation pertinente. Le Conseil a exercé l'expertise qui lui est reconnue d'interpréter le Code qui est sa législation habilitante. Il a également interprété la disposition conventionnelle d'une manière qui, nul doute, s'insère dans le cadre des objectifs du Code. Ce faisant, ses démarches ne nous semblent pas pouvoir être qualifiées de manifestement déraisonnables.

[76]            En décidant que les arrêts Bradburn, Paccar et Air Canada, précités, ne soutenaient nullement la position de l'employeur, le Conseil a distingué ces arrêts en mettant l'accent sur la différence de rédaction des clauses qui étaient en cause dans Bradburn et Air Canada (voir les paragraphes 50 et 58) et sur la différence de la question en litige dans Paccar (voir le para. 55).

[77]            Au soutien de notre conclusion que la décision du Conseil n'est point manifestement déraisonnable, il est important de souligner que l'arbitre Pierre Dufresne et le juge Fraiberg de la Cour supérieure du Québec ont conclu dans le même sens que le Conseil. Aux paragraphes 19 et 20 de ses motifs, au soutien de sa conclusion que la décision de l'arbitre Dufresne n'était nullement déraisonnable, le juge Fraiberg (dans ADM Agri-Industries Ltée c. Dufresne, 500-050060142-017, le 19 octobre 2001) énonçait ce qui suit :


[19]         De l'avis du soussigné, bien qu'on puisse donner une autre interprétation au seul texte des paragraphes 89(1)a) à d) du Code canadien du travail que celle donnée par l'arbitre, son interprétation, tenant compte des objectifs visés par cette loi de la paix industrielle garantie pour la stabilité des conditions de travail, à moins que le droit de grève ou de lock-out ne soit exercé, est loin d'être démuni de tout sens.

[20]         Par ailleurs, son propos que les parties peuvent ajouter à la protection de base assurée par l'article 50 du Code est tout à fait raisonnable, toujours en tenant compte des objectifs visés. Il n'est nulle part prévu dans cette loi qu'elle exclue des dispositions contractuelles qui, au lieu d'aller à l'encontre des objectifs législatifs, les confirment et les renforcent.

[78]            Au paragraphe 27, le juge Fraiberg concluait comme suit :

[27]         Alors, c'est pour toutes ces raisons que je trouve non seulement que la sentence arbitrale est-elle raisonnable mais, d'après moi, elle serait aussi correcte, si c'était cette dernière norme de contrôle moins sévère qui devait s'appliquer.

[79]            Nous notons aussi que dans Consolidated Bathurst Inc. c. Syndicat national des travailleurs de pâtes et papiers de Port-Alfred, [1997] R.J.Q. 520 (C.A.), à la page 523, le juge Le Bel (tel était son titre), pour la Cour d'appel du Québec, indiquait clairement que la Cour suprême, dans Bradburn, précité, avait reconnu la validité de clauses prolongeant l'application des conditions de travail d'une convention collective expirée, dans la mesure où ces dernières n'empêchaient pas l'exercice des droits de grève et de lock-out. Ces propos rejoignent ceux qu'énonçait le juge Estey dans Bradburn, aux pages 858 et 859 :


Les conséquences seront lourdes en matière de relations de travail si, dans des circonstances semblables à celles-ci, l'interprétation des dispositions de The Labour Relations Act et de la convention collective par les tribunaux a pour effet d'instaurer une convention collective perpétuelle qui ne prendra fin qu'à signature , par les parties, d'une nouvelle convention collective. Si la loi ne s'y oppose pas, rien n'empêche les parties de prévoir, en langage clair, des résultats que d'autres peuvent juger déraisonnables. Dans de tels cas, les tribunaux n'ont pas le droit d'intervenir. La loi ontarienne prévoit un cadre où les relations de travail sont fondées sur des négociations collectives conduisant à une convention collective, et ensuite à des conventions de remplacement. La négociation collective est un exercice auquel les parties participent après avoir évalué leur situation et force économique respective, sous réserve uniquement des restrictions et limites imposées par The Labour Relations Act. En conséquence, les conventions collectives, qui sont des créations de la loi et qui y trouvent leur origine et leur justification, sont le reflet de ces réalités. Un tribunal ne doit pas être trop prompt à donner à une clause de convention collective un sens qui la mette en conflit avec les principes de relations de travail consacrés par la loi applicable. Il n'en sera ainsi que lorsque l'intention et le texte de la convention dictent clairement pareille solution. Je suis d'avis que ce n'est pas le cas en l'espèce. [Le souligné est le nôtre]

[80]            En l'espèce, la clause 34.01 de la convention collective n'est nullement ambigüe. Elle prévoit expressément que la convention collective (ou plutôt ses effets, puisque cette dernière s'est terminée le 31 janvier 1997) s'appliquera jusqu'à ce que les parties, selon le cas, aient exercé leur droit de grève ou de lock-out.

Conclusion

[81]            Par ces motifs, nous sommes d'avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée avec dépens.

                                                                                « Robert Décary »

                                                                                                     j.c.a.

                                                                                   « Marc Nadon »

                                                                                                     j.c.a.

« J'y souscris.

Marc Noël j.c.a. »


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                      A-698-02

INTITULÉ :              

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 3 février 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   Le 16 février 2004

COMPARUTIONS:

Me Jacques Audette

           POUR LE DEMANDEUR

Me Benoît Laurin

           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Montréal (Québec)

           POUR LE DEMANDEUR

Sauvé et Roy, avocat-e-s

Montréal (Québec)

           POUR LE DÉFENDEUR


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